Tome 2 - Chapitre 2:Rencontres mouvementées

Avant de nous envoyer dans leurs geôles, ils nous entravèrent les poignets, les bras dans le dos. Je bouillais de rage d'être traitée ainsi, mais je ne montrais aucun signe de colère. Je gardais ce moment pour plus tard. Ils allaient sans doute regretter de m'avoir ainsi ligotée. Même si je me doutais que de mettre à jour mon mauvais caractère aurait des incidences sur mes compagnons et moi-même, j'en prenais l'entière responsabilité.

Cela faisait bien un quart d'heure que nous avancions en rang d'oignons dans une plaine dépourvue d'arbres à des kilomètres. Moi qui pensais que nous approchions de leur village, je m'étais bien trompée. En plus de cela, j'avais l'impression de marcher depuis des heures. Nos derniers jours n'avaient pas été simples et je sentais mes jambes fléchir de plus en plus et des courbatures naître à chaque extrémité de mon corps. Néanmoins, je gardais tout cela en moi, ne voulant pas montrer une once de faiblesse.

J'avais vraiment l'impression de me retrouver face à la race humaine, et des hommes égocentriques et machos. Les Elphyriades, un peuple pacifique ? Je leur aurais bien craché au visage tout ce que je pensais d'eux, tiens !

Tiens-toi tranquille.

Je soupirai.

Si Étiole s'y mettait aussi, je n'étais pas sortie de l'auberge. Manquait plus qu'il les défende...

Les défendre ? Jamais de la vie ! répliqua-t-il, outré.

Un frisson parcourut mon échine. Le lien que j'avais avec lui me permettait de ressentir ses propres émotions. Et là, j'éprouvais tout. Vraiment tout. Il était profondément indigné que je l'accuse ainsi.

Pardon, m'excusai-je. Mais tu sais à quel point je déteste l'injustice.

Il garda cependant le silence, et mon cœur se serra de tristesse.

Je profitai de cette marche calme pour remettre mes idées en place. La vision de la Reine Noire me revint à l'esprit. Certes, je ne l'avais jamais rencontrée – du moins dans mes souvenirs –, mais j'arrivais quand même à imaginer ce qu'elle pouvait être, surtout son caractère. Je frémis en me figurant les sujets du palais complètement soumis à elle et obligés de suivre à la lettre ce qu'elle demandait. Je craignais aussi que s'ils n'accédaient pas à ses requêtes, leurs conditions de vie seraient durement touchées. Les prisons du château n'étaient pas – ou peu – utilisées avec Jartis, mais je savais que l'ambiance avait de quoi faire perdre la tête à certains des prisonniers.

En plus de l'atmosphère froide et sombre, les outils de torture devaient être ressortis des oubliettes. Après tout, peut-être que je concevais le pire, mais le peu que j'avais entendu d'elle me faisait froid dans le dos.

Je me posais aussi la question principale : qu'est-ce que j'avais de différent qu'une autre personne pour qu'elle me recherche avec tant de vigueur ? Il était vrai que je n'avais pas vraiment été la plus tendre dans mon enfance et adolescence, mais de là à m'en vouloir autant... Peut-être me considérait-elle comme une menace à l'ascension au trône. Ce qu'elle ne devait pas savoir ou avoir compris, c'était que cette place ne me revenait pas et surtout, que je ne souhaitais pas en être la détentrice.

Alors que j'étais perdue dans mes pensées, un violent mal de crâne me comprima les tempes, et je ne pus m'empêcher de pousser un cri de douleur. Le monde tourna autour de moi, un voile noir se forma devant mes yeux, et mes genoux tapèrent contre le sol.

Un trône rouge comme le sang se tient au milieu d'une pièce. Une pièce que je connais parfaitement, étant celle où mon cher Roi passait le plus clair de son temps. Néanmoins, d'un simple coup d'œil je comprends que ce n'est pas lui que je vais voir. L'agencement est différent de ce que j'ai connu durant tant d'années.

Les énormes baies vitrées sont recouvertes de grands draps orange, comme la couleur du soleil allant retrouver le repos mérité à la fin d'une dure journée. Une longue table en bois marron foncé pouvant accueillir au moins dix personnes est posée au milieu de la salle, entourée de chaises dans la même teinte et le même matériau. Et les murs sont lestés de tous les tableaux des différentes royautés ayant vécu dans le palais. Tout me semble vide, démuni de toute vie.

