Chapitre 6: Case départ (Aladrinh et Maria)
Maria pleurait sur le sol de sa cellule. Elle se sentait effondrée, misérable. Ses mois d'efforts avaient été ruinés en quelques heures, parce qu'elle avait pensé être en sécurité à la bibliothèque. Et maintenant, elle était à nouveau en prison, dans une cellule bien moins plaisante qu'avant. De retour à la case départ.
L'elfe à côté d'elle était toujours inconscient. Les soldats de l'Église de la lumière les avaient mis dans la même cellule. Elle espérait qu'il n'était pas dangereux.
Séchant ses larmes, elle examina la pièce. Très exiguë pour deux personnes, elle possédait pour tout mobilier un banc et deux lits. D'un côté de la cellule se trouvait une lourde porte de fer, de l'autre une petite ouverture à hauteur de visage. munie d'épais barreaux. Maria s'approcha. La fenêtre donnait, comme elle s'y attendait, sur la cour de la prison d'Isaldor. Elle se trouvait encore plus haut que dans sa chambre de la Confrérie.
Elle réalisa que la fenêtre n'avait ni vitre, ni volets. Si cela ne posait pas de problème en plein midi, elle songea que les nuits risquaient d'être fraîches.
Mais pour combien de temps était-elle là, au juste? Elle le savait, on ne la laisserait jamais ressortir. Elle connaissait le secret des Ingénieurs Supérieurs de la Confrérie. On ne pouvait la laisser révéler qu'une des plus hautes instances d'Isaldor retenait ses travailleurs prisonniers.
Au mieux, on la jugerait assez inoffensive et utile pour qu'elle rejoigne la Confrérie, et finirait sa vie à créer d'autres aéroplanes et sous-marins.
Au pire, elle serait exécutée d'ici quelques jours.
Elle préférait ne pas penser à la deuxième alternative.
Aladrinh ne tarda pas à se réveiller. Son premier réflexe fut de porter se main sa main à sa sacoche. Ses doigts ne rencontrèrent que le vide.
-Si tu cherches ton sac, on te l'a pris, lui dit Maria.
Il se retourna vivement, surpris. Il ne l'avait pas vue.
-On nous a tous les deux fouillés. On m'a même pris mon outil.
Génial, pensa l'elfe. Je suis en prison sans raison, on m'a pris mes affaires, et en plus la fille malodorante est là. Quelle jolie journée de mai.
Voyant qu'il ne répondait pas, l'ingénieur se présenta:
-Je m'appelle Maria Calder. Et toi?
-Aladrinh Magpie.
-Magpie... Ce n'est pas un nom d'ici. C'est un nom des îles du Nord. Il y a des elfes insulaires?
-Non. C'est un nom que m'a donné Mila. Ma... mère adoptive.
Il avait prononcé ces derniers mots d'une voix étranglée. Sans qu'il le veuille, des larmes roulèrent sur ses joues. Il se mit à sangloter.
Voulant le réconforter, Marie lui passa un bras autour des épaules. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle éprouvait beaucoup d'empathie pour cet inconnu. Peut-être parce qu'à cet instant, il semblait aussi misérable qu'elle. Et qu'elle n'avait personne d'autre avec qui partager son malheur. Elle se remit à pleurer.
Aladrinh se sentait au plus bas. Il n'avait pas encore pu se laisser aller au désespoir que lui causait la douleur de sa perte. Lorsque Mila était morte, il s'était immédiatement mis en tête d'enquêter, peut-être pour éviter d'affronter la dure réalité. Mais maintenant que tout semblait perdu, il n'avait plus rien d'autre à faire que pleurer.
Ils ne savaient pas combien de temps s'écoula ainsi. Ils étaient tous les deux, l'un contre l'autre, assis sur le sol froid de leur cellule, sans dire un mot. Ils pleurèrent toutes les larmes de leurs corps. Lorsqu'ils n'eurent plus de larmes, ils restèrent tout de même là, les yeux rougis. Il leur semblait qu'il étaient les créatures les plus désespérées du monde.
Le soleil commençait à décliner lorsqu'une trappe s'ouvrit en bas de la porte, laissant passer un plateau qui contenait deux assiettes. Ils n'en touchèrent pas une miette. Rien ne paraissait avoir de l'importance.
Quand la nuit tomba, une trappe de bois se referma sur la fenêtre. Aladrinh se leva enfin. Il fit quelques pas pour délier ses jambes endolories et dit de la voix la plus assurée qu'il put:
-Il faut sortir d'ici. Vite.
-Comment? C'est une prison. On ne peut pas en sortir. C'est le principe même.
-Tu parles beaucoup. Ce que je veux dire, c'est que si tu as un plan d'évasion, il vaudrait mieux en parler tout de suite. Nous avons peu de temps.
-Avant qu'on nous pende?
-Bien pire. Les Yordalides étaient hier. Ce qui veut dire...
-Que la Semaine du Destin arrive dans trois jours.
-Deux jours, en fait. C'est déjà la nuit.
-Grands dieux...
La Semaine du Destin était la semaine qui suivait les Yordalides. On y honorait les Cinq Divinités du Temps et du Destin. Le lundi était le jour d'Enghinil, dieu de la damnation. On y organisait des bûchers, et des châtiments publics pour les condamnés à mort.
-Si j'avais encore mon outil, j'aurais peut-être pu nous faire sortir...
-C'est la deuxième fois que tu parles de cet "outil". Qu'est ce que c'est?
-Un genre de boîte qui m'a aidé à m'évader.
-Tu étais prisonnière?
-De la Confrérie du Progrès Mécanique.
-On ne te laissait pas te laver, là-bas?
Maria fit une grimace qui ressemblait presque à un sourire.
