Tome 2 - Chapitre 3:Une situation sous haute tension
Après ce qui me parut des heures de marche, nous arrivâmes enfin au village. J'eus un moment d'arrêt tant la vision qui se profilait devant moi était magique. Alors que je m'attendais à trouver des maisons dans les arbres, reliées entre elles par des échelles – ce que j'avais cru apercevoir avant que les gardes n'arrivent –, je fus surprise de découvrir des habitations à même le sol, que l'on pouvait atteindre facilement.
La première que je vis était la plus grande. Pourvue d'un nombre incalculable de fenêtres, elle était entourée d'un joli petit jardin de fleurs de couleurs différentes. Même si l'on se trouvait encore assez loin, je sentais leurs effluves me monter au nez, et je fermai les paupières de délice. Je rouvris les paupières et m'attardai sur le lieu de vie. Un petit chemin en pierres menait directement à la porte d'entrée, immense.
Des étals de tout genre parsemaient le reste de verdure. Pour les atteindre, des routes pavées se découpaient en plusieurs embranchements, toutes entourées d'arbres gigantesques. Je supposai qu'ainsi, en plein été, ils n'étaient pas dérangés par la chaleur et le soleil, ce qui n'était pas une mauvaise idée.
Alors que nous avancions petit à petit, je pris le temps de détailler tout l'éventail de choix que pouvaient proposer les Elphyriades à leurs compatriotes et me rendis compte que ce marché ne changeait pas beaucoup des humains, que nous avions les mêmes attentes, les mêmes besoins : viande rouge, légumes frais, fruits juteux, étoffes clinquantes, parures étincelantes. Les rues principales étaient remplies de gens venus faire leurs emplettes matinales, et cela me conforta quelque peu. Voir la vie me faisait chaud au cœur. C'était peut-être un peuple reculé de tout, mais il vivait comme chacun de nous.
Les commerçants avaient aussi la même manière de fonctionner : ils repéraient quelqu'un dans la cohue qui semblait s'intéressant à ce qu'ils vendaient et se jetaient sur lui, lui vantant les mérites de tel produit et lui assurant qu'il ne trouverait pas mieux ailleurs.
Cela me rendit quelque peu le sourire, car je replongeais malgré moi dans des souvenirs d'enfance, quand j'adorais gambader entre chaque allée du marché.
Un coup rude me sortit de mes pensées, et je me tournai vers celui qui venait de m'attaquer par derrière.
— Assez contemplé notre lieu de vie, m'asséna Edril. Maintenant, je vais vous montrer notre plus belle réussite en terme d'accueil.
Il ponctua sa phrase d'un sourire sardonique.
Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel. Je n'avais pas besoin d'être de la haute société pour comprendre qu'il parlait des geôles. Décidément, j'allais commencer par toutes les visiter, à force !
Durant l'acheminement jusqu'à leur prison, j'avais gardé la tête baissée, même si mes yeux se relevaient ici et là, trop curieux de découvrir ce nouveau peuple. Car assurément, être enfermée ne donnait pas cette impression de bien-être.
Bientôt, nous arrivâmes devant une arche pourvue de feuilles d'une teinte orangée, qui rappelait la période de l'automne. Cela me donna du baume au cœur. Même si la saison que je préférais était l'été, j'aimais voir la nature se parer de couleurs chaudes mais qui à la fois annonçaient un hiver rude.
Derrière se trouvait une porte ronde, retenue par deux poteaux blancs, qui détonaient avec le reste.
Notre geôlier me pressa d'avancer, la main plaquée contre mon dos. Je sursautai et lui lançai un regard furibond. Certes, nous ne nous connaissions pas, mais ce n'était pas une raison pour qu'il agisse ainsi. En retour, il me lança son plus beau rictus.
Paris me frôla subrepticement le bras, pour me faire signe de rester calme. Comment voulait-il que je le sois, alors qu'il nous traitait comme des criminels ? Nous ne les avions pas attaqués, à ce que je sache ? En moi, un torrent de colère ne cessait de grandir, et je ne me tiendrais pas pour responsable s'il explosait. Je n'étais pas décisionnaire de mes gestes et réactions ; il était assez adulte pour prendre ses propres décisions.
