Chapitre 12 :Une aide inespérée

Cela faisait maintenant une bonne heure que nous combattions le Gingwë. Tout comme moi, Paris pensait qu'au fil des minutes, notre adversaire aurait épuisé toutes ses attaques, et qu'il finirait par se lasser. C'était sans compter sur sa ténacité, mais surtout l'envie grandiloquente de nous tuer. Même s'il n'était pas doué de parole, son œil unique parlait pour lui : il voulait nous achever, et il tiendrait tout le temps qu'il lui faudrait pour atteindre son objectif.

Or, de notre côté, la fatigue se faisait sentir, d'autant plus qu'il avait réussi à nous toucher à plusieurs reprises. Mon compagnon avait une estafilade sur toute la longueur de son bras gauche, celui avec lequel il se battait habituellement. Il était donc devenu une cible de choix pour le monstre. Ce dernier, sûrement plus intelligent qu'on ne le supposait, avait constaté que ses défenses étaient amoindries et qu'il ne pouvait plus se débattre comme s'il était en pleine possession de sa forme.

Quant à moi, je ressentais trop souvent à mon goût l'estoque qu'il m'avait porté au visage. Mon œil en avait pris un sacré coup, la douleur étant de plus en plus forte. À force de me concentrer sur cette dernière et de tenir sur mes jambes, celles-ci devenaient de plus en plus flageolantes, à tel point qu'un autre uppercut causerait sans doute ma perte. Du moins, pendant quelques secondes.

Un hurlement guttural me fit revenir au présent. Sa manie de frapper les poings sur son torse reprit. C'était assez impressionnant à voir, d'autant plus lorsque nous étions aux premières loges. Je lançai un rapide regard vers mon ami, qui me le renvoya, plein d'inquiétude et de doutes.

— Tu es certaine que dans les livres que tu as lus au château, il n'y a rien qui puisse nous servir ? me chuchota-t-il pour ne pas attirer encore plus l'attention de la bête.

Je me concentrai sur mon passé, et cherchai au plus profond de ma mémoire, essayant de trouver une échappatoire. Je matérialisai dans ma tête le gros ouvrage citant toutes ces affreuses engeances, mais je soufflai de dépit : il n'y avait rien pour nous aider. Strictement rien.

Je me mordillai la lèvre inférieure, tout en secouant la tête de gauche à droite en signe de dénégation. Il inspira fortement, comme pour montrer à son tour son impuissance.

— Bien, il ne nous reste qu'une chose à faire, déclara-t-il, sûr de lui.

Une lueur d'espoir se ralluma dans mon cœur.

— Laquelle ? demandai-je d'une voix un peu trop enjouée.

— Trouver son point faible.

Je levai les yeux au ciel. Même durant un combat, il gardait son trait sarcastique. Je lui fis cependant un léger sourire tout en acquiesçant. Il n'y avait plus qu'à...

Nous n'eûmes pas le temps de mettre à profit notre plan, car lui avait trouvé le nôtre : nous séparer.

De la seule force de son poing qu'il écrasa sur le sol, il créa à sa suite une énorme faille, qui faillit nous faire chuter. Dans un écart coordonné, nous sautâmes chacun de chaque côté du gros trou en face de nous. Je lançai un regard désespéré à mon compagnon, qui me fixa de la même manière : nous ne nous y attendions pas du tout. Avec le vacarme que produisait la terre en tombant dans le précipice, je n'entendis pas ce que tentait de me dire Paris. Le son qui remonta à mes oreilles fut seulement un bourdonnement que je pouvais facilement traduire par un « par Ergüst », bien senti. Et j'étais entièrement d'accord avec lui. Même si ce n'était pas la meilleure des idées de jurer sur le dieu des Enfers.

Durant l'attaque-surprise du Gingwë, mon épée avait volé dans les airs pour atterrir des mètres plus loin, hors de ma portée. Je me mordis la lèvre inférieure pour éviter de hurler de frustration et lançai un coup œil vers notre adversaire. J'étais sûre que s'il disposait d'une bouche, un sourire narquois aurait naquis sur son visage, ce qui m'énerva encore plus.

