Tome 2 - Chapitre 4 :de mauvaises nouvelles
Réveillée par une caresse de plumes sur mon visage, mon premier geste du matin fut un sourire.
Bonjour toi.
Je passai affectueusement ma main dans son plumage et lui caressai le bout du bec. Il roucoula de bonheur à côté de moi, ce qui me fit ricaner.
Je pensais que tu t'étais enfui. Pourquoi tu ne nous as pas suivis, hier ? Et par où es-tu entré ?
Tu sais que je n'aime pas les lieux clos. Et celui-là ne me disait rien qui vaille. Pour la dernière question, me traiterais-tu de gros ? Je passe aisément entre les barreaux de la fenêtre.
J'acquiesçai et gloussai à sa dernière répartie. Évidemment que je le savais.
Bien sûr que non ! Je me posais juste la question. Mais alors pourquoi être venu aujourd'hui ?
Parce que ton mauvais caractère me manquait ?
Ça avait beau être sous la forme d'une question, c'était tout autant une affirmation.
Bien sûr, juste pour ça.
Évidemment, quoi d'autre ?
Pour accompagner ses paroles, il étala ses ailes et les secoua dans tous les sens, ce qui me fit encore plus rire.
Ça suffit, petit oiseau impertinent !
— Pourquoi tu rigoles ? retentit une voix ensommeillée.
— Bonjour, Paris.
Tout en lui répondant, je me levai de mon lit de fortune et sentis tous mes muscles s'étirer. Ça faisait atrocement mal et je ne pus m'empêcher de pousser un petit cri de surprise. Une fois remise de mes émotions, je me rapprochai du mur qui nous séparait et mis mon œil dans la fente qui me permettait de le voir.
— Étiole a décidé de m'embêter de bon matin, lui expliquai-je, amusée.
— Ah ! Bonjour, Etiole ! Il va bien ? Pourquoi n'était-il pas là hier avec nous ?
Tiens, il n'avait pas entendu notre conversation ? Cela m'arrangeait : j'allais pouvoir mettre cette discussion à mon avantage.
— Il va bien et figure-toi que je lui ai posé la même question.
— Et ?
— Et... je sais qu'il n'aime pas les endroits fermés et je trouvais donc bizarre qu'il revienne quand même aujourd'hui. Et tu ne devineras jamais sa réponse !
— Ton sale caractère lui manquait ?
J'étais outrée ! Même s'il avait couronné son interrogation d'un énorme sourire, je commençais à penser que toute la gente masculine – toute race confondue – était pareille !
Il dut voir mes yeux s'arrondir, car il ricana.
— Je n'ai pas un sale caractère !
— Hum, hum.
— Je suis juste...
— Toujours en colère ?
— Non !
— Tu t'irrites trop facilement ?
— Mais... Non !
— Impatiente, alors ?
— Tu n'as pas bientôt fini ? Non !
— Tu te vexes trop vite, alors ?
— Figure-toi que tout ce que tu dis veut dire la même chose !
— Ah bon ? Tu es sûre ? continua-t-il en me lançant un regard innocent, ce qu'il était loin d'être.
Pour lui montrer mon mécontentement, je remplaçai mon œil par mon index dans le trou et le montrai du doigt.
— Tu ne m'auras pas à ce petit jeu, Paris. Tu es un goujat. Un vrai goujat !
— Et donc... Tu es ?
Je lui tournai effrontément le dos et retournai sur ma paillasse, les bras croisés contre ma poitrine.
Bon, d'accord... Peut-être que j'étais un peu nerveuse. Un peu. Mais il était hors de question que je le lui dise de vive-voix. Il connaissait déjà la réponse de toute manière.
Je l'entendis se lever, mais avant qu'il ne puisse prononcer un seul mot, la porte principale s'ouvrit et laissa entrer l'Elphyriade que nous avions rencontré hier. Il tenait deux plats dans ses mains, qu'il vint respectivement nous donner à chacun.
— Bonjour Arhyl, lui fis-je d'un sourire.