Mon ami et Démédie toussèrent de concert, pour retenir leur rire. Pour une fois, j'étais bien contente qu'ils aient passé le barrage de mon esprit, car ils pouvaient entendre ce que je ressentais vraiment.
L'Elphyriade à la carrure d'un dieu mais qui n'en avait pas l'once d'un cerveau leur lança un coup d'œil inquisiteur. Pour éviter d'avoir à se justifier, ils fixèrent le sol pour l'un, et l'entrée de la prison, pour l'autre.
— Tu as raison, décréta-t-il, comme si l'on venait de lui adresser la parole, rentrons dans cette pièce, qui, je suis sûr, plaira beaucoup à tes compagnons.
J'avais l'impression d'entendre le jumeau de mon blond préféré parler avec autant de sarcasme. Bien qu'ils aient la même couleur de cheveux, ils étaient pourtant bien différent niveau caractère. Je ne pus donc pas m'empêcher de lever les yeux au ciel et de souffler.
Cependant, je décidai d'être sage et avançai gentiment vers la pénombre.
Après plusieurs minutes passées dans ce tunnel, nous arrivâmes enfin dans une pièce un peu plus éclairée. Je repérai sur la gauche et la droite deux lucarnes pourvues de barreaux.
En face de nous, trois grilles menant à trois geôles. Devant ces dernières, se trouvait une unique table avec une chaise où d'ailleurs était déjà installé un Elphyriade, une jambe par-dessus l'autre, regardant ses ongles et passant sa main libre sur son torse.
Je ne peux m'empêcher de tirer une grimace de dégoût. Si ceux que nous avions rencontrés sur la plaine étaient beaux, lui était tout le contraire : cheveux noirs en pagaille et gras, un visage très fin et des yeux noisette – je n'étais même pas sûre, étant trop loin pour le constater de moi-même –, un torse qui manquait sensiblement d'exercices physiques et pour finir, des jambes poilues à ne même pas en voir sa peau, recouvertes d'un simple tissu vert, remplaçant un pantalon banal.
— Ça va, Arhyl, tu ne t'ennuies pas trop ?
L'intervention d'Edril me fait sursauter en même temps que l'interpellé.
Alors que l'Helphyriade devant nous se levait brusquement à en faire tomber sa chaise, je sentis une nouvelle fois une main se poser dans mon dos, mais cette fois-ci plus douce.
— Recule-toi, je ne voudrais pas que tu sois blessée, me chuchota à l'oreille mon amie.
Je me raidis. Qu'entendait-elle par là ? Le chef n'allait tout de même pas déclencher une guerre parce que le jeune lambinait sur son fauteuil alors qu'il n'avait aucun prisonnier à surveiller, tout de même ?
En réponse à mes questions silencieuses, celui qui nous avait envoyés dans ces lieux passa près de moi et je sentis un vent froid parcourir mon corps entier. Sans comprendre comment, je discernais sa colère, que je ne saisissais pas moi-même. Le poing droit serré et le gauche sur la ceinture retenant son arme, il avança d'un pas rapide et se plaça face à son subalterne.
En signe de défense, je me mouvais à mon tour, mais ma compagne m'en empêcha en plaçant son bras devant mon ventre et en secouant la tête. J'assimilai alors que si je me mêlais de ce qui ne me regardait pas, les retombées risquaient d'être difficiles à supporter. Je rongeai mon frein et laissai mes bras pendre le long de mon corps.
La bouche crispée, je fixai les deux Elphyriades, qui se jaugeaient du regard.
— Tu n'as rien d'autre à faire que te curer les ongles ?
Gêné, son interlocuteur baissa les yeux, ce qui ne plut pas du tout à son confrère.
— Quand je te parle, tu es prié de lever la tête et me regarder en face.
Avec réticence, il accorda un œil sur son vis-à-vis et eut un mouvement de recul.
De là où je me trouvais, je ne pouvais voir les rétines d'Edril, mais je me doutais qu'elles étaient loin d'être douces.
Son corps fut pris de spasmes et il ouvrit la bouche pour parler, mais aucun mot n'en sortit. Il se trouvait dans une mauvaise position et attendait la sentence.
