Chapitre 5 :La fuite
Après plusieurs heures de dur labeur à aider le peuple à récupérer de cette atroce attaque, Jen', Paris et moi étions assis autour d'une table, pour décompresser. Je voyais bien que le blond n'avait pas du tout apprécié ma petite pique, mais je m'en contrefichais. Il était désormais au courant qu'on ne me frappait pas sans raison. Qu'on ne me frappait pas du tout. Je voulais bien être gentille et docile, mais il y avait des limites à ne pas dépasser. Même si j'avais entendu la peur dans sa voix, il y avait d'autres manières de me la faire comprendre.
De ce fait, l'ambiance était très tendue, et notre cadet se sentait mal à l'aise entre nous deux. Ne sachant pas ce qu'il s'était passé, étant resté tout le temps avec la petite fille, il ne savait pas quoi dire ou quoi faire pour apaiser cette tension devenue électrique. Je percevais le regard froid du plus âgé sur moi, mais je faisais semblant de faire l'innocente en sirotant tranquillement mon verre.
La boisson froide coula dans ma gorge et me donna quelques frissons qui me firent revenir sur terre. Désormais que la menace était bien ancrée dans ma tête, je me doutais qu'on ne devrait pas rester bien longtemps dans ce village, sous peine de causer encore plus de dommages et de tort à ceux qui nous avaient pourtant si bien accueillis, et qui, surtout, nous avaient fait confiance.
Je me mordis discrètement la lèvre inférieure, et lançai un coup d'œil rapide vers les escaliers. L'orpheline se trouvait dans ma chambre et j'avais dû passer de longues minutes en sa compagnie pour la réconforter. La disparition de toute sa famille l'avait choquée, et elle était inconsolable. J'avais l'impression de me revoir une semaine plus tôt quand Jartis avait été tué. La sensation d'une perte pareille était indescriptible, et j'étais persuadée que ce terrible moment resterait gravé à vie dans sa mémoire.
Lorsque j'avais vu les premières larmes couler sur ses joues, je n'avais pas pu m'empêcher de la prendre dans mes bras et de la bercer.
— Nous trouverons une solution, ma chérie, je te le promets, lui avais-je chuchoté.
Elle avait reniflé et levé ses pupilles tristes vers les miennes.
— Papa... Maman... Je veux les revoir.
Mon cœur s'était serré devant cette pauvre gamine que plus rien n'attachait à ce village. Une idée folle m'était alors passée par la tête, mais je m'étais fortement retenue pour ne pas l'énoncer à haute voix, sachant que jamais je ne pourrais le faire.
Mais pourquoi pas, après tout ? Pourquoi ne pas la prendre avec nous ? Il était vrai que nous la mettrions encore plus en danger, mais d'un autre côté, elle aurait une figure maternelle et paternelle, et un grand frère sur qui compter. Je nous voyais déjà tous les quatre voyager, rire, hurler, se déchirer...
J'avais alors ouvert grand les yeux devant ma bêtise. Non, jamais je n'aurais pu lui imposer cela. Jamais elle ne viendrait avec nous. La route serait bien trop dangereuse pour elle.
— Je le sais, poucette. Je le sais..., n'avais-je su que rajouter.
J'avais passé ma main dans ses cheveux, jusqu'à ce que je sente qu'elle avait lâché la pression. Elle avait fini par s'endormir, et je l'avais bordée dans mon lit avant de rejoindre mes compagnons au rez-de-chaussée.
Je soupirai.
Je n'avait aucune idée ce qu'on allait pouvoir faire pour cette pauvre petite...
— À quoi tu penses ? me demanda froidement Paris.
Je sursautai, ne m'attendant pas à ce qu'il prenne la parole le premier. Je coulai un regard vers lui et lui répondis d'une voix fatiguée :
— Je pense à son avenir. Elle a perdu toute sa famille et je ne sais pas ce qu'on va pouvoir faire pour elle. D'après les villageois, ils venaient d'arriver, et ne connaissaient donc personne.
Je n'avais pas eu besoin de préciser son prénom – je ne le connaissais même pas – car c'était la seule personne que nous avions croisée, tout du moins, à qui nous avions parlé.