La porte claque dans mon dos, et je ne peux éviter un sursaut. Je me retourne, le cœur battant à mille à l'heure. Mes yeux s'agrandissent de surprise quand je vois Geldrick s'avancer vers le siège où est assise une femme que je ne reconnais pas. Cependant, mon regard est plus attiré par mon ami. Son allure m'intrigue fortement.

Celui qui m'a sauvée d'une mort certaine lors de l'assassinat du roi Jartis se tient ici, face à notre ennemie. Je ne comprends pas ce revirement de situation et je sens un poids comprimer mon estomac.

La main posée contre la garde de son épée, il porte un uniforme différent de celui qu'il avait avant. Celui qu'il portait avec tant de fierté. À présent, celui-ci est plus sombre, plus... dangereux.

Sa veste est rehaussée d'épaulettes rouge criard, soutenues par un filament doré. Ses manches sont traversées de deux traits blancs parallèles, partant du haut des bras, jusqu'aux poignets. Un seul bouton ferme son vêtement, laissant apparaître un simple haut uniforme.

Le bas est comme le haut, seules ses bottes déteignent du reste. Noir corbeau, elles claquent contre le sol lorsqu'il fait un pas. Un claquement sourd qui me remonte aux oreilles et me met immédiatement mal à l'aise.

Alors qu'il s'avance vers l'inconnue, ses yeux se tournent vers moi, à la position exacte où je me trouve. Je recule automatiquement, ayant peur d'être repérée, même si je sais que je suis dans un souvenir. Un souvenir ? Je n'en suis plus si sûre.

Il fronce les sourcils, a un temps d'arrêt et continue sa marche.

Je prends une grande inspiration et pose ma main moite contre le mur situé sur ma droite. Je n'avais même pas remarqué que je retenais mon souffle. Le choc de le revoir a occulté tout ce qui se trouvait autour de moi.

Un froissement me fait revenir au présent – ou au passé, je ne sais plus trop dans quelle dimension je me trouve en ce moment –, et je tourne mon visage vers les deux seules personnes présentes dans la pièce.

— Ma Reine, glisse prudemment Geldrick en courbant l'échine.

Même si je ne suis pas elle, je ressens comme si j'étais à sa place le frisson de fierté qu'elle a eu quand il a indiqué son grade. Une grimace de dégoût se forme au coin de mes lèvres, car je sais à présent qui se tient devant moi...

— Relève-toi, soldat.

Je retiens au dernier moment un cri de surprise. Sa voix est si grave, dénuée de toute gentillesse.

Je plaque ma paume de libre contre ma bouche et essaye de récupérer une inspiration correcte. Je regarde autour de moi d'un mouvement vif pour trouver un endroit où me cacher, de peur qu'elle ne me repère. Après plusieurs tours sur moi-même, j'aperçois à quelques mètres un poteau en marbre, qui même s'il ne pourrait pas me dissimuler entièrement, j'y serai plus à l'aise. Je me mets dos à lui, et pendant qu'elle continue à fixer mon ami, je recule pas à pas, avant d'être protégée par ma cachette.

Mon ami se relève maladroitement, mais toujours les doigts posés sur la poignée de sa lame.

— Décline ton identité.

— Geldrick, commandant du troisième bataillon de la Reine Noire.

— Au rapport.

Elle ne parle pas beaucoup, mais ses phrases très courtes ne sont cependant pas dénuées d'autorité.

Une perle de sueur coule le long de mon dos.

— Mon bataillon les a suivis sur plusieurs kilomètres. Néanmoins, nous n'avons pas pu les rattraper, leur allure étant plus rapide que la nôtre. Je les soupçonne d'avoir trouvé des montures, ou bien d'être partis de nuit, quand mes hommes et moi-même nous reposions.

Une veine bat soudain contre sa tempe ; elle est irritée. Je souris intérieurement : je ne sais pas qui mon ami suivait, mais je suis contente que ces personnes aient réussi à les distancer.

Ses doigts deviennent blancs à force de serrer les poignées de son trône. Elle ne va pas tarder à éclater, et je n'aurais franchement pas aimé être à la place de Geldrick.

J'ai soudain un mouvement de défense et je m'avance vers lui, le bras pointé en sa direction.