— Il ne faisait rien de mal, ne pus-je m'empêcher de rétorquer. Il n'avait personne à surveiller, il fallait bien qu'il s'occupe !
Même si ma voix tremblait et était peu sûre d'elle, moi, je l'étais. J'étais outrée du comportement qu'il avait, et je comptais bien montrer que je pouvais aussi défendre un peuple qui m'avait mal accueillie.
Derrière moi, Théonis grogna, tandis que sa sœur hoqueta.
C'était à mon tour de faire face à une tête grognon. C'était un euphémisme. Il était complètement hors de lui. Ses joues se paraient d'un rouge vif et ses pupilles lançaient des éclairs. Il allait falloir que j'apprenne vraiment à me taire. Cependant, je restai forte et relevai le menton ; il était hors de question que je ravale mes mots et que je m'excuse. Il avait une réaction inadmissible, et même si je ne connaissais pas leurs règles, j'avais les miennes.
— T'es qui, toi, pour avoir ce genre de réflexion ? Je ne crois pas t'avoir autorisée à parler.
— Ce n'est pas parce que tu as les attributs d'un homme que tu peux te permettre de me parler sur ce ton et me faire passer pour le sexe faible. Ce que tu lui fais subir, continuai-je en le montrant de la tête, est indigne de toi. Tu es certes haut-placé, ce qui ne t'empêche pas de respecter ceux qui sont sous tes ordres.
À cet instant, je crus qu'il allait me sauter dessus. Il n'était plus en colère, il était au stade au-dessus. Bien au-dessus. Au même moment, le vent autour de nous forcit, à tel point que je dus me retenir à Démédie, qui se tenait derrière moi. Le souffle rentrait par les deux seules fenêtres existantes et me percutait de plein fouet.
La pression fut finalement trop forte et je vacillai, avant de reculer de quelques pas par obligation. Ma tignasse rousse vola autour de mon visage, venant me gifler durement les joues, qui commencèrent à s'échauffer. Je sentais des larmes poindre au coin de mes yeux, mais ne m'en préoccupai pas. Il fallait que je retrouve mon équilibre.
Alors que je pensais que la situation allait se calmer, un tourbillon se forma devant moi ébahis. Il débuta par le bas, et plus ça soufflait, plus il prenait de l'ampleur. Il finit par atteindre plus d'un mètre, et là, la peur prima sur le reste. J'étais prête à m'excuser auprès de son détenteur, mais ma fierté était encore trop forte en moi et jouait à un jeu dangereux.
Je jetai un œil anxieux à mon adversaire, qui ne bougeait pas d'un poil. Il était concentré sur cette tornade qu'il venait de créer et ses yeux étaient si plissés, qu'on en voyait presque plus ses pupilles. Ses poings étaient tant serrés, que la jointure de ses doigts blanchissait à vue d'œil. Le seul fait qui attestait qu'il commençait à fatiguer était la perle de sueur qui courait le long de son cou pour venir se perdre dans le col de son maillot.
Alors, je décidai de faire quelque chose qui risquait de me coûter au mieux, quelques bleus et contusions, au pire, la mort : je mis ma main devant mon visage pour me protéger de la poussière qui volait dans tous les sens et marchai vers lui, avec l'espoir de le calmer.
— Edril..., toussotai-je.
— Ne t'approche surtout pas ! Tu as atteint le point de non-retour ! Si tu ne le savais pas, je te l'apprends maintenant : les Elphyriades détestent être insultés par quiconque !
Alors qu'il continuait à parler, je glissai mon regard vers son œuvre, et vis qu'elle rapetissait peu à peu. Je sentis en moi un poids disparaître : si je le faisais parler, peut-être que sa concentration serait amoindrie ?
Je persistai donc à arriver à sa hauteur, tout en sentant mes voies respiratoires devenir de moins en moins libres. Une fois proche de lui, je posai délicatement l'une de mes mains sur son épaule, mais avant de pouvoir de nouveau lui parler, il leva l'un de ses bras en l'air, et m'éjecta loin de lui dans la seconde.
— Ça suffit !
