Chapitre IX
Après ce sympathique et très instructif interlude avec Milo, je suis resté dans ma chambre. Pas pour retourner dans ma tête et essayer de tuer Thomas une nouvelle fois, non. Simplement pour lire. Me détendre. Penser à autre chose qu'aux posters qui ornent les murs, représentant tous plus ou moins un animal marin –mais surtout des dauphins–.
Je ne sais pas quel est le problème de Thomas avec les dauphins, mais c'est vraiment insoutenable. Cet homme vit avec des dauphins ? Est-ce qu'il a un passé marin ? Il a probablement un passé marin. Je ne vois que cette explique sur la raison d'autant de posters à l'effigie du dauphin ! Surtout pour quelqu'un qui voulait absolument s'affranchir de son surnom ridicule de gamin.
Roulant des yeux à cette pensée, je me replonge dans ma lecture du moment, qui n'est ni plus ni moins qu'un équivalent de "L'Oracle pour les Nuls". Il y a l'air d'avoir une sacré collection de romans de ce type ici. J'en ai vu un sur les Banshees aussi, dans une étagère. C'est plutôt improbable, en réalité. Ce n'est pas le genre de lectures que j'imaginais pouvoir trouver sur cette île, sachant tous les moyens magiques qu'ils ont pour faire apparaître n'importe quoi.
J'aurai plutôt vu des suites de romans d'auteurs décédés, par exemple. Enfin, après tout, chacun son délire. Je n'y suis pour rien si je suis visiblement plus cultivé en terme littéraire que la moitié de cette île. Et oui, je dis ça sans même avoir rencontré plus de trois personnes. C'est dire.
— Je te dérange ?, m'interromps la voix familière et douce d'Aoile venant de l'encadrement de la porte.
Je lève les yeux vers cette dernière, lui offrant un sourire rassurant tout en posant mon livre à côté de moi sur le lit d'un geste nonchalant. Les yeux gris de l'hybride me sondent mais j'ai confiance, je doute qu'elle imagine quoi que ce soit d'autre que "les méchantes petites personnes dans sa tête le trouble encore, le petit chou".
— Non, bien sûr que non. Tu voulais quelque chose ?, je réponds sur le même ton, essayant de rester naturel.
Enfin, "naturel". J'essaye de réagir et répondre comme Thomas pourrait le faire, tout en sachant que c'est vraiment difficile mais nécessaire si je veux réussir à gagner leur confiance. La jeune femme entre alors dans la pièce, s'approchant du lit avant de s'y asseoir sans me répondre, les sourcils froncés. Sa démarche rapide ne laisse aucun doute sur son état d'esprit.
Elle a clairement l'air troublée et j'entends les battements de mon cœur accélérer malgré moi. Est-ce qu'elle se doute de quelque chose ? Est-ce que Milo lui a parlé de ma crise de nerf ? Pitié, faites que non ! Ce gamin peut vraiment faire tourner la balance de manière positive pour moi et mon plan, mais pour ça il faut qu'il garde sa fichue langue dans sa poche !
— J'aimerai parler de ton exil. Je sais que j'étais contre et qu'on en a un peu discuté plus tôt, mais... J'aimerai que tu m'expliques ce que ça t'a apporté, de t'auto-bannir de la société. Parce que je ne comprends pas qu'on puisse vouloir le faire volontairement, m'explique-t-elle, daignant enfin lever les yeux vers moi à nouveau.
Je cligne des yeux, tout en laissant échapper un soupir de soulagement presque inaudible. Ce n'est que ça... Bien sûr que je peux en parler ! Heureusement pour moi, il n'y a pas que Thomas qui ait vécu ça. Il y a également Dépressif, Cynique et moi. Tous enfermés dans le même cerveau... Cependant, restant fidèle au Thomas que j'ai connu, je me décide à rester plus taquin.
— Oui, je me doute que pour la grande et très respectée fille de Lucifer, s'auto-bannir est probablement prohibé, je réponds avec un sourire.