Alors que je m'approche de plus en plus de lui, que je suis à quelques millimètres de le toucher, je me sens secouée, comme si je me trouvais dans une roue folle-furieuse. Je tente de me débattre, mais la salle devient floue et mon ami s'efface peu à peu. Le trône se déforme, la Reine Noire disparaît.

Je sentais mon corps partir d'avant en arrière, sans parvenir à l'arrêter. Je fus prise d'une nausée assez violente, qui me fit revenir à l'instant présent. Les yeux exorbités, un goût de bile remontait le long de mon œsophage, et n'allait pas tarder à sortir de ma bouche. Être baladée ainsi dans tous les sens était définitivement très désagréable.

À l'heure actuelle, je n'étais pas capable de dire si la vision que je venais d'avoir appartenait au passé, au présent ou au futur, mais j'étais certaine d'une chose : elle m'avait retournée. Ma respiration était hachée, mes jambes tremblaient et ma tête tournait trop vite.

Après plusieurs secondes d'apathie, je me rendis compte que j'étais encore au sol, les mains dans l'herbe fraîche, tentant d'en attraper quelques poignées, afin de me convaincre que j'étais bien revenue à moi. La personne qui ne cessait de me remuer depuis quelques secondes venait d'arrêter et passait une main devant mes yeux, pour savoir si je la voyais.

— Irianna ?

Cette douce voix me ramena directement à moi. Je relevai le visage couvert de sueur et plantai mon regard dans celui de Démédie, qui semblait très inquiète.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Tremblante, je tentai de me relever, mais je retombai par terre, vidée de toute force. Mon amie fit un pas et passa l'un de ses bras autour de ma taille et m'aida à me remettre sur mes jambes, qui claquaient l'une contre l'autre.

— Ne dis rien, me chuchota-t-elle. Nous en parlerons lorsqu'on sera seuls, avec Paris.

J'étais la seule à l'avoir entendue et je clignai des yeux en accord. Un acquiescement de la tête aurait été trop visible, et les gardes auraient de suite compris que leur compagne venait de me dire de me taire.

J'ouvris la bouche, mais une boule obstruait ma gorge, m'empêchant de proférer un seul son. Je ne me sentais vraiment pas bien, j'avais besoin de boire quelque chose, de m'asseoir quelques secondes et de respirer. De prendre une grande goulée d'air.

Néanmoins, je me doutais que cette pause tant voulue n'était pas au goût du jour. Il nous restait encore un certain chemin à parcourir, et je savais que je n'y arriverais pas seule. De ce fait, l'Elphyriade continua de me tenir afin de me faire avancer, ce qui déplut fortement au garde qui nous avait adressé la parole jusque-là.

— Je pense qu'elle est capable d'avancer seule. Ce n'est pas un bébé à qui tu dois procurer des soins constants.

Je sentis ses mains se crisper sur moi, mais elles se relâchèrent dans le même temps. J'étais admirative sur sa façon de garder la tête haute et de ne pas montrer son irritabilité. Il allait falloir que je prenne des cours avec elle.

J'entendis à côté de moi mon blond préféré glousser. Seules Démédie et moi l'entendîmes, et nous préférions sans nous concerter de ne pas réagir. Néanmoins, je souris intérieurement.

— Qu'as-tu bien pu vivre depuis mon départ pour être aussi violent verbalement, Edril ?

Ce dernier tressaillit légèrement, mais sa gêne ne passa pas inaperçue.

— Continuons d'avancer, conclut-il d'une voix dure. Nous sommes bientôt arrivés.

Il se retourna, nous montrant son dos crispé et la main sur son épée, et continua de marcher sans faire attention à nous.

Mon amie poussa un soupir de tristesse et le suivit, sans pour autant me lâcher. La fin du voyage risquait d'être compliquée. L'ambiance était de plus en plus lourde, et à chaque pas que je faisais, la fatigue gagnait sur mon envie de me battre. J'avais besoin de repos, d'un bon lit et d'un repas complet. Malheureusement, je me doutais que ce qui m'attendait ne serait qu'un sol froid et humide, du pain rassis et des barreaux pour seule compagnie.

À mon tour, je soufflai. Finalement, je n'avais pas hâte d'arriver au village et de rencontrer ce peuple que ma compagne avait si encensé. Vu ce qu'ils m'avaient montré, ils étaient loin d'être ce qu'elle prétendait.

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