Chapitre 1: La Mort et les rats (Aladrinh)


Le soleil était sur le point de se coucher lorsqu'Aladrinh décida de rentrer à la Ruche. Il abaissa la capuche de sa cape sur ses longs cheveux noirs et ses oreilles pointues puis se mit en marche vers son appartement, ses deux poissons entre les mains pour ne pas salir sa sacoche. Une vingtaine de minutes plus tard, il se trouvait face à la tour monumentale qui brillait d'un faible éclat orangé.

Il sortit sa clé pour déverrouiller une des nombreuses portes qui donnait accès à l'intérieur de la Ruche. Son chemin n'était pas terminé. Il devait encore accéder à l'alvéole 29 et monter les 8 étages qui le séparaient de son logement. Il connaissait le chemin par coeur et aurait pu le parcourir les yeux fermés, ce qu'il avait d'ailleurs déjà fait lorsqu'il rentrait après le couvre-feu et que les générateurs lumineux n'étaient plus actifs. Comme il s'y attendait, l'élévateur de son alvéole ne fonctionnait pas. Il emprunta les escaliers, qu'il monta à toute vitesse, malgré le fait qu'il ait marché toute la journée. Aladrinh était très athlétique, même pour un elfe.

Une fois entré dans son logement, il lui fallut quelques secondes pour s'accoutumer à la lumière orangée. Il plissa les yeux pour distinguer la petite silhouette voûtée et assise sur un fauteuil dans l'angle de la pièce. Sans la saluer, il déclara:

-J'ai ramené le dîner, Mila. Désolé d'avoir été si long. Je vais tout de suite le faire cuire.

Mila eut un rire grêle.

-Montre-moi d'abord ton dos, brigand.

Aladrinh soupira. Ce n'était pas ce soir qu'il parviendrait à tromper Mila. Il posa négligemment ses poissons sur la table et ôta sa cape. En dessous, sa chemise était tâchée de sang le long de sa colonne vertébrale. Il la retira avec une grimace de douleur et tourna le dos à Mila. Celle-ci l'observa pendant quelques instants et hocha la tête.

-Lequel des deux? demanda-t-elle.

Aladrinh se tourna à nouveau vers elle et répondit:

-Je ne sais pas, ils sont presque identiques...

-Ne fais pas l'idiot. Tu as bien assez d'esprit pour différencier un hareng d'un bar.

-Mais ça n'a vraiment pas d'importance, dit Aladrinh d'un ton agacé.

-Tu connais ma philosophie: Tu ne profiteras pas du fruit de ton larcin. Je ne le répèterai pas: lequel des deux?

-Le hareng, finit par lâcher l'elfe.

-Tu as déjà été amplement puni de ton méfait. Vas-donc nettoyer tes plaies et hâte-toi de cuire ce poisson. Tu ne voudrais pas rater la soirée des Yordalides, tout de même?

Sans répondre, il alla dans la salle d'eau qui faisait à la fois office de sanitaires et de cuisine et versa de l'eau sur l'entaille qui lui barrait le dos de la nuque jusqu'au reins. Le contact de l'eau froide était désagréable, mais il y était habitué. La place de la blessure rendait la pose d'un bandage difficile. Aladrinh y renonça. De toutes façons, il cicatrisait vite, et la plaie ne saignait déjà plus. Ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait, les nombreuses cicatrices qui couvraient son buste en attestaient. C'était sa malédiction.

Remettant sa chemise, il entreprit de faire bouillir les poissons sur le dispositif de cuisson. Le dessus de la petite boîte d'aluminium devint violet et ne tarda pas à émettre de la chaleur ainsi que son petit cliquetis caractéristique. Curieusement, les dispositifs de cuisson de la Ruche fonctionnaient presque toujours, contrairement aux élévateurs et aux lampes d'appoint. Pendant que l'eau bouillait, Aladrinh repensa à l'épisode qui lui avait valu toutes ses cicatrices.

Cela s'était passé il y a cinq ans, alors qu'il n'avait encore qu'une quinzaine d'années. Une nuit, il s'était introduit dans maison mal verrouillée pour y voler de la nourriture. Rapidement, il s'était rendu compte qu'elle appartenait à un sorcier. Des dizaines d'objets étranges traînaient partout. Et tous coûtaient sans doute une fortune au marché noir... Rongé par la tentation, il avait pris un curieux médaillon sur une table basse pour l'observer. À la vue des symboles qui l'ornaient, son visage s'était crispé d'horreur. Ce visage de taureau ce ne pouvait être que...

