Chapitre 11 :Vivre... ou mourir ?

Je n'eus pas le temps d'en dire plus que la grotte se mit à trembler, provoquant un début d'éboulis.

— Bien, soufflai-je. Sachez que la créature que l'on va combattre vous a déjà senti à des kilomètres et que vous ne parviendrez pas à vous enfuir comme vous l'escomptez. À partir du moment où votre odeur a imprégné ses narines, il ne veut qu'une chose : vous détruire.

Enfin, je n'étais pas encore sûre de l'identité de cette bête, mais j'avais la conviction que nous le saurions rapidement...

— Bien, tu sembles en savoir plus que nous ! lâcha Paris, sarcastique. Maintenant, tu vas pouvoir nous dire ce qui arrive, et comment le battre.

Une goutte de sueur coula le long de mon échine. Pour la première partie, je n'avais aucun souci pour répondre, cependant, pour ce qui était de la seconde... ça allait être plus compliqué ; je n'avais pas la réponse moi-même.

Avant même que je ne puisse ne serait-ce qu'ouvrir la bouche, une explosion retentit à l'extérieur. D'un coup, l'intérieur s'éclaira, comme si nous y avions allumé des torches aux quatre coins. Durant la déflagration, un pan de mur avait sauté, nous accordant ainsi une vue assez vaste de ce qui se produisait plus loin, mais si proche à la fois. Les yeux écarquillés, je vis alors une traînée de flammes avancer... dans les airs. Mon souffle se coupa, et je dus me retenir à l'une des parois pour ne pas chuter. À présent, je savais ce qui nous attaquait.

— Merde ! lâchai-je.

— Quoi ? grogna le plus âgé. Tu sais ce que c'est, hein ?

Je hochai la tête, incertaine de notre sort.

— Et ?

— Et, répétai-je, c'est un... Gingwë.

Je me raclai la gorge. Ce mot avait eu du mal à sortir tant je craignais la suite des événements.

Les regards ahuris de mes compagnons me firent protester de suite.

— Ne me demandez pas ce que c'est, je n'ai pas le temps de vous l'expliquer.

— Très bien, déclara le blond. Et comment on le tue ?

Je passai une main tremblante dans ma chevelure rousse.

— On ne peut pas, dis-je d'un ton plus bas que d'habitude.

— Comment ça, « on ne peut pas » ? explosa-t-il. Tout être vivant a des faiblesses !

— Je...

Pour la première fois depuis mon évasion, je me sentais incapable de quoi que ce fût. Inutile. Ce constat me fit plus de mal que je ne le pensais. Pourtant, il allait falloir que je me ressaisisse si je voulais que l'on s'en sorte, ou du moins, que l'on trouve une solution.

Voyant mon impuissance sur mes traits, notre meneur prit les rênes en main.

— Bien. Nous trouverons une idée une fois dans la bataille.

— Mais..., objecta le brun. On ne peut pas se lancer sans avoir de plan !

— Parce que tu crois qu'on a le temps d'en faire un ? demanda durement son interlocuteur.

Le plus jeune se mordilla la lèvre. Quant à moi, j'étais d'accord avec eux : arriver dans le tumulte sans plan était nous mener à la mort ; cependant, le temps nous manquait pour en dessiner un. Nous étions donc dans une impasse.

Un hurlement horrible résonna, plus proche de nous que nous le pensions, nous clouant définitivement sur place. Je voyais Paris qui commençait aussi à craindre l'issue de ce combat. Si lui perdait ses moyens, nous n'irions pas bien loin, c'était certain.

Soudain, il sembla se réveiller et me jeta d'un geste vif son épée, que je rattrapai de justesse. Je voulus protester que sans son arme, il ne pourrait rien faire, mais son regard furibond me fit taire. OK, message reçu. Jamais plus je ne te sous-estimerais, cher guerrier.

Comme en plein cauchemar, nous vîmes le toit qui nous protégeait voler en éclat et atterrir sur nous, provoquant un second éboulis, bien plus dangereux que le précédent.

— Attention ! criai-je inutilement.

Il était trop tard. Le plus gros de la roche s'écrasa sur Jen', qui hurla de peur et de douleur. Coincé sous l'amas de roche, il essayait avec peine de s'en extirper, mais ses jambes semblaient ne plus être connectées à son esprit.

Je me ruai vers lui, le cœur bondissant dans ma poitrine et tirai le maximum de cailloux que je pouvais. Au bout de quelques minutes, je sentis l'épuisement avoir raison de moi, et je braillai de rage. Non, non, pas Jen' ! Il fallait qu'il puisse se libérer !

