6. Barbare au miel

La fillette ! Krrkippaal sursauta violemment et son hamac ne fit qu'un tour. Face contre terre, il tomba museau à museau sur un vers particulièrement gluant.

Reste concentré, Krrk ! pensa le lézard qui de mauvaise grâce abandonna cette bonne chair et partit se dissimuler derrière un chêne. De sa cache de fortune, il aperçut la gamine, Mirette, ses bouclettes blondes voletant au gré de la brise. Mais elle n'était pas seule, un monstre muni d'un grossier gourdin l'accompagnait en reniflant bruyamment.

— Schlagwug ! grogna le monstre.

Un barbare des collines, Krrkippaal en était sûr. Pour les avoir longuement étudiés à Yashcheritsa, il les savait sauvages et cruels. Il devait se méfier, la fillette n'avait apparemment pas apprécié sa dernière douche et bien sûr, c'était le pauvre Krrkippaal qui allait en faire les frais.

Malgré un calme tout à fait relatif, ses genoux menacèrent de se dérober alors que le monstre renifla dans sa direction.

— Schlagwug ! répéta-t-il avec vigueur et en pointant un doigt musclé sur l'arbre inutile qui cachait Krrkippaal.

Ce dernier se montra au grand jour, manifestant le courage légendaire qui le caractérisait. Le Hobereau serait fier de lui.

— Bonjour à vous, Maitresse Mirette ! Quel plaisir de vous revoir !

— Miaou ! hurla la jeunette, hystérique. Tu m'as causé du souci à partir tout seul à travers la forêt. Et tu étais tout malade.

Étonné face au comportement affable de la gamine, Krrkippaal baissa les épaules et fixa ses pattes :

— Maîtresse, je me sens incroyablement miséreux de vous avoir..., j'ai eu si terriblement honte de mon comportement et j'ai préféré m'enfuir.

— C'était involontaire, petit chat. Je suis soulagée de te retrouver sain et sauf. Cette forêt est dangereuse pour les faibles créatures comme toi !

Krrkippaal osa un haussement de sourcil devant la taille déplorable de la fillette, mais après un rapide coup d'œil au barbare, il jugea sage de ravaler sa réplique. Il n'était déjà que trop heureux de ne pas avoir tâté du gourdin. Mais il restait sur ses gardes, étonné que cet étrange duo le recherche avec tant d'insistance si ce n'était pas pour le rosser.

— Nous allons pouvoir prendre une collation, maintenant que tu es hors danger, s'extasia Mirette en observant les lieux. Installe la couverture et sors les victuailles, Ankrolm.

Le dénommé Ankrolm s'exécuta sans un mot. Krrkippaal s'assit avec ses convives et ingurgita quelques fruits. Il ne manqua pas de louer sa chance revenue.

— Ne mange pas si vite, petit chat, l'avertit d'un ton maternel la gamine.

Ne sachant quoi répliquer, Krrkippaal détourna la conversation et demanda à Mirette ce que voulait exprimer le barbare par « Schlagwug ».

— Ça signifie « lézard », lézard, répondit le géant d'une voix lente et profonde.

— Excusez-moi, Maître barbare, mais il me semble que votre peuple use d'un autre terme pour nommer ma race.

— Dans ma langue, nous avons deux cent quarante-six mots pour désigner votre espèce.

Bien qu'outré de se faire traiter d'espèce – dans les veines des lézards de Yashcheritsa coulait un sang pur et vierge de tout brassage – Krrkippaal resta coi face à cette information et devant les connaissances du géant.

— Deux cent quarante-six ? s'étrangla-t-il.

— Oui, cela diffère selon les dialectes, mais tous dérivent de Zlongfals et Kroppflas qui sont les deux termes originels dans notre séculaire sémantique. Schlagwug signifie en particulier un lézard couard et discourtois, expliqua calmement Ankrolm avant de se taire devant le regard réprobateur que lui jetait Mirette.

Les globes plus grands que jamais, Krrkippaal préféra se concentrer sur la tartine de mûres et de miel que lui proposait la fillette. Cette dernière, manifestement heureuse que la conversation sur la linguistique barbare ait pris fin, se lança dans une diatribe sur les écueils de la forêt. Ayant épuisé le sujet plus rapidement que Krrkippaal les tartines qu'elle lui confectionnait pourtant à tour de bras, elle se retourna vers son chat.

— Tu vas pouvoir rentrer avec nous, maintenant que tu t'es bien nourri. Ankrolm saura te protéger en cas de danger.

Krrkippaal ne chercha pas à mentionner qu'il s'était toutefois très bien débrouillé jusque-là.

— Je vous remercie infiniment de vous soucier autant des mes écailles, mais je ne peux rester auprès de vous. Je m'en vais en direction d'Arckaweik, Maitresse Mirette. Je dois écrire un conte et c'est là-bas que m'attend l'inspiration.

— Arckaweik ! Mais c'est terriblement dangereux ! Tu ne survivras pas une décade dans cette horrible ville.

— Qui dit épopée héroïque dit danger, expliqua Krrkippaal. Je me dois d'aller visiter cette légendaire cité où cohabitent les nains des mines, venus marchander leur précieux métal, les elfes sylvestres sortis de leurs profondes forêts pour étudier les livres des ancestrales bibliothèques de la ville, et les gnomes ingénieux, débarqués de leur singulier zeppelin à la recherche de pièces rares et de traités sur la mécanique. Peut-être même y rencontrerai-je des druides ou des sorciers, des paladins ou des bardes ?

Les globes brillants, Krrkippaal contemplait le lointain, se voyant déjà dans les tavernes à échanger avec ces curieux protagonistes qui lui parleraient de mille merveilles et lui conteraient des aventures les plus épiques.

— Non ! Tu rentres avec nous, s'exclama Mirette en croisant les bras. Je te le dis, c'est trop dangereux.

Krrkippaal pouffa et secoua légèrement la tête.

— Dangereux ! Mais les lézards se rient du danger. Ouïs bien le fameux dicton de Yashcheritsa : « Gaillard est le lézard, car il ne craint pas le brouillard, poltron est l'avorton, car il redoute les chatons ».

— Tu es têtu comme une mule, petit chat. En plus, ça n'existe pas ces histoires d'elfe et de nains ! Explique-lui Ankrolm !

Le barbare se tourna légèrement vers Krrkippaal, finit tranquillement sa tartine de miel puis débita de sa voix lente et profonde :

— La Maîtresse a raison, Maître lézard. Je n'ai jamais entendu parler de tels êtres à Arckaweik. Cependant, il se raconte une vieille légende qui fait mention de dragons et d'autres créatures étranges vivant sur le toit de la ville. Malheureusement, ne connaissant pas la teneur exacte de cette histoire, je ...

— Je ne t'ai pas demandé de l'encourager, Ankrolm ! protesta la gamine d'une voix aiguë.

Face à elle, le reptile regardait dans le vague, ses globes reflétant rêves et détermination. Mirette souffla et fixa Krrkippaal.

— Puisqu'il en est ainsi, vilain chat têtu, nous t'accompagnerons !

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