Un rire glacial s'était élevé d'un coin de la pièce. Un rire démoniaque, cruel et sonore. Le sorcier s'était tenu là tout du long, observant Aladrinh, discret comme une ombre. Le voleur voulut s'enfuir, mais il était trop tard. L'homme avait levé la tête et ses yeux brillaient d'un éclat rouge vif. Aladrinh le sentit comme une étreinte froide autour de son corps. Sa vie avait été maudite. Vif et agile comme un chat, il ouvrit une fenêtre et s'élança dans la rue. Aussitôt, il ressentit une brûlure en travers du dos.

Le sorcier était un adorateur Enghinil, le Dieu-Taureau, Seigneur du Châtiment et de la Damnation. Depuis ce jour, Aladrinh ne pouvait plus rien voler sous peine de voir de larges et douloureuses entailles apparaître à divers endroits de son dos ou parfois de son torse. Mila lui avait pris le médaillon, qu'il n'avait pas pensé à lâcher dans sa fuite, et il ne l'avait pas revu. Le restituer à son propriétaire n'aurait rien changé. Nul ne savait comment lever une malédiction, on doutait même que les dieux ne sachent le faire.

Depuis, Mila tenait à ce qu'il lui montre son dos à chaque fois qu'il rentrait avec de la nourriture, puis insistait pour qu'il ne mange pas la nourriture qu'il avait volée. Tu ne profiteras pas du fruit de ton larcin, disait-elle toujours. Bien sûr, au fil du temps, il avait élaboré des astuces pour voler sans avoir à en subir les conséquences. Au début, il apprenait à de jeunes enfants des rues ou de la Ruche à voler à la tire, puis demandait une part de leurs chapardages. Mais ces enfants étaient peu fiables, ils se faisaient souvent attraper ou s'en allaient sans rien partager.

Alors il avait développé un lien mental avec une pie, qu'il avait nommée Pactole. Pactole volait souvent de la nourriture pour lui, mais il restait un animal sauvage et ne venait pas toujours lorsqu'Aladrinh l'appelait. Et les journées comme celles-ci, où la chasse et la pêche ne lui rapportaient presque rien, Aladrinh était obligé d'aller voler au marché pour nourrir Mila qui n'avait rien mangé au déjeuner et une seule tranche de pain le matin.

Le dîner se déroula dans le silence. Lorsqu'ils eurent presque terminé, l'elfe demanda:

-Mila, je voudrais que tu viennes avec moi aux Yordalides ce soir. Je pourrais te porter et...

-Voyons, tu sais bien que c'est impossible, le coupa-t-elle.

-Mais Mila, ça fait plus d'un an que tu n'es pas sortie de la Ruche!

-Justement, voilà pourquoi je ne peux pas t'accompagner. Cette fichue Ruche a détruit mes yeux et je me fais très vieille. Je ne peux plus t'accompagner où que ce soit, et certainement pas aux Yordalides! Je n'ai pas l'espérance de vie d'un elfe. Même d'un elfe déchu.

La vieillesse et la Ruche. Voilà, ene effet, ce qui paralysait Mila. La Ruche. Monstrueuse tour hexagonale et orange. Elle avait été bâtie il y a plus de 30 ans grâce à fortune du baron Caldar. Le baron avait été l'homme le plus riche du siècle, et de loin. Lorsqu'il mourut, sans héritier ni famille, le testament qu'on retrouva demandait d'utiliser sa fortune pour bâtir la Ruche, un bâtiment qu'il avait imaginé en secret afin de loger à bas prix la population croissante de sans-abris. Composé de 47 blocs hexagonaux de 12 étages, nommés alvéoles, eux-mêmes disposés en hexagone. Chaque alvéole était composée, à chaque étage, de 6 logements, toujours hexagonaux, et d'une tour centrale produisant de la lumière. De la lumière orange, car c'était celle qui coûtait le moins cher à produire. Chaque logement était divisé en trois pièces, un salon, une salle d'eau et une chambre. La pièce de vie était toujours orientée pour faire face au générateur lumineux le plus proche et disposait de grandes fenêtres qui laissaient entrer cette lumière. Le murs qui la séparaient des autres pièces étaient des filtres qui laissaient aussi passer cette lueur.

