Chapitre 13 :L'histoire d'une légende...
J'avais sûrement dû m'endormir, carquand je rouvris les yeux, le feu de camp était allumé, et Paris,l'inconnue et Fabio étaient tous assis autour, attendant quelquechose. Je passai une main sur mon visage pour bien me réveiller, etfixai douloureusement Jen', toujours allongé et à qui larespiration qui lui faisait défaut. Je posai délicatement sa paumesur sa poitrine, lui collai un tendre baiser sur le front et merelevai pour rejoindre mes compagnons qui semblaient... êtreailleurs.
Le calme plat me donna des frissonsdésagréables. Je serrai les poings pour me donner du courage etm'assis tout près de celui que je connaissais le plus. Ce dernierpassa son bras autour de ma taille et accentua son étreinte. Jefermai les paupières, afin de profiter de ces quelques secondes dedouceur. Ce combat contre le Gingwë nous avait rapprochés bien plusque je ne l'aurais pensé. Mes sentiments envers lui avaient évolué.Je n'irais pas jusqu'à parler d'amour, mais il était évident quece que j'éprouvais pour lui était fort et je sentais que, de soncôté, c'était réciproque.
Je nichai ma tête dans son cou ethumai son odeur. Différente de d'habitude, elle exhalait le boisbrûlé. Cela me rappela les moments fugaces que j'avais passésavec ma mère, à l'époque où elle était encore vivante. Nousaimions par-dessus tout nous retrouver toutes les deux, devant un feudans le grand jardin du palais. Ces instants-là, nous ordonnions auxgardes qui nous surveillaient et nous protégeaient de nous laisserseules, au risque de se faire agresser... ce qui n'était jamaisarrivé.
Mon ami dut comprendre que jem'éloignais de l'instant présent et commença à me caresser ledos. Sans m'en rendre compte, je tentai de suivre le rythme de sesdoigts contre mes vêtements, ce qui me calma instantanément. Onm'avait souvent dit que le plus simple des gestes pouvait apaiser. Jepouvais à présent le confirmer.
La jeune femme blonde se racla lagorge.
— Comment...
Je levai la tête vers elle et visqu'elle me montrait l'adolescent.
Je hochai les épaules, abattue.
— Je n'en sais rien. Sa respirationest toujours hachée, il ne bouge pas, et transpire encore autant...,dis-je, la voix enrouée.
Ce petit repos m'avait permis de mecalmer et de ne pas m'énerver contre celle qui nous avait sauvé lavie.
D'ailleurs...
— Je tenais à m'excuser de maréaction de tout à l'heure. Vous nous avez sauvé la mise contre cemonstre et j'ai été désagréable avec vous. Mais...
— Non, tu n'as pas à t'excuser, mecoupa-t-elle gentiment en levant la main devant elle. Je comprendstout à fait ton comportement. J'aurais réagi de la même manièresi un des miens était blessé et qu'un inconnu était au-dessus deson corps. Ne t'en fais pas.
Pour étayer ses propos, elle me fit unléger sourire, que je lui rendis avec sincérité. Je supposai quece sommeil forcé avait calmé quelque peu mon caractère et lamauvaise opinion que je m'étais faite d'elle. Je saisissais enfin –même si c'était déjà bien ancré dans ma tête – que sans elle,nous ne serions plus de ce monde.
— Euh...
— Démédie.
— Démédie, répétai-je. Parrapport au Gingwë, je voulais savoir... Comment as-tu su de quelmanière il fallait le battre ?
Elle me fit un sourire, comme sic'était une évidence. Elle recommençait avec son aircondescendant. Je fis une grimace, que Paris accompagna d'un légerpincement dans le creux de mon dos. Je me retins de sursauter et luilançai un coup d'œil peu amène.
Bon, peut-être que c'était moi quiexagérais et qui voyais le mal partout. En réponse, il se racla lagorge, pour étouffer son rire.
Mais quand même...
Il allongea sa jambe, en faisant exprèsde cogner contre la mienne. Je soupirai. Que c'était énervant lespersonnes douées pour lire dans les pensées ! Je n'avais mêmeplus l'exclusivité de mon esprit.
— Bon, déjà, vous avez le pouvoirde lire dans les pensées..., argumenta notre invitée – quis'était invitée toute seule, il fallait le dire.
J'écarquillai mes rétines. Comment...
— Pas besoin d'avoir un gros don pourvoir vos échanges. Je suppose que c'est vous qui le possédez,continua-t-elle en laçant un coup de tête à mon compagnon.
— C'est exact, confirma-t-il enbombant le torse.
Je ne pus empêcher un gloussementpasser la barrière de ma bouche.
— Et honnêtement, ce n'est pasfacile tous les jours, bougonnai-je dans ma barbe.
— Ça, je veux bien le croire,rit-elle.
— Bon, sinon..., repris-je.
— Oui. Le Gingwë.
Soudain, son ton s'était durcit, sonvisage rembrunit. Je venais sans doute de toucher un sujet sensible,mais j'estimais que nous devions connaître un minimum de choses. Jel'encourageai donc d'un rictus gentil, et elle se calmainstantanément.