Soudain, une idée courut le fil de mes pensées. Je savais d'office qu'elle était loin d'être intelligente et que je mettais impunément ma vie en danger, mais il fallait que je la tente. Dans un cri de rage, je galopai vers ce monstre, qui ne s'attendit pas à avoir un poids – plume, certes, vu sa corpulence – lui sauter dessus. Je m'accrochai comme je le pus à son dos, les bras essayant d'entourer son cou et les pieds essayant de trouver une prise qui m'accorderait une position assez confortable, le temps qu'il comprenne ce qui lui arrivait.

Ce qui ne tarda pas.

En même temps qu'il s'ébrouait dans un cri tout droit sorti des Enfers, j'entendis mon combattant préféré crier à s'en arracher la gorge. Sachant qu'il ne pourrait entendre ce que je lui dirai, je concentrai mes pensées sur les siennes et lui glissai d'un ton plus sûr :

J'essaye de trouver sa faille, c'est pas ce que tu voulais ?

Tandis que la bête tentait de se débarrasser de moi à coups de ruades et en tournant sur lui-même, j'aperçus subrepticement mon ami me lancer un regard noir, qui m'aurait sans doute brûlé sur place s'il avait eu des flammes à la place des rétines. Je souris à peine quelques secondes, avant de voler dans les airs et d'atterrir rudement au sol, dans un grognement des plus minables. Cette chute n'allait pas arranger mon état, c'était certain.

Je vis Paris tenter de me rejoindre, mais le gouffre l'en empêchait. Il remonta ses manches, recula de quelques mètres, mit sa jambe droite en arrière, plia la droite et courba le dos.

Non ! Il n'allait pas faire ça ?

Les yeux ronds et la bouche ouverte, je le fixai sans pouvoir faire un seul geste. Soudain, il s'élança, leva haut le bas de son corps, ramena ses genoux contre son torse en les accrochant de ses bras et attendit l'impact.

Tout comme moi, notre ennemi fixait cette scène tout droit sortie d'un rêve – ou d'un cauchemar. Il semblait très pris par cette action, et j'en profitai autant que mon corps le permettait. Je me relevai, pantelante, posai une main tremblante sur ma tête, d'où je sentis un liquide chaud s'écouler et recouvrir ma paume d'une couleur vermeille. Je fermai les paupières pour faire disparaître ce sang de ma vision, tout en baissant le bras le long de mon corps. Ce n'était pas que je ne supportais pas la vue de l'hémoglobine, mais ce n'était pas le moment de perdre mes moyens. Nous étions là pour nous battre, mais surtout pour protéger Jen', qui était dans cette grotte, enseveli sous les pierres.

Mon cœur se serra avant de gronder de haine. S'il était dans cette situation, c'était la faute de cette enflure, qui se tenait devant nous, fier comme un paon de nous retenir contre notre gré et nous empêcher de fuir. Il fallait vraiment trouver la manière de se débarrasser de lui.

####

— Mademoiselle ?

Je me retourne vers mon précepteur, qui a les mains posées contre sa poitrine, et cachées dans ses manches. Je l'interroge du regard, et il me répond avec un sourire.

— L'eau a des vertus incomparables à beaucoup de matières et vient à bout de quasiment tout.

Puis, sans attendre de réponse, il me laisse cogiter sa phrase très bizarre, et quitte la pièce, me faisant comprendre par la même occasion, que notre cours est terminé pour aujourd'hui.

Je lance un dernier coup d'œil à l'être informe qui semble me fixer d'un mauvais œil, tire une grimace et me lève à mon tour.

####

« L'eau a des vertus incomparables à beaucoup de matières et vient à bout de quasiment tout. ».

Surprise que cette phrase me revienne en tête, je papillonnai des yeux et me figeai quelques secondes.

L'eau... L'eau... L'eau...

Je tournai ce mot en boucle dans mon cerveau puis mon regard se posa directement sur la longue langue de feu qui faisait office de cheveux à notre ennemi.

L'eau combat le feu... L'eau combat le feu...

— L'eau combat le feu ! hurlai-je à Paris, qui venait tout juste de se réceptionner.

Parfaitement réceptionné, je devrais dire. Déjà sur ses pieds, il me fixait, en me questionnant silencieusement et j'acquiesçai vivement, pour lui faire comprendre que, de mon côté, ça allait.

