Chapitre 19 :réminiscences

Après avoir été rassurés sur l'état de Jen' et qu'il serait en sécurité tant que les deux Elphyriades tiendraient le choc, nous fûmes prêts à partir. Démédie nous avait déjà fait un rapide résumé de ce qui nous attendait lors de ce voyage en nous communiquant les points importants à ne pas oublier.

Le premier endroit que nous devions traverser était la Forêt des Embrumes. Dans celle-ci, tout bruit était signe de mort assurée. Il était fortement déconseillé de parler, au risque que notre route croise des êtres peu recommandables, qui n'avaient qu'une idée en tête : détruire tous ceux qui bloquaient leur passage. En plus de cela, ces derniers testaient moralement leurs visiteurs, en leur passant des souvenirs qu'ils croyaient, la plupart du temps, vrais. Je n'avais pu empêcher un frisson de parcourir mon dos. Si jamais cela m'arrivait, je n'étais pas certaine d'en sortir indemne.

En second plan, nous allions devoir suivre le cours de la Rivière de l'Enfer. Là aussi, il allait falloir que nous soyons vigilants, au risque de perdre bien plus que notre courage. D'après elle, si nous nous y prenions bien, nous devrions y parvenir sans heurt. Cependant, je restai tout de même sur mes gardes ; on ne savait jamais à l'avance ce qui pouvait nous arriver, et si le premier endroit nous laissait fatigués et démotivés, je craignais un peu plus notre survie à bord d'une barque. D'autant plus que Théonis avait pris assez de plaisir à nous confirmer que sa sœur et lui ne pourraient pas forcément nous défendre, puisqu'ils emmagasinaient déjà assez d'énergie à déplacer notre ami sans dommages. Sa cadette avait essayé de rattraper sa mauvaise foi en nous expliquant que si nous respections tout ce qu'ils disaient, tout se passerait bien.

Puis, ils avaient terminé en nous disant que la durée du voyage varierait entre deux ou trois jours si le beau temps était de la partie, et plus d'une semaine si la pluie persistait. J'avais alors jeté un rapide coup d'œil à l'extérieur et avais constaté avec désappointement que le mauvais temps n'avait pas l'air de vouloir laisser la place à son contraire.

La seule information qu'ils gardaient pour eux était le lieu final où nous nous dirigions. Même si je n'aimais pas partir à l'aveuglette, je ne pouvais m'empêcher de faire confiance à notre amie, qui nous avait sauvés plus d'une fois ces derniers jours. Et au vu de la tête que tirait Théonis, je voulais bien croire que cette destination ne lui plaisait pas plus que cela, ce qui me donnait déjà un petit indice ; avec un peu de chance, nous nous rendions sur leurs terres. Nous allions peut-être enfin en découvrir un peu plus sur cette race qui m'intriguait au plus haut point.

Une fois toutes les recommandations bien ancrées dans nos mémoires, nous nous mîmes en route. La pluie battante nous prit de cours dès que nous fûmes à l'extérieur. Ses gouttes d'eau n'étaient pas du tout agréables et agressaient ma peau dès qu'elles la touchaient. Mettre mon bras devant ma tête n'aurait rien changé, car ma visibilité aurait été encore pire. Étiole, posé sur mon épaule, était lui aussi dérangé par cette tempête. Quant à mon cheval, il ne cessait de piaffer dans tous les sens et remuait la tête de droite à gauche, grandement agacé par ce temps. Pour le calmer un peu, je posai ma main sur son cou et le caressai. Cela l'apaisa quelques minutes, et une fois que ma paume fut posée sur ses rênes, il recommença son manège. Démédie me lança un regard compatissant, auquel je répondis d'un simple sourire contrit.

Quant au frère et à la sœur, ils avaient de suite décidé d'être au-devant, pouvant ainsi prévenir d'un quelconque affrontement. Même s'ils étaient rudement concentrés sur Jen', ils avaient des yeux et des oreilles partout. Le moindre bruit serait annonciateur d'une attaque, dont ils nous préviendraient bien assez tôt. Néanmoins, j'espérais vraiment ne pas avoir à combattre. Ma seule priorité était mon ami proche de la mort et d'arriver à bon port, sans trop de dommages.

