Chapitre 10 :Un combat déloyal
Le début de soirée était arrivé rapidement, et avec lui un silence des plus dérangeants. Après être revenue avec Paris, je n'avais pas ouvert la bouche de l'après-midi. Je m'attendais à ce que le plus jeune vienne vers moi, mais ce fut tout le contraire. Voyant que j'étais contrariée, il m'avait laissée digérer l'annonce survenue plus tôt. Cependant, je l'avais vu à plusieurs reprises me lancer des regards tristes et désolés, mais je n'étais pas encore prête à parler et à en savoir plus. Certes, en cet instant, au fond de moi, je savais que je lui en voulais, mais j'étais aussi persuadée qu'avec le temps, j'arriverais à passer outre.
Durant les heures restantes jusqu'au dîner, j'étais restée auprès de mon cheval, décidée à le bichonner. Je l'avais trop mis de côté, et j'étais remplie de remords. Sur mon épaule, comme à son habitude, Étiole tentait de me remonter le moral, en essayant de me rappeler nos souvenirs d'enfance, notre rencontre, nos apprivoisements respectifs. Voyant que j'avais besoin d'être seule, il ne m'avait pas accompagnée à l'extérieur.
Bien sûr, j'avais encore des souvenirs précis de ces moments en sa compagnie, et même si j'aimais bien me les remémorer, avec ce qu'il se passait depuis ces derniers jours, mes pensées étaient ailleurs. De ce fait, j'appréciais beaucoup que cette boule de plumes revienne me montrer sa joie de m'avoir rencontrée. Ce qui était, évidemment, réciproque.
Merci d'être là, petit être, lui soufflai-je, alors que j'étais assise, à l'air libre.
La brise fraîche caressait mes cheveux qui virevoltaient au vent, tandis que moi, je fixai l'horizon. Pendant ce moment de solitude, j'avais découvert quelques jours plus tôt une cavité au fond de notre habitat qui menait au promontoire où je me trouvais, offrant une vue des plus sublimes. Au loin, je pouvais apercevoir une plaine verte, agrémentée d'arbres à distance raisonnable, accompagnée de parterres de fleurs de couleurs différentes. Si j'étais en plein rêve, je me serais sans doute crue au Paradis, dans un lieu retiré de toute catastrophe et de tout débordement de la race humaine. Ce paysage à perte de vue, ne permettait pas de voir au-delà. Une ville était-elle bâtie à plusieurs centaines de kilomètres de là ? Une forêt permettait-elle de se protéger du soleil lors de fortes chaleurs ?
Si l'on s'approchait un peu plus du bord, on pouvait apercevoir en contrebas une cascade qui se jetait dans la mer, quelques mètres plus loin. J'adorais voir ce genre de phénomène lié à la nature. Cette dernière nous offrait une telle beauté, que jamais un homme ne pourrait créer. C'était en elle, en son sein, et elle partageait cela sans contrepartie pour ceux qui la contemplaient.
Tu t'es très bien débrouillée, tout à l'heure.
Je ricanai. Ce n'était sûrement pas ce que je pensais. Pour moi, ma réaction avait été excessive.
Certes, tu as eu quelques débordements, mais après ton échappée à cheval, tu es revenue vers eux pour avoir une explication plus complète.
« Quelques débordements » ? Je ne l'aurais pas décrit avec des mots si peu justes, mais je vais te croire... Oui, je suis revenue, mais pour quoi ? Nous ne nous sommes pas adressé la parole depuis mon retour..., déplorai-je, la tête baissée vers le sol de pierre.
Le temps guérit les blessures, pérora mon petit oiseau de sa voix remplie de sagesse.
J'allais rétorquer que du temps, nous n'en avions pas, avant d'être devancée par un tremblement de terre qui me fit basculer et m'allonger de tout mon long.
— Qu'est-ce que c'est ça ? hurlai-je, inquiète.
Retourne avec tes compagnons ! m'ordonna Étiole d'une voix grave et teintée de peur.
— Que... Quoi ? Mais qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je une nouvelle fois, sentant mon cœur palpiter contre ma poitrine.
L'être au beau plumage ne put me répondre, car une seconde secousse se produisit, bien plus forte que la précédente. Déjà complètement à terre, je pus juste essayer de me rattraper à des pierres qui traînaient par-ci, par-là, mais je me sentis aussi glisser vers... le vide.
