Chapitre I (partie II)

Je donne un petit coup sec sur ladite poche, faisant piailler T'Shael, qui essaye de riposter en sortant ses griffes. Plus rapide que lui, j'ai déjà retiré ma main, faisant bouger sa patte dans le vide. M'envoyant plein de jurons, la créature se met à bouder tandis que j'éclate d'un rire franc qui fait beaucoup de bien.

Pendant quelques minutes, je ne fais que rire, créant une sorte de bulle de joie qui contamine ceux qui me croisent, que je vois sourire de ma bonne humeur. Et d'un coup, je pile net, envoyant presque T'Shael par terre une nouvelle fois. Je n'ai même pas réalisé que j'avais accéléré et que j'étais déjà presque aux portes du palais.

Devant mes yeux désormais médusés, je découvre un nouveau Palais, plus grand que l'ancien. Il y a au moins deux étages de plus. L'architecture est plus moderne, plus proche d'une très grande maison chaleureuse que d'un vieux palais rempli d'histoire. Ainsi, les murs sont un mélange de pierre et de briques, peintes de la même couleur que la pierre.

Il n'y a plus de tourelles ou de vitraux, mais des baies vitrées et seulement des constructions plus structurés. En fait, on dirait presque une maison, si une maison avait sept étages. Quelques plantes poussent également sur les façades, mais j'en distingue aussi à l'intérieur. Je vois également quelques bureaux, avec des ordinateurs et des gens affairés devant ou d'autres riants ensembles devant les vitres, observant la vie à l'extérieur.

Beaucoup d'habitants entrent et sortent du palais, comme si la majorité de la vie s'organisait à l'intérieur. Ils passent à côté de moi sans rien dire, comme si j'étais pratiquement invisible. Mais je ne les remarque pas non plus, trop occupé à observer le nouveau « Palais » face à moi.

— Il est beau hein ? Michael voulait que ça soit une construction pour le peuple, pour que les gens ne voient plus ça comme une sorte de palais de roi. Tu en penses quoi ?, me demande Samantha, arrivée à côté de moi.

Je sursaute en entendant sa voix, ce qui la fait sourire. Me tournant alors vers elle, j'observe également des changements chez elle, depuis la dernière fois que je l'ai vu, il y a cinq mois. La jeune femme s'est à nouveau coupé les cheveux, retrouvant sa coupe un peu garçonne comme lorsqu'elle a débarqué sur l'île la première fois.

Elle a également pris en muscles depuis la dernière fois, surtout au niveau des bras. Mais elle semble aussi plus âgée. Je sais que comme moi, elle a vingt-quatre ans désormais, mais ça ne semble pas être le seul facteur. Il y a quelque chose qui a changé en elle. Quelque chose qui l'a fait grandir plus vite que raison.

Fronçant les sourcils, j'observe aussi quelques cernes sous ses yeux verts qui semblent moins expressif que d'habitude. Il y a quelque chose non pas d'éteints, mais une sorte de nouvelle lueur que je ne connaissais pas.

Puis, je me rappelle que depuis quatre ans, elle et Aoile ont pris la responsabilité de s'occuper de Milo, qui doit probablement avoir à peu près neuf ans désormais. Et forcément, devoir s'occuper d'un enfant tout en reconstruisant une ville ne doit pas être le meilleur cocktail au monde pour la santé.

— Il est superbe oui. Il ressemble moins à un palais, c'est sûr. On dirait une sorte de maison. Plus convivial que l'ancien château de pierre qui faisait parfois froid dans le dos, je lui réponds avec une once d'humour.

Samantha soupire et acquiesce silencieusement. Je la vois également sourire à ma tentative de blague, preuve que cela a bien marché, finalement. Quelques mèches viennent devant ses yeux, qu'elle balaye d'un geste nonchalant, observant elle aussi la haute structure. Pendant quelques secondes, personne ne dit rien, même pas T'Shael que je sens tout heureux de retrouver un visage familier dès notre arrivée en ville.

— C'est le but. Michael ne voulait pas que cela rappelle l'ancien Idan, avec tout ce qui s'y est déroulé... Il voulait quelque chose de neuf, de plus convivial, de plus accueillant. Quelque chose qui symbolise à la fois le renouveau de l'île et la recherche d'espoir et de familiarité dont nous avons tous bien besoin en ce moment. Et tu as le résultat devant toi, souffle la jeune femme, un sourire triste sur le visage.

Je me tourne alors vers elle, essayant de décrypter ce qu'elle a bien voulu me dire. Est-ce qu'elle pense à la guerre ? Aux morts ? Pourquoi chercher la familiarité les uns avec les autres alors que tout le monde semble avoir accepté le deuil ?

Est-ce qu'elle cherche à me préserver de quelque chose qui est arrivé ? La jeune femme me regarde à son tour, ses yeux visant ma barbe assez mal taillée qui font énormément ressortir les traits plus adultes de mon visage. Elle sourit légèrement et me lance un regard moqueur, tandis que j'ai l'air d'un gamin désemparé, cherchant toujours à comprendre ce que la jeune femme a bien pu vouloir me dire par-là.

— Il y a eu d'autres catastrophes ?, je souffle du bout des lèvres.

La jeune Banshee fronce les sourcils, désormais totalement focalisée sur moi et mon visage inquiet. Même T'Shael sort la tête de ma poche, apeuré à l'idée que quelque chose ne fasse ressortir l'une des personnalités qui vit dans ma tête.