Respire, nous sommes là pour te protéger, s'insinua mon oiseau dans mes pensées.

Un sourire ironique barra mon visage.

C'est évident qu'avec ta taille de moustique, tu vas faire barrage si un homme ou un monstre veut m'attaquer.

Il me fila un coup de bec dans le bras, qui me fit glousser.

Au moins, si tu fais preuve de sarcasme, c'est que ton esprit est bien connecté au reste, m'asséna-t-il, feintant d'être vexé.

Aurais-je mis à mal ton ego ? J'oubliais que les mâles étaient très susceptibles, arguai-je, amusée.

Tu sais qu'il me faut bien plus pour que je sois vexé.

J'étais certaine que s'il l'avait pu, il m'aurait souri de toutes ses dents.

Je le sais, mon petit piaf.

Il battit des ailes pour répondre à ma provocation. À côté de moi, Paris eut un sursaut et me lança un regard interrogateur. Remettant exagérément une mèche derrière mon oreille, je lui répondis, des larmes de joie me montant aux yeux :

— Je teste jusqu'où sa virilité de mâle est capable d'aller.

Quelques secondes plus tard, mon blond préféré me rejoignait dans mon hilarité. Cela faisait du bien de se détendre ainsi ; les prochains jours risquaient d'être plus durs psychologiquement.

— Vous pouvez vous taire, s'il vous plaît ? grogna Théonis.

— Et toi, si tu pouvais t'apaiser, tu verrais que la vie est souvent plus simple à vivre, rétorquai-je, une risette énorme dans le bas de mon visage, agrémentée d'un clin d'œil provocateur.

Il se mordilla les lèvres, mais ne dit rien de plus. Il commençait à comprendre que j'avais du répondant. Tant mieux.

Le début du voyage se passa dans le calme. Cela faisait deux jours que nous étions sur la route, et malgré la pluie torrentielle qui ne semblait pas vouloir nous quitter, nous n'avions pas eu d'autres soucis qui auraient pu nous ralentir. Cela était très reposant de juste marcher et de ne pas se préoccuper d'être attaqués par des bandits ou bien la garde privilégiée de la Reine Noire. Démédie nous avait expliqué que plus l'on s'enfonçait vers la Forêt des Embrumes, moins les Humains osaient suivre ceux qu'ils pourchassaient.

Les deux Elphyriades marchaient d'un pas rapide, et nous les suivions sans trop de difficultés.

Mon ami se racla la gorge à côté de moi, et je levai haut la tête, pour lui montrer que je restais sur mes positions. Et si je commençais à m'habituer à son don, j'étais tout de même curieuse de savoir comment cela se faisait qu'il le possédât, si c'était de naissance, ou s'il lui avait été légué. Même si la seconde hypothèse était presque impossible à opérer.

— Dis, Paris, j'aurais une question..., commençai-je en douceur.

Une petite risette au creux de ses lèvres me fit comprendre qu'il savait ce que j'allais lui demander.

— Vas-y, je pense que je te dois des explications, non ?

J'opinai simplement et l'interrogeai :

— Ton pouvoir, d'où vient-il exactement ? C'est une donation où tu l'as depuis que tu es né ?

— Pas tout à fait.

Je m'arrêtai quelques secondes, le temps d'encaisser sa révélation. Là, ça devenait un peu plus compliqué. Comment était-ce possible ?

— Il s'est révélé à moi le jour de mes cinq ans. Durant ces premières années, j'étais comme tous les enfants – du moins la plupart. Je savais que ma mère avait des prédispositions à la magie, mais, étant trop jeune, je ne m'inquiétais pas de ne pas en avoir.

Je hochai la tête. Je comprenais un peu mieux.

— Donc, le jour de mon cinquième anniversaire, alors que je le fêtais comme chaque enfant du village en dévorant un morceau de gâteau... Quoi ? rétorqua-t-il en me voyant ricaner. Quand on est petit, la plus simple des choses devient une merveille.

