Chapitre XXXVI

Avec un grognement peu élégant, je me redresse. Les souvenirs de mon « aspiration » sont très frais dans ma mémoire et je frissonne rien que d'en parler. Décidément, cette chose étrange a fait de moi son déjeuner et personne n'a bougé le petit doigt pour m'aider. Pour Thomas, je peux comprendre, un pas en dehors des ailes de Lucifer et il était mort en quelques minutes. Aoile semblait être en proie à un concert de métal interne. Mais Lucifer lui-même ?

Il m'a juste regardé disparaître sans la moindre émotion et sans essayer de me sortir de là. Comme si la créature le lui avait demandé expressément. Bien que je doute que ce genre de créature est un langage compréhensible pour les gens comme nous.

Cela ressemblait plus à une incantation bruyante et désagréable. Je passe ma main sur mes jambes et mes bras, m'assurant qu'il ne reste aucune particule de ce truc sur moi. Déjà que la couleur était atroce, alors le toucher.... Je me retiens de vomir rien que d'y penser.

Ce qui me frappe, sur le moment, c'est le calme qui règne autour de moi. Je me relève rapidement, constatant par-là que je n'ai aucune blessure due à une aspiration par monstre étrange. La lumière sort d'une fenêtre de taille moyenne, à ma droite. Derrière moi, je découvre un lit d'enfant, dont la structure représente une couronne.

Au-dessus de cela, de longs rideaux crème entourent le lit, comme une sorte de barrière protectrice. J'étais moi-même assise sur la moquette crème qui recouvre un plancher un peu cassé. A ma gauche se trouve une armoire, la plus grande qu'il m'ait été donné de voir. Comme le reste de la chambre, elle est peinte de blanc et les poignées d'ouverture sont deux couronnes d'or.

Clairement une chambre d'enfant. La seule chose qui me paraît étrange, c'est la présence de ce miroir intégral sortit d'un magazine Ikéa. Qui mettrait cela dans la chambre d'un jeune enfant ? Alors que la question traverse mon esprit, un rire cristallin se fait entendre derrière la porte fermée de la chambre.

Une légère panique m'envahit. Comment expliquer à ces gens que j'ai été avalée par une créature liquide et que j'ai atterris ici ? Au mieux, je serais internée une nouvelle fois, dans un véritable hôpital et inculpée de meurtre en prime. La porte s'ouvre et une petite fille joufflue entre en riant dans la chambre. Ses cheveux bruns bouclés sont attachés en un tout petit chignon, pratiquement sur son crâne. Ses jolis yeux verts me traversent comme si j'étais invisible et se posent derrière moi. Je tourne la tête pour découvrir, sous la fenêtre, une petite coiffeuse en plastique sur laquelle une brosse rose pétard attend de servir.

La petite fille passe à côté de moi et attrape la brosse avec un cri de victoire qui me fait sourire. Attendrie, je la regarde passer des petits coups de brosse répétitifs sur son chignon, le rendant totalement abstrait. Elle n'a pas l'air de me voir et quelque part, cela ne me surprend pas. Je ne dois pas être physiquement présente dans cette chambre. Habillée d'une robe aussi verte que mes yeux, la petite jette la brosse à travers la chambre en grognant parce que sa coiffure est défaite.

— Mais que fait mon grand bébé ? S'exclame une voix féminine depuis l'entrée de la chambre.

Une femme d'une trentaine d'année, avec de longs cheveux de jais cascadant sur ses épaules et une paire d'yeux verts identiques aux miens, elle sourit à l'enfant qui retrouve un semblant de sourire malgré ses cheveux en désordre.

La jeune femme se détache du cadre de la porte et ramasse patiemment la petite brosse de plastique au sol, avant de s'approcher du lit de l'enfant. Cette dernière quitte la fenêtre pour grimper sur son lit et s'approcher de celle que je devine être sa mère. Avec patience et précaution, la mère détache l'élastique et brosse les cheveux de l'enfant avec douceur et passion.

Je me rends alors compte que je suis appuyée contre la fenêtre et que devant ce joli tableau, mes yeux s'humidifient. Une fois le chignon refait, la mère se relève ce qui ne plaît pas à l'enfant qui lui tire la manche.

— Reste maman, s'il te plaît, boude-t-elle.

