Chapitre 2: Prison dorée (Maria)
Deux semaines plus tôt...
Maria terminait de nouer ses cheveux tout en regardant par la petite lucarne de sa chambre. Elle n'avait une vue que sur la cour de la Confrérie du Progrès Mécanique. Sur sa table de travail s'étalaient des cristaux énergétiques multicolores et des maquettes de machines en tous genres.
Elle s'assit sur sa chaise, fébrile. D'ici quelques minutes se tiendrait le Conseil Hebdomadaire de la Confrérie. C'était là une étape clé de son plan. Si les choses ne se passaient pas comme prévu, son évasion planifiée depuis des mois tombait à l'eau. Elle soupira. Comment en était-elle arrivée là? Prisonnière de la Confrérie, de son propre rêve...
Depuis son enfance elle rêvait de devenir Ingénieur Supérieur à la Confrérie du Progrès Mécanique. A huit ans, elle avait réparé sa première montre à gousset. Elle passait ses après-midis à bricoler dans le grenier des maquettes de sous marins et d'aérospaces. Elle avait travaillé d'arrache-pied toute sa scolarité dans l'espoir d'endosser un jour la robe rouge et l'écharpe émeraude.
L'année de ses 21 ans, ses efforts avaient été récompensés. Sa thèse sur les moteurs à cristaux hybrides permettant une propulsion sous l'eau et dans les airs lui valut sa place d'Apprentie Ingénieur. Quatre mois de travail plus tard, elle était déjà promue Ingénieur Supérieur. On avait rarement vu une ascension si fulgurante. Maria s'était vu remettre l'écharpe verte ainsi qu'un appartement au coeur même de la Confrérie.
Ravie de ces nouveaux avantages, elle n'était même pas sortie le premier mois de sa promotion. Désormais, elle n'avait plus à se préoccuper de se nourrir, de se déplacer, et elle avait accès à beaucoup plus d'informations, grâce aux Conseils Hebdomadaires et à la bibliothèque de la Confrérie. On lui fournissait même le matériel pour construire ses maquettes. Elle n'avait plus à se soucier d'autre chose que de ses inventions.
Mais au bout d'un mois, elle avait senti ses nerfs lâcher. Après des années de labeur sans vacances, elle avait besoin d'une pause. Un après-midi, elle décida d'aller se promener en ville pour décompresser. A l'entrée, les gardes l'avait arrêtée. On l'avait autorisée à sortir, mais seulement pour une heure et en la compagnie d'un garde. "Pour sa sécurité", avait-on justifié.
Mais ses sorties s'étaient rapidement faites rares. On ne l'autorisait même plus à communiquer avec des connaissances de l'extérieur ou d'aller dans des couloirs de la Confrérie sans raison valable. Elle avait rapidement dû se rendre à l'évidence: elle était prisonnière de la Confrérie.
Elle fulminait surtout de ne pas s'en être rendue compte plus tôt. Maintenant qu'elle y pensait, tout laisser penser à une prison. Le taux anormal de gardes aux entrées, dans les couloirs, les horaires stricts, les dates butoirs extrêmement courtes qui la faisaient travailler sans relâche. Même sa chambre ne possédait qu'une lucarne de verre épais trop petite pour qu'elle puisse sortir par là (et qui donnait sur le sol de pierre de la cour, neuf mètres en contrebas). On ne lui servait pas de couteau lors des repas, et d'une façon générale, aucun objet contondant n'était laissé à sa disposition.
Pour ses maquettes, elle faisait une liste tous les matins de matériel dont elle aurait besoin, qu'on lui apportait l'après-midi, et seulement le strict nécessaire. Lorsqu'elle demandait une scie, on refusait gentiment, disant "qu'il ne fallait pas gaspiller son temps précieux à des activités de découpe, les artisans de la Confrérie étaient là pour ça". Même pour les cristaux énergétiques, on ne lui accordait que de petits cristaux à moitié déchargés, à peine de quoi faire tourner ses modèles miniatures. Après avoir démonté sa lampe de chevet, elle avait découvert que les cristaux qu'elle renfermait n'étaient guère plus puissants.
Pourquoi une telle captivité? Cela lui paraissait encore assez obscur, sa meilleure théorie restait que la Confrérie considérait les Ingénieurs Supérieurs comme trop précieux pour le développement d'Isaldor, et ne voulait pas les laisser partir, ou même se faire distraire, à aucun prix. Il fallait que les Ingénieurs continuent à faire marcher le Progrès chaque jour de leur vie.