Les pupilles dilatées, je tentai tant bien que mal de me redresser, battant des pieds et des mains, et mettant le peu de force que j'avais pour me relever. Un troisième séisme eut raison de mon envie de me battre et me cloua définitivement par terre.
Même si j'étais au-dehors, j'entendais faiblement Paris s'époumoner en hurlant mon prénom à tout va.
— Irianna ! Irianna ! Où es-tu ?
Je sentais dans le timbre de sa voix de la crainte. Il avait peur pour moi. Cela me redonna un second souffle et j'ouvris la bouche pour lui indiquer ma position.
— Là ! Je suis là ! En haut, sur la roche !
Cependant, le vent avait forci et j'étais persuadée qu'il ne m'avait pas entendue.
Déterminée à rejoindre mes amis, je posai mes mains à plat et usai une dernière fois mon énergie, afin de les retrouver. Dans un grognement, je me relevai, Étiole déjà dans les airs, battant furieusement des ailes, comme s'il pouvait me faire avancer.
Les jambes flageolantes, j'atteignis avec un peu de mal l'entrée de la grotte, mais un quatrième tremblement me fit chuter à nouveau, et je dévalai la pente en roulade, me cognant tantôt aux parois rocheuses, tantôt en faisant des petits bonds, me réceptionnant douloureusement au sol. La tête tournant dans tous les sens, j'avais du mal à retrouver mes repères, et un fin filet noir brouilla quelques secondes ma vue, avant que je ne m'aperçoive que Jen' était au-dessus de moi, inquiet comme jamais.
— Acléa ! Tu vas bien ? Dis-moi ce que tu as !
Je passai rapidement une main derrière mon crâne, et gémis de douleur. Ramenant mes doigts devant mon visage, je sentis un liquide chaud couler sur mon poignet et continuer son chemin le long de mon bras. Je ne m'étais pas ratée ; je devais sans doute avoir une sale entaille.
— Acléa ! répéta le plus jeune.
— Ouille ! Je t'entends, Jen' mais... par Daméon, ça fait un mal de chien !
Le plus âgé du groupe accourut vers nous, et sans plus de cérémonie, me releva, tout en m'aidant à tenir sur mes jambes. Je le remerciai d'un clignement des yeux, et époussetai ma tenue d'un simple geste. Encore un peu groggy, je massai l'arrière de mon crâne, en tirant une grimace de douleur. Ça faisait fichtrement mal !
Cependant, je n'eus pas le temps de m'appesantir sur mon sort, qu'un cri guttural parvint jusqu'à nous. Les pupilles exorbitées, je tournai idiotement la tête vers le tunnel que je venais de dévaler à toute vitesse. Étiole était juste à côté de moi, et je sentais sa crainte, comme si elle coulait dans mes propres veines.
Étiole ! Qu'est-ce qu'il se passe ? lui demandai-je, la peur au ventre.
Un silence suivit mon questionnement. Pour que ma boule de plumes esquive une question, c'était que quelque chose de grave allait se passer. Enfin, avait commencé.
— Mais, qu'est-ce que c'est, ce bordel ? bougonna Paris, pas le moins du monde inquiété.
J'enviais son caractère serein. Vraiment.
Il me lança une œillade, me faisant par là même comprendre qu'il avait suivi le fil de mes pensées. Pas encore habituée à ce don, je lui renvoyai un regard incendiaire. Non mais, il n'allait pas infiltrer mon esprit tout le temps, quand même !
En réponse, il m'offrit son plus beau sourire, montant jusqu'aux oreilles. Je soufflai de dépit et tournai mon visage – peu avenant, en passant – vers le plus jeune, qui n'en menait pas large.
— Oh, oh...
OK, là, j'imaginais le pire. D'habitude, Jen' était plus bavard que ça, et expliquait avec des mots sensés ses pensées. Ce qui voulait dire que nous étions sans doute partis pour des heures de souffrance... Génial.
Sans prévenir, les tremblements qui secouaient le sol reprirent de plus belle, nous enlevant une fois de plus notre stabilité. À cet instant, je remerciais la grotte d'être pourvue de parois pouvant me retenir.
Dans un hurlement aigu, le rouquin, tout nouveau dans notre groupe, arriva en courant auprès de nous, le feu aux fesses. Son visage exprimait notre plus totale incompréhension à tous. Qu'est-ce qui arrivait vers nous ? Ou plutôt, qui était-ce ?