L'adulte sourit et passe sa main doucement sur le bras de sa fille. Elle caresse de ses doigts fins le visage de son enfant et je remarque alors que son sourire est triste et que ses yeux expriment plus de regrets que d'amour. Qu'est-ce qui ne va pas ? L'enfant ne semble pas le voir, mais peut-être l'a-t-elle sentit car elle n'insiste pas quand sa mère quitte sa chambre.

Mon cœur se brise devant les yeux tristes de l'enfant et la voir s'enrouler dans sa couette, seule dans cette grande chambre vide et blanche me rappelle de mauvais souvenirs à l'Orphelinat. Des images se superposent, comme dans un film. Je vois l'enfant seule sur son lit, puis moi à l'Orphelinat, sanglotant dans mon lit en fer.

Je pose mes mains sur mes yeux et laissent quelques larmes couler, ressentant la peine de l'enfant en plus de la mienne. Timidement, l'enfant s'approche de la porte et y appose sa main. Elle penche tendrement la tête vers la droite et pousse la porte, qui se ferme dans un claquement peu sonore. Et quand le clac retentit, j'entends ses sanglots qui terminent de briser mes dernières défenses.

Je fonds en larme avec l'enfant, me laissant glisser à terre, oubliant Idan, mes problèmes, la Faille et tous les autres. Je compatis avec la douleur de cette enfant, je ressens sa douleur et sa peine et je me mets à maudire ses parents pour la laisser seule dans tout ça.

— Oh Samantha..., j'entends dans mes sanglots.

Je lève les yeux et remarque un homme. Plus petit que sa femme, il a les mêmes cheveux châtains que sa fille mais des yeux bleus. Il surplombe l'enfant qui s'est éloignée de la porte, mais qui pleure à même le sol. D'un pas ferme et assuré, il réduit la distance qui le sépare de l'enfant et la prend dans ses bras, s'abaissant à son niveau.

La petite pleure sur son épaule, mais son père recule et lui prend le visage dans ses doigts musclés. Il sourit et efface les larmes de sa fille de son grand pouce. Il appose son front contre celui de sa fille et ferme les yeux, comme s'il pouvait prendre sa peine et réparer son cœur d'enfant brisé. Il recule sa tête et s'assoit en tailleur sur le sol.

Quant à moi, je reste muette de stupeur en comprenant que l'enfant que je regarde, c'est moi. Il y a plein d'autres Samantha brune, mais les parents ressemblent traits pour traits à ceux que j'ai vus en photo. Et cela explique le miroir, symbole que la vie d'une Banshee est faite de deux côtés : côtoyer les vivants et vivre parmi les morts.

— Ta maman ne veut pas te rendre triste. Il y a simplement des choses dont les adultes doivent s'occuper pour ne pas que tu ais à le faire plus tard, explique-t-il.

La fillette hoche la tête et sourit à son tour tandis que mon cœur se met à saigner. Des images de la Faille et des monstres qui y habitent resurgissent dans mon esprit et je regarde l'expression du père se fermer et devenir dure tandis qu'il câline sa fille qui sourit, les yeux fermés, innocente et inconsciente du danger.

Je ne sais pas dans quel monde j'ai atterri, ni même si ces souvenirs sont les miens, ou même pourquoi je dois en être témoin. C'est une famille que je n'ai pas connu et que je n'aurai jamais le bonheur de connaître. Et pourtant, sous mes yeux, se déroulent la situation dont j'ai toujours rêvé : mes parents et moi, une seule famille unie. Il nous manquerait juste un animal de compagnie et nous serions une famille parfaite.

J'imagine​ plutôt un chat. Je ne vois pas mes parents prendre un chien. Un rire m'échappe en pensant que j'imagine des choses rien qu'en voyant quelque chose qui n'est sans doute qu'une hallucination. La petite moi remue et éternue, me donnant envie de rire. C'est si mignon, si pur, quelque chose que je n'ai pas vu depuis si longtemps... Le père la soulève et elle éclate de rire, un rire qui résonne en moi comme un écho positif et me fais rire aussi...

— Pourquoi tu es triste papa ? Demande la petite Samantha avec une adorable bouille.

Je meurs d'envie de la prendre dans mes bras et de la câliner à mon tour, mais quel genre de paradoxe cela créerait ? Le père se contente de sourire et reposer l'enfant au sol. Elle sourit et lui attrape la main, balayant toutes mes pensées douloureuses. Ensemble, ils s'éloignent de la chambre et je les suis, ne sachant pas ce que je vais découvrir. Plus loin dans le couloir, ma mère nous regarde avancer avec un grand sourire, comme si elle n'avait jamais failli pleurer devant nous quelques minutes plus tôt.