Il croisa les bras, feintant être vexé. Je posai ma paume ouverte dans son dos et frictionnai ce dernier, en continuant de rire.

— Revenons-en au gâteau. Lorsque toutes les flammes des bougies furent éteintes, une vive douleur me prit à la tête. Ne comprenant pas ce qu'il se passait, j'ai évidemment pleuré tout mon soûl. Ma mère était proche de moi et savait ce que je vivais, elle-même étant passé par là plusieurs années auparavant. J'ai souffert pendant des heures, trouvant les minutes extrêmement longues et éreintantes. Lorsque le mal fut passé, j'étais cloué au lit, les mains sur les tempes. Ma mère ne cessait de passer un linge humide sur mon front, tout en proférant des paroles incompréhensibles pour mon âge. Je l'avais déjà vue faire preuve de magie, mais ne sachant pas ce qu'elle faisait vraiment, je ne m'étais pas arrêté dessus.

Il s'accorda une petite pause pour reprendre son souffle, qui était devenu erratique. Ce souvenir semblait être à la fois heureux et douloureux, comme les miens quand je pensais à celle qui m'avait donné la vie. Sauf que pour ma part, c'était différent : je l'avais perdue à jamais et j'espérais que ce n'était pas son cas à lui.

Se pinçant l'arête du nez – comme s'il revivait sa souffrance –, il reprit d'une voix rauque :

— Je suis resté alité deux jours, passant par des crises de pleurs, des étouffements, des pics de chaleur ou encore des élancements atroces. Même si l'on est jeune et que l'on a pas vécu assez pour savoir ce qu'est une vie, on ressent au plus profond de notre cœur que la mort n'est pas loin, et que l'on aimerait surtout qu'elle nous délivre de ce que l'on vit à l'instant présent.

« J'ai rêvé plusieurs fois d'offrir ma vie, mais jamais la faucheuse n'est venue, ce ne devait pas être mon heure. Aujourd'hui, je la remercie, car j'aurais manqué beaucoup de choses, et je n'aurais pas rencontré les personnes pour qui je donnerai cette vie à présent bien remplie.

En disant cette phrase, il m'avait regardée d'un œil doux, sans oublier Jen', qui ne pouvait pas l'entendre. Mes joues prirent immédiatement une couleur rosée, que je tentai de cacher en baissant la tête et amenant quelques mèches de cheveux devant moi.

— Et comment as-tu su quel pouvoir tu avais ?

— À la fin de mon calvaire, toute une salve de pensées est venue jusqu'à mon cerveau qui, j'en suis sûr, était prêt à exploser tant ces dernières étaient fortes et différentes. Je les entendais, bien qu'elles soient à plusieurs mètres de moi. Le boulanger qui enrageait de ne pas être prêt pour la grande fête du village ; le boucher qui hurlait intérieurement contre son apprenti qui venait de faire tomber une belle brochette de viande ; le serrurier qui exultait parce qu'il avait inventé une nouvelle clé qui, selon lui, révolutionnerait le monde ; une jeune fille qui me montrait, sans le vouloir, l'étendue de ses sentiments pour le fils de la couturière ; et bien évidemment, celles de ma mère, qui était si fière de moi, qui ne se rendait pas compte qu'elle me faisait tout une panoplie de compliments qui m'allaient droit au cœur.

Je vis dans ses pupilles des paillettes de bonheur s'éparpiller peu à peu. L'amour qu'il portait à sa mère allait au-delà de tout, et cela se ressentait. Mon cœur s'emballa à son tour et je ne pus m'empêcher de sourire bêtement devant son visage qui se rappelait son enfance.

— Tu as réussi à tout encaisser ? Parce que ça fait beaucoup d'émotions en peu de temps !

— Oh non ! rit-il. Ces quelques secondes m'ont valu les trois heures suivantes un repos bien mérité !

Je mêlai mon rire au sien et lui posai tout de même la question qui me revenait depuis ses explications :

— Du coup, c'est ta mère qui t'a transmis son don ?

