Quatre ans. C'est le temps qu'il a fallu pour que le monde se remette sur pieds. C'est le temps qu'il a fallu pour que les traces de la bataille s'effacent, que les plaies guérissent et que les humains reviennent.
Quatre longues années pendant lesquelles les deuils se succédaient aux naissances, nous obligeant à passer du rire aux larmes en permanence. J'ai supporté ce capharnaüm pendant trois mois.
Trois mois à épauler ceux qui avaient tout perdu, à apporter mon soutien à ceux qui voulaient se reconstruire au plus vite, essayant d'oublier la monstruosité sans précédent de la guerre que nous venions de subir.
Trois mois à essayer d'oublier que moi aussi, j'avais tout perdu. Trois mois à essayer de me convaincre que tout cela n'était qu'un cauchemar, une passade, mais que je me réveillerai le lendemain avec ma mère et ma sœur adoptive à mes côtés.
Et après trois mois, j'en ai eu assez de faire semblant, alors je me suis exilé, comme on dit. J'ai pris un sac, quelques affaires, T'Shael et je suis parti dans un coin plus reculé de l'île, où peu de créatures s'aventurent. Il s'agit d'une clairière cachée dans une vallée, derrière deux des plus hautes montagnes de l'île.
Les arbres y sont hauts, couverts de lianes également, ce qui rend l'atterrissage des Anges et Archanges impossibles, par exemple. Il y a deux rivières qui s'y croisent, à quelques mètres seulement de la cabane qui se trouve à présent dans cette vallée.
Il y a très peu d'animaux, alors j'ai décidé de devenir végétarien, ce que mon corps à plus ou moins bien accueilli. Après avoir passé deux nuits à rêver de viande, j'ai fini par m'adapter à ce nouveau mode de vie. T'Shael aidait beaucoup, en essayant notamment de chasser les cauchemars et les rêves étranges loin de mon esprit pour que je puisse me reposer.
Grâce à Aoile –qui a mis de côté ses ronchonnements à propos du fait que justement, elle ne puisse pas s'envoler dans ce « coin paumé », selon elle- j'ai pu construire assez rapidement une petite cabine assez sympathique, composé de quatre pièces mais plutôt rustique. Il y a le nécessaire pour y vivre convenablement pendant quelques mois.
Je ne pensais pas y rester plus de six ou sept mois, le temps d'accepter pleinement mon deuil et d'apprendre à vivre avec la malédiction qui occupait mon esprit. Là encore, T'Shael fut d'une patience d'ange, faisant de son mieux pour garder mes autres personnalités enfermées dans ma tête, derrière un solide mur de souvenirs positifs.
Dès que je me sentais perdre le contrôle, il était là pour consolider le mur. Je pouvais tout de même sentir sa peine d'avoir perdu Elyane, mais il restait là pour moi, comme personne ne l'a jamais été. Et pourtant, je sais que ce nouvel environnement ne lui plaît pas vraiment.
En plus des lianes gênant nos mouvements si on s'aventure trop loin de la cabine, l'eau y est très fraîche, les animaux ne sont pas habitués aux hommes donc lui font assez peur... Et il y a les quelques marécages boueux et nauséabonds qui se trouvent à dix-huit mètres de la cabine, en amont. Et puis T'Shael a un sens de la famille un peu plus développé que le mien, en ce moment.
Il aurait voulu rester avec Samantha, Lucifer et Aoile, dans la ville elle-même, tandis que je me satisfais de les voir de temps en temps, quand l'un d'eux décident de monter jusqu'à moi. Cependant, je sais que Samantha comprend parfaitement mon geste. Elle a aussi perdu une mère adoptive, même si elle m'a confié que leurs liens n'étaient pas aussi forts que celui qui m'unissait à Elyane.
Finalement, au lieu de sept mois, je suis resté quatre ans dans cette cabine. J'avais des nouvelles du monde extérieur grâce à Aoile ou Samantha, qui montaient parfois me voir. En général, c'était plutôt Samantha qui venait, Aoile étant trop occupée à aider les Anges qui repeuplaient la Terre. Ainsi, la jeune Banshee me confiait les avancées des reconstructions sur l'île ou sur Terre, ainsi que ce qu'elle faisait pour aider.