— Si j'ai su comment le fairedisparaître à jamais, c'est tout simplement parce que mon peuple etmoi avons eu affaire à sa race durant des décennies.
Une chape de plomb s'abattitlourdement dans mon estomac. Je pensais qu'ils n'existaient plusdepuis des années ? Enfin, mes croyances étaient quelque peumises à mal depuis un certain temps, et comme nous en avions croiséun il y avait quelques heures... je voulais bien la croire.Cependant, une question en entraînant une autre...
— Ton peuple ?
— Plus connu sous le nom desElphyriades. Un subtil mélange entre les elfes et les dryades.
J'avais déjà entendu parler des deuxderniers, mais pas de celui qu'elle venait de nommer. J'essayai demettre ma mémoire en route, tentant de me rappeler les cours de monprécepteur, mais rien ne me vint en tête.
— Je sais, vous ne connaissez pas.C'est tout à fait normal. Nous sommes des êtres marginaux, qui nouscachons le plus possible. C'est pourquoi aucun livre ne fait mentionde nous, sauf si nous nous montrons au vu et au su de tous. Commevous avez pu le constater, j'ai la chevelure blonde des elfes, tandisque mes dons se rapprochent plus des êtres de la terre, avec laparticularité de mieux manier l'élément de l'eau. Mes compatriotessont comme moi, avec une prédominance pour la nature.
Pour le coup, j'étais très intéresséepar ce qu'elle nous racontait. Même si elle ne nous avait pas encoredonné la réponse à mon interrogation, j'étais avide deconnaissance, et lui posai donc toutes les questions qui me passaientpar la tête.
— Et comment se fait-il que vous ayeztous deux sangs différents dans le corps ?
— Il y a de cela des milliersd'années, un elfe et une dryade sont tombés amoureux. Malgré lefait que nos races soient amies et conciliantes, leurs parentsrespectifs n'ont cependant pas accepté leur relation, et les onttenus captifs pendant des mois. Néanmoins, ils avaient eu le temps –avant que cela soit découvert –, de passer des moments en touteintimité, et un petit être naquit de leur union, dans la douleur etla solitude.
J'eus une boule à la gorge. Il étaitdéjà difficile quand deux parents ne s'entendaient pas, mais alorsquand quatre s'y mettaient, la chose devait être encore pluscompliquée.
— Et alors, comment s'est passél'après-naissance ?
— Très mal. Les parents de la dryaden'ont pas reconnu l'enfant, et ont essayé de le tuer.
J'étouffai un cri. Le tuer ?
Avant que je ne puisse réagir, ellereprit son récit.
— Alors que leur fille dormaitprofondément, ils sont entrés en catimini dans sa chambre, ont prisle nouveau-né et l'ont amené à la rivière sacrée. À partir delà, plusieurs événements se sont produits, leur faisant regretterd'avoir opté pour ce choix, qui n'était pas du tout le bon.
Intriguée, je pliai les jambes et lescroisai l'une sur l'autre. J'étais très attentive à ce qu'elledisait, étant donné que durant ma vie au château, je n'avais paseu l'occasion d'en apprendre plus sur les races peuplant ce monde.Juste des monstres dont je devrais me méfier, si jamais je devaispartir de ce cocon. À croire que mon professeur avait une idéederrière la tête...
— Dès l'instant où ils ont posél'enfant sur l'eau, cette dernière s'est mise à chauffer et àcréer des bulles des bulles d'air chaud, entourant l'êtreinnocent. De peur, les grands-parents ont reculé, ne voulant pasêtre brûlés. Ignorant ce qui lui arrivait, le nourrisson babillaitdans sa couverture, tandis que le lit de la rivière commençait àmonter en puissance. Un long jet s'est formé tout près de lui,explosant en milliers d'étoiles, plus brûlantes que les flammesd'un feu. Lourdement touchés, les deux adultes hurlaient leurdouleur, alors qu'une forme semblait grandir tout près du poupon,qui tentait d'attraper les perles d'eau, trouvant sans doute cephénomène rigolo.
J'étais subjuguée par sa façon deraconter. Même si ce qu'elle nous expliquait était à la foisintriguant et beau, je me posais tout de même énormément dequestions. Comment pouvait-elle savoir tout cela ? Cet événementétait noté dans un livre ? Était-elle présente, lors desfaits ? Même si cette dernière interrogation paraissaitinsensée, je voulais le savoir. Cependant, je la laissai continuer.
— Dès que l'apparition fut complète,les blessés ont réagi différemment. La femme, tout d'abordsurprise, s'est mise à psalmodier des prières, tout ens'accroupissant au sol, les mains jointes devant son visage. L'homme,quant à lui, s'est relevé, non sans mal à cause de ses blessures,et s'est mis en position de défense. Malgré le fait de savoir quise tenait devant lui, il n'était pas un fervent croyant comme safemme.
— Un dieu ? proposa doucementFabio, qui était resté silencieux depuis que je m'étais réveillée.
Surprise de l'entendre parler, etl'ayant un instant oublié, je sursautai. Lançant un regard verslui, je pris le temps de l'examiner un peu. Ses traits étaienttirés, des poches sous ses yeux sous-entendaient qu'il était restééveillé bien plus qu'il ne l'aurait dû, et ses mains se triturantl'une l'autre montraient sa grande anxiété. Je haussai un sourcil ;pourquoi était-il dans cet état de nervosité ?
Je n'eus pas le temps d'essayerd'éclaircir la situation que Démédie reprit.
— Oui, mais pas n'importe laquelledes déesses. Il s'agissait de Néphéa, la déesse de l'eau et de lanature. Furieuse d'apprendre qu'un petit être allait trouver la mortparce qu'il était « mal-né », elle avait trouvél'urgence assez importante pour se montrer, ce qu'elle ne faisaitjamais. Durant de longues minutes, elle les a mis dans une positiondélicate, leur expliquant que leur comportement était inadmissible,qu'ils n'étaient pas dignes de faire partie de cette race quiprônait pourtant la paix et l'acceptation. Durant son long discours,les accusés ont compris leur erreur, et promis de se fairepardonner, en acceptant leur petit-fils tel qu'il était et de ne pasjuger son apparence, qui risquerait d'être différente de la leur.
L'Elphyriade fit une pause pourreprendre sa respiration. Plus elle avançait dans cette légende,plus le ton de sa voix se faisait grave ; ses joues secoloraient de rouge ; ses poings se crispaient ; sespupilles s'enflammaient. Je compris alors que même si elle n'avaitpas été témoin de cette scène, cela la touchait particulièrement,étant de ceux qui n'avaient, au début, pas été acceptés. Jepouvais tout à fait comprendre la colère et la tristesse qu'elleemmagasinait en elle, ayant aussi été un peu dans la mêmesituation, même si pour moi cela avait été différent.
Touchée par sa façon de réagir, jevoulus me lever et poser simplement une main sur son épaule, mais meretins au dernier moment. Je ne la connaissais pas encore assez, etje ne savais pas du tout comment elle aurait pu réagir à mon geste.
— Et que s'est-il passé ensuite ?questionna Paris, lui aussi intrigué.
— Ils sont revenus dans leur village,ont reposé l'enfant à sa place, et ont repris leur vie d'avant.
— Mais... quelque chose me dérange,la coupai-je sans le vouloir. S'ils ont repris là où ils en étaientavant de tenter cet homicide, comment tu peux savoir tout ça ?Tu étais présente ? Tu l'as lu quelque part ? Quelqu'unte l'a raconté ?
D'un petit sourire, elle pencha sa têtesur le côté, remit une mèche rebelle derrière son oreille, etlissa sa robe, qui ne comportait aucun pli.
— Ils ont réussi à garder leursecret durant des années, jusqu'à l'adolescence de leur petit-fils,nommé, Eïridan. Dès ses quinze ans, des rêves le montraient bébé,dans un linge blanc, allongé sur l'eau, et les gouttes chaudes luitombant sur le visage, avec lesquelles il essayait de s'amuser. Dèslors, et chaque nuit, cette chimère revenait, lui apportant àchaque fois de nouvelles révélations, jusqu'au fameux sermon deNéphéa.
« Fou de colère et se sentanthumilié, il a voulu savoir l'exacte vérité, et a demandé unesorte d'audience que nous faisons dans nos peuples respectifs, avecla seule demande que la vérité lui soit révélée devant les deuxraces réunies. Car depuis des années, ces dernières avaient trouvéun terrain d'entente, et arrivaient à concilier leurs différences.Des couples d'elfes et de dryades s'étaient même formés depuis.
« Durant ce conseil, les parentsde la dryade ont dû avouer leur méfait, non sans une pointe deregret. Malgré cela, la sentence a été unanime : après cetterévélation, il était impossible pour les deux races de garder cegenre de personne et de pensées négatives au sein de leursvillages. Ils ont donc été châtiés et exclus de la communauté,avec comme promesse de leur retour, la mort.
Une goutte de sueur coula le long demon dos, tandis que ma conscience se ravissait de ce choix. J'étaiscontre la mort d'innocents, surtout dans de telles conditions, maismalgré cela, j'avais tout de même un peu de pitié pour ces parentsqui n'avaient voulu que le bonheur de leur fille, même s'ils s'yétaient très mal pris.
— Cette histoire est trèsintéressante, je l'admets, mais où est le rapport avec le Gingwë,car c'est bien cela le plus important ici, non ? lâcha monblond préféré, qui commençait à s'impatienter.
Je ris intérieurement, et il me lançaun regard noir en réponse. Démédie rit sous cape et opina.
— Oh, mais elle a tout à voir...
Avant qu'elle ne puisse continuer, Jen'poussa un petit cri de souffrance, qui me fit mal au cœur. Sansprévenir, je me levai et courus à ses côtés. Je caressaitendrement ses cheveux, tandis qu'il semblait souffrir le martyr. Ilétait toujours endormi, mais j'imaginais bien ce qu'il pouvaitendurer, même si je n'étais évidemment pas à sa place.
L'explication du Gingwë allait devoirattendre : mon ami passait avant toute légende, aussiintéressante soit-elle.
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