Les habitants les plus riches vivaient en périphérie, et disposaient de fenêtre vers l'extérieur, mais Mila n'avait pas cette chance. Et comme elle se faisait très vieille, elle avait du mal à se déplacer depuis un certain. Ses yeux, désormais habitués à la semi-pénombre orangée de son logement, étaient devenus presque aveugles aux autres couleurs. Elle ne pouvait plus sortir, la Ruche serait son tombeau, et Aladrinh ne pouvait rien y faire sinon la nourrir et tenir compagnie à celle qui l'avait recueilli et nourri lorsqu'il fut abandonné par ses parents.

Après le dîner, il partit donc seul vers le centre-ville. Les Yordalides étaient une soirée en l'honneur de Yorda, la déesse de la lumière et des étoiles. La fête commençait toujours avec un grand feu d'artifice, puis continuait avec des feux de joie et un concours d'illuminations des différentes institutions de la ville, puis à minuit, tout s'éteignait, et l'on contemplait les étoiles tandis qu'un conteur en narrait les mythes toute la nuit.

De toutes les fêtes aux Dieux, c'était celle qui rassemblait le plus de monde: rares étaient ceux qui restaient chez eux en cette soirée de mai, hormis lorsqu'il pleuvait.

Sur le chemin, Aladrinh se demanda si la Confrérie du Progrès Mécanique serait autorisée à participer cette année. L'année d'avant, ils avaient fait une utilisation si remarquable des cristaux énergétiques que plusieurs personnes en avaient été partiellement aveuglées.

Sur la grand-place, il se dirigea vers les échafaudages et monta sur un des toits en pente douce qui encerclaient la place. Monter là-haut était exceptionnellement autorisé en cette soirée, mais peu de gens s'y risquaient. Les plus casse-cous étaient récompensés par une vue imprenable de l'événement.

Le feu d'artifice fut superbe. Les fusées tournoyait en l'air en décrivant des arabesques sinueuses et finissaient leur course en une explosion de couleurs, tantôt se livrant bataille, tantôt dessinant un ensemble de courbes harmonieuses. L'orchestre en contrebas jouait un morceau composé spécialement pour l'occasion et qui s'accordait parfaitement au spectacle. Légères, bruyantes, fines, rouges, dorées, bleues, vives, éclatantes, toutes les fusées se mouvaient en un ballet soigneusement planifié.

Soudain, tout s'arrêta. L'orchestre se fit silencieux, les détonations cessèrent, la foule retint son souffle. Puis une énorme masse sombre s'éleva lentement dans le ciel, plus haut que toutes les autres. Ce moment parut durer une éternité. Alors que la fusée atteignait son point culminant, elle éclata, créant une myriade d'étincelle dorées qui retombèrent doucement avant de s'arrêter quelques mètres au dessus de la tête des spectateurs. L'immense nuage doré brillait de mille feux, éclairant la grand-place comme en plein jour.

Puis ce nuage se mit à rétrécir, à s'allonger, pour dessiner une silhouette féminine. Tout d'abord floue, elle se précisa jusqu'à former une figure reconnaissable de tous. Yorda elle-même dominait la ville, bras ouverts, vêtue de sa robe d'étoiles, ses cheveux de lumière volaient au gré d'un vent imaginaire.

La foule s'agenouilla face à la déesse imaginaire, sans quitter des yeux ce spectacle fascinant. Bien qu'on ne dinstinguât pas bien son visage fait de points incandescents, Yorda parut sourire, satisfaite de l'hommage. D'un mouvement fluide, elle se tourna vers le ciel et ses bras pointèrent le firmament, avant de se décomposer à nouveau en une nuée d'étincelles qui s'éleva dans le ciel, suivie par le reste de son corps, jusqu'à se confondre avec les constellations. La déesse des étoiles était partie rejoindre ses enfants.

