Chapitre 15 :Combats et questionnements
Le cliquetis de nos armes retentissait dans la grotte alors que nous nous levions de concert. Une voix rauque et très froide nous avait surpris. Nous étions enfin en confiance et surtout un peu détendus, et cet inconnu venait de tout gâcher. En plus de cela, il semblait bien connaître Démédie...
L'épée bien en mains, je me mis en position de défense, suivie de près par Paris.
Je me tournai vers notre compagne et fut surprise de la voir passer de rosée à blanche. Ses jambes s'étaient mises à trembler, tandis qu'elle tendait la main, comme si elle se trouvait devant un fantôme. Un sourcil arqué, j'essayai d'attirer son regard vers moi, mais elle semblait telle une statue : de marbre. Seule sa bouche s'ouvrait et se refermait à répétition. Je croisai ensuite les pupilles de mon compagnon, qui ne comprenait pas non plus ce qui se passait. Il décida donc d'ouvrir les hostilités, tout en restant courtois :
— Qui êtes-vous ?
Bon. Sa voix était plus dure que douce, mais il y avait du progrès. À côté de moi, il grogna de mécontentement. Il allait vraiment falloir que j'apprenne à bloquer mon esprit.
Soudain, l'homme en face de nous fit un demi-tour et pointa une lame effilée dans notre direction.
— Toi, je ne crois pas t'avoir adressé la parole ! cracha-t-il, haineux.
Les yeux exorbités, je ne pus empêcher mon corps de faire un écart, trop surprise de sa réaction. Mon blond préféré, lui, ne se laissa pas impressionner, et avança de quelques pas, avant d'avoir le bout pointu collé à son menton.
— Vas-y, attaque-moi, je n'ai pas peur de toi. Tu n'es qu'un gamin et je peux te mettre à terre aussi facilement que les mots sortent de ta bouche, répliqua son vis-à-vis.
Alors que je pensais qu'il allait l'attaquer pour de bon, notre adversaire – toujours son arme pointée sur mon ami –, éclata de rire et continua de le chercher :
— On ne t'a jamais dit qu'il ne fallait pas se fier aux apparences, papy ?
D'un sourire provocateur, il avança encore plus le bas de son visage, qui se teinta vite de rouge. Une goutte de sang tomba au sol dans un « Ploc » détestable. Tout à coup réveillée, j'empoignai son bras et l'attirai vers moi.
Non mais ça ne va pas ! criai-je dans mon esprit, sachant qu'il m'entendrait. Qu'est-ce qu'il te prend ? Il te cherche, te tend le plat, et toi tu sautes comme un idiot, les deux pieds dedans !
Je le vis froncer les sourcils, mais je me fichais qu'il soit en colère. Je l'étais encore plus. Pas seulement contre lui, mais contre cet énergumène qui osait nous défier et nous humilier avec des surnoms grotesques.
Cette fois-ci, ce fut moi qui m'avançai vers lui, l'épée relevée à hauteur de ma tête, pour plus d'impact. Je n'eus même pas le temps de faire un troisième pas, qu'il s'était jeté sur moi comme un sauvage. Nous atterrîmes lourdement ; moi au sol, lui sur mon corps. J'eus une grimace de douleur et de dégoût. Avoir cet homme sur moi était très désagréable. D'un coup de reins, je changeai la position et me retrouvai en état de me défendre. Surpris de tant de vitesse de ma part, il n'eut pas le temps de se mettre en garde qu'il recevait mon poing dans la pommette.
Avant que je ne puisse savourer ma petite victoire d'avoir mis quelqu'un du sexe opposé à terre, un puissant jet d'eau me projeta dans les airs, avant de m'écraser contre la paroi. Une pierre un peu trop pointue me rentra dans les côtes et je poussai un cri aigu, tandis que des larmes me montaient aux yeux.
— Désolée Irianna, mais j'étais obligée, s'excusa Démédie.
Tant la géhenne était forte, ma vue devint trouble. Ma tête tourna d'un coup, alors que j'essayais de retrouver ma respiration. Je vis Paris tenter de s'approcher de moi, mais être arrêté dans son élan par celui que je venais de frapper. Je n'avais pas dû y aller assez fort pour qu'il soit déjà debout.