-Je suis échappée par le vide-ordures.
-Raconte-moi ça.
Maria s'exécuta. Elle ne lui parla pas seulement son évasion, mais aussi de sa captivité à la Confrérie, de son enfance, de ses espoirs, ses désillusions. Lorsqu'elle était petite, Maria voulait une confidente, une amie à qui elle pourrait tout raconter. Mais Maria n'avait pas d'amies. Elle était trop... différente. Les autres filles de son école ne lui adressaient pas la parole. Elle s'était contentée de travailler dur, se consolant avec ses rêves.
Mais elle avait l'impression d'avoir trouvé ce confident en Aladrinh. C'était étrange. Elle lui faisait confiance. Il semblait inexplicablement gentil.
Lorsqu'elle eut la gorge sèche et la voie enrouée d'avoir trop pleuré et parlé, elle lui dit:
-A ton tour.
Aladrinh fit de même. Il fut moins expansif, mais lui confia tout de même les grandes lignes de sa vie et lui parlant même de mort de Mila, bien que son évocation fût douloureuse. Il raconta ensuite les événements qu'il l'avaient amené dans cette cellule.
Lorsqu'il eut terminé, il était exténué. Lui et Maria s'allongèrent dans leurs lits respectifs et s'endormirent presque aussitôt. Aladrinh passa une nuit plus calme que la précédente. Parler lui avait fait du bien.
Le lendemain, il se réveilla avec un entrain nouveau. Pas seulement parce qu'il avait bien dormi. La nuit lui avait porté conseil. Il avait un plan.
Le volet de la fenêtre s'était déjà relevé, laissant entrer le soleil. Maria était debout et mangeait un morceau de pain dans son lit. Elle le salua:
-Bonjour Aladrinh. Ils ont repris le dîner que nous n'avons pas mangé et ont apporté le petit-déjeuner. Le tien est toujours sur le plateau, sur le pas de la porte.
-Bonjour Maria. Ecoute, je crois que j'ai eu une bonne idée pour sortir d'ici, ajouta-t-il à voix plus basse.
Il attrapa sa miche de pain et mordit avidement dedans.
-Moi aussi, dit Maria. C'est assez simple. Il faut absolument parler à des responsables. Ce qu'ils font est tout à fait illégal. Ils nous ont mis en prison sans nous dire un seul mot, et si la raison pour laquelle j'y suis est claire, tu m'a l'air d'être emprisonné assez injustement. En plus...
-Non, ça ne marchera pas. Tu ne comprends pas? Les autorités d'Isaldor ignorent la loi. Tu devrais le savoir, tu as été retenue contre ton gré, ce qui est tout à fait illégal.
-Mais il s'agissait de la Confrérie!
-Oh, voyons, tu sais que la Confrérie est directement liée à l'Administration, de même que les Guildes! Si l'une est corrompue, les autres le sont. C'est évident. Et je pense même que la mort de Mila a été d'une manière où d'une autre orchestrée par l'Administration. Toi, tu as été arrêtée pour une raison évidente. Mais moi? Rien n'explique ma présence ici, excepté le fait que j'aie été fourrer mon nez dans l'affaire de la mort de ma mère. Tu ne trouves pas ça étrange? Un meurtre mystérieux, et la seule personne pour s'en préoccuper disparaît le lendemain, capturée par l'Administration d'Isaldor.
Maria croisa les bras.
-J'admets que tout ceci semble plus qu'étrange. Que proposes-tu?
Aladrinh allait répondre lorsqu'il s'arrêta et se raidit.
-Quelqu'un arrive, souffla-t-il. Plus un mot!
Par chance, il ne s'agissait que d'un garde qui les amena vers des salles d'eau pour qu'ils puissent faire leurs ablutions. On leur confisqua leurs vêtements pour qu'ils enfilent des tenues de prisonniers vertes. Ils regagnèrent ensuite leur cellule.
Lorsqu'Aladrinh fut sûr que personne n'était plus à proximité, il chuchota à Maria:
-Tu t'es déjà échappée une fois, n'est ce pas?
-Ce n'était pas pareil. J'avais du matériel à disposition.
-Justement. Si tu pouvais avoir un objet, n'importe lequel, à condition qu'il soit facilement trouvable et qu'il ne pèse pas trop lourd, lequel serait-ce?
-Qu'est-ce que tu as en tête?
-Contentes-toi de répondre.
Maria resta silencieuse plusieurs minutes. Cela ressemblait aux énigmes que son père lui faisait lorsqu'elle était petite. Elle trouvait presque toujours la solution.
-Un cristal orange de taille relativement conséquente. Comme les cristaux jaunes, il pourrait accumuler de l'énergie grâce à la lumière du soleil, mais les cristaux oranges relâchent leur énergie en produisant des détonations lorsqu'ils sont en contact avec l'eau. Si nous en faisions charger un assez longtemps puis que nous le plongions dans un brot d'eau, il pourrait faire sauter les barreaux de la fenêtre et peut-être même en élargir l'ouverture. Après cela, nous pourrions escalader le mur, je pense que nous sommes au dernier étage. Ensuite, nous pourrions nous enfuir par les toits. Enfin, tu pourrais. Je n'ai pas ton agilité d'elfe.
-Eh, tu n'es pas mauvaise non plus, pour une humaine. Courir en équilibre sur des rails... Tout le monde ne peut pas le faire.
-On ne peut qu'espérer que je serai à la hauteur, impossible de s'entraîner à l'escalade ici. Mais de toutes façons, il faudrait d'abord se procurer le cristal.
-Ne t'inquiètes pas, un petit oiseau m'a dit qu'on pourrait en avoir un avant ce soir. Il te faudrait quelle taille?
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