Pour quelques instants, le silence fut total. Puis la foule se mit à applaudir à tout rompre, à rugir, acclamer, siffler en un vacarme épouvantable pour saluer ce prodige de pyrotechnie et de magie. Aladrinh devait admettre qu'il était stupéfait. Les plus grands sorciers de la ville avaient dû travailler d'arrache-pied pour créer une telle prouesse. Et la soirée ne faisait que commencer.

Le concours d'illumination débuta alors. Le jury s'installa sur une estrade tandis que la Guilde des Alchimistes fit son entrée avec trois grands chaudrons de verre remplis d'eau bouillante et de nombreuses fioles qu'ils versèrent tour à tour dans les chaudrons pour produire des mixtures luminescentes. L'éclat verdâtre d'une potion manquait cruellement d'attrait après un tel spectacle, aussi l'audience montra-t-elle rapidement des signes d'impatience. Finalement, un vieil alchimiste versa une poudre dans les chaudrons, dont le contenu parut s'agiter avant de cracher des gerbes de flammes bleues de plusieurs mètres, suscitant quelques applaudissements polis. La prestation des alchimistes revenait à peu près au même chaque année, et leurs chances de gagner étaient maigres.

Les concurrents suivants n'étaient autres que la Confrérie du Progrès Mécanique, qui furent accueillis par quelques plaisanteries désobligeantes sur leur échec de l'année précédente. Imperturbables, de jeunes gens en tenue d'Apprentis Ingénieurs installèrent au centre de la place une machine pourvue de huit bras articulés en cuivre.

La machine ne tarda pas à s'activer en projetant des jets de vapeur, tournant lentement sur elle-même tandis que ses bras se mirent à onduler comme des tentacules. À leurs extrémités, des lampes à cristaux s'allumèrent, projetant des faisceaux colorés sur les murs.La machine s'emballa, tournoya de plus en plus vite, jusqu'à devenir indiscernable. Sur les murs, les couleurs dansaient, s'irisaient, se dérobaient au regard. De l'appareil jaillirent une série de plaques et de miroirs, créant ainsi un jeu d'ombres et de réflections. Quelques minutes plus tard, l'engin s'arrêta, salué chaudement par les spectateurs.

"Ce n'était pas exceptionnel, mais au moins ils n'ont pas causé d'accident", pensa Aladrinh.

Il ne restait que la Guilde des Mages à passer. Alchimie, Mécanique et Magie: telles étaient les institutions principales de la ville.

Un petit homme monta sur l'estrade du jury et porta une amulette à sa bouche. Sa voix en fut décuplée:

-Mesdames et messieurs, ce soir, ce que vous a préparé la Guilde des Mages est un peu particulier. Car ce soir, je vous demande d'accueillir une délégation de la Guilde exclusivement composée d'elfes!

Les elfes prirent place en cercle autour de la place.L'un d'entre eux se plaça au centre, muni d'une amulette semblable à celle du présentateur.

-Cette année, nous allons vous conter une histoire. Et pas n'importe quelle histoire. Nous allons vous conter l'histoire des elfes déchus.

Aladrinh se redressa. Bien sûr, il connaissait l'histoire des elfes déchus puisqu'il en était lui-même un... Mais cette histoire n'avait jamais été contée aux Yordalides.

-Autrefois, commença le conteur, tous les elfes vivaient dans l'enceinte sacrée du Shequar, le coeur de la forêt.

Le magiciens autour de la place levèrent les bras. Un halo vert s'éleva de chacun d'entre eux. Ces halos tremblèrent puis se précisèrent pour esquisser la forme d'arbres immenses et épais. Une sphère dorée apparut au dessus de la tête du conteur.

-Le Shequar, continua celui-ci, était béni par la Déesse-Reine. Le symbole de cette bénédiction n'était autre que l'orbe sacré (il pointa la sphère d'or) dont on dit qu'il contient le coeur même de la déesse-reine. Dans le Shequar, les elfes pouvaient vivre éternellement, heureux et en harmonie.

Des gerbes de fleurs jaillirent de nulle part et atterrirent dans la foule, tandis que de petits points lumineux voletèrent dans le ciel.

-Mais l'harmonie ne peut jamais durer. Puisque personne ne mourrait, les elfes devinrent trop nombreux, bien que les naissances fussent rares. Les denrées s'amenuisèrent. Nul ne pouvait faire pousser assez de nourriture pour tout le monde dans un espace limité comme le Shequar.