Dans le peu de temps qu'il me restait pour me préparer, j'essayais de mettre à jour ma mémoire, essayant de retrouver des bribes de souvenirs qui pourraient m'aider à déceler ce qui allait sans aucun doute nous attaquer...
####
Assise devant une table jonchée de manuscrits et de gros volumes, je soupire bruyamment. Cela fait maintenant deux heures que mon précepteur essaye de tenter de m'apprendre par cœur les différentes races qui existent dans le royaume. Malheureusement pour lui, ce sujet ne me passionne pas du tout.
Toute à mes pensées, je ne le vois pas arriver vers moi, un rouleau de parchemin fermé d'un ruban de soie rouge et me frapper avec sur le haut du crâne. Je sursaute tout en poussant un cri de surprise, avec mon oiseau sur mon épaule, qui piaille bêtement.
— Non mais !
— Eh bien, Princesse ? Vous n'êtes pas d'accord pour apprendre un peu et remplir cette cavité qui vous sert de cerveau ? me coupe-t-il, le regard dur, mais amusé.
Je le déteste.
Me pinçant les lèvres, je lève les yeux vers son visage parsemé de tâches de son et plisse les paupières.
— Ne faites pas cette tête. Ça risquerait d'abîmer votre si belle plastique. Car croyez-moi, vous ne sortirez pas d'ici avant de connaître au moins la moitié de ces peuples. Alors vous pouvez tirer toutes les grimaces qui vous chantent, je ne plierai pas devant vous.
Non, je ne le déteste pas. Je le hais.
— Ce serait vraiment dommage pour vous d'être dévisagée pour si peu de choses, rajouta-t-il en bombant le torse et en cachant ses mains derrière son dos.
Ses mains, il peut bien se les mettre où je...
Calme-toi, rit Etiole.
Il m'énerve, me rembruné-je. Son cours ne m'intéresse pas, je préfère aller croiser le fer, moi !
Je croise les bras en signe de dénégation et Maître Mohen en profite pour me glisser le plus gros livre de la pile. Je soupire, et continue de faire l'enfant. Après tout, j'en suis une, je n'ai que quatorze ans !
— Maintenant que les choses sont claires, je veux que vous lisiez ce passage, dit-il en faisant glisser son doigt sur ledit texte.
Je louche sur les phrases et détourne le regard quand je tombe sur une image décrivant très précisément le spécimen en question. Une grimace de dégoût tord mon faciès, et je tire la langue pour accentuer ce que je ressens.
— Sachez, Princesse, que cet être que vous trouvez peu ragoûtant, a été longtemps respecté dans nos contrées.
Les yeux écarquillés, je fixe mon professeur, qui exulte de m'apprendre ce genre de nouvelle. Voyant que je suis toute ouïe, il continue son cours qui, finalement, n'est pas si nul que ça.
— Il y a quelques décennies de cela, un prince parti en voyage est tombé sur un œuf qui semblait être à l'abandon. Ne se doutant pas qu'il pouvait cacher un animal aussi peu envié par la nature, il l'a embarqué avec lui, et plusieurs semaines plus tard, il a éclos. En est sortie une bête bien mignonne, n'étant encore qu'un bébé. Au fil des jours, cette dernière prenait plus d'ampleur que Sa Majesté ne l'avait pensé. Grand gourmand, il ne se nourrissait que de viande rouge ou avariée et de vin pour digérer ses repas frugaux. Si au début, son maître s'en amusait, il se rendit vite compte qu'il ne pouvait le garder au sein de son château, au risque de blesser beaucoup de monde.
— Qu'a-t-il fait ? demandé-je, intriguée.
Le temps de son discours, je me suis mieux installée et, à présent, une main sous le menton, j'écoute attentivement ce qu'il a à m'apprendre.
— Voulant tout de même garder cet étrange être au plus près de lui, il a demandé à des artisans de lui construire un abri qui pourrait protéger tout le monde, y compris lui. Les années ont passé, et au lieu de se montrer sauvage, il s'est vite trouvé domestiqué, et très apprécié des humains.
— Eh bien alors, tout va bien ! Je ne vois pas pourquoi vous prenez cet air si sérieux, Maître.
— À cette époque, vivait reclus un sorcier qui, après avoir usé de magie noire, s'était vu exilé du royaume, avec seulement un peu de nourriture et une gourde d'eau. Vexé et ayant la rancœur tenace, il avait toujours promis de se venger.