Le visage de mon ami se fit d'un coup plus doux, mais aussi torturé.
— Oui... Je ne le sais pas non plus. J'aurais bien demandé au tenancier de cette auberge, mais nous ne savons pas si la Reine Noire a prévu une autre attaque.
— Plus aucun village n'est protégé, intervint Jen' d'une voix plus adulte que d'habitude.
Je voyais à sa tête que ce massacre l'avait changé, mais surtout fait grandir d'une manière peu orthodoxe. Face à la destruction partielle de leur hameau, il n'avait pas perdu ses moyens, mais son âme d'adolescent s'était fissurée en même temps. Il comprenait à présent à quel point il était primordial pour nous de découvrir ce que voulait réellement cette ennemie et pourquoi elle faisait cela.
Je soufflai de nouveau, dépitée.
Faisant tourner entre mes doigts mon verre rempli, je fixai le contenu brun tournoyer sur lui-même, me donnant presque le vertige. L'alcool dans mon sang devait être un vecteur principal à mon état. Cette fois-ci, j'avais commandé une bière, même si je n'étais pas du tout friande de ce genre de boisson. Néanmoins, j'avais besoin de sentir le liquide traverser mon corps pour me changer les idées.
— On trouvera une solution, dit tout bas Paris, en me prenant la main.
Décidément, il me surprenait ! Même s'il était en colère contre moi – ou plutôt touché dans son ego –, il n'en oubliait pas les fondamentaux. J'en apprenais de plus en plus sur lui, et ce n'était pas pour me déplaire.
En projetant mon regard dans le sien, je vis apparaître dans le bas de son visage une légère risette sarcastique. Je papillonnai des yeux, pour être sûre d'avoir bien vu et que ce n'était pas la fatigue qui me jouait un tour.
Lorsque je le fixai de nouveau, son sourire avait disparu pour retrouver un visage inexpressif. J'avais dû rêver, en effet. Il était temps pour moi de retrouver mon lit.
Je me levai et leur souhaitai à tous les deux une bonne nuit sans attendre de répartie, et rejoignis ma chambre et la jolie petite fille avec qui je la partagerais. Attendrie en la voyant dormir sereinement, j'esquissai un sourire, me changeai en faisant le moins de bruit possible et m'installai dans mon lit avec un soupir de bonheur. Quelques heures de sommeil pour oublier l'anxiété et la peur que j'avais ressenties cette nuit. Regardant par la fenêtre, je vis que le soleil se levait peu à peu sur la plaine, parant le ciel de jolies couleurs rosées, promettant une journée fraîche.
Alors que je fermais les yeux, je sentis une petite main se poser dans la mienne et la serrer fort, de peur que je m'en aille. Touchée, j'accentuai la pression, et comme en accord, le petit corps chétif vint se coller à moi. Ce fut ainsi que je m'endormis à mon tour.
***
J'avais dormi tout au plus deux heures dans cette terrible nuit. Les souvenirs du feu nous entourant me revinrent en mémoire, et je sentis mon corps être parcouru de frissons incontrôlables. Je voulus remonter la couverture sur moi, mais quelque chose l'empêchait de se mouvoir.
Ou plutôt quelqu'un.
Je me retournai sur le dos et croisai le visage de la petite que nous avions recueilli. Encore endormie, je voyais ses sourcils se froncer et la sueur perler sur sa peau. Elle était encore pleine de peur et sans doute de questions sans réponses.
Je soufflai de dépit et me levai doucement, pour ne pas la sortir de son sommeil. Je passai rapidement à la salle de bains pour me réveiller une bonne fois pour toutes et me faire un brin de toilette. Une fois prête, je descendis à la salle commune, où je retrouvai mes collègues, déjà attablés devant un copieux petit-déjeuner. Mon cœur se serra. Je savais que les jours à venir seraient difficiles et que la nourriture ne serait pas à profusion, bien au contraire. Je comptais bien en profiter une dernière fois.