— En quelque sorte, oui. Elle avait le pouvoir de guérir les gens, mais grâce au fait qu'elle soit habitée par la magie, j'en ai reçu un petit peu aussi, mais d'une autre manière. Je préfère le mien au sien.

— Tu m'étonnes, grognai-je. Les gens n'ont plus aucun secret pour toi, quoi.

Il se moqua légèrement avant de me répondre.

— Au fil des ans, j'ai compris que je pouvais certes lire dans les pensées, mais pas dans toutes.

— Comment ça ? fis-je, étonnée.

— J'arrive à user de mon don sur ceux qui me l'accordent, même sans s'en rendre compte.

— Alors, je ferai attention la prochaine fois que je penserai à quelque chose, dis-je, rieuse.

— Tu peux toujours essayer, répliqua-t-il avec énorme sourire.

Je lui fis une bourrade dans les côtes qui clôtura la conversation. Je sentais qu'il était quelque peu gêné d'aborder ce sujet, et je ne voulais pas qu'il se force à m'en parler, s'il ne se sentait pas prêt. Pour certaines choses, je savais être patiente ; celle-ci en faisait partie.

***

Cela faisait maintenant presque trois jours que nous avions quitté la grotte et nous avions eu de la chance de ne pas croiser des Gingwës.

— Nous arrivons dans la Forêt des Embrumes, glissa Démédie. À partir de maintenant, plus personne ne parle, même pour prévenir d'un danger.

Nous acquiesçâmes tous de concert, le doute et l'angoisse prenant forme dans chacun de nous.

Tout va bien se passer, essaya de me rassurer mon petit oiseau.

Je caressai ses plumes avec délicatesse et hochai la tête sans conviction.

Je fixai l'horizon face à moi et fus subjuguée par la beauté des lieux. L'entrée des bois était faite de telle sorte que les arbres étaient courbés pour former une arche. J'avais l'impression d'arriver dans un monde féerique. Tout autour, des petites lucioles voletaient à travers leurs branches et venaient se poser soit sur les feuilles, soit sur les troncs. Sans m'en rendre compte, j'approchai une main hésitante vers l'une d'elles. Lorsque mes doigts la frôlèrent, elle s'envola dans un bruit aigu pour se désintégrer quelques secondes plus tard. J'eus un mouvement de recul, surprise, et fonçai dans Paris, qui retint un grognement. Je lui lançai un regard d'excuse et continuai mon inspection.

J'approchai d'un arbre, intriguée par la forme qu'il avait. En le lorgnant de plus près, je crus même distinguer un visage. Je pouvais apercevoir deux yeux, un nez et une bouche qui semblait me sourire. J'avançai encore d'un pas et posai ma paume à plat dessus. Une décharge électrique me passa dans tout le corps, mais je restai stoïque, complètement happée dans mon souvenir.

####

Allongée dans l'herbe, la tête posée sur les jambes de ma mère, je regarde le ciel bleu azur. Pas un seul nuage ne vient troubler la quiétude du moment. Une main dans mes cheveux, elle me récite mon texte préféré, qu'elle a transformé en chansonnette pour moi, celui que je demandais à chaque coucher, lorsque j'étais plus jeune.

« À l'aube du jour majestueux, deux sœurs naquirent.

L'une, à la chevelure de feu, la seconde noire comme les ténèbres.

Deux sœurs que rien n'oppose, unies dans l'adversité.

Lors de la Nuit Pleine, un désaccord cassera à jamais ce lien pourtant indestructible.

Le jour de ses trente ans, la seconde donnera naissance à la plus pure des petites filles.

La première, animée par la jalousie, emportera le nouveau-né loin de ses parents aimants.

L'élevant toujours dans la bonté et l'obéissance, elle lui cachera à jamais sa véritable identité. »

Bien que ce chant ne soit pas le plus joyeux que j'aie entendu, la voix de celle qui m'a mise au monde me transporte dans un autre univers. Grâce à sa façon de conter, elle modifie ces paroles tristes en quelque chose d'envoûtant.

Sous ses caresses, mes paupières se font de plus en plus lourdes, jusqu'à ce que je m'endorme entièrement, calée contre celle que j'aime le plus au monde.