Mentalement, je remercie Cynique de m'avoir soufflé la réplique. Voir le regard d'Aoile passer de la curiosité à l'exaspération en l'espace de trois secondes est presque jouissif. Un sourire moqueur apparaît sur mes lèvres et je tente tant bien que mal de le dissimuler, car ce n'est pas vraiment le type de sourire que ferait Thomas. Enfin, je ne crois pas. Aoile me frappe le bras, me faisant grimacer.
— Si tu pouvais arrêter de te défiler, ça serait chouette de grandir, lâche-t-elle.
Je me fige, ne sachant comment interpréter sa réponse. Est-ce de l'humour ? Une petite pique ? Ou est-elle sérieuse et considère Thomas comme un enfant ? Quelque part, vu la différence d'âge, cela se comprend. Pour autant, elle est censée le connaître mieux que personne, elle ne peut voir en lui qu'un enfant ! C'est impensable !
— Très bien. Si c'est ce que tu veux... J'étais enfermé dans ma propre tête. Où que j'aille, quoi que je fasse, il y avait toujours des voix qui venaient de nulle part et qui tentaient de me faire sortir de mes gonds. Même utiliser mes pouvoirs devenait dangereux, parce que les voix prenaient corps dès que je passais dans le monde des esprits. Je n'étais en sécurité nul part ! Et quand les voix prenaient le dessus... Regarde ce que j'ai infligé à Breugan, par exemple. Ou même toi ! Vous n'étiez plus en sécurité avec moi... Et je ne pouvais pas vivre avec ce poids sur la conscience. Alors j'ai préféré partir et m'isoler, quitte à être seul à jamais, je souffle.
Aoile ne répond rien, ce que j'apprécie. Non pas que cela remonte des émotions négatives, mais surtout un trop-plein de colère. Devoir passer mes journées à titiller Thomas jusqu'à ce qu'il craque et cède, étudier divers comportements pour trouver une faille, un moyen de l'atteindre... Je pensais entrer dans le corps d'un garçon fragile et il m'a fallu deux jours pour découvrir que c'était faux. Et le pire, c'est le temps qu'il m'a fallu pour trouver comment devenir un corps !
Je n'étais pas toujours lié à Thomas. Certes, sa résurrection a changé quelque chose en lui. Mais moi, Cynique et Dépressif, n'avons fait que prendre l'apparence de certaines émotions, celles qui étaient les plus importantes chez lui. Autrefois, nous étions dans notre monde. Celui des âmes en perdition, à mi-chemin entre le Paradis et l'Enfer. Les âmes qui errent à jamais, cherchant un corps sur lequel se greffer. Et c'est cette période qui m'a le plus traumatisé. Qui m'a changé. Nourri de colère.
Je ne me souviens pas avoir été humain un jour. Dans ma tête, j'ai toujours été une âme perdue, cherchant un corps. Alors forcément, quand une brèche s'est ouverte près de moi, signalant qu'un corps mort revenait à la vie, j'ai saisi l'opportunité ! Je voulais savoir ce que c'était que d'être humain. Et je ne sais toujours pas. J'ai pris le contrôle d'un corps, mais je le partage toujours. Un jour peut-être, je saurais être humain avec un esprit sain.
— J'ai erré des jours et des jours sans trouver une solution qui puisse m'aider. Je ne pouvais rien faire que me parler à moi-même, m'encourager pour garder espoir, chercher des solutions dans les quelques livres que j'avais à disposition... C'était le vide. Quand j'utilisais mes pouvoirs, je pouvais les voir. Mettre un visage, mon visage, sur des voix. Mais ce n'était que des attitudes, des comportements différents. Pas de réelles personnes. Et c'était ça, le plus dur, au final. Devoir accepter ces choses comme faisant partie de moi, alors que tout ce que je veux, c'est les chasser pour retrouver ma vie, je termine.