Une forte migraine tapa contre mes tympans, alors que je sentais que quelque chose voulait s'insinuer dans mon esprit. Malgré la position dans laquelle je me trouvais, je savais ce que c'était et lui envoyai un message réconfortant :
Je vais bien.
Sceptique, il essaya de nouveau de m'atteindre, mais sans réussite : le bras en travers de son corps l'en empêchait. Bien qu'essoufflée, la colère montait en moi.
— Mais... qu'est-ce qu'il... t'a pris ? demandai-je à Démédie, le souffle court.
— Je te demande pardon, me dit-elle tout bas. Mais lorsqu'on touche à quelqu'un de mon clan, mon...
— Quelqu'un de ton clan ! la coupa l'inconnu, en appuyant bien sur les mots. Je suis juste « quelqu'un de ton clan » ?
Comme s'il avait un souci au cerveau, il ne cessait de redire sans cesse cette phrase. Ce qui décupla la rage qui montait en moi.
— Si tu as besoin d'un coup sur la... tête pour que tes neurones se remettent en place et... que ton vocabulaire soit... plus varié, hésite pas à me demander.
Avant que je ne puisse faire un seul geste, il s'était jeté sur moi, fiévreux de haine. Un cri aigu retentit alors dans la grotte, et une petite boule de plumes se jeta sur lui, lui donnant des coups de bec et plantant ses serres dans la peau. Il hurla et balança ses bras dans tous les sens, afin de se libérer de cet attaquant imprévu. Je souris intérieurement : mon petit Étiole ne supportait pas de voir que quelqu'un pouvait me vouloir du mal et sans un accord de ma part, me défendait comme il le pouvait. Malgré sa petite taille, il pouvait être très coriace.
Étiole, ça suffit, intimai-je.
Néanmoins, à la fin de ma phrase, j'avais compris qu'il m'avait fermé l'accès à son esprit. Lorsqu'il faisait cela, cela voulait dire qu'il était assez remonté pour provoquer des blessures plus graves que prévu. Alors, d'un geste douloureux, je me redressai, une main sur la paroi rocheuse, une autre sur ma hanche. Une fois à peu près stable, je relevai mon bras et le positionnai plié contre ma poitrine ; c'était la seule injonction qu'il ne pouvait éviter.
C'était un mot d'ordre qu'on s'était donné lorsque nous avions grandi : dès lors que je faisais ce geste, il devait me rejoindre, même s'il me défendait face à un ennemi. Je ne voulais pas qu'il meure à cause d'un coup mal placé. C'était mon animal, mon ami.
Il poussa un second piaillement, cette fois-ci un fin mélange de dégoût et de dépit. Un rictus apparut au creux de mes lèvres. Il quitta le corps qu'il blessait de plus en plus, non sans donner un dernier coup au visage et se posa délicatement sur moi. Face à nous, Démédie et Paris restaient figés, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés. La nouvelle venue n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer mon compagnon, et l'on pouvait dire que cette première entrevue n'était pas la meilleure que je pouvais attendre. Quant à mon ami, il l'avait certes déjà vu, mais dans ses bons jours, quand personne n'essayait de me toucher pour me faire du mal.
— C'est quoi, ce machin ? éructa l'inconnu.
Je ricanai intérieurement. Mon animal n'aimait pas être insulté, et si je ne lui interdisais pas de l'attaquer, il était sûr qu'une autre rafale s'abattrait sur lui.
— Peut-être veux-tu une autre démonstration ? demandai-je innocemment, la respiration me revenant peu à peu.
Tandis que je parlais, je sentis une douleur à mes côtes qui me fit presque perdre l'équilibre.
Étiole poussa un cri plaintif et je posai ma main libre sur son corps pour lui faire comprendre que ça allait passer, que j'avais vu pire.
Tout va bien, calme-toi, lui intimai-je.
Mais bien sûr. Tu te tords de souffrance mais tout va bien.
Son ton sarcastique m'avait manqué. Un rictus, qui pouvait tout aussi bien se traduire par un accès de géhenne ou d'humour, se dessina sur mon visage.
Ton sourire n'y changera rien. Tu souffres, laisse-moi lui expliquer les prochaines minutes.
Je ne pus retenir un gloussement s'échapper de mes lèvres. Cette fois, je ne répondis pas, mais bougeai la tête dans un signe négatif. Il me pinça gentiment le bras en signe de désaccord.