####

Revenue dans le monde réel, j'ôtai rapidement ma main, comme si l'écorce de l'arbre m'avait brûlée. Pourquoi cette réminiscence me revenait ainsi ? Ces paroles entêtantes m'empêchaient de me concentrer comme je l'aurais dû. Le souvenir des doigts de ma mère dans mes cheveux me procura un tel bien-être que je fermai les yeux pour essayer de retrouver ces sensations de plaisir et de calme. Soucieux de mon état, Paris me donna un léger coup de coude, ponctué d'un regard interrogateur.

Ça va, juste un souvenir de mon enfance qui est revenu..., transmis-je d'une voix douce.

Il hocha la tête et continua son chemin. Je sentais que le silence auquel nous étions contraints l'agaçait, mais il allait devoir attendre encore quelque temps avant de pouvoir parler en toute liberté La pluie était toujours tenace, et pour ne pas qu'elle me gênât, je baissai la tête et continuai aussi mon chemin.

Plusieurs heures défilèrent ainsi, moroses et dans le calme le plus total, si ce n'étaient les pas de ceux des chevaux, qui foulaient le sol dans un bruit sourd.

Au bout de plusieurs minutes, Démédie nous fit signe de nous stopper, afin de prendre une petite pause. Je soufflai intérieurement de soulagement. Mes jambes me faisaient atrocement mal et la douleur remontait jusqu'à mon cou, qui semblait me hurler de m'arrêter un peu. Ce que je fis sans broncher.

Étiole vint se poser délicatement sur mon épaule droite et me mordilla gentiment le lobe de l'oreille. Je caressai le dessus de sa tête en lui lançant un petit sourire contrit. Il ressentait ma douleur comme moi je ressentais la sienne. Nous étions liés dans les bons comme dans les mauvais moments. Il était en quelque sorte ma moitié et j'étais la sienne.

Pour me mettre à l'aise, j'allongeai mes jambes par terre et posai mes paumes ouvertes dans l'herbe fraîche. Même si les gouttes d'eau continuaient à tomber, elles semblaient cependant moins fortes et moins douloureuses. J'appréciai même de sentir leur fraîcheur sur mon visage.

  ####  

Je tourne dans tous les sens, le visage bien en hauteur, pour accueillir les gerbes d'eau qui me tombent dessus. Je crie, je rigole, je souris. J'aime la pluie. J'aime sentir ce contact léger sur ma tête et me sentir libre. Libre d'exister. Libre de respirer. Libre d'aller où bon me semble.

J'ai quinze ans, et je me sens quand même enfermée. Enfermée dans ce château qui m'accueille en son sein, m'offre une certaine liberté de mouvement. Mon beau-père est le meilleur que j'aurais pu espérer avoir. Même si je ne peux sortir des remparts érigés qui entourent ce domaine, il me montre chaque jour qui passe son amour et sa fierté de m'avoir dans sa vie.

Bien que ma mère soit aussi proche de moi qu'au tout début, elle est cependant si loin. Je la sens partir de plus en plus dans ses pensées. S'éloigner de nous. S'enfermer dans son esprit qui la torture de jour en jour. J'ai tout de même essayé de lui remonter le moral, mais elle feint d'aller bien. Néanmoins, je le vois, je le sens, elle ne va pas bien.

J'arrête ma course contre la pluie et me laisse tomber au sol. Seule. Je suis seule et pourtant si bien entourée. Comment faire pour retrouver ce bonheur qui a éclaté il y de cela quelques semaines. ? Comment faire revenir le sourire sur le visage de celle qui m'a mise au monde ? De celle que j'aime par-dessus tout ?

  ####  

J'ouvris les yeux et sursautai. Encore un souvenir qui me revenait en mémoire, que pourtant j'avais oublié depuis longtemps. Il fallait dire que tous les mauvais moments étaient calés au fond des oubliettes dans mon cerveau, leur meilleure place. Alors pourquoi revenaient-ils en masse ? Était-ce l'ambiance de ce lieu qui les faisait remonter en moi ? Est-ce que cet endroit pouvait être aussi maudit pour faire renaître des choses que l'on voulait vraiment oublier ?