La voix impérieuse de mon amie claqua et se répercuta contre les murs de la prison, tandis, qu'à son tour, elle lui envoyait un souffle puissant. Il s'écrasa contre les grilles de la première porte dans un bruit sourd et hurla sa douleur.
Démédie, une fois que le tourbillon fut détruit, courut vers lui, et, au lieu de l'aider à se relever, crocheta le col de son vêtement et se mit à califourchon sur lui.
— À quoi joues-tu, espèce d'idiot ? Tu connais les règles pourtant, non ? Les invités sont des invités. Tant qu'ils ne montrent aucun signe de danger, l'interdiction de ne toucher ne serait-ce qu'à un seul de leurs cheveux est un point que tu ne peux enfreindre.
Un peu sonné, il ne lui répondit pas tout de suite, mais lorsqu'il ouvrit la bouche, elle ne lui en laissa pas le temps.
— Je me porte garante d'eux. Alors ne touche plus jamais Irianna, sinon, tu auras affaire à moi. Est-ce clair ?
Complètement bloqué sous son corps, il ne put qu'opiner, les yeux exorbités.
Satisfaite de sa réponse, la jeune Elphyriade se releva, épousseta sa robe blanche et revint vers nous. Moi, j'étais toujours au sol et mon dos me lançait vivement, ce qui m'empêchait de me remettre sur mes deux pieds. Je tirai une grimace de douleur, mais ne pipai mot.
L'ambiance était si lourde et calme, qu'on entendait presque les mouches voler.
— Iri' ?
Je me tournai vers cette voix douce et attendis la suite.
— Tu vas bien ?
Je haussai les épaules. J'avais mal partout, mais je commençais à être habituée, à force. Je lui fis un sourire réconfortant.
— Bien... Je suis désolée, mais toi et Paris devrez rester au moins cette nuit dans ces cellules, commença-t-elle, gênée.
Avant qu'elle ne continue, je lui coupai la parole :
— Je comprends, Démédie, ne t'en fais pas.
— Mais je te promets qu'il prendront soin de toi, haussa-t-elle le ton en lançant un mauvais regard vers Edril, qui était toujours au sol.
Ce dernier avait repris un peu du poil de la bête et la lorgna d'un coup d'œil peu envieux, les bras croisés sur son torse.
Le stress, la colère et la tristesse eurent raison de moi et j'explosai de rire.
— Je ne doute pas un seul instant qu'il prendra soin de nous. Il est tellement doux depuis notre rencontre. Un vrai nounours, répliquai-je, ironique.
À côté de moi, mon blond préféré gloussa.
Ça te rappelle des souvenirs, hein ? pensai-je à son intention.
Il me fit un clin d'œil, qui accentua mon sourire ; à présent, il s'étalait jusqu'à mes oreilles.
L'Helphyriade, si parfait et prévenant, grogna de telle sorte qu'il confirma mes dires.
— Tu vois, qu'est-ce que je te disais ? terminai-je, les yeux pétillants : autant de rire que de douleur.
Elle ne me répondit rien, mais je vis à ses pupilles qu'elle n'en pensait pas moins.
— Peux-tu te lever ?
— Je pense que...
— Oh ! ça va, elle est pas en sucre ! éructa Théonis.
Tiens, il était toujours en vie, lui ?
— En voilà une voix qui ne m'avait pas manqué, complétai-je, tandis qu'il m'assassinait du regard. Je disais donc... Je pense que oui.
Et j'enjoignis le geste à la parole.
Difficilement, mais avec beaucoup de sûreté, je me mis sur mes deux pieds et avançai vers la cellule qu'elle m'indiquait de la main. J'y entrai docilement et m'installai d'office sur un matelas constellé de trous et rongé sûrement par un insecte quelconque.
Paris en fit de même, dans celle collée à la mienne. Un mur de béton nous séparait, mais une fente nous permettait de nous voir, ce qui me soulagea un petit peu.
Après cela, les autres nous quittèrent, sous un dernier rictus gentil de notre amie.
— Nous prendrons soin de Jen', glissa-t-elle. Reposez-vous. Demain, de longues heures nous attendent.
Je soupirai.
— Eh bien... Notre journée a été mouvementée...
À côté, j'entendis un gloussement, qui s'effaça vite, une fois que mes paupières furent closes.
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