— Je suis désolée de t'avoir fait pleurer Samantha. C'est juste que parfois, maman et papa doivent s'occuper de gros méchants pour que tu n'aies jamais à avoir peur. Tu sais que nous ne voulons pas que tu te sentes seule, ou que tu es jamais peur ma chérie, pas vrai ? Parce que maman veut juste ton bonheur, s'excuse ma mère.

Si son message fait plaisir à sa fille, qui sourit et l'étreint tendrement, les yeux de la mère sont fixés sur moi. Comme si elle, elle pouvait me voir et qu'elle m'adressait ce message par-delà l'hallucination. Je souris, les yeux embués et mes lèvres forment un « merci » muet qui semble avoir de l'effet sur ma mère.

Un bruit de verre brisé retentit et aussitôt, mes deux parents se redressent et tournent leurs têtes dans la direction du bruit, tandis que la mini-moi éclate de rire et frappe des mains. Je fronce les sourcils, me posant de réelles questions sur mon état mental à ce moment exact de la journée. Quel genre de céréales j'avais eu au petit-déjeuner ? Finalement, l'ombre d'une silhouette se dessine sur le mur face à nous et je vois mes parents se décontracter. Mon père sourit et me soulève pour me poser sur ses épaules, ce qui me fait rire un peu plus fort.

— Tu sais que nous avons une porte, Aoile ? Soupire ma mère avec un soupçon d'exaspération.

Mon amie s'appuie sur le chambranle de la porte et hausse un sourcil. Elle ressemble parfaitement à celle que je connais aujourd'hui, sauf qu'elle semble plus rayonnante et moins guerrière. Elle semble plus confiante également, plus ouverte et pleine de vie. En bref, une Aoile moralement opposée à celle que je connais. Ses yeux ne me lâchent pas et je remarque que mini-moi lui fait un grand sourire. Depuis quand Aoile est-elle dans ma vie exactement dans cet univers bizarre ?

— Oh allez Paule. Je me disais que je passerais faire un coucou à ma protégée et filleule. Celle qui est aussi ta fille et celle de Gabriel, rétorque Aoile avec un grand sourire.

Ma mère, nommée Paule, se contente de sourire et de me descendre des épaules de mon père. Mini-moi courre jusqu'à Aoile, qui se contente de passer une main sur mon bras avec un grand sourire. Pas plus d'affection, comme je m'y attendais de la part de mon amie. Rapidement, mini-moi se colle contre Aoile qui se baisse à son niveau pour mieux lui faire un câlin.

Je soupire devant cette image adorable, bien que je préfère connaître Aoile maintenant plutôt que de savoir qu'elle m'ait vu bébé, enfant et ado dans cet univers. C'est plutôt....effrayant. Comme un écho à mes pensées, une voix familière sort de l'ombre :

— C'est écœurant et totalement pas moi, proteste la véritable Aoile depuis la cuisine, qui se trouve à quelques pas de nous.

Cachée derrière un pan du mur, je ne l'avais pas vu. Visiblement, elle a été amenée ici aussi, sans que je sache comment. Mais la voir ici me remplit de joie. Elle a la bouche tordue de dégoût et son air condescendant me fait presque plaisir. Il m'avait manqué, l'espace des quelques minutes que j'ai passé ici. Je m'avance vers elle, trahissant ma présence et elle sort de l'ombre. Derrière nous, le tableau semble s'être arrêté. Personne ne bouge, plus aucun bruit ne nous parvient.

Une expression de joie sur tous leurs visages, c'est comme une très belle peinture dans un musée. Je passe un doigt sur le visage de ma mère, qui s'effrite comme une vieille sculpture sous mes doigts. Sous mes yeux attristés, les êtres humains présents autour de moi se réduisent en cendres suite à mon toucher et je me retiens de ne pas fondre en larme quand tout s'éteint, révélant la chambre de mini-moi, vidée de tous meubles, sauf le miroir. Aoile s'approche de moi et me serre contre elle. Je remarque des marques de griffures sur ses bras et du sang sur son haut.

Elle est si différente de l'Aoile que j'ai découverte juste avant, c'est déconcertant. Je m'écarte pour observer des coupures assez profondes sur son visage, qui la rende intimidante.