Tu te tracasses trop. Repose-toi, comme nous l'a conseillé Démédie, m'enjoignit mon petit animal à plumes.

J'aurais aimé grogner, montrer mon mécontentement, mais comme je ne pouvais émettre aucun son et que je ne voulais pas non plus lui répondre, je me contentai de remonter mes genoux au niveau de ma tête pour y poser mon menton. Je fixai l'environnement au loin. Pas un seul mouvement à l'horizon ne nous indiquait que des bêtes habitaient ici. Devait-on vraiment se taire, ou bien nos compagnons voulaient juste traverser ce lieu dans le calme le plus complet ?

Depuis quand n'as-tu plus confiance en cette Elphyriade ?

Je lui donnai une petite tape sur son aile gauche en signe de désaccord. Puis, je réfléchis. Il n'avait pas tort. Certes, cela ne faisait pas longtemps que je connaissais cette jeune femme, mais elle avait réussi à nous prouver qu'on pouvait croire en elle, qu'elle ne nous trahirait pas. Alors pourquoi tous ces questionnements ?

Je crois que cette atmosphère t'aide à te contenter de ces doutes persistants.

Même si je venais de le réprimander, il n'était pas vexé et voulait absolument que je reprenne confiance en moi et notre groupe si atypique.

Tu as raison. Pardonne-moi, je vais essayer de fermer les yeux quelques minutes.

Il glissa sa tête dans mon cou pour me faire un câlin, ce qui me calma instantanément.

Cependant, je n'aime pas cet endroit. J'ai hâte de le quitter.

Espérons que ce soit rapide et qu'il n'y ait pas de souci.

Je hochai la tête, d'accord avec lui.

***

Alors que je commençais à m'endormir, un bruit aigu retentit juste à côté. Craignant déjà de savoir qui en était la cause, je ne pus empêcher un grognement de sortir de ma bouche. Le mal était déjà fait, alors un grognement de plus ou de moins n'allait pas y changer grand-chose...

J'ouvris les paupières et me figeai devant la scène qui se déroulait.

Mon amie était devenue aussi blanche qu'un linge propre, tandis que Théonis avait le bras en l'air, la main à moitié pliée et les yeux exorbités. Au sol se trouvait une cuillère en argent et je compris alors ce qui avait dû se produire.

Avant de partir, Démédie et son frère avaient usé un peu plus de leurs pouvoirs pour nous assurer de bons repas pour les jours à venir. De ce fait, deux sacoches étaient posées aux extrémités de la croupe de mon cheval. Le rouquin avait dû avoir une petite faim, et sans faire attention, avait renversé la cuillère, qui était tombée au sol. Si nous n'avions pas été dans ces bois, ce geste n'aurait rien eu de dangereux. Or, ici, le moindre bruit ameutait des monstres sans foi ni loi, pensant que nous foulions leurs terres.

Les respirations de chacun étaient hachées, comme si nous nous attendions au pire ; ce qui était le cas. Je furetai à droite, à gauche, en espérant ne pas voir une tête inconnue au groupe.

Par Daméon, je vous en prie, dis-je en fermant les yeux quelques secondes.

Encore une fois, le Dieu n'était pas de mon côté, car un bourdonnement surgit de nulle part, accompagné d'un mini tremblement de terre, qui faillit nous faire tomber.

— Eh merde ! hurla le jeune Elphyriade à notre encontre.

Nous n'eûmes pas le temps de répliquer qu'il sortait déjà son épée de son fourreau et se mettait en position de défense. Je ne cherchai donc pas à comprendre et fis de même, en levant haut mon poignard, qui, je le savais, n'allait pas me servir à grand-chose. J'allais donc devoir utiliser les cours que m'avait prodigués Paris et me défendre à mains nues. Ce combat risquait d'être long et compliqué.

Démédie et mon ami blond firent la même chose, tandis que Théonis se pressait pour emmener le cheval dans un endroit sûr, même si je pensais qu'il n'y en avait pas forcément, avec ce qui arrivait sur nous...

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