Les points lumineux devinrent des épis de blés qui éclatèrent. une brume sombre couvrit le ciel, masquant les étoiles.

- Les elfes étaient contraints de travailler continuellement aux champs pour récolter de quoi se sustenter. Mais leurs estomacs grondaient, et ils étaient malheureux.

La brume sombre s'épaissit, jusqu'à devenir oppressante.

-Pendant ce temps, les habitants de la ville d'Isaldor se développaient.

A la cime d'un des arbres, un immense engrenage de cuivre apparut.

-Leur progrès était inexorable, tandis qu'il apprenaient à maîtriser les cristaux. Leur soif d'apprendre n'avait d'égale que leur ambition, mais ils manquaient de travailleurs. Isaldor entra également dans une crise.

Des flammes rouges se mirent à dévorer l'engrenage, devenu incandescent.

-Alors les habitants d'Isaldor vinrent aux portes du Shequar, pour persuader les elfes d'en sortir et de venir s'installer à Isaldor, où la nourriture abondait. Certains elfes, affamés et désireux de voir cette technologie dont les humains parlaient, quittèrent l'enceinte sacrée du Shequar.

La lumière des flammes se fit plus forte, l'obscurité plus profonde, l'engrenage se mit à tourner. Les arbres parurent secoués d'un frisson.

-Mais une telle désertion ne fut pas sans conséquences. Dès qu'il firent un par hors du coeur de la forêt, ils devinrent mortels.

Un gigantesque crâne descendit du ciel, perçant la pénombre d'une lueur verdâtre et malsaine, planant comme un présage funèbre sur la grand-place.

-Ces elfes furent nommés les elfes déchus. Condamnés à ne vivre qu'une centaine d'années, mais libres de découvrir le monde. Il leur était absolument impossible de retourner dans le Shequar, dont l'enceinte était impénétrable.

Un filet violet se tissa entre les cimes des arbres, empêchant le crâne de descendre plus bas.

-Les elfes déchus s'intallèrent à Isaldor, en devinrent des citoyens à part entière, et leur descendance fut nombreuse. Nul ne revint aux portes du Shequar et seule la Déesse-Reine sait ce qui se passe là-bas. Peut-être est-ce toujours le même enfer que ce fut jadis, ou peut-être que le départ des elfes déchus suffit à compenser l'excès de population. Mais les elfes déchus susciteront toujours cette question: Mieux vaut-il vivre pour toujours en captivité, ou vieillir et mourir, libre comme l'air?

Les apparitions magiques se transformèrent en tourbillons de fumée qui brillèrent d'un éclat intense avant de se perdre dans le firmament.

Un tonnerre d'applaudissements accueillit ce conte. Aladrinh se demanda s'ils allaient gagner, étant donné qu'il ne s'agissait pas tant d'un spectacle d'illuminations que d'apparitions magiques faiblement luminescentes. Mais le jury récompensait souvent l'originalité au détriment du but même du concours...

Le petit homme revint sur l'estrade pour faire une autre annonce:

-Pour cette soirée, nous vous avons préparé une autres surprise pour vous, mesdames et messieurs. Les Yordalides sont une fête dédiée à la lumière. Mais la lumière, ce n'est pas que la clarté qui nous vient du soleil ou des étoiles, c'est aussi le conseil avisé qui éclaire nos pas sur le chemin de la vie. Pour cela, ce soir, nous avons invité le Comité de Divination à venir vous faire part de leurs prévisions pour l'année à venir pendant que le jury délibère.

Des murmures interloqués parcoururent l'assistance. Le Comité de Divination était généralement tenu pour un groupe de vieux fous qui divaguaient sur de vagues prédictions qui avaient parfois la chance de se réaliser. Personne ne s'attendait à les voir intervenir aux Yordalides. C'était pourtant bien le cas, puisqu'un vieillard vêtu d'une toge pourpre, les cheveux et la barbe d'un blanc immaculé et rassemblés en deux tresses impressionnantes, armé d'un flambeau, vint prendre la place du petit homme sur l'estrade, une amulette d'amplification autour du cou. Il prit la parole d'une voix rauque:

-Nous autres devins, nous avons écouté les signes que nous ont adressé les dieux sur l'année à venir. La divination est un art complexe, subtil, un don qui n'est accordé qu'à une poignée d'individus, et où la mésinterprétation est fréquente. Il faut savoir accepter l'erreur, et recommencer ses prévisions. Mais sans plus de préambule, voici ce que nous avons aperçu de l'avenir.

Il prit une longue inspiration, brandit fièrement son flambeau avant de poursuivre:

-Les agriculteurs n'ont pas à s'inquiéter de quoi que ce soit. Toutes les récoltes de l'année seront bonnes, en particulier celles de l'été à venir. D'ailleurs, nous voyons de l'abondance dans tous les domaines, et un taux de maladie à peine plus élevé que la normale. Rien à craindre de ce côté là, réjouissez-vous! Cependant, en octobre, des crues importantes au nord de la ville sont à prévoir, ainsi que la mort d'une personnalité importante de la ville. Mais là n'est pas l'essentiel...

Il fit une pause pour reprendre son souffle, puis reprit d'un ton plus grave:

-Nous tenions à vous parler ce soir pour vous dire que la ville semble en danger. Un danger flou, imprécis, insidieux, mais un grand danger, qui pourrait tous nous mettre en péril. Méfiez-vous, concitoyens, car un grand mal nous guette!

Il fut interrompu par un toussotement amplifié du petit homme:

-Désolé de devoir vous couper, mais le jury a délibéré. Merci de votre intervention.

le devin avait à peine entamé la bonne humeur générale tant ses propos étaient tenus pour risibles. La Guilde des Mages gagna le concours pour la deuxième année consécutive, puis on éteignit les torches et les lampes à cristaux pour commencer la veille des mythes.

Les conteurs parlèrent sans trêve des hauts faits de Yorda et d'autres dieux jusqu'à une heure avancée de la nuit. Aladrinh les écouta, somnolant par moments, allongé sur son toit, les yeux tournés vers les étoiles. Il regrettait que Mila ne soit pas là pour apprécier cette soirée.

Il rentra tard, les générateurs lumineux de la Ruche étaient éteints et il n'avait pas emmené de lampe à cristaux. Il dut se diriger dans le noir, ce qui était plus simple qu'il n'y paraissait compte tenu de la géométrie très régulière de la Ruche. Mais au moment de passer la porte, il sentit que quelque chose n'allait pas.

Il découvrit Mila, étendue dans une mare de sang et au centre d'un cercle de bougies, dévorée par une informe composée de centaines de rats. Pris de fureur, Aladrinh s'élança en hurlant vers le corps de sa mère adoptive. Les rats, affolés se dispersèrent à toute vitesse et s'enfuirent tous par toutes les ouvertures qu'il pussent trouver. Aladrinh s'agenouilla près de Mila, un sentiment de vide grandissant en lui.

La vieille femme était méconnaissable. Les rongeurs l'avaient grignotée de toutes parts, laissant sa peau lacérée et sa chair à vif. Le bougies étaient encore toutes allumées et à peine fondues. C'était incompréhensible. Mila s'était fait dévorer vivante par une nuée de rats. Aladrinh n'avait jamais rien entendu de pareil.

Il remarqua des morceaux de papier sur le sol, restes d'une feuille mangée par ces rongeurs. Il ramassa le plus large des fragments. Dessus, il n'y avait que quatre mots, tracés de la main de Mila, qui avait appris à écrire à Aladrinh. "ce que j'ai découvert", put déchiffrer l'elfe. C'était définitivement trop étrange. Aladrinh décida de pleurer Mila plus tard. Réfléchissant rapidement, il remplit la baignoire. Il ravala sa tristesse et sa rage, surmonta son dégoût et mit le cadavre sanglant de Mila dans l'eau où il pensait qu'elle serait protégée des rats et des insectes. Il retira sa chemise tachée de sang et en mit une autre, éteignit les bougies et sortit du logement. Il lui fallait enquêter ce qui avait causé la mort de Mila et ce qu'elle avait découvert. Il ne connaissait à Isaldor que deux endroits où il pourrait obtenir des informations qui l'aideraient. Le premier n'ouvrirait pas avant le lendemain. Le deuxième, c'était la Dernière Chance.

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