Paris vint à mon aide, et d'un coup de bras puissant, réussit à dégager un gros amas, permettant au plus jeune de respirer plus confortablement. En effet, la pierre comprimait son estomac, l'empêchant de relâcher la pression dans ses poumons.

— Il faut le mettre à l'abri, dis-je assez fort, pour couvrir le bruit de la grotte qui se désagrégeait peu à peu.

Mon ami regarda autour de lui, fronça les sourcils et secoua la tête.

— On n'a pas le temps, il arrive sur nous.

Les yeux exorbités, je compris ce qu'il venait de dire : pour sauver notre compagnon, il fallait que nous l'abandonnions sous sa prison et que nous défendions notre vie au risque de la perdre. En moi, se battaient deux raisons : la première, de suivre ce que préconisait le combattant ; la seconde de rester auprès de l'adolescent et de le couver jusqu'à... je ne savais même plus. J'étais complètement perdue.

— Non ! criai-je sous les assauts de notre attaquant, encore invisible.

Je sentais la poussière me tomber dessus, mais je m'en contrefichais : je ne pouvais pas abandonner notre ami à son sort. Même si je n'avais pas de quoi le soigner sur place, je pouvais au moins essayer de le sortir de sa prison, non ?

— Irianna, le temps nous manque. Si on le fait, on risque de faire plus de mal que de bien, pérora Paris. Je ne tiens pas à récupérer ce petit infirme, dans l'impossibilité de remarcher un jour ! Et je sais que toi non plus...

Il avait lâché cette phrase, beaucoup plus bas, avec une douceur inattendue, vu la situation.

Je baissai les yeux vers Jen', les larmes menaçant de couler. De la sueur commençait à perler sur son visage, et sa respiration se bloquait une fois sur deux. Je posai une main tremblante sur son cœur et sentis son battement fou contre ma peau. Je gémis de tristesse et de mon inaptitude à le sauver. En moi, mon palpitant se brisait en mille morceaux. C'était mon petit frère, mon meilleur ami. Encore un enfant qui avait tant de choses à voir. Le choc entre les pierres et son corps l'avait fait tomber dans l'inconscience. Ce n'était pas un mal pour un bien, au moins, la souffrance serait moindre, du moins, durant un temps. Néanmoins, je ne pouvais pas le laisser ainsi, c'était impossible !

— Paris ! On ne peut pas le laisser tout seul, comme ça ! Imagine on part et les pierres s'effondrent encore plus. Il sera écrasé, avec impossibilité de respirer. À notre retour, il sera...

La gorge soudain serrée, il m'était insupportable de dire le mot auquel je pensais.

Mon ami s'approcha de moi, s'agenouilla auprès du plus jeune et posa deux doigts sous son menton.

— Tu as raison. Regarde, par ici, on peut essayer de retirer quelques gros cailloux. Pendant que je fais ça, essaye de me trouver quelque chose de lourd et de résistant. Nous essayerons de le caler au-dessus de Jen' et cela retiendra les pierres, si jamais un autre tremblement survient. Qu'en penses-tu ?

Mon cœur bondit de joie et je lui plaquai un bisou sonore sur la joue, avant de partir en courir faire ce qu'il m'avait demandé. Immédiatement, j'eus l'idée de monter sur le promontoire de la grotte. Bien que le chemin y menant était un peu saccagé, j'étais déterminée à dénicher quelque chose. Je courais partout, mais je n'arrivais pas à repérer ce que je souhaitais.

Je commençai à paniquer, car le monstre s'avançait de plus en plus, quand mon pied cogna enfin contre un objet dur. Un énorme sourire barra mon visage et je me dépêchais de le prendre pour l'apporter à Paris.

Une fois à ses côtés, je le lui tendis.

— Cela devrait faire l'affaire, non ?

Dans mes deux mains se tenait une grandes planche en bois rectangle. Dans ce pays, ce matériau était le plus résistant que l'on pouvait trouver en vente et en construction.

Paris acquiesça en riant, la prit à son tour et l'installa de sorte que les pierres soient retenues et que Jen' puisse recevoir assez d'oxygène pour survivre.

D'une poigne ferme sur mon épaule, le blond m'indiqua qu'il était temps de s'en aller et d'aller combattre. Mais avant de partir, il tenta de nouveau de me rassurer.

— Il va s'en sortir, je t'en fais la promesse. Il est plus fort que tu ne le penses, d'accord ?

D'un coup rageur sur mon visage, j'essuyai les perles d'eau et opinai.

— Il va juste falloir ruser pour empêcher ce monstre de nous approcher, compléta-t-il en montrant d'un coup de tête l'extérieur. Tu es prête ?