Malgré l'annonce de la fin du temps de deuil, je n'osais pas revenir. J'avais trop peur que ma barrière mentale cède et ne crée un monstre. Et le peuple d'Idan ne méritait pas de voir ce monstre, pas après tous ces morts. Ils me tueraient avant même d'essayer de m'aider pour ne mettre personne en danger et je ne pourrais même pas être en colère contre eux.
Alors je préférais rester en hauteur, à essayer de me contrôler. Je voulais être sûr de moi avant de redescendre, pour ne mettre en danger personne. Et pas une seule fois Samantha n'a essayé de me convaincre de revenir, ce que j'appréciais grandement. Petit à petit, je me suis même fait à la solitude, ne discutant qu'avec T'Shael pour ne pas non plus perdre ma capacité à parler.
Et bien que ce dernier semblait s'illuminer dès que quelqu'un d'autre que moi entrait dans la cabane, il n'a pas une seule fois essayé de retourner en ville sans moi. Et puis j'avais de quoi m'occuper ! Entre la cuisine des légumes –que je ne savais même pas faire en venant ici- que Sam' m'apprenait en montant me voir, ou mes diverses séances de yoga pour canaliser mon énergie mentale et rester sous contrôle...
J'étais devenu Hulk. Devant rester sous contrôle pour éviter de faire sortir un monstre que je ne contrôlais pas. Et même si ça peut paraître assez drôle, énoncé de cette manière, ça ne l'était pas.
Cependant, après quatre ans, il m'a fallu bouger de ma tour d'ivoire et revenir parmi les autres humains. Quelque part, je ne sais pas trop pourquoi j'ai décidé de revenir. Peut-être parce que j'en avais assez de jouer au cavalier solitaire ? Peut-être pour faire plaisir à T'Shael, qui commençait sérieusement à en avoir assez ?
Peut-être poussé par l'esprit de ma mère ? Je pense que je ne saurais jamais vraiment. Toujours est-il que je suis redescendu, doucement, en plusieurs étapes, afin d'être sûr de moi. Je voulais être certain que je n'allais faire de mal à personne. Que la ville était prête à me retrouver, après tout ce temps sans moi. Sans oracle. Je me suis aussi demandé, qui leur avait le plus manqué ? Thomas, le jeune adulte de vingt-quatre ans, ou Flint, le seul Oracle de l'île ?
Il n'y a qu'une seule manière de le découvrir, c'est de redescendre dans cette ville que j'avais laissée dévastée et remplie de chagrin. Par instant, je pouvais même voir les âmes de morts flotter autour de nous. Sans parler de ceux qui venaient me voir afin de savoir s'ils allaient se remettre de la disparition des leurs, me forçant à utiliser mes pouvoirs.
Des pouvoirs qui me rappelaient tant ma mère. Secouant la tête, je finis par sortir du sentier que je suivais depuis une heure et demie, apercevant déjà les premières maisons, celles qui se trouvent à la sortie de la ville. Celle que l'on occupait avec Samantha et Aoile est la première que je vois et j'en reste sur les fesses.
En effet, la maison pratiquement en ruine est désormais toute pimpante et fraîche, recouverte d'un framboisier grimpant du plus bel effet. Il n'y a plus aucun moyen de deviner qu'il y a quatre ans, cette maison taillée dans la roche tenait à peine debout. Lentement, je m'approche et pose une main sur la roche.
Je suis presque ému de sentir la fermeté de la pierre, après quatre ans entouré de bois. Puis, mes doigts glissent vers l'arbuste qui grimpe sur la façade, m'émerveillant d'y voir déjà quelques fruits, alors que l'été commence à peine. C'est tout bonnement magnifique et j'ai du mal à croire qu'il y ait eu autant de changement en quatre années... Mais en même temps, quatre ans c'est très long.
Mon cœur commence à battre plus vite, imaginant déjà une ville reconstruite et florissante, avec des habitants souriants et débarrassés de toutes peines et de tout deuil. Quelques larmes de joies coulent le long de mes joues en voyant toutes ces images passer à travers ma tête. Je sais que ce ne sont que des suppositions, des rêves, mais j'ai envie d'y croire.
J'ai envie de croire que quatre ans soit suffisant pour que mes rêves soient devenu une magnifique réalité. Alors je décide de me mettre à courir. Sans trop savoir pourquoi, je me retrouve à courir aussi vite que possible vers le cœur de la ville, où se trouvait autrefois le palais qu'Uriel a détruit. Les arbres deviennent flous à côté de moi, je prends de plus en plus de vitesse.
T'Shael plante ses griffes dans mon épaule, secoué par ma soudaine prise de vitesse. Mais mon sourire ne faiblit pas. Je veux voir ce qu'ils ont fait de cette ville, ce que sont devenus les habitants... Vais-je croiser des gens que je connais ? Forcément. Vont-ils me reconnaître ? Pas si sûr. La dernière fois que la plupart des habitants m'ont vu, j'avais à peine vingt ans et j'étais plein d'une joie de vivre qui n'est plus entièrement là.
Je m'arrête net devant la grande route qui mène au Palais, à la fois angoissé de voir ce qu'il est devenu et en même temps apeuré à l'idée de voir toutes mes belles idées partir en fumée. Je n'ose pas faire de mouvements, me disant que quelqu'un pourrait me reconnaître ou me dévisager.
Ou pire, m'accuser d'être un déserteur, de ne pas être resté pleurer avec le reste du village. Mais qui pourrait bien m'en vouloir ? Moi aussi, j'ai perdu des proches. Mon cœur se serre en y repensant, mais plus aussi douloureusement qu'il y a deux ans, ou quatre ans. Je guéris, sans avoir peur de le faire. Sans penser que c'est un manque de respect quelconque envers les défunts. Maman aurait voulu que je guérisse et que je revienne parmi les autres habitants pour partager leurs joies.
« Tout va bien Thomas ? », demande T'Shael, descendant de mon épaule pour atterrir dans la poche ventrale de mon sweat.
Ses yeux bleus sortent de la poche et me fixent avec inquiétude. Il ne tente pas d'entrer dans mon esprit pour lire ce à quoi je pense, ce qu'il fait pourtant régulièrement. Mais il ne semble pas sentir le besoin de le faire, attendant que je me décide à parler par moi-même, cette fois. Que je lui réponds haut et fort.
J'observe les environs, louchant sur la beauté des maisons reconstruites ainsi que sur l'apparition de plusieurs petits arbustes accolés à chaque maison. Je ne m'approche pas pour lire les plaques plantées juste devant, devinant avec aisance que c'est le moyen qu'ils ont trouvé d'honorer leurs morts.
C'est plus esthétique qu'un cimetière et l'espoir est plus facile à dénicher. Quelques passants m'observent avec curiosité, leurs regards portés sur ma barbe, que je n'ai que très rarement rasée. Je n'irais pas jusqu'à dire que je ressemble au Père Noël, mais elle est bien fournie. Personne ne s'arrête pour me parler, mais je reçois des sourires polis ou des signes de mains de ceux qui me reconnaissent.
Je lis dans les yeux qu'ils sont contents de me revoir. Je leur rends leurs sourires, tirant sur mes muscles faciaux qui n'ont pas énormément bougé depuis quelques mois, les saluant de la même manière. Mon cœur s'emballe devant tant de gentillesse que je ne pensais pas forcément recevoir après une disparition aussi longue. Je baisse les yeux vers T'Shael qui semble toujours attendre sa réponse, un léger sourire sur ses petites lèvres.
— Oui. Ça va beaucoup mieux, j'assure, un léger tremblement dans la voix.
Visiblement satisfait, T'Shael fait bouger ma poche pour m'encourager à avancer, ce qui me fait rire. Un petit rire ne durant que quelques secondes, mais assez long pour que le Brownie me regarde avec surprise. Il s'agrippe à l'extérieur de la poche pour se hisser assez haut, afin que je puisse voir toute sa tête et non juste ses yeux.