Il sursauta à l'entente de ma voix, écarquilla les yeux et recula de deux bons mètres.
Ce fut à mon tour d'être surprise. Qu'avais-je dit de mal ? Avait-il peur de nous ? Je haussai les épaules et tendis les mains vers le maigre repas qui nous attendait : du pain, un pichet d'eau et quelques fruits, qui manquaient de sagesse. Vu à quel point mon ventre grognait, il ne serait pas comblé avec ce que j'avais devant moi. Cependant, je n'allais pas faire ma difficile, je ne pouvais pas me le permettre.
— Merci, continuai-je, comme s'il n'avait pas eu peur.
Il se rappela alors qu'il avait des jambes et les prit à son cou pour s'enfuir.
Dans la cellule d'à côté, Paris explosa de rire.
— Même quand tu es gentille, ils ne peuvent s'empêcher de te craindre. Tu es forte. Très forte !
S'il avait été à côté de moi, je crois que la cruche serait très vite vide. Néanmoins, je rentrai dans son jeu et lui répliquai, une risette au coin des lèvres :
— Que veux-tu, l'habitude.
La nourriture m'appela aussitôt, et je me jetai sur le pain, qui fut englouti en quelques secondes à peine.
En même temps, je conversai avec mon petit être préféré.
Qu'as-tu fait toute la journée d'hier ?
Je me renseignais pour vous. Dès que Démédie et Théonis sont sortis, je les ai suivis.
Et alors ?
Ce n'est pas bon signe.
Un frisson parcourut mon échine.
Ton amie est de suite allée voir son roi pour expliquer la situation. Cette discussion a vite tourné à celui qui crierait le plus fort. Si je n'avais pas défendu Démédie, je pense qu'elle aurait été blessée.
Tu as mis ta vie en danger pour elle ? Merci, Étiole, ça me touche beaucoup.
Elle est de notre côté, alors...
S'il avait été humain, il aurait sans doute haussé les épaules. Cette image me fit sourire. Mais je revins au présent. Je craignais le jour où nous allions rencontrer tout ce peuple. Si déjà le roi ne voulait pas de nous, je me demandais si ses sujets seraient aussi unanimes.
Par contre, elle n'a pas lâché l'affaire. Elle vous a fait passer pour des Humains très respectables et combatifs.
J'étais heureuse d'avoir une défenseuse de sa trempe de notre côté. Sans elle, il était évident que nous n'aurions pas fait notre nuit ; nous serions sûrement déjà six pieds sous terre.
Combien de temps a duré leur... discussion ?
Plus de quatre heures. Ils n'ont pas cillé et sont restés autant de temps debout. Je n'ai jamais vu une telle conversation prendre autant d'ampleur. Je pensais qu'ils allaient finir par se lasser, mais le roi est aussi buté que Démédie.
Eh bien... Même si je suis rassurée de voir qu'elle ne lâche pas l'affaire, je crains un peu le moment où nous allons le rencontrer. S'il est aussi têtu que moi, ça risque de vite tourner au vinaigre.
Tu l'as dit ! s'époumona mon oiseau.
Son bruissement d'ailes frénétique me fit glousser et avaler de travers.
Je fis ensuite le topo à mon ami et il fut aussi sceptique que moi. Malgré le fait que son visage me soit caché, j'imaginais très bien le pli d'inquiétude barrant son front : ses sourcils froncés ; une main tremblante dans ses cheveux ; ses lèvres pincées.
Il me faisait littéralement craquer lorsqu'il me faisait cette moue-là. Je sentis mes roues rosir, et j'étais bien contente d'être invisible à ses yeux.
— Et pour Jen', tu penses que ça se passe comment ?
Sa voix trembla à la mention du plus jeune du groupe et je ne doutais pas que la mienne en ferait autant. Je percevais déjà les larmes me monter aux yeux et une boule se former dans ma gorge.
— Je fais confiance à Démédie. Je sais que même si Edril se met en travers de son chemin, elle fera tout pour le guérir. Ou du moins essayer de lui trouver un médecin qui pourrait le sauver.
