Tome 2 - Chapitre 1: les Elphyriades

Il nous avait fallu quelques instants avant de bien comprendre que ce premier périple était enfin terminé, que nous arrivions sur une Terre inconnue et que nous étions – normalement – à l'abri. La perte de Fabio était encore trop présente dans nos mémoires pour nous réjouir de quoi que ce fut. Toujours allongée, le dos sur le sable, je fixai le ciel se parer d'une couleur mauve, montrant que le soleil se couchait. Un petit sourire aux lèvres, toute la pression de ces derniers jours partait enfin, vers d'autres contrées.

Paris était à mes côtés, sa main dans la mienne, et pris de la même allégresse. Nous étions bien. Nous nous sentions en sécurité. Je pris une bonne bouffée d'air, fermai les yeux et profitai de ces quelques minutes de silence et de calme pour m'imaginer un futur sous de meilleurs auspices : un avenir où Jartis et ma mère seraient toujours vivants ; Où je serai encore au château en leur compagnie ; Où je serai heureuse.

Je savais qu'il n'était pas bon de ressasser le passé, parce que ça pouvait faire plus de mal qu'autre chose, mais contrairement à ce que je pensais, me remémorer leur absence me faisait du bien. Même s'ils n'étaient plus là pour me conseiller, je sentais leur aura au-dessus de moi, à chaque pas que je faisais ; chaque décision que je prenais ; chaque parole que je tenais. Et c'était eux qui m'aidaient à avancer dans ce capharnaüm qu'était devenue ma vie.

Une vie de fugitive parce qu'une folle à lier voulait ma mort.

Je vis Démédie s'asseoir à mes côtés, ses bras entourant ses jambes, remontées contre son torse. Elle soupira mais ne dit rien.

Nous restâmes ainsi plusieurs minutes, contemplant l'immensité du monde et les portes qu'il nous offrait. Théonis nous rejoignit quelques secondes plus tard, mais ne s'installa pas ; il resta debout, une main dans chacune de ses poches, le regard grave et la bouche pincée.

Je pressentis qu'il n'allait pas tarder à parler. Restait à savoir si ce qu'il comptait nous annoncer nous plairait ou non.

— Je ne voudrais pas gâcher ce moment de plénitude, mais je pense qu'il faudrait que l'on rentre au village.

Évidemment, ce message n'était adressé qu'à sa sœur, nous snobant complètement.

Je n'eus aucune réaction, habituée à ses sautes d'humeur.

Celle a qui il s'adressait lui lança d'ailleurs un coup d'œil courroucé.

— L'état de leur ami empire, crut-il bon d'ajouter.

Mon sang se figea dans mes veines.

— Très bien, répondit notre amie en se relevant et époussetant sa robe. Allons-y, alors.

Dans sa dernière phrase, j'avais senti son assurance flancher quelque peu. Le ton était vibrant, comme si elle craignait de savoir ce qu'il allait advenir de nous, mais aussi d'elle. Car je n'avais aucun doute sur le fait que ce n'était pas tous les jours qu'un Elphyriade envoyait un inconnu chez eux.

Quelle sentence allait-elle recevoir ? Je priai Daméon que ce serait clément. Même si je me doutais aussi que leur Dieu n'était pas le même que chez nous.

Comme un seul homme, Paris et moi nous levâmes. Je levai mes iris vers ce qui se profilait au loin, mais ne vis rien de changé : toujours autant de verdure à perte de vue.

— Ne te fis pas à ce que tu aperçois. Nous nous cachons, nos habitations sont donc bien couvertes, m'indiqua-t-elle d'une voix douce, plus assurée.

J'espère qu'on sera bien accueillis, dis-je à Étiole.

Nous serons très vite fixés.

***

J'acquiesçai, répondant ainsi à mes deux amis. J'avais une boule dans la gorge qui m'empêchait clairement de parler. Le sentiment serein qui m'avait habitée plus tôt venait de disparaître.

Contre toute attente, il nous fallut au moins une heure pour rejoindre leur lieu de vie. J'avais pensé, à juste titre, qu'ils étaient bien plus proches. J'avais donc questionné mon amie qui m'avait expliqué qu'habiter trop près de la mer était un risque d'attaque qu'ils n'avaient pas pu accepter. Ils voulaient vivre en paix et n'être dérangés sous aucun prétexte.

Cette explication m'avait fichu un sacré coup. S'ils ne voulaient pas être dérangés par qui que ce fut, je craignais vraiment cette rencontre. Allait-il y avoir des gardes qui nous accueilleraient dès que nous passerions le barrage de leur village ? Serions-nous être jetés en prison sans pouvoir nous expliquer ? Allions-nous être mis au bûcher sans pouvoir nous défendre ?

Sentant que mon stress ne cessait d'augmenter, Paris me prit d'office la main, la resserrant pour me donner un peu de sa confiance ; car il était clair que la mienne s'était évaporé en un claquement de doigts !

Je le remerciai d'un sourire et continuai ma route. Nous commencions tout juste à apercevoir quelques toits de chaume, et des échelles posées à l'horizontale, permettant ainsi de relier plusieurs maisons entre elles.

Alors que mon cœur commençait à battre de nouveau normalement, j'entendis un cliquetis sourdre le silence pesant.

Je sursautai, quittai cette vue plaisante pour river mon regard juste devant moi et hoquetai. Face à nous, quatre Elphyriades s'avançaient d'un pas menaçant dans notre direction.