Jen' leva la tête de sa tasse remplie d'un liquide noir et, lorsqu'il me vit, me lança le plus beau sourire que je n'avais jamais vu sur sa frimousse. Une chaleur parcourut mes veines, et je n'attendis pas plus avant de les rejoindre et de plaquer un baiser bruyant sur son front. Il se recula, choqué, et devant sa mine de dégoût, j'explosai de rire. Une larme de joie coula sur ma joue, que je laissai dévaler.
— Bonjour, vous deux ! m'exclamai-je après m'être calmée.
— Salut ! C'était dégueu ce que tu viens de faire, mais je te pardonne : tu es une fille.
J'écarquillai les yeux. Parce que j'étais une fille, c'était normal que j'éprouve de la tendresse ?
— Toi, tu n'es jamais tombé amoureux, déclarai-je.
— Pas pour moi. Suis trop jeune.
Je ricanai.
— Quand ça t'arrivera, on en reparlera, d'accord ?
— Tu risques de patienter longtemps, dit-il, sûr de lui.
— Ne jamais dire jamais, mon petit.
Il se renfrogna au surnom. Je lui donnai un léger coup dans les côtes, et le poussai pour prendre place à ses côtés.
— Tu vas bien, Paris ? demandai-je, comme je ne le voyais pas prendre part à la discussion et que son visage restait froid.
— Comme un homme qui a combattu le feu toute une nuit et qui, malgré la chaleur, a eu beaucoup de sueurs froides en peu de temps.
La bonne humeur venait de disparaître. Décidément, il avait toujours le mot qui fâchait.
Je soupirai et rivai ensuite mes yeux dans les siens.
— T'es jamais content, toi ! On est vivants, Paris ! Jen' et moi allons bien.
— Qui te dit que je m'inquiète de ta condition ? Le plus important est ce garçon. Toi, je ne te connais pas.
Mon cœur se brisa. C'était comme si j'entendais un objet de porcelaine se casser au sol. Le bruit irrita mes tympans. Il venait de me doucher et la sensation était glaçante.
Je ne voulais pas en entendre plus, et, sans avoir pris mon petit-déjeuner, je me levai précipitamment et sortis de l'auberge. J'avais besoin de prendre l'air et de respirer.
Il m'avait fait mal, mais autre chose en moi battait : la colère. Comment osait-il me parler sur ce ton ? Je savais que j'avais pris de gros risques à aller sauver Jen', mais j'avais été incapable de rester sans rien faire ! Pour qui se prenait-il ?
Les poings serrés, je me dirigeai vers les écuries, là où mon seul ami – certes, à quatre pattes – saurait me remonter le moral. En pensant à lui, je regrettai soudain de ne pas avoir été prendre de ses nouvelles. J'espérais sincèrement qu'il ne lui était rien arrivé, sinon je ne m'en remettrais pas, et je m'en voudrais longtemps.
***
Après avoir passé une bonne heure en compagnie de l'équidé qui, par sa simple présence, m'avait redonné ma bonne humeur, je revins vers l'auberge. Cependant, au détour d'un virage, je rencontrai la chose qui allait nous faire fuir de nouveau. Des pas pressés se dirigeaient dangereusement vers moi, et il fallait vite que je trouve un endroit où me cacher.
La peur me saisit, me faisant trembler de plus en plus. Alarmée, je jetai des regards rapides autour de moi, avant de dénicher un arbre, dont le tronc était assez gros pour me dissimuler. Sans faire de bruit, je le rejoignis à pas rapides et attendis, le souffle court.
Serrant les poings, j'essayais de me calmer, mais surtout de récupérer une respiration décente, qui pourrait me trahir.
— Non !
Cette injonction me fit sursauter puis trébucher. Dans mon élan, j'écrasai une branche d'arbre sous mon pied. Dans le silence, cela équivalait à un objet se brisant au sol. Je me fustigeai silencieusement, tandis que le bruit de leurs pas s'arrêtait.
— Vous avez entendu ça ? demanda une seconde voix.
— Sûrement une biche qui a eu peur de notre approche, répliqua le premier homme.
— Une biche, au village ? interrogea la voix la plus fluette, étonnée.