J'inspirai profondément.

— Plus que prête. Nous ressortirons tous les trois vivants, dis-je d'une voix sûre.

Ces derniers mots me firent comprendre qu'à présent, notre petit groupe était lié d'une manière indéfectible. Que si un jour l'un de nous mourait, les deux autres ne s'en remettraient jamais. Que ces deux hommes étaient devenus les deux êtres les plus importants de ma vie en l'espace de quelques jours.

— Très bien, alors, allons à sa rencontre.

D'un léger sourire, je pris sa main dans la mienne, qu'il serra d'une brève pression. Rien qu'avec ce geste, je me sentais protégée comme jamais. Je me doutais que nous allions être séparés pendant le combat, mais là, j'étais bien. Sa chaleur se combinait à la mienne, et je le sentis frémir.

Bizarrement, cette situation me fit rire. Il se tourna vers moi et me lança son regard dur.

Gros nounours, pensai-je, sachant très bien qu'il allait l'entendre.

Il crispa la mâchoire, bomba le torse et avança encore plus vite, sans pour autant me lâcher la main. Je ricanai. J'avais enfin trouvé un de ses points faibles, et j'allais en profiter le plus souvent possible.

***

Contrairement à ce que nous pensions, nous marchâmes sur plusieurs mètres, pendant de longues minutes, pour atteindre notre lieu de bataille. Vu le boucan qu'il avait fait, nous étions persuadés qu'il était bien plus proche de nous.

Surpris, nous fûmes d'un seul coup aveuglés par une langue de feu qui, pourtant, n'était pas à côté de nous. Un hoquet me coupa la respiration et je posai une main tremblante sur ma gorge, comme si un étau de fer la resserrait peu à peu.

— Iri ? s'inquiéta mon compagnon. Qu'est-ce que tu as ?

Le regard fou, je le fixai intensément mais je n'ouvris pas la bouche. À présent que je connaissais son pouvoir, si je pouvais économiser un peu de salive... Je matérialisais dans mon crâne la bête que nous allions combattre, en lui montrant tout ce que j'avais appris sur elle, mais surtout qu'il n'y avait aucune manière d'en ressortir vivants.

— Gingwë... Crinière de feu... Aucune manière de l'achever..., énuméra-t-il au fur et à mesure qu'il lisait en moi.

Pour ma part, plus il avançait dans ses découvertes, plus je le voyais blêmir.

— Merde..., lâcha-t-il.

Je déglutis difficilement et acquiesçai, la tête lourde.

— Au risque de me répéter, toussota-t-il, personne n'est immortel. Il a bien une faille !

— Eh bien si c'est le cas, elle n'était pas dans ce manuel, déplorai-je, la gorge sèche.

— Bien, on...

Malheureusement pour nous, il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. À force de parler, nous n'avions pas vu notre ennemi s'approcher à grands pas de nous et secouer la tête, faisant voltiger des gerbes de flammes vers nous. Touchée au bras, je m'empêchai de hurler, pour ne pas l'énerver encore plus. Brûlée au premier degré, je vis ma peau roussir. Plus agile que moi, Paris avait réussi à s'écarter, non sans être légèrement touché à l'épaule ; sa veste à manches longues l'avait épargné d'une lourde blessure, qui aurait pu le mettre hors-jeu dès le départ.

Paniquée, je jetai un regard derrière moi, afin de savoir à combien de mètres nous nous trouvions de la grotte, mais surtout pour savoir si Jen' était encore en sécurité. Énervé de voir que je lui tournai impunément le dos, le monstre rugit encore plus fort que d'habitude. Prenant en pleine face la déflagration, je ne pus empêcher mon corps de faire un vol plané et de me retrouver encore plus éloignée de mon ami.

Ce dernier hurla mon prénom. Je n'avais jamais autant ressenti de peur dans sa voix, même la nuit de l'incendie dans le village. Si là-bas, j'avais compris que malgré le peu qu'il me connaissait, il tenait à moi, ce n'était rien comparé au cri qu'il venait de pousser à l'instant.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et, pour lui prouver que tout allait bien, je me relevai, chancelante. Contre toute attente, et à ma plus grande surprise, je tenais encore sur mes deux jambes. Même si mon coude avait ramassé un sacré coup, je prenais cela pour une aubaine, qui pourrait me permettre de me battre encore un peu.

Un claquement aigu retentit près de mes oreilles, me faisant sursauter. Une légère pression sur mon épaule gauche me fit comprendre que mon petit Étiole était là, près de moi, à essayer de me protéger malgré sa petite corpulence.