Heureusement pour moi, ce n'est pas le cas. Comprenant que je panique, la jeune femme échange un regard rapide avec le Brownie, comme pour lui demander ce qu'elle doit faire. Et après avoir eu ce que je pense est une réponse, Samantha s'approche de moi, pose une main douce sur mon épaule et lève les yeux au ciel avec un sourire incrédule.

— Non, bien sûr que non. Seulement, la guerre a laissé des marques plutôt profondes tu sais. Même après quatre ans, certains ont encore besoin d'être couvés pour guérir à leurs rythmes. Alors on a reconstruit les maisons avec la volonté de rapprocher les habitants entre eux, pour permettre à ceux qui se remettent de leurs blessures d'avoir tout le soutien nécessaire. Tu sais, tout le monde n'a pas la force ou la volonté de s'exiler pour faire son deuil, lâche-t-elle.

J'ignore la petite pique sur mon exil volontaire, comprenant bien que la jeune femme ne me blâme pas. Je sais qu'elle comprend parfaitement pourquoi je suis parti et elle sait très bien ce qui se passe dans ma tête. Après tout, elle était là lorsque j'ai entendu Arrynn demander à ne plus m'aimer, par exemple.

Sans mot, Samantha a très bien compris à quel point cette simple demande, ajoutée à ce que j'avais déjà subi en perdant ma sœur et ma mère, m'a complètement détruit. Elle et Milo ont essayé de me remonter le moral pendant trois mois, avant d'accepter mon départ. Même Milo semblait heureux de savoir que je voulais aller mieux, même si ça voulait dire que j'allais quitter la ville.

Je me souviens de l'avoir entendu dire que ça le ferai voyager un peu, en attendant de pouvoir un jour aller sur Terre, ce qui avait fait beaucoup rire Samantha. Je n'ai pas pu ignorer les larmes de cette dernière en me regardant partir.

Mais je crois que le pire, c'était Aoile finalement. Elle a refusé d'être là pour mon départ, disant qu'elle était attendue sur le continent. Nous n'avons jamais parlé vraiment de mon départ, parce qu'elle n'aurait probablement pas voulu.

Elle m'a pris sous ses ailes dès qu'elle a compris que ma mère ne reviendrait pas et j'ai bien senti qu'elle n'approuvait qu'à moitié mon départ. C'est aussi pour cela qu'elle est venue plusieurs fois m'aider à construire la cabine ou m'installer, avant de ne plus venir du tout pendant deux ans. Et son absence m'a fait un peu mal, au départ.

J'aurai voulu qu'on s'explique, au lieu de s'ignorer mutuellement. Mais finalement, j'avais de ses nouvelles grâce à Samantha, alors j'ai rapidement compris qu'elle ne m'en voulait pas d'être parti. Qu'elle comprenait, elle aussi.

— Je vois. L'important, c'est que ça marche, pas vrai ?, je lâche.

Je souris à Samantha, comprenant mieux pourquoi elle parlait de familiarité. Bien sûr que pour certains, il leur faudra plus de quatre ans pour guérir. Plusieurs habitants ont perdus leurs familles entières, des cousins, cousines, frères, sœurs, parents.

Je ne sais même pas s'il est vraiment possible de s'en remettre, ou s'ils ne feront que vivre avec la douleur pour le reste de leurs vies. Je pense qu'à leurs places, je prendrais la deuxième option. J'accepterai la douleur comme faisant partie de mon quotidien et n'essayerais en aucun cas de la chasser, sauf lorsque je suis entouré par des personnes qui m'aiment.

Parce que c'est le plus important, de s'entourer de gens qui nous aiment et qui savent comment nous remonter le moral lorsque plus rien ne vas. C'est tellement important que la plupart des gens l'ignorent, jusqu'à ce qu'ils en aient besoin. J'ai vu tellement de jeunes dire que leurs parents sont des cons...

Et maintenant, ils le regrettent tous. Parce que leurs parents ne sont plus là pour les réconforter. Parce qu'ils se rendent enfin compte que leurs parents les aimaient bien plus qu'ils ne pouvaient se l'imaginer. Et ils ont perdus cet inconditionnel amour.

Je dois avouer que ça m'a manqué, dans ma cabine. Avoir quelqu'un à mes côtés pour me remonter le moral. Recevoir ce même type d'amour, surtout depuis qu'Elyane n'est plus à mes côtés, au final. L'amour maternel vient à manquer, surtout lorsqu'il nous est retiré d'une manière aussi brutale. Presque aussi brutal que lorsqu'il nous a été donné.

« Surtout ignore moi, je ne dirais rien », proteste T'Shael dans ma tête, de sa voix moqueuse.

Je passe une main protectrice sur ma poche ventrale, laissant ma chaleur témoigner de mon affection pour la créature. Ce dernier se met à ronronner aussitôt, m'envoyant des vibrations réconfortantes. Un petit sourire naît sur mon visage, tandis que Samantha reste à côté de moi, sans dire un mot. Comme si elle savait que j'avais besoin de silence pour apprécier cette vue. Comme si elle savait à quel point j'avais changé.

« Tu es bien plus qu'une simple personne à mes yeux, T' », je réponds mentalement, lui envoyant toute la sincérité que je possède.

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