Comme je n'entendais plus rien, je pris le risque de pencher ma tête devant ces deux interlocuteurs, pour savoir qui ils pouvaient être.
Mes pupilles s'arrondirent de stupeur, quand je compris ce silence oppressant. L'un collé contre une façade, la gorge sauvagement empoignée, le second, de dos, qui tentait de juguler sa colère. Chacun était habillé d'une armure clinquante, une épée posée contre leur flanc.
Des soldats, paniquai-je.
Celui que je ne voyais pas, mais dont je devinais une chevelure flamboyante comme la mienne, approcha son visage de son compagnon et susurra un message à son oreille, que je n'entendis pas, trop loin pour cela.
Je vis le second, plus jeune et plus petit que lui, ouvrir grand les yeux, un pli de peur barrant son front, et acquiescer. L'autre avait dû bien le menacer.
— Maintenant que les choses sont claires, nous allons pouvoir passer au plan B.
— Plan B ? répéta le plus petit.
— Tout à fait. Le village n'aurait pas cramé, si ces trois nouveaux n'avaient pas débarqué d'on ne sait où.
Ces trois nouveaux... Il parlait de nous. J'avais finalement bien fait de rester dans les parages, pour savoir ce qu'il se disait sur nous.
— Ils ne sont pour rien dans cette attaque, tenta de nous défendre l'homme aux cheveux gris-bleu.
— Quoi ? C'est ton petit doigt qui te l'a dit, peut-être ? ironisa le chef.
Je sentis à la non-réponse que l'autre venait de se raidir. L'ambiance était lourde entre les deux, et il était évident que l'entente l'était tout autant. Celui que j'avais vu de dos semblait dominer le plus jeune, et une cruelle injustice vint me brûler le cœur. Mais il fallait que je me reprenne et que j'en apprenne plus avant de retourner voir Jen' et Paris... et qu'on s'en aille.
— D'après le tavernier, ils comptent rester encore une nuit dans l'auberge. L'idéal pour nous pour les prendre à revers cette nuit, sans qu'ils ne s'y attendent le moins du monde.
Je sentais dans sa voix qu'il prendrait un plaisir particulièrement pervers à nous faire du mal.
— Mais avant de les tuer, je compte bien profiter de la jeune fille... Elle est d'une beauté à faire damner un homme, et je suis persuadé que ce qu'elle cache sous ses vêtements a de quoi me faire jouir de plaisir.
Plaquant une main sur ma bouche, je me retins de lâcher la bile qui me montait à la gorge. Il n'était pas né, celui qui tenterait de me prendre par la force. J'étais peut-être une femme, mais je savais me défendre. Je fronçai les sourcils de rage. Oser parler de moi ainsi... je lui ferais bien découvrir mon ressenti sur la question.
— Mais...
— Réfuterais-tu mes ordres, misérable ? lança le pervers, d'une voix emplie de menaces.
— Non, jamais, chef ! Juste que...
— Suffit ! Tu suivras ce que je te dis à la lettre. Étant donné que tu es à peu près du même âge que le plus jeune, tu t'occuperas d'avoir sa confiance, pour qu'on puisse mieux les atteindre, est-ce que je me suis bien fait comprendre ?
— O-oui, patron.
— Général, le reprit-il.
— Oui, général.
J'entendis le bruit de ses bottes claquant l'une sur l'autre, en signe de soumission. J'en étais malade. Mais ce qui ressortait le plus était la colère. Et aussi l'envie de fuir, loin d'eux, loin de ce village qui, à présent, semblait être contre nous.
Il était devenu urgent pour nous de partir... à nouveau.
***
Je dus attendre plusieurs minutes avant de pouvoir sortir de ma cachette, car les deux hommes semblaient ne pas vouloir partir. Une fois que je fus sûre qu'ils eurent disparu, je courus comme si j'avais le diable aux trousses.
Arrivée devant notre logis, je pris le temps de me calmer et de régler ma respiration.
Inspirant un bon coup, j'ouvris la porte aussi calmement que possible, même si mon cœur semblait vouloir sortir de ma poitrine. Je me dirigeai directement vers la table de mes compagnons et m'assis sur une chaise. Il fallait que je paraisse la plus naturelle possible.