La cloche indiquant le début imminent du Conseil Hebdomadaire retentit. Nerveuse, Maria réajusta une dernière fois sa coiffure et se mit en marche vers la salle du Conseil. A l'entrée, un garde lui fit subir la fouille habituelle. Il était nécessaire de s'assurer que personne n'emmenait quoi que ce soit de dangereux dans un endroit aussi protégé que la salle du Conseil.
La plupart des Ingénieurs Supérieurs avaient déjà pris place autour de la table ronde en bois verni à laquelle présidait le président de la Confrérie. Maria s'installa sur le siège qui lui était destiné sans dire un mot. Le président ne put s'empêcher de lui lancer une pique:
-Je vois que Mademoiselle Calder est nettement plus préoccupée par ses cheveux que par son dossier...
Maria se mordit la lèvre. Quelle idiote! Elle avait oublié son dossier et il était trop tard pour aller le chercher. Quant à la remarque sur sa chevelure...
La plupart des Ingénieurs supérieurs avaient les cheveux en bataille (ils ne disposaient pas de miroirs dans leurs salles de bain, car ils auraient pu les briser et se servir des éclats comme d'armes) mais Maria avait des cheveux très particuliers. Couleur noisette aux reflets roux, elle détester les couper et ne le faisait qu'en cas d'absolue nécessité. Ils traînaient donc par terre lorsqu'ils étaient détachés. Mais Maria connaissait des dizaines de manières de tresser ses cheveux, qu'elle pouvait exécuter les yeux fermés. Ce jour-là, elle en avait rassemblé la plupart au dessus de son crâne, lui formant un couvre-chef fait d'entrelacs complexes.
Le Conseil commença. Comme à l'accoutumée, on fit un tour de table où chacun des Ingénieurs indiquait l'avancée de ses recherches. Maria attendit que l'attention soit focalisée sur la présentation d'un nouveau système de traitement des eaux usées pour commencer la première étape de son plan.
D'un geste lent et calculé, elle leva sa main gauche et la passa dans ses mèches. Elle glissa ses doigts juste en dessous d'un semblant de chignon, exactement entre deux tresses. Elle sentit le contact froid du cuivre et du bois. D'un mouvement qu'elle avait répété des centaines de fois, elle délogea la petite boîte de son emplacement et la glissa discrètement dans la manche large de sa robe. En prenant soin de garder sa main derrière son imposante coiffure, elle resserra sa manche au moyen d'un cordon qu'elle y avait attaché. La voix du directeur s'éleva à nouveau:
-Mademoiselle Calder!
Son sang se figea. Avait-il vu quoi que ce soit?
-Ne vous ai-je pas fait une remarque sur vos problèmes capillaires il y a tout juste dix minutes?
Maria se relâcha légèrement. Tout allait bien. Tout se passait comme prévu. Elle s'excusa doucement et reposa sa main sur ses genoux, sentant le contact de la boîte contre son bras.
La réunion parut durer des heures. A chaque instant, Maria craignait que quelqu'un ne remarque la petite forme rectangulaire qui se dessinait légèrement dans sa manche. Impossible pour elle de se concentrer sur la pénurie passagère de cristaux violets, pas plus que sur les nouvelles normes de sécurité du concours d'illumination des Yordalides. Tout ce qui lui importait, c'était de passer à la suite de son plan.
Lorsque la réunion se termina, elle prit volontairement son temps pour se relever et marcher vers la sortie. Les gardes à la sortie de la salle passés, elle pressa le pas pour rattrapper Thanpa, un elfe blond qu'elle connaissait vaguement.
-Attendez-moi, Thanpa! lui dit-elle. Je voulais vous féliciter pour vos travaux. Je suis sûre que vos engins vont bouleverser le monde de l'agriculture!
Les visage de Thanpa se fendit d'un large sourire. Les Ingénieurs Supérieurs adoraient être flattés sur leurs inventions.
-Merci beaucoup! Je ne pensais pas que ces véhicules à tracter les charrues exciteraient grand-monde, répondit-il. Mais vous savez, je ne suis pas encore très avancé...
-Ne vous en faites pas. J'ai confiance en vous. Mais je n'ai pas beaucoup de temps, je dois vous dire au revoir.
Vérifiant qu'il n'y avait personne à côté d'eux, Maria posa son index droit sur ses lèvres en regardant Thanpa droit dans les les yeux. Elle lui serra la main gauche et d'un habile sursautement de son bras, elle fit passer la boîte de sa manche à celle de l'elfe. En lui adressant un dernier sourire complice, elle partit vers sa chambre, guillerette.
Décidément, tout se passait exactement comme elle l'avait prévu.
Une autre série de tels coups de chance et elle serait dehors deux semaines plus tard.
Il n'y avait plus qu'à attendre...
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