— C'est moi qui vais te montrer de quel bois je me chauffe !
Oh, je l'avais oublié, celui-là. Je levai un regard amusé vers lui.
— Si tu t'approches trop de moi, ce « machin » t'attaquera de nouveau, dis-je en pointant du bout du nez mon oiseau.
— Il n'en aura pas le temps. Dès qu'il sera à ma portée, une torsion du cou et c'en sera fini de lui.
Je haussai les épaules.
— À tes risques et périls, déclarai-je d'une voix posée.
Dans le même temps, je fis à peine un discret signe à Étiole, qu'il était déjà toutes ailes déployées. Il fusa vers notre adversaire comme jamais il ne l'avait fait. J'en fus aussi éberluée que mes amis. Néanmoins, l'intrus, le voyant arriver, avait eu le temps de placer ses bras en position de défense. Petit et fin, mon animal à plumes réussit cependant à atteindre la tête, dans un hurlement de victoire. Encore une fois, il s'aida de ses serres et bec pour donner plus d'impact à son atterrissage. Ne s'attendant pas à être pris de visu, l'homme perdit l'équilibre et s'écroula au sol dans un bruit sourd.
— Reviens ici ! Ça suffit, je pense qu'il a compris, dis-je à voix haute.
Sous mon ton impérieux mais douce, Étiole revint à mes côtés. S'il avait été humain, j'étais persuadée qu'un énorme sourire s'afficherait sur son visage. Une petite tape sur sa tête, et je m'approchai de l'inconnu à terre, posant un pied sur sa poitrine.
— Maintenant que tu es prêt, dis-nous qui tu es.
J'étais étonnée de l'assurance dont je faisais preuve, parce que malgré tout, une peur tangible étreignait mon cœur. Je savais qu'il pouvait facilement me battre, surtout que maintenant j'étais affaiblie par ma blessure aux côtes. Une lippe joyeuse fendit son visage et il me fixa d'un regard amusé.
— Même au sol, je sais garder ma dignité.
Puis, il tourna la tête vers Démédie, qui était de marbre, et qui était à présent plus blanche que certaines plumes de mon oiseau. Malgré tout, je restai sur mes gardes. Peut-être était-ce un piège. Peut-être qu'ils ne se connaissaient pas après tout.
Néanmoins, je me souvenais qu'elle m'avait empêchée de le blesser, en m'envoyant dans les airs grâce à son pouvoir. Me rappeler ce souvenir me rendait encore plus curieuse. Je fronçai les sourcils.
— D'ailleurs, tu ne m'as pas répondu, Démédie. Pourquoi m'as-tu attaquée ainsi ? Je ne faisais que nous défendre !
— Je...
C'était la première fois que je la voyais perdre ses mots. Certes, cela ne faisait que quelques jours que nous la côtoyions, mais au premier abord, on voyait qu'elle était forte et déterminée, qu'elle ne se laissait pas aller, et encore moins déstabiliser.
— Oui, Démédie, voyons, dis-leur pourquoi tu as fait ça..., ricana celui que je tenais sous mon pied.
Agacée, je grognai et accentuai le poids sur son corps. Il hoqueta de douleur, mais ne se départit pas de son regard arrogant pour autant. Soupirant, je passai ma langue sur mes dents, terriblement irritée. S'il continuait ainsi, il risquait de passer un sale quart d'heure et là, notre compagne ne m'empêcherait en rien de lui faire voir de quoi j'étais capable.
— Je...
Cette monosyllabe commençait à me mettre les nerfs à vif. Cependant, il était hors de question que je lâche cette enflure et encore moins que j'attaque la femme qui nous avait sauvés d'une mort certaine. Je tournai alors ma tête vers mon coéquipier, qui comprit le message. J'espérai seulement qu'il allait faire preuve de douceur ; je ne voulais pas qu'il lui fasse peur. Je souhaitais juste des réponses, et les plus concrètes possibles.
Pendant qu'il avançait pas à pas vers elle, elle, reculait du même nombre. La hantise ressortait de ses pupilles, et j'eus mal au cœur pour elle.
Tu lui fais peur. Je veux juste des réponses, pas qu'elle nous craigne, indiquai-je.
Paris leva une main derrière son dos, pour me faire comprendre qu'il gérait la situation. Je soufflai de dépit, mais le laissai pourtant faire.