Avant que je ne puisse prendre la parole, Paris s'en chargea à ma place :
— Pendant que tu passais ta colère contre moi ailleurs, nous avons trouvé un nouveau logement pour Iris.
J'avais envie de le frapper, mais je préférai me concentrer sur la bonne nouvelle : la petite ne serait pas seule lors de notre départ précipité. Je sentis alors mes muscles se détendre, et je ne pus éviter le soupir de soulagement passer la barrière de mes lèvres. Je ne tins pas compte de sa pique et le regardai droit dans les yeux :
— Cela tombe bien, nous devons partir.
Jen' eut un hoquet de surprise et reposa sa chope trop fort sur la table, faisant se retourner les derniers clients de la matinée. Le blond, lui, avala de travers sa goulée.
— Pardon, qu'est-ce que tu racontes ? demanda-t-il en chuchotant, la tête penchée vers moi.
J'appréciai qu'il garde un semblant de calme et qu'il fasse preuve de prudence et de discrétion.
Je relatai alors la découverte de ce qui nous attendait cette nuit, sans prendre de gants. Il était important qu'ils soient au courant de tout. Durant mon monologue, je fis attention à ce qu'aucun d'eux ne se trahisse par un mouvement trop brusque ou choqué. Évidemment, le plus jeune était plus affecté que je ne le pensais et ne put retenir un cri d'horreur. Je sentis alors mon sang cesser de couler dans les veines et mon corps devenir glacial.
Si les villageois nous surprenaient à cet instant, nous n'aurions même pas eu le temps de préparer un plan. Car oui, je ne comptais pas partir aussi rapidement, je voulais que tout soit parfait, ou presque. Laisser une empreinte indélébile de notre passage, qu'ils se rappellent de nous. En bien, toujours. Il était important pour moi que ce village n'ait pas une mauvaise impression de notre groupe, nous ne lui voulions aucun mal.
Le plus âgé me devança et lança un regard équivoque au brun. Ce dernier reçut le message cinq sur cinq, et se ratatina sur son siège. Il avait compris qu'il fallait faire profil bas et mener au plus vite notre fuite.
Ce terme me restait en travers de la gorge. Si cela ne tenait qu'à moi, je serais restée en leur compagnie, mais certains semblaient avoir une dent contre nous, sans raison apparente. Bon, je devais bien avouer que s'il y avait eu le feu dans leur patelin, je n'y étais pas étrangère. J'étais celle que tout le monde recherchait, pour m'emmener auprès de la Reine Noire. Mais je n'avais rien demandé : je voulais simplement vivre ma vie comme je l'entendais.
— Montons à l'étage, nous indiqua le plus grand. Nous serons à l'abri des oreilles indiscrètes.
Nous opinâmes de concert et nous dirigeâmes vers les escaliers. Cependant, le tenancier nous intercepta avant que l'on puisse atteindre la première marche.
— Eh bien alors, déjà fatigués ? lança-t-il avec un sourire jovial.
Je me doutais bien qu'il n'était en rien concerné par le guet-apens que nous allions vivre cette nuit, mais je sentis des sueurs froides s'emparer de mon corps. Vu l'accueil chaleureux qu'il nous avait fait, j'avais du mal à croire qu'il pouvait être de mèche.
— C'est ça, Horald ! Nous t'empruntons encore tes chambres pour une nuit, après nous partirons et te laisserons tranquille, rétorqua Paris d'un ton aimable.
— Oh, mais non, vous ne me dérangez pas, par Daméon ! Vous êtes les bienvenus ici, vous nous avez sauvés des flammes.
Je me détendis d'un seul tenant. Il n'avait rien à voir dans cette histoire. Depuis toute petite, je savais reconnaître ceux qui dissimulaient certaines choses, et lui était blanc comme neige.
D'un mouvement de la tête, nous nous séparâmes de notre hôte et grimpâmes les marches aussi sereinement que possible. Une fois arrivés dans la chambre des garçons, je me laissai tomber dans un fauteuil, désabusée.
— Il faut les prendre à leur propre jeu, commençai-je de but en blanc.