Mes mains tremblent et je tente de le cacher en les plaquant sur la couverture, évitant le regard de l'hybride. Je ne sais pas ce qu'elle va penser de tout ça. Moi, trop de souvenirs sont revenus et ils ne datent pas d'hier. Quelque part, je crois que je suis plus âgé qu'Aoile. Mais je n'en suis pas sûr. Ma vie n'a jamais existée, elle m'a été effacée, pour ne garder que les heures sombres et douloureuses d'âme perdue. C'est ce qui arrive à ceux qui osent contredire un Dieu.
Je sens une douce chaleur envahir mes mains et je tourne la tête pour apercevoir la main droite d'Aoile sur les miennes. Ses yeux me fixent, mais ce n'est ni de la pitié, ni de la tristesse que j'y lis. Seulement de la compréhension. Comme si elle savait ce que c'était que d'être une âme perdue. Les tourments que ça provoque. Les souffrances que ça réveille. Elle ne saura jamais. Elle n'aura jamais cette malchance, vu qu'elle est l'héritière du trône des Enfers. Sa place est déjà prête. Choisie. Et acceptée.
— Tu ne dois probablement rien comprendre à tout ça, je lâche une dernière fois.
La jeune femme rit nerveusement et retire sa main pour se la passer dans sa chevelure atypique. Elle ferme les yeux quelques secondes avant de me fixer de nouveau, laissant ses mains retomber le long de son corps. Je ne sais que lire dans ses yeux. Une sorte de tristesse passagère, mais qui semble avoir guéri tout de même. C'est à la fois étrange et hypnotisant.
— Thomas, je suis à moitié Archange, à moitié Démone. Jusqu'à Milo, j'étais la seule dans ce cas ! Crois-moi, je sais mieux que personne ce que ça demande de devoir accepter quelque chose comme étant une part de soi alors qu'on ne rêve que de s'en débarrasser. Combien de fois ais-je tenté de tuer ma partie angélique, de devenir une Démone... Et étrangement, quand j'ai perdu mon côté angélique, je me suis sentie vide, avoue-t-elle.
Je fronce les sourcils. Pourquoi est-ce qu'elle me raconte ça ? N'oeuvre-t-elle pas dans le seul et unique but de me faire redevenir le Thomas que j'étais avant, celui qu'elle considère comme un frère ? Dans ce cas, pourquoi me raconter cette histoire ? Je comprends qu'elle pense pouvoir savoir ce que je traverse. Quelque part, nos parcours semblent similaire sur ce point. Mais elle est bien contre l'idée que je garde les petites voix, non ?
— Je ne comprends pas. Est-ce que tu es en train de me dire qu'il me faudrait garder les voix qui peuplent ma tête ?, je demande.
Quelque part, je m'attends à la voir froncer ses sourcils et me sortir tout un discours sur le fait que mes idées soient stupides. Mais une partie de moi espère l'entendre dire que oui. C'est probablement Thomas, qui veut reprendre sa place dans sa tête. Dommage petit gars, c'est hors de question !
Les souvenirs de mon passé d'âme perdue m'ont radoucit, mais ça ne va pas durer. Il est inconcevable, pour moi comme pour elle, que je conserve Thomas. Aoile soupire et hausse les épaules, se détournant légèrement sur la droite. Elle me tourne le dos, mais je la sens tiraillée.
— En quelque sorte ? Disons que j'ai eu le temps d'y penser... Il n'y a aucune solution viable pour que tu redevienne...toi. Si Marie elle-même n'a rien pu faire, qu'est-ce qu'on peut espérer faire ? Bien sûr, s'il y a une solution, je la trouverai et je vais continuer de chercher, parce que j'ai espoir ! Mais si tu penses pouvoir peut-être accepter et faire la paix avec les voix... Qui sait, peut-être que cela va créer une accalmie ?, déclare-t-elle.
Elle se tourne vers moi, appuyant son discours d'un sourire presque timide, bien loin de l'hybride que j'avais en tête. Je hausse un sourcil, ne pouvant m'empêcher de ne pas rester sérieux, même dans un moment pareil ou c'est nécessaire.