Un frisson parcourt mon échine. Je crois comprendre où il veut en venir.
— Alors que tout semblait bien se passer entre les humains et cette bête, Günter a eu vent de cette rumeur et a décidé de frapper fort. Lors d'une nuit calme, il s'est introduit dans le palais et a enlevé, dans le plus grand silence, le Gingwë, explique-t-il en pointant le dessin du doigt.
Je baisse mon visage vers l'informité qu'il me présente, et pense tout de suite au pire. Ayant entendu parler de cette magie noire qui ne cesse de pulluler dans nos rangs, je sais d'ores et déjà que l'être qui est présenté ici n'est que le mélange entre, certainement, plusieurs races.
Pourvue d'un seul œil, son regard n'en est que plus bestial. Placé à la place de son nez, qui est inexistant, il rend sa vue encore plus désagréable. Je sens un frisson parcourir mon corps. Rien qu'une représentation, et je sais déjà que je ne voudrais pas me retrouver en face de lui. Ses bras sont longs de plusieurs mètres, lui permettant ainsi d'attraper plus facilement sa proie, à condition que cette dernière ne se défende pas. Ses mains sont pourvues de griffes acérées, pouvant parfaitement déchiqueter ses ennemis les plus proches. Sur le dessus de sa tête, une crête à l'iroquois orange semble prendre feu.
— Son arme la plus fatale, déclare mon instructeur, suivant le fil de mes pensées. Un seul mouvement vif, et sa crinière prend feu, décimant tout sur son passage.
— Par Daméon... Une personne qui le combat a autant de chance de mourir qu'un prince de devenir roi.
Maître Mohen ricane dans mon dos.
— Belle comparaison, même si un prince peut être aussi rapidement détrôné, me confirme-t-il d'un clin d'œil.
Je lui lance un sourire penaud.
— Ses dents sont pas mal non plus, dans leur genre, tenté-je, pas du tout à l'aise.
En effet, ces dernières, à défaut d'être jaunes et noires, sont exactement pareilles que ses griffes. Et pour parfaire cette beauté aveuglante, ses lèvres sont invisibles. Ses adversaires sont aux premières loges pour contempler l'intérieur de sa bouche.
— Euh... Il y a bien un moyen de le vaincre, non ? demandé-je, la gorge serrée.
— Mis à part fuir, non.
En plus de m'obliger à apprendre ces races par cœur, il sait être rassurant.
— Mais à partir de l'instant où il croise le regard, qu'il sent l'odeur d'un animal ou d'un humain, la fuite est devenue impossible.
Les yeux exorbités, je ne sais plus quoi dire. Sans raison, mon cœur tambourine contre ma poitrine, bien que je sache qu'il n'est devant moi qu'en photo.
— Sa... sa race est en voie d'extinction ?
Question rhétorique, car je redoute particulièrement la réponse.
— Non.
Un « non » tranchant et très clair.
Les sueurs froides deviennent de plus en plus vives sur ma peau, et je suis obligée de frictionner mes bras pour faire passer le froid qui entre en moi. J'espère ne jamais en croiser de ma vie !
— Bien, passons à une autre race ! Celle-là devrait vous plaire.
Je grince des dents. Encore quelques heures de calvaire à coup de « Majesté », « Princesse » et tous ces titres qui ne me plaisent pas.
Intriguée, je regarde tout de même le livre présenté. En effet, je pourrais prendre plus de plaisir qu'avec le Gingwë.
— Les Elphyriades..., soufflé-je.
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Je sentis une main me remuer brutalement, me ramenant à l'instant présent.
— Irianna ! Irianna !
Je tournai mon visage vers le plus jeune, qui ne cessait de répéter mon prénom à tout va. Son regard était terrifié, comme s'il se trouvait devant un fantôme.
— Oui, quoi ? demandai-je, surprise.
— C'est à nous de te demander ce que tu as ! Tu es toute pâle, on dirait que tu as croisé un mort...
Je déglutis difficilement.
— Tu ne crois pas si bien dire, Jen'...
Ses yeux choqués m'auraient fait rire dans d'autres circonstances, mais j'étais on ne peut plus sérieuse. Je venais de voir notre prochaine mort, à travers ce souvenir, qui m'apprenait enfin ce que on allait combattre.
— Je... je crois savoir ce qui vient sur nous, déclarai-je d'une petite voix.
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