Puis, je mimai de ma bouche : « L'eau... le feu. »

Ses pupilles s'illuminèrent de compréhension après quelques secondes et il hocha la tête, me faisant savoir qu'il allait essayer de trouver une solution. Dans un bel ensemble, nous cherchâmes un point d'eau, nous tordant le cou dans tous les sens. La tristesse s'empara de moi lorsque je constatai qu'aucune rivière, aucun ruisseau, aucune flaque ne se montrait à plusieurs kilomètres à la ronde.

Comme si mon corps répondait à mes pensées, il lâcha. Mes jambes flageolèrent, jusqu'à ne plus tenir. Je tombai rudement au sol, mes genoux claquant contre la terre dans un bruit sourd. Mes paumes posées à plat, je tentai de juguler ma respiration, qui devenait de plus en plus erratique.

Au fond de moi, mon côté persévérant me forçait à me relever, me bouger, me motiver. À trouver quelque chose pour nous sortir de ce bourbier. À l'inverse, l'endroit récalcitrant de mon cerveau m'obligeait presque à fuir, prendre les jambes à mon cou, au risque de me faire rattraper par notre ennemi et écrasée par ses grandes paluches. Irritée de ces pensées divergentes, je redressai la tête et fixai méchamment l'iroquois de feu. Vous noterez que ce nom est à rallonge, mais correspond mieux que Gingwë pour son apparence.

Trêve de plaisanterie. Mon esprit avait tendance à partir dans tous les sens quand le stress et le découragement gagnaient sur l'assurance et la persévérance.

Soudain, de la poussière vint chatouiller mon nez, et je le grattai pour éviter d'éternuer. Fixant mon ami d'un œil surpris, un gros sourire se figea sur mon visage.

— Ça, c'est un beau dérapage, dis-je d'une voix rauque.

— Tu crois que c'est le moment de faire de l'humour ? s'irrita-t-il. Comment te sens-tu ? T'es prête à continuer ? Le combat est loin d'être fini.

Il avait dit cette phrase d'un ton si triste, que j'écarquillai les yeux. Lui, si combattant, se trouvait presque démuni face à ce que nous vivions.

Un haussement d'épaules. Un signe affirmatif de la tête.

Je n'avais pas envie de parler.

À croire qu'il connaissait assez le langage des signes, car il se remit sur ses jambes et me tendit sa main, que je pris avec plaisir. Le contact chaud de sa peau contre la mienne me procura un frisson inattendu, et je tanguai dangereusement, prête à retomber. Une risette sarcastique aux lèvres, il me rapprocha de lui et me serra fort contre lui. La tête nichée contre son torse, je levai les yeux au ciel et poussai un soupir... de contentement. Bah oui, qui a dit qu'on ne pouvait pas être contradictoire dans ce qu'on faisait ?

— Tu penses que c'est le moment de se faire des câlins, alors que l'iroquois est encore près de nous ? baragouinai-je, la bouche collée à sa veste.

— Tu as raison. Mais tu ne perds rien pour attendre. Quand tout ce raffut sera fini, je te réserve quelque chose de beaucoup plus agréable, me susurra-t-il d'une voix rauque et douce à la fois.

Oh, par Daméon, j'allais mourir sur place et m'enflammer. Même pas besoin de la langue de feu du monstre pour. Je sentais tous mes membres exploser en étincelles vraiment agréables.

Afin de garder un bout de ma dignité, je lui assénai un coup de poing bien senti dans le ventre.

— Goujat !

— Avoue que cette fois, mon côté goujat t'a plu, ricana-t-il.

À croire que le Gingwë n'aimait pas notre rapprochement, car comme à son habitude, un cri guttural sortit immédiatement de sa bouche. À présent, le feu n'était plus seulement présent dans sa crinière, mais aussi dans sa pupille. Une pupille orange, rouge, flamboyante.

— Je crois qu'il n'a pas aimé notre rapprochement, me dit-il tout bas, comme un secret.

C'était exactement ce que j'avais pensé, et j'étais persuadée qu'il avait lu en moi avant de faire le perroquet. Des fois, il m'énervait vraiment.