Vêtus d'une tenue qui était loin de correspondre à des gardes, ils portaient cependant à la taille une longue épée en argent, leur main bien posée dessus, prêts à la dégainer au moindre mouvement brusque.

Une perle de sueur coula le long de mon dos, me provoquant un frisson désagréable. Démédie n'attendit pas plus et se mit en posture défensive devant nous, les pieds bien campés au sol et collés l'un à l'autre.

Ses bras étaient détendus, le long de son corps et sa chevelure flottait sous la légère brise qui se levait. De dos, elle paraissait tout d'une reine prête à défendre son peuple. Une bouffée de respect me prit par surprise et je ne pus m'empêcher d'esquisser un léger rictus.

Me coupant la vue, je me penchai légèrement sur la gauche pour voir ce qu'il se passait vraiment. Plus ils avançaient, plus je pouvais les détailler dans leur ensemble. De loin, j'avais déjà constaté que leur tenue était de la même couleur de celle de mon amie ; d'une blancheur éclatante, à deux détails près : ils ne portaient pas de robes mais un tee-shirt sans manches, prêt du corps et une sorte de petite jupe, ne recouvrant que le haut de leurs cuisses et leurs parties intimes.

Si je trouvais celle qui nous défendait à présent d'une taille normale, ses compatriotes nous dépassaient aisément de plusieurs têtes. À vue d'œil, ils devaient avoisiner les deux mètres. Ils étaient imposants, tout en muscles et en beauté.

Je cillai. Oui, ils étaient d'une beauté à couper le souffle. Leur peau tannée par le soleil ne gâchait pas pour autant leurs yeux d'un bleu électrique. Leur nez fin ne passait pas non plus inaperçu, tandis que leurs lèvres fines n'attendaient qu'un baiser chaste pour s'y poser. Leurs pommettes légèrement rehaussées apportaient certes plus de froideur à leur regard, qui était cependant atténué par des joues creusées de fossettes craquantes.

Oh, par Daméon ! Outre leur épée bien en vue, j'avais soudain très chaud !

Un grognement sur ma droite me fit revenir au présent, et je ne pus m'empêcher de rougir en voyant les iris de mon ami s'embraser. Encore une fois, mes pensées avaient été si fortes qu'il n'avait pas eu aucun mal à les entendre.

— C'est comme si tu les avais hurlées, oui, grommela-t-il.

Je papillonnai des yeux. Ma parole... Il était jaloux !

— C'est faux ! démentit-il automatiquement en essayant de chuchoter le plus possible.

Ses poings serrés et blancs réfutèrent cependant sa réponse, ce qui me fit sourire intérieurement.

— Qui sont ces gens ? vitupéra l'un des hommes devant nous.

Troublée, je retournai à ma place et plaçai mes mains dans mon dos, le regard rivé au sol. Cette voix était si grave et dénuée de gentillesse, que je trouvais bonne l'idée de me faire toute petite, du moins un certain temps.

— Des amis, répondit Démédie sur le même ton, quoique plus fluet.

— Des Hommes, cracha-t-il.

— Des êtres humains, contra-t-elle, une veine battant contre sa tempe.

Son interlocuteur claqua sa langue contre son palais, en signe d'impatience.

Son regard se tourna ensuite vers Jen', toujours protégé dans sa bulle.

— Et celui-là, il a quoi, au juste ? Du mal à marcher ?

Ses collègues ricanèrent mais ne pipèrent mot.

Une sourde colère monta en moi et je ne pus m'empêcher de faire un pas et de froncer les sourcils. Un seul mouvement du bras de mon amie me stoppa net.

D'accord, je ne dirai rien. Cependant, je n'en pensais pas moins !

— Nous n'avons que faire de tes sarcasmes, Edril, et laisse-nous passer.

— Quelle preuve ai-je qu'ils ne vont pas tenter de nous tuer ?

— Moi. Je suis la preuve vivante qu'ils ne vont rien vous faire. Sinon, nous ne serions pas là, devant vous, à recevoir vos réflexions.

Le garde changea de position et sembla cogiter. Plusieurs secondes s'écoulèrent, sans que pour autant nous n'entendions une mouche voler. Je les aurais bien réveillés à coup de sifflement, mais à mon avis, ils n'auraient pas apprécié.

Ta patience légendaire est de retour, chantonna mon animal à plumes.

Je lui lançai un coup d'œil incendiaire.

Ils nous traitent comme des moins que rien, font semblant de réfléchir et nous font perdre du temps. Comment veux-tu que je réagisse alors que Jen' se meurt ?

En réponse, il battit un peu plus vite des ailes et la conversation fut terminée.

— Très bien...

Je soufflai de soulagement, tandis que mes épaules tombaient, lestées du poids de la crainte.

— Cependant, les deux qui sont en pleine forme seront enfermés dans notre prison, le temps que le chef décide quoi faire d'eux. Quant à celui qui se trouve dans votre bulle, un médecin s'occupera de voir s'il est utile de le garder en vie ou non.

Je hoquetai de vexation. Un peuple neutre, hein ?

Alors que les gardes venaient vers Paris et moi et nous empoignaient fermement, je ne pus m'empêcher de couler un regard vers mon mon petit frère, qui lui était pris avec toutes les précautions du monde.

Démédie me demanda pardon à travers ses iris mauves et suivit l'escorte.

Ce n'était pas à elle que j'en voulais. Mais à ceux qui semblaient être ses supérieurs. Ils ne me connaissaient pas encore et ne savaient pas à quel point je pouvais être exécrable lorsque j'étais contrariée.

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