— Pour cela, j'ai une idée qui devrait les énerver un peu, argua Paris d'un sourire carnassier.
— Est-ce une bonne idée de les énerver et d'avoir ces hommes à nos trousses après ? interrogea Jen', apeuré.
Je sentais dans le ton de sa voix qu'il n'était pas à l'aise avec les nouveaux événements. Il avait sans doute été habitué à vivre d'eau fraîche et s'entraîner juste pour le plaisir. Il ne pensait sans doute pas être mêlé à une histoire aussi rocambolesque et dangereuse.
Je me mordis les lèvres. Tout cela était de ma faute. Si je ne les avais pas rencontrés, ils seraient encore insouciants de tout ceci. Même s'ils ne connaissaient pas mon plus sombre secret, en les rencontrant, je les avais mis dans une situation délicate sans le vouloir.
Mon compagnon dut ressentir mes regrets et me rassura d'un sourire.
— Qu'est une vie sans piment ? rétorqua-t-il en réponse à l'adolescent.
Ce dernier passa d'une couleur rosée à un blanc cireux et je me relevai pour me placer à ses côtés et prendre sa main dans la mienne, afin de lui procurer un peu de courage. Il me remercia d'un timide sourire et se racla la gorge.
— Ouais, après tout, on est dans un pays de fous, à présent, non ?
Sa phrase détendit l'ambiance et nous explosâmes de rire, bientôt suivis par le propriétaire de ces propos.
Pendant plus de deux heures, nous échafaudâmes un stratagème, pour leur faire croire que nous resterions ici cette nuit. Ensuite, le moment le plus difficile fut de prévenir Iris que nous allions devoir partir pour la protéger.
Elle avait très mal pris la chose, et nous avait reproché de n'en avoir rien à faire de sa personne, qu'à présent, elle serait seule et démunie. Paris avait trouvé les mots justes, afin de lui faire comprendre que tout cela était pour son bien, que si elle venait avec nous, elle serait plus en danger que jamais. Elle avait fini par accepter son « sort » comme elle ne cessait de le répéter, et était venue se blottir dans mes bras, pour notre dernière soirée ensemble. Voyant que nous avions besoin d'être toutes les deux, les hommes s'étaient éclipsés, avec un regard de courage pour nos adieux.
Durant toute la soirée, j'avais eu le cœur serré et une boule dans la gorge à l'idée de l'abandonner, mais je m'étais obligée à afficher un visage et une bonne humeur factices. Puis, était venu le temps des derniers au-revoir. Ce fut avec le cœur brisé que je refermai la porte de ma chambre, non sans avoir bien vérifié que mon lit reprenait mes formes sous ces couettes remplies d'oreillers et de couvertures trouvés ici et là. J'étais persuadée que notre plan allait fonctionner, et que le propriétaire des lieux allait retrouver deux pièces saccagées et des lits détruits par des coups de couteaux et d'épées. Mais je savais aussi que nous recroiserions ces deux personnages très bientôt, qu'ils n'allaient pas nous laisser filer en douce, même si le plus jeune ne semblait pas d'accord avec les choix de son chef.
Pour éviter qu'Iris ne soit blessée, nous avions fait croire à notre hôte que j'étais malade, et que, ne voulant pas lui transmettre ma maladie, il serait préférable qu'elle dorme dans une autre chambre. Il avait de suite accepté et l'avait relogée autre part. Avant de partir définitivement, nous avions revu avec la petite ce qu'elle devait faire le lendemain : munie d'un morceau de papier, elle devrait le donner au monsieur, en lui indiquant bien que tout était réglé et que nous ne l'abandonnions pas sans raison.
Nous avions pris soin de sortir de l'auberge le plus silencieusement possible. En nous retournant une dernière fois, nous l'avions vue à la fenêtre nous regarder avec de la tristesse dans les yeux. Je n'avais pas pu la fixer plus longtemps, honteuse de ce que nous faisions, et avais accéléré le pas afin de quitter au plus vite cet endroit.
La nuit nous avait alors cachés du village, et nous allions devoir, de nouveau, nous débrouiller par nos propres moyens.
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