— Est-ce que tu vas bien ? Me demande-t-elle, visiblement inquiète.

Je souris et hoche la tête.

— Je croyais que c'était « écœurant » de te voir te préoccuper de quelqu'un, je me moque.

Cette dernière sourit et fixe la salle autour de nous. Nos deux regards balayent la pièce, cherchant une issue. Personne ne se demande comment nous sommes arrivées ici. Moi, j'ai été avalée. Quant à Aoile, elle a dû s'agripper à moi car elle était la plus proche quand je me suis faite aspirée. Maintenant, on veut juste retourner dans notre monde. Même si celui que j'ai découvert m'a énormément plut. J'ai senti la détresse de mes parents rien qu'à l'idée de me laisser seule ou de laisser avoir peur.

Ils m'aimaient profondément et je peux le sentir désormais, hallucination ou non. Je sais aussi que ma mère savait que j'étais là, avec elle, la version solitaire et adulte de son bébé. Elle l'a senti et elle m'a parlé. J'ai pu sentir sa tristesse et c'était presque un « pardon » muet qu'elle m'a offert. Et cela met un peu de baume sur mon cœur meurtrit. En jetant un coup d'œil dans le miroir, je peux m'y voir telle que je suis.Quelques coupures sont présentes sur mon visage également, ainsi que sur mes bras. Rien de sérieux, mais cela me rend plus intimidante aussi. Plus guerrière. Plus Banshee, finalement.

Je pose la paume de ma main sur la surface du miroir qui instantanément, se met à chauffer. Sous mes doigts, le miroir chauffe jusqu'à m'en faire mal, mais je ne retire pas ma main. A l'intérieur de moi, cette chaleur a trouvé son écho et ensemble, ils résonnent. Hurler jusqu'à ce que le miroir se brise et que je puisse voir de l'autre côté. Sans réfléchir, je me concentre sur ce que j'ai vu, tout ce qui m'a mise hors de moi.

Je laisse ce sentiment de désespoir, d'inutilité, de solitaire, cette impression d'avoir été invisible toute ma vie enfler jusqu'à ce que ne puisse que percer l'abcès. Ma gorge brûle aussi fort que le miroir quand ma voix me quitte pour s'écraser avec force contre ledit miroir. Ce dernier implose sous l'impact et les bouts de verre s'envolent autour de nous, créant une barrière tranchante comme un rasoir.

Comme s'ils obéissaient à ma voix qui emplit la pièce, ils tournent de plus en plus vite autour de nous, jusqu'à ce que j'aperçoive Lucifer et Thomas. Sans arrêter de hurler, je tends ma main vers mon ami et ma voix se meure quand nos mains se touchent enfin.

Je me laisse glisser au sol, tandis que je reconnais sous mes pieds les vieux rails de métro rouillés et la vieille pierre de la station. Devant mes yeux, la Faille s'est agrandie et me nargue, tandis que la forme a disparu. Une étincelle de lumière émerge de la Faille et vient me taper dans l'œil, créant sur mon visage un sourire éclatant. Ma mère m'attends, elle croit en moi et je ne vais pas la laisser tomber.  

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Bonjour tout le monde et bon mercredi !

Je sais que pour certain, cette semaine est votre dernière semaine de cours avant les vacances de la Toussaint, bande de chanceux ! Pour d'autres, il vous reste une semaine, vous êtes quand même chanceux ! Pour les gens comme moi... Noël arrive, ne vous en faites pas 😂

Un chapitre assez délicat a écrire cette semaine, puisque j'ai dû imaginer ce que je ressentirais si je me voyais bébé dans un univers alternatif. Dur non ? Surtout sachant tout ce que Samantha a vécu (une backstory que vous n'avez pas entièrement, bien que vous ayez des idées de ce qui s'est déroulé. Encore des choses à ajouter au manuscrit final !).

Bref, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Avez-vous aimé la dynamique, les relations, les dialogues, la fin ? Elle peut paraître bâclée, elle fait écho au tout tout début de l'histoire ❤ j'aime bien les échos ^^ et je ne voulais pas faire cela à la toute fin ^^ ! On se rapproche également de cette "fin" de tome 1 si redoutée...

Je vous laisse donner vos avis en commentaire, j'espère vous retrouver mercredi prochain pour la suite 💙🇫🇷

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