Je fronce un sourcil moqueur dans sa direction et la créature se contente de soupirer, jurant dans ma tête pour me faire sourire et je fais enfin le premier pas vers le palais. La route n'est pas longue, mais je tiens à découvrir tous les changements et tous les habitants, alors je marche à une allure plutôt lente pour un jeune homme de mon âge et de ma carrure.
En effet, pour occuper le temps, je me suis mis à faire du sport, dont la course à pieds et le peu de musculation que je pouvais faire avec des branches et quelques lianes. Malgré tout ça, j'aime à penser que je n'ai pas vraiment changé mentalement vis-à-vis de l'adolescent que j'étais il y a six ans.
Que j'ai gardé cette partie que je surnommais le « Dauphinateur » quelque part en moi, en plus d'être ancrée dans mon cœur. Cette innocence me manque, par instant. Mais si j'étais resté ce petit garçon, pourrais-je me considérer comme un adulte ? Pas vraiment. Je serais toujours le petit bouffon dont tout le monde a besoin uniquement pour faire rire. A présent, je suis plus mature, du moins je me sens plus mature.
« Fait gaffe à tes chevilles Tom' », se moque T'Shael.
Je lève les yeux au ciel, incapable de repousser le sourire qui fleurit au bord de mes lèvres. Après avoir vécu quatre ans dans ma tête, je suppose que T'Shael est devenu comme une partie de moi-même. Une extension de mon être.
On partage presque une seule et même conscience, lui permettant de réguler mes pensées et mes rêves afin de ne rien déclencher de catastrophique. En tout cas, en quatre ans, je n'ai eu que deux « accidents » assez mineurs qui n'ont détruit que sept branches. En sommes, pas grand-chose. Mais c'est aussi pour cela que j'appréciais de vivre dans une cabine isolée. Il n'y avait rien d'autre à détruire, si ce n'est les arbres et leurs branches.
Mais si aucun autre accident n'est arrivé, c'est majoritairement grâce à T'Shael. Il parvenait sans peine à entrer dans ma tête et consolider mon mur lorsque mes propres pensées n'allaient que vers ma mère et ma sœur. On a eu des disputes d'ailleurs, avec le Brownie. Mais il gagnait toujours. Il semblait toujours savoir quand est-ce que j'avais besoin de son aide et quand est-ce que je la rejetais, même s'il forçait tout de même l'entrée de ma boîte crânienne en disant vouloir m'aider.
Ce qu'il faisait, bien sûr. C'est juste que sur le moment, je ne voulais pas forcément de son aide. Je ne voulais pas me sentir aussi impuissant face à une créature de quatre-vingt-dix centimètres de haut.
« Je préfère ça. Il ne faut pas sous-estimer l'intelligence du Brownie ! », clame la créature depuis sa poche.
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Hey guys !
Comment ça va ?
Je vous avez manqué ?
J'avoue, poster le mercredi m'a bien manqué. Ça fait partie des habitudes que j'ai aimé prendre depuis mes débuts en Angleterre ❤️
Donc ça va peut-être être chiant. Peut-être. Mais dites-vous bien qu'à partir du chapitre 4 ou 5 (que je suis en train d'écrire), il devrait y avoir un peu d'action. Je n'oublie pas la menace qui plane sur la tête de Thomas (sans jeu de mots) et elle sera bien présente. Seulement, ça ne sera pas à tous les chapitres, et il faut aussi qu'on voit l'évolution des personnages en QUATRE ans, ainsi qu'en apprendre plus sur Idan (et Milo ❤️).
N'hésitez donc pas à me dire ce que vous en pensez. Le prologue était un peu différent, parce que c'était le Thomas du second tome qui faisait cette recherche. Avant la guerre. Avant les morts. Avant son exil volontaire. Donc forcément, il était plus jeune. Maintenant, il sait ce qu'il a, comment le contrôler (à peu près) et les déclencheurs, donc on le verra apprendre à communiquer avec les autres à nouveau aussi. Il y aura des tensions 😂
Sur ce, je vous dis à mercredi prochain ! Pas de questions pour ce mercredi, je pense que lire tout ça vous a déjà donné des pistes pour la suite et de toute façon vous êtes peu à y répondre 😂😂. Lisez plein de romans 😘❤️
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