J'inspirai profondément, et me concentrai de nouveau sur le combat. Même si ce petit aparté m'avait fait du bien, il n'en restait pas moins que... je m'inquiétais pour la suite. Si aucun point d'eau ne pouvait nous aider à l'occire, je ne savais pas comment nous allions nous en sortir. À moins d'une aide divine, mais on ne pouvait pas dire qu'elle m'avait été d'un grand soutien, ces derniers temps.

Trouvant sans doute le temps long et notre conversation épuisante, le monstre secoua la tête encore plus vite que la dernière fois, créant des flammes longues de plusieurs mètres. Instinctivement, je mis mon bras à hauteur de mon front, et me sentis dans la foulée propulsée dans les airs. Choquée, je me réceptionnai mal au sol, n'ayant pas eu le temps de baisser ma main. Une énorme branche d'arbre posée sur la terre me réceptionna dans le dos, ce qui me fit pousser un cri de douleur.

Je sentis les larmes me monter aux yeux, tandis que je questionnai d'un coup d'œil mon ami, car c'était évidemment lui qui m'avait projetée ainsi. Les pupilles écarquillées, il resta stoïque quelques secondes avant de courir vers moi – décidément, cela devenait une habitude ! – et d'attraper mon poignet.

— Tout va bien ? Tu n'as rien de cassé ? Je...

— Je me sens un peu vaseuse, là, tout de suite, le coupai-je d'une voix cassée par les sanglots qui restaient coincés dans ma gorge. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— J'ai vu les langues de feu arriver sur nous, et toi, tu te contentais juste de te protéger le visage..., m'expliqua-t-il à la fois énervé et inquiet. J'ai su que si je ne faisais rien, tu risquais d'y laisser ta peau et je n'aurais pu m'y résoudre.

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Il ne voulait pas me perdre.

J'esquissai un petit sourire et tendis mon autre main pour qu'il m'aide à me remettre debout.

Sauf que j'avais déjà oublié la douleur dans mon dos, remplacée par la chaleur parcourant le bas de mon ventre. Déstabilisée, mes jambes me lâchèrent, et si Paris n'avait pas été là pour me retenir fermement, je crois que je n'aurais pas pu me relever de nouveau. Je lui lançai un regard exprimant ma gratitude et m'appuyai sur l'épaule qu'il m'offrait.

Pendant ce temps, la bête continuait son carnage, et l'odeur du brûlé me monta aux narines, me faisant tirer une grimace de dégoût. Tremblante suite au coup reçu, je tournai rapidement la tête autour de moi, pour constater les dégâts. Mon nez se plissa et je me mordillai la lèvre. On l'avait bien énervé.

En effet, tout autour de nous, des flammes hautes de plusieurs mètres léchaient le sol, et décimaient tout sur leur passage. Entourés d'un rond de feu, il nous était impossible de fuir ; nous étions pris au piège.

Maladroitement, j'époussetai mon pantalon et pris la paume de mon compagnon, qui resserra son étreinte.

— Dis-moi qui tu as une idée..., geignis-je, impuissante.

— À moins d'avoir une grosse dose d'eau sous la main, je suis au regret de te dire non.

Nous soufflâmes de dépit à l'unisson.

— Moi, j'en ai !

Je sursautai, étonnée de discerner une voix surgir de nulle part. Je levai précipitamment ma tête, ne voyant personne apparaître dans les cieux. Pourtant, j'étais persuadée de l'avoir entendue, je n'étais pas folle, tout de même !

— Non, je l'ai perçue aussi, me confirma mon blond préféré.

— Restez où vous êtes, et profitez du spectacle.

La voix féminine avait un certain trait d'humour loin du mien. On ne risquait pas de bouger, vu que nous étions prisonniers d'un élément pouvant nous changer en poussière.

Paris gloussa à mes côtés, ayant sans doute apprécié ma comparaison. En réponse, je lui lançai un clin d'œil et haussai les épaules.

Soudain, un tremblement de terre, bien plus gros que le tout premier que nous avions eu avant de rencontrer le Gingwë, nous décontenança et nous fit trébucher. Dans ma chute, mon pied passa à quelques millimètres du feu, me provoquant une chaleur dont je me serai bien passée. Je me rattrapai de ma main gauche, non sans pour autant goûter à la terre qui n'avait pas encore brûlé au contact du brasier.