— Je ne te veux pas de mal, Démédie, mais tu as touché à la mauvaise personne en t'attaquant à Iri. Tu dois te douter que je tiens beaucoup à elle, alors tu as fait le mauvais choix. Je veux juste savoir pourquoi. Pourquoi tu l'as attaquée. Pourquoi tu défends celui qui est à terre.
Son menton tremblait, tandis que je voyais des larmes tenter de passer le barrage de ses paupières, qui restait irrémédiablement ouvert. Elle était à la fois sur la défensive, mais aussi prête à lâcher les armes, tout nous expliquer pour que mon ami la laisse tranquille et ne lui fasse pas quelque chose qu'il pourrait regretter par la suite.
Je le savais fort et d'un tempérament difficile à réguler, mais je le connaissais assez pour déterminer que toucher une femme était impossible. Jamais il ne pourrait lever la main sur le sexe opposé, même s'il y était obligé. Du moins, c'était ce que j'espérais... Bien sûr, le souvenir de la claque que j'avais reçue de sa part me revint en mémoire, mais c'était dans une autre situation, dans d'autres circonstances et sous l'emprise de la peur. Ce qui, soit dit en passant, n'excuse pas son geste envers moi.
Elle ouvrit la bouche, puis la referma aussi sec. À croire que ce qu'elle avait à nous dévoiler pourrait causer des dégâts irréparables. Sous mon talon, je sentais des vibrations venir du torse de mon prisonnier. Je quittai deux secondes la vue de mes compagnons, pour darder un regard sans équivoque vers ce dernier. Il riait intérieurement. J'étais en train de rêver !
— Qu'est-ce que tu as, toi, à gigoter comme ça ?
Pour seule réponse, il me fit son plus beau sourire, qui me donna aussi beaucoup de frissons. Je détournai rapidement la tête, gênée par sa présence et l'aura qu'il dégageait. Il n'était pas que humain, ça je pouvais le certifier. Rien qu'à voir la vitesse avec laquelle il s'était déplacé plus tôt. Mais une question me turlupinait : s'il avait le don de se déplacer aussi rapidement, pourquoi n'avait-il pas essayé d'éviter mon oiseau quelques secondes avant ?
J'entendis un frottement d'habits, et sus que Paris me lançai un coup d'œil lourd de sens. Si je ne pouvais plus penser tranquillement dans mon propre esprit, nous n'étions pas rendus !
Occupe-toi de Démédie au lieu d'entrer dans ma tête ! lui fis-je parvenir, furieuse.
J'interceptai son ricanement et me mordillai les lèvres pour éviter de lui répondre plus froidement encore. Parfois – souvent –, il me désespérait. Soudain, il prit une voix bien plus douce et plaintive, à laquelle je ne m'étais pas attendue. J'eus un sursaut de surprise.
— Je t'en prie, dis-nous qui il est. Je crois que nous avons assez d'une folle furieuse à nos trousses. Nous n'avons pas besoin d'un autre ennemi, même s'il n'est pas aussi coriace qu'elle.
À la mention de la Reine Noire, mon corps fut parcouru d'électricité. Encore une fois – et je remerciai Daméon –, je l'avais oubliée. Pas qu'elle n'était pas dans mes pensées à chaque seconde, mais un peu d'adrénaline, de combat et de joutes verbales me permettaient de penser à autre chose qu'à elle. Celle qui voulait toujours ma mort, bien qu'à présent, je fusse loin d'elle.
Son interlocutrice mit la tête sur le côté pour voir l'inconnu qui, d'un seul mouvement de celle-ci, acquiesça gentiment. Gentiment ? Je ne le croyais pas capable d'autant de... tendresse. Néanmoins, en fixant ses pupilles, je pouvais voir l'amour inconditionnel qu'il vouait à l'Elphyriade. De nouveau étonnée, j'attendais maintenant avec beaucoup plus d'impatience ces révélations qui, j'en étais sûre, allaient nous surprendre, pour ne pas changer.
Elle souffla faiblement, baissa le visage, fixa ses pieds. Je vis une perle d'eau tomber au sol, rivée sur son corps qui tremblait de plus en plus mais qui, à la fois, prenait aussi plus d'assurance. Comme si ce qu'elle gardait en elle lui donnait confiance et la lestait d'un gros poids.
— Très bien. Cet homme est... mon frère.
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