Tu peux y arriver. Crois en toi, me souffla-t-il en nichant sa petite tête dans mon cou.

La confiance qu'il plaçait en moi me motiva plus que jamais. Campée sur mes deux jambes, quoiqu'un peu flageolantes, je dardai un regard noir vers la bête hideuse, qui avait arrêté son attaque et se tenait droite comme un « i ».

Sa grande crinière de feu me faisait vraiment peur. Je la voyais se balancer dans tous les sens, cramant ici et là des branches d'arbres qui dépassaient, ou encore des touffes d'herbe sur son passage. Je ne savais vraiment pas comment nous allions pouvoir le battre. J'avais eu beau, dans mon adolescence, demander des solutions à mon mentor, il avait toujours dérivé la discussion à son avantage, me prouvant que jamais je ne croiserai sa route. Eh bien, il s'était lourdement trompé. À ce stade, j'espérais une seule chose : qu'il soit toujours en vie, pour réfuter ses croyances.

Soudain, la bête furieuse leva son gros pied du sol et quelques secondes plus tard, l'abattit de toutes ses forces. J'avais prévu le tremblement de terre qui allait suivre, et tentai tant bien que mal de rester debout. Ainsi, du moins, je l'espérais, je lui prouvais que j'étais prête à tenir le coup face à ses gros bras. Rageur, il tapa sa poitrine de ses mains, comme s'il produisait un rite quelconque.

Pendant ce temps, le blond avait réussi à me rejoindre et palpait les endroits qui me faisaient mal.

— Tu es sûre que ça va ? Tu peux aller rejoindre Jen', si tu veux.

Ma colère enfla et ma main partit sans prévenir cogner sa joue, qui rougit sous le choc.

— Tu me prends pour une midinette peureuse, ou quoi ? Tu crois que je vais t'abandonner là pour aller me cacher ? Tu crois que je vais te laisser te faire tuer par cette brute ? éructai-je en le pointant du doigt.

De soucieux, il était passé à vexé.

— Tu ne me crois pas capable de ressortir vivant de ce bourbier ?

— Je le crois surtout capable de te tuer d'un simple geste de sa grande paluche, rétorquai-je, le regard dur.

Pour la première fois – la première fois –, il baissa les yeux, accordant du crédit à mes paroles.

— À l'avenir, aie confiance en ce que je peux faire, lâchai-je, furibonde.

N'attendant pas une réponse – car celui se trouvant en face de nous n'aurait pas cette patience –, j'avançai vers notre ennemi, incertaine de la suite des événements. Ce dont j'étais sûre, c'était que j'allais donner le maximum de moi-même afin de ressortir vivante pour Jen'. C'était le seul qui m'importait en cet instant. La crainte de le savoir seul dans cette grotte enflait dans mon palpitant, m'empêchant de respirer correctement.

Il va bien, me rassura mon compagnon à pattes.

Je hochai discrètement la tête et lui posai la question qui valait son pesant d'or :

Comment le combattre ?

Seul le silence me répondit.

Inspirant profondément, je fis un pas de plus.

— Hé !

Tournant la tête vers celui qui m'avait interpellée, je faillis de prendre de visu l'arme qu'il me balançait. La rattrapant de justesse, je lui envoyai un regard interrogateur.

— Tu penses le battre à mains nues ? me lança-t-il tout de go.

Certes.

Je le remerciai d'un coup de tête avant de me lancer dans la bataille. Je ne me souciais pas de la manière dont mon coéquipier allait se défendre ; je savais qu'il avait des tonnes de cordes à son arc, je lui faisais confiance sur ce point.

Le premier coup atteignit l'énorme pied du Gingwë. La lame de l'épée le traversa et se ficha sur un os. Je sentis l'impact remonter dans mes bras, comme des vibratos très désagréables. Déstabilisée, je mis ma jambe droite en arrière, tandis que je tentais de garder la gauche bien ancrée par terre. Comme si ça n'avait été qu'une simple caresse, mon adversaire n'eut aucune réaction. Je restai béate face à lui et il en profita pour me frapper d'un crochet du droit, qui me cloua au sol.

Tandis que je gémissais de douleur, je me touchai le bout du nez, en sang. Le goût du cuivre remplit ma bouche, et comme un homme sans éducation, je crachai le liquide à mes pieds.

Bon Dieu ! Mais il était fait de quoi, ce machin ?

J'étais persuadée d'une chose : ce combat allait être inégal, fatiguant et avec une issue incertaine. Il s'annonçait long, et avec des conséquences dont nous aurions sans doute du mal à nous remettre.

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