Pensant que cette secousse finirait par s'atténuer, je fus d'autant plus étonnée de le sentir grandir sous mes pieds. Je commençai sérieusement à paniquer. Je poussai un petit cri, avant de recouvrir ma bouche de mes doigts sales.

— Ne vous inquiétez pas, cette attaque ne vous est pas destinée, crut bon de nous préciser cette inconnue, que je n'arrivais pas encore à discerner à travers la fumée.

Nous voilà rassurés, grinçai-je.

Bizarrement, je n'aimais pas beaucoup son assurance et son arrogance, et je semblais ne pas être la seule, au vu de la tête que tirait mon ami.

Pendant que j'imaginais que la fin de ma vie approchait à grand pas, un geyser d'eau s'échappa du sol et monta sur une altitude impressionnante.

— Qu'est-ce que..., lâcha mon coéquipier, autant choqué que moi.

Les yeux exorbités, je regardai ce phénomène et compris rapidement ce qui allait se passer.

— Je crois qu'elle nous sauve la vie, chuchotai-je.

Parce que respirer et parler devenaient de plus en plus difficile avec les flammes qui n'avaient pas l'air de vouloir s'éteindre, je fermai la bouche et partageai mon idée dans mes pensées, pour qu'il puisse entendre et comprendre. Je vis alors son visage s'éclaircir, avec un léger sourire au coin des lèvres. Même si c'était une bonne nouvelle, il restait sur ses gardes et je le comprenais. Peut-être allait-elle nous sauver la vie, mais qui nous disait que l'on pouvait avoir confiance en elle ? Qu'elle allait vraiment détruire le Gingwë ? Qu'elle n'allait pas, ensuite, lancer son attaque contre nous ?

Même si je n'arrivais pas encore à l'apercevoir, son ombre était assez visible pour que je découvre ses gestes. En ce moment même, elle tenait ses mains en bol et les montait peu à peu vers son visage, provoquant ainsi l'élévation de la gerbe d'eau. Cette dernière dépassait à présent le monstre de deux bons mètres, qui ne montrait aucune marque d'inquiétude. Au contraire, en signe de guerre, il se tapait, une nouvelle fois, sa poitrine dans un cri qui faillit me percer les tympans.

Le sol gronda en réponse et le liquide transparent se rua immédiatement sur sa crête de feu, l'aspergeant dans des crépitements. Fou de rage, il secoua la tête dans tous les sens, nous mouillant à notre tour. Avec la chaleur qu'il faisait, cette fraîcheur nous fit beaucoup de bien, et je soupirai d'aise.

Néanmoins, je restai bien attentive à ce qu'il se passait, de peur qu'il ne nous attaque. L'inconnue s'approchait de plus en plus de lui, sûre d'elle. J'admirais son flegme et la façon qu'elle avait de savoir ce qu'elle faisait. C'était comme si elle connaissait cette race, qu'elle l'avait déjà croisée dans le passé.

Alors que je pensais qu'elle avait donné tout ce qu'elle avait, notre sauveuse m'étonna encore. Une fois l'eau tombée sur notre assaillant, elle claqua simplement des doigts et une pluie fine de particules se posa sur tout le corps de la bête. Jamais je n'avais entendu un cri aussi horrible. Rien qu'avec son cri, je ressentais sa peur, sa colère, sa douleur, sa haine. Un frisson parcourut l'ensemble de mon être, car j'avais vraiment peur des retombées. Est-ce qu'il allait survivre ? Si oui, comment allait-il se venger ? Il nous ferait souffrir au centuple ! Même s'il n'avait pas l'air d'avoir de conscience, je ne doutais pas qu'une telle attaque restait graver dans sa tête et encore plus dans son être.

Soudain, il s'arrêta net de hurler et de bouger dans tous les sens. Devant mes yeux ahuris, je vis son corps de dissoudre petit à petit, comme s'il était passé dans un grand bac d'acide. Ses bras, son torse, ses jambes et, pour finir, son visage se désintégrèrent en quelques secondes, pour ne laisser seulement que de la poussière, s'évaporant dans les airs. L'odeur musquée de bois brûlé me prit aux narines et je ne pus m'empêcher d'éternuer. Cette senteur était loin d'être délicate et agressait violemment notre odorat. Quelques grains se posèrent sur mes épaules, que j'époussetai dans la foulée, comme s'ils m'avaient brûlée.

La bouche ouverte, je fixai Paris, qui était dans le même état que moi. Comme si la menace de cette bête avait disparu, le ciel gris laissa la place au bleu et au soleil. Tellement prise par le combat, je n'avais pas vu le changement de temps. Alentour, le feu cessa, la vie reprit son cours et les plantes, l'herbe, les fleurs redevinrent ce qu'ils étaient précédemment. Comme s'il n'y avait jamais eu cette bataille. Je n'étais pas une grande connaisseuse de la magie, mais je savais qu'elle venait d'être à l'œuvre. Et une seule personne pouvait en avoir usé : celle qui venait de nous sauver la vie.

Même si je lui en étais reconnaissante, le plus important, maintenant que nous étions saufs, restait Jen', toujours dans la grotte et sous les décombres. De ce fait, sans plus d'attention envers celle qui venait d'arriver, je me redressai et courus comme jamais jusqu'à notre abri, suivie de mon compagnon, qui essayait de m'arrêter en ne cessant de m'appeler. Je n'en tins pas compte et arrivai toute essoufflée à l'intérieur, les mains posées sur mes genoux, le souffle court. Une fois une certaine contenance reprise, je levai la tête vers l'éboulis, et faillis défaillir.

Il avait disparu.

Ne restaient plus que les gravats de pierre. Pas un seul signe de lui.

Était-il...

Non ! Je me fustigeai mentalement d'avoir cette pensée. Mais où était-il, alors ?

J'entendis alors un frottement derrière moi, et me retournai vivement. Pour la seconde fois en peu de temps, je faillis trébucher et me retins contre la paroi rocheuse. Au sol, le plus jeune du groupe était allongé, la respiration sifflante, de la sueur perlant sur ses joues et son front. Au-dessus de lui, une jeune femme blonde, au visage poupin, son front barré de plis reflétant son inquiétude. Ses yeux vert d'eau me fixaient maladroitement, gênés.

Je repris mes esprits et courus vers eux, éjectant la fille le plus loin possible, et pris délicatement la tête de mon ami dans mes bras.

— Qui êtes-vous ? éructai-je, méfiante.

— Je... Le Gingwë... C'est moi qui..., répondit-elle, déstabilisée. Votre ami... Il est très mal en point.

Elle avait lâché cette dernière phrase tristement, ayant perdu toute l'assurance qu'elle avait eue quelques minutes plus tôt. Je me radoucis alors, et plantai mes pupilles dans les siennes. Un long filet de sueur froide passa dans mon dos, me terrifiant. Oui, il était mal en point et je ne savais pas quoi faire pour le sauver.

Une larme roula sur ma joue et se déposa au creux des lèvres de mon petit frère de cœur. Je savais que s'il n'était pas guéri dans les heures qui allaient suivre, il perdrait la vie. Mon cœur se mit à battre à une allure déraisonnable, le brisant en mille morceaux. En cet instant, j'avais l'impression qu'on me plantait des milliers d'aiguilles dans le corps, tant je me sentais impuissante. C'était à cause de moi qu'il était dans cet état. Si je ne les avais pas suivis les premiers jours de ma fuite, il serait en forme.

Je reposai sa tête sur le sol, tandis que je me collai contre lui, en chien de faïence. Je ne savais plus quoi faire... Je serrai sa main dans la mienne, et pour la première fois, je priai Daméon comme je ne l'avais jamais fait. Si ce dieu m'entendait en ce jour et sauvait sa vie, je serais capable de tout pour le contenter. Ce serait l'une des premières promesses que je tiendrai jusqu'au bout. Je fermai les yeux et calquai ma respiration sur celle, vacante, du plus jeune.

Daméon, en ce jour, je te supplie de nous apporter ton aide,

Sauve ce jeune garçon de la mort qui le poursuit,

Promets-moi qu'il survivra à ses blessures,

Par Daméon, je te supplie de nous apporter ton aide.

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