J'espérai de tout mon être avoir raison. Je ne supporterai pas qu'elle vienne m'annoncer qu'il n'avait pas survécu à ses blessures. Je serais détruite et terriblement en colère. Contre moi. Contre lui. Contre Paris. Contre le monde entier, en fait. Pour l'avoir mis dans cette situation ; pour ne pas avoir su me débrouiller seule et garder mes soucis pour moi.
***
Les heures suivantes se passèrent dans le calme le plus complet. Chacun de notre côté, nous essayions de trouver des solutions à tous ces chamboulements, tous ces retournements de situations. Qu'allait-il nous arriver ? Notre compagne arriverait-elle à avoir gain de cause ? Allions-nous pouvoir rencontrer leur roi ? Allait-il nous accorder sa confiance ? Allait-il nous croire ? Était-il de notre côté ?
Tant de questions qui me donnaient un fichu mal de crâne. Pour essayer de le faire passer, j'avais fini par m'allonger sur ma paillasse, les yeux fermés et en position fœtale. Cependant, la douleur était toujours présente, en plus de celle du cœur.
J'étais fatiguée de tout cela. J'avais envie de partir, reprendre mon chemin et mes responsabilités. Retourner au château et me retrouver face à celle qui causait tous ces torts. La défier enfin, au risque de mourir.
Un grognement dans la cellule d'à côté me fit sursauter. Un sourire fugace passa sur mon faciès. Il allait falloir qu'il s'occupe de ses pensées s'il ne voulait pas se retrouver dans le labyrinthe chaotique et sombre des miennes.
— Jamais de la vie. Tu fais partie de ma famille, tu te souviens ? C'est toi et moi contre le reste du monde, ou rien du tout. Compris ?
Une bouffée de chaleur me prit soudainement, tandis que des papillons déployaient leurs ailes duveteuses dans mon ventre. Cette sensation était tellement agréable. Un peu de soleil et d'amour dans ma vie : je ne demandais pas mieux.
Un soupir de contentement s'échappa de ma bouche et je m'allongeai sur le dos, les mains croisées sur ma poitrine.
— Je préfère ça. Maintenant, repose-toi. Je sens que demain tout va bouger !
— Une intuition ?
— Exactement.
— Ton côté féminin ressort, attention. Le viril qui est en toi risque d'en prendre un coup, ricanai-je.
— Dors ! m'ordonna-t-il, un rire dans la gorge.
Oui, m'sieur ! Bonne nuit, Paris...
— Bonne nuit à toi aussi.
***
Alors que je pense retrouver le lieu insalubre des geôles, quand j'ouvre les yeux, c'est un tout autre endroit qui s'offre à moi.
Étonnée, mon regard furète ici et là à la recherche de quelque chose que je reconnaîtrai. À ma droite, un grand lit est collé contre un mur d'un rouge tellement vif, qu'il me fait mal aux rétines et est délimité par deux tables de nuit en rotin.
Sur ma gauche, un salon pourvu d'une petite table basse en verre et un fauteuil en cuir. Ici, le mélange des genres prône sur la simplicité. Assis au fond du siège, se tient un homme blond que je ne reconnais pas, car il me tourne le dos. Les deux coudes posés sur ses cuisses et sa tête dans ses mains, il semble contrarié : il se balance d'avant en arrière, comme s'il est possédé.
À pas silencieux, je m'avance vers lui, avant d'avoir un mouvement de recul et un cri de surprise. Geldrick. C'est Geldrick. Qu'est-ce qu'il fait là ? Qu'à-t-il ?
Je tends ma main vers ses cheveux. J'aimerais tant pouvoir passer mes doigts dans ses mèches, le prendre dans mes bras et lui dire que je vais bien. Mais je ne peux pas. Je comprends enfin que je suis un fantôme. Une forme transparente qui ne peut toucher aucune substance.
Mon cœur se casse en mille morceaux et je sens des picotements me monter aux yeux. Je chasse d'un mouvement brusque la perle d'eau qui tente d'échapper à mon contrôle et m'accroupis face à mon ami.
Ses yeux bleus sont remplis de larmes et je me sens encore plus impuissante. Je ne peux vraiment rien faire, si ce n'est rester le regarder souffrir.
— Iri', j'espère que tu vas bien ?
Je fais un bond de quelques centimètres et me réceptionne sur la table. Ou plutôt, je la traverse. Aucun verre brisé, aucune blessure. Cependant, ce n'est pas ça qui m'horrifie sur l'instant.
C'est plutôt le regard transperçant de mon ancien garde du corps qui me transperce de part en part.
Me voit-il ? S'adresse-t-il à moi impunément ou bien est-il dans ses songes ?
Je lance un coup d'œil rapide derrière moi pour découvrir que seul le mur est présent. Je suis la seule dans cette pièce en sa compagnie.
Alors que je tourne la tête, gênée, lui continue de me fixer. Froidement. Je le sens parcourir mon corps et un frisson me fait hoqueter. C'est quoi ça ? Comment se fait-il qu'il puisse me jauger ainsi ? Suis-je vraiment visible ?
— Ge... Geldrick ?
Ma voix est tellement rauque et hésitante, que je me ficherais des claques si je le pouvais.
Alors qu'il ouvre la bouche pour... – me répondre ? – la porte de sa chambre s'ouvre à la volée et une longue traîne rouge sang fait son entrée. La reine Noire. Cette fois-ci je compte bien rester.
Avec tout ce que je vis depuis ces derniers jours, la colère enfle en moi à sa seule vue et je n'hésite pas une seule seconde à l'observer plus en profondeur, cette fois.
Une capuche m'empêche de voir sa chevelure, mais des mèches rousses dépassent et me font, une fois de plus, trébucher. Rousse. Ça ne veut peut-être rien dire...
Je secoue la tête pour me sortir cette idée de ma tête et continue mon inspection. Ses yeux sont d'un mauve criard qui me fait tirer une grimace. Ils sont évidemment magnifiques, mais sur une telle femme, cela m'écœure. Son nez et fin et ses pommettes rehaussées. Sa bouche pulpeuse est agrémentée d'un rouge à lèvres marron, qui accentue bizarrement sa beauté.
Je descends plus bas et découvre des doigts longs et très minces, dont une bague représentant un dragon orne son annulaire gauche.
Sa robe aux manches longues et au jupon qui descend jusqu'aux chevilles et de la même couleur que sa traîne, m'empêche de continuer mon examen minutieux. Ses chaussures, quant à elles sont transparentes de normalité.
— Commandant.
Sa voix impérieuse fait sursauter mon ami qui se lève, met ses mains derrière son dos, relève la tête et écarte de quelques centimètres ses pieds.
— Ma Reine.
Je grogne intérieurement. Il n'a pas le droit de l'appeler ainsi ! Il n'est pas à son service !
— Que faisiez-vous ainsi prostré sur votre fauteuil ?
— Je réfléchissais, ma Reine.
Elle balance sa main en l'air, comme pour dire que son action était d'une futilité sans nom et lui accorde un sourire torve.
— Vous réfléchirez plus tard. J'ai un travail pour vous.
Geldrick frémit et je ne doute pas un seul instant qu'elle l'ait, elle aussi, remarqué.
— Bien, ma Reine.
— Suivez-moi, et tout de suite !
Il acquiesce, retrouve une position plus agréable, récupère son épée posée près du bras de son siège et suit les traces de cette traîtresse.
Avant de fermer la porte, il se tourne vers moi et me lance un regard éloquent.
Je papillonne des yeux et tressaille quand la porte se ferme dans un claquement désagréable.
Est-ce bien à moi qu'il s'est adressé sans pourtant dire un mot ? Si oui, comment peut-il me voir ? Et que voulait-il me faire passer comme message ?
Encore plein de questions en tête, je sens cette dernière tourner et vois le paysage autour de moi tourbillonner de plus en plus fort, jusqu'à ce que je sente le sol réceptionner durement mon corps. Un rideau noir tire sa révérence et bientôt, je sens ma conscience s'échapper de mon esprit.
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