— Tu sais qu'une accalmie est un moment de paix qui n'est pas fait pour durer, hein ?, je lâche.
La jeune femme roule des yeux et me frappe l'arrière du crâne, me donnant envie de l'étrangler. Si cela ne risquait pas de me faire découvrir, je l'aurai tenté. Mais je me contente de protester et de lâcher un petit cri assez peu virile pour la voir sourire, espérant ainsi me la mettre dans la poche pour le reste de mon plan. Si ça marche, je peux pratiquement considérer Samantha comme gagnée également.
— Ce que je veux dire, Monsieur le génie, c'est que le choix te revient. Personne ne le fera pour toi et personne ne doit le faire. C'est à toi de savoir si tu es prêt à accepter cette... différence et ce qu'elle t'apporte. Quoi que tu décides de faire, sache que je serais de ton côté, admet Aoile.
Je souris devant l'aplomb de la jeune femme. Je suis certaine que ça contredit pratiquement tout ce qu'elle a pu faire ou dire auparavant, sur sa recherche de solution. Elle a clairement l'air de penser que c'est cette solution qui marcherait. Accepter les voix et les considérer comme une part de moi-même. C'est mignon... Et totalement inconcevable. Ce corps est mien désormais et je compte bien l'exploiter au maximum.
Croyant probablement que le sourire est pour elle, Aoile m'imite et me prend alors dans ses bras, manquant de m'étouffer. Qu'est-ce que ? Depuis quand Aoile est-elle du genre câlin ? C'est nouveau ! J'ai horreur de la nouveauté ! Je ne sais pas m'y habituer ! Gêné, j'imite les mouvements de la blonde, qui me relâche cependant très vite pour mon plus grand bonheur. Elle me sourit une dernière fois avant de se retirer, me laissant seul dans cette chambre vide, mon livre tombé à terre.
Fermant les yeux une demi seconde, je me lève, contourne le lit et ramasse mon livre, l'ouvrant à la page à laquelle je m'étais arrêté, mon fameux sourire sur les lèvres. Posant un œil fier et heureux sur la porte, j'esquisse un rapide mouvement de bras pour symboliser ma victoire. Elle l'a dit, elle sera de mon côté quoi qu'il advienne à partir de maintenant. C'est clair, net, précis et définitif : Aoile est de mon côté, quoi qu'il advienne.
Échec et mat.
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Salut tout le monde !
Je sais, mercredi j'ai dit "à la semaine prochaine"... J'avais zappé que j'étais passé à deux chapitres par semaine x) Cette boulette !
Bref. Me voici donc de retour avec un chapitre plus cosy et émouvant, une discussion entre la bromance que je préfère de toute cette saga : Aoile/Thomas. Leur relation grande sœur/petit frère m'a toujours fait penser à celle que j'ai avec mon petit cousin (il a un an de moins que moi xD) 🧡 Donc je voulais absolument avoir cette scène dans ce tome.
J'adore l'idée qu'Aoile puisse être la seule à pouvoir comprendre aussi bien Thomas que Colère-Thomas, étant donné le parallèle entre leurs histoires. Thomas doit (peut-être) apprendre à accepter les voix dans sa tête, Colère-Thomas lui, sait ce que c'est de ne ressentir que de la douleur pendant la majorité de sa "vie". Et dans les deux cas, Aoile a ressenti pareil 🧡
Il y a donc cette idée qu'Aoile puisse aussi bien parler à Thomas, qu'à quelqu'un qu'elle sait ne pas être Thomas... 😏 Mais comme vous le verrez par la suite, Aoile a beau avoir mûrit, cela peut aussi lui porter préjudice et il se peut que notre hybride favoris fasse face à de nouveaux soucis... 🤗🧡
En attendant, on se dit VRAIMENT à mercredi pour le coup 😜😉 Pour le chapitre 10 et donc officiellement la moitié de ce tome ! Damn, ça sera passé vite 😘
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