Chapitre XXXIV
D'un pas rageur, Uriel fond sur nous. Sur son passage, les gens s'écartent avec déférence, la regardant avec admiration. En même temps, qui peut se vanter d'avoir déjà croisé un ange ? Et il faut admettre que la tante d'Aoile ne laisse pas indifférente : malgré sa trentaine d'année, qui n'est pas spécialement vieux, elle a de magnifique cheveux bruns qui lui arrivent un peu en-dessous des épaules. Sur sa tempe droite, un tatouage bleu en forme d'œil semble scruter les alentours, comme un troisième orifice visuel. Pas une fois elle ne lâche sa nièce du regard, et si je trouve les vrais yeux rouges d'Aoile très jolis, la lueur dorée qui s'allume dans ceux d'Uriel est sublime et met en valeur sa tenue de combat.
En effet, elle est désormais habillée d'une armure presque moyen-âgeuse blanche. Chaque muscle est divinement souligné par une ligne dorée, tandis qu'un carquois apparaît sur son dos, rempli d'une vingtaine de flèches à pointes en or. Telle Artémis, la Déesse patronne des Amazones, elle emplit l'espace de sa seule présence. De tout notre groupe, seule Aoile ne semble pas le moins du monde affectée par la présence de l'ange. Même la foule à nos côtés l'observent à la dérobée, cherchant l'imperfection sous cette armure.
— Hybride, grimace Uriel, nous faisant découvrir sa voix mélodieuse, les yeux toujours portés sur sa nièce, qui ne semble pas prendre l'offense sérieusement.
Derrière moi, j'entends Arynn ricaner gentiment, tandis qu'Aoile se contente d'hausser un sourcil, croisant les bras sur sa poitrine. Sa couronne passe d'un beau gris métal à une couleur plus flamboyante. Ses yeux suivent le mouvement et d'un coup, le doré affronte le rouge dans un duel de regard hautain et froid.
— Tu veux qu'on parle de titre, Messagère ? Je propose qu'on passe directement à ce qui importe vraiment : botter des fesses de Dullhahans, suggère Aoile effrontément.
Uriel reste quelques secondes muette devant le ton faussement condescendant de sa nièce, qui appuie sa dernière phrase d'un sourire on-ne-peut plus provocateur. Derrière sa sœur, Lucifer observe l'échange sans un mot, juste un léger sourire satisfait peut montrer qu'il réagit à leurs piques incessantes. Autour de moi, Chloé, Noemmy, Marine, Arynn et Thomas semblent porter leurs attentions ailleurs, rassurant les enfants effrayés ou encourageant les jeunes guerriers. Ils font d'énormes efforts pour ne pas choisir de camp entre les deux et essayer d'aider les gens autour d'eux. Quant à moi, je suis coincée dans ce duel de titan qu'est cet affrontement et je tiens bien à leur rappeler pourquoi nous sommes tous là, si jamais quelque chose dérape.
— Je vois que tu as préparé ton speech. Mes soldats savent déjà parfaitement que faire et ceux qui sont ici attendent mes directives. Tu peux retourner en Enfer, où est à moitié ta place, réponds Uriel avec un petit sourire supérieur.
Comme si j'étais celle qu'elle venait d'insulter à la place d'Aoile, je sens mes veines bouillir de rage. A mes côtés, Aoile se contente de pencher légèrement sa tête sur le côté, son sourire insolent toujours sur le visage. Elle plisse les yeux, hausse les épaules et hoche la tête sans un mot. Son regard dévie vers celui de Lucifer, puis mon amie se retire, me laissant là avec Uriel. Je suis figée sur place devant cette attitude inhabituelle d'Aoile et celle, surprenant, d'un ange de Dieu. Lucifer se racle la gorge et vient de placer entre sa sœur et moi. Sur son visage, je peux lire un mélange d'étonnement et de tristesse. Un mélange peu commun pour le Diable que la Terre s'imagine, sans doute. Ce comportement me ramène des années en arrière, mon arrivée à Sainte-Catherine. Je me souviens de Madame Henoch qui, comme Lucifer, essayait de me protéger et de trouver le meilleur moyen de me guérir. Et le Directeur, comme Uriel, qui me rabaissait du regard et qui, sans même ouvrir la bouche, m'avait fait comprendre que je ne trouverai jamais ma place.
— Uriel. Aoile est ma fille et un jour, elle régnera sur les Enfers. Tu ne peux pas lui manquer de respect, proteste Lucifer avec un soupir de fatigue.
Sa sœur semble avoir oublié ma présence car elle s'avance vers son frère, marchant sur mon pied. Je retiens la gifle qui me démange le bout des doigts et je me contente de sourire de manière assez fausse pour masquer la douleur. Une fois qu'elle s'arrête devant Lucifer, je me baisse légèrement pour me masser le pied.
— Es-tu en train de dire qu'à la minute où tu lui cède ta place, ta fille viendrait m'attaquer ? Tu sais pertinemment que malgré ce qu'elle est, elle n'aurait jamais la force de me vaincre. Elle est comme sa mère, un Démon de basse classe, tranche l'Ange.
Pas le temps d'ouvrir la bouche qu'une gerbe de flamme sort des entrailles de la terre pour enserrer le poignet d'Uriel, qui pousse un glapissement surpris. Cela ne dure que quelques secondes, mais assez pour la salle entière se fige devant ce qui ressemble fort à un acte de guerre. Les yeux de Lucifer ne sont que deux cavités en flamme tandis que sa couronne prend feu à son tour, entourant le haut de son crâne de flammes en mouvement. Le temps semble s'être arrêté pendant cette dispute fraternelle et je pense avoir arrêté de respirer quelques secondes. Les flammes autour du poignet d'Uriel disparaissent et Lucifer reprend un visage plus humain après un court instant. Uriel reste choquée devant l'attitude de son frère, tandis que ce dernier n'affiche rien. Pas un seul sentiment ne traverse son visage fermé et le silence ayant envahi la salle alourdit une situation déjà pesante.
— Je ne te laisserai pas manquer de respect à ma fille plus longtemps. Je pars avec elle, Sam et son équipe pour la faille. Toi, tu gères ton île, comme tu l'as toujours fait. Parce que c'est tout ce que tu es capable de faire, crache Lucifer.
Uriel se tourne vers moi quand Lucifer attrape mon poignet pour me guider à travers la foule. Ce geste s'avère futile quand il remarque que les gens le laissent passer, à distance très respectable, une lueur apeurée dans les yeux. Certains enfants ont des larmes aux coins des yeux, tandis que d'autres tremblent comme des feuilles. Et ce, malgré leurs apparences on ne peut moins humaines. Certains font quand même plus peur que Lucifer rien qu'en se transformant. Je ressens une grande culpabilité en les voyants aussi effrayés, mais quelque part je suis reconnaissante vis-à-vis de Lucifer pour avoir défendu sa fille. Cette dernière nous attend à l'extérieur, assise sur un banc dans une allée vide. En entendant le pas de son père, elle se relève et pour la première fois, je la vois un tout petit peu paniquée. Sans doute pense-t-elle qu'elle est allée trop loin avec Uriel quand le contraire c'est produit.
— Je suis désolée Papa. Je n'aurai pas dû la provoquer. J'aurai dû savoir qu'elle n'accepterai pas ma présence, elle n'a jamais digéré ma naissance, s'excuse platement Aoile.
Lucifer sourit et pose ses deux mains sur les bras de sa fille. Il l'observe quelques secondes, tandis que je reste en retrait derrière eux. Je ne sais pas ce que pense Lucifer en ce moment même, je ne peux voir son visage, mais Aoile semble beaucoup moins paniquée qu'en nous voyant sortir du palais. Puis, sans un mot, Lucifer la serre dans ses bras et je sens toute la tension d'Aoile s'envoler. Elle ferme les yeux et rend à son père son câlin, devant mes yeux attendris. C'est une scène que je ne pensais pas voir de suite car depuis les Enfers, les interactions entre Aoile et son père ont été assez limitées. Pourtant, malgré toute la tendresse que cette scène m'inspire, je me surprends à me racler la gorge, ce qui interrompt aussitôt le câlin. Dans la foulée, mes amis sortent du Palais pour nous chercher. Arynn s'approche de moi et se poste à mes côtés, la seule assez brave pour s'approcher de Lucifer et Aoile.
— Où est-ce que nous devons aller ? Je demande, intriguée.
La question est sortie malgré moi, sans que j'aie eu le temps d'y réfléchir pour mieux la tourner. En effet, depuis que Lucifer a mentionné un possible départ d'Idan pour moi, Aoile et l'équipe, je me triture les méninges à la recherche d'une destination potable. Lucifer soupire et se tourne vers Aoile, qui fronce les sourcils.
— Partir ? Répète Aoile, que je sens surprise.
Lucifer s'approche de moi, laissant derrière lui sa fille qui se contente d'observer son père faire les cent pas. Comme nous tous, en fait. Thomas le regarde faire également et je vois à son visage qu'il a plusieurs questions à poser. Lucifer s'arrête de marcher, nous permettant de reposer nos yeux.
— Donc Uriel n'a pas besoin de nous pour protéger l'île ? Je suis déçu, moi qui me croyais irremplaçable, proteste l'Oracle.
Si Arynn réprime mal un petit sourire, Aoile plisse les yeux et secoue lentement la tête. Je pouffe discrètement et Lucifer lui-même sourit, avant de se tourner vers moi.
— Pour répondre à toutes vos questions... L'île est protégée par beaucoup de monde, donc quatre personnes en moins ne manqueront pas. Aoile, Thomas, Sam et moi allons partir vers la Faille pour pouvoir essayer de la refermer, explique Lucifer de manière assez traumatisante.
L'idée même de m'approcher de cette faille, dans laquelle se trouve les monstres qui ont tués mes parents ne me donne absolument pas envie de partir. Idan me semble, à l'heure actuelle, le seul endroit où je suis à l'abri de tout conflit. Enfin, jusqu'à ce que les Dullahans arrivent bien entendu. Thomas se gratte l'arrière de la nuque, signe de malaise, tandis qu'Arynn le dévisage avec angoisse.
— Partir vers la Faille ? Je ne vois pas en quoi vous auriez besoin de moi pour y aller hein, murmure le jeune homme.
Sa voix est blanche, son grattement s'intensifie et Arynn est obligée de lui murmurer quelque chose dans l'oreille pour qu'il reprenne des couleurs. Aoile ne dit plus rien, n'affiche plus rien, elle semble perdue dans un monde parallèle. Seul Lucifer semble impatient de quitter l'île. Je ne sais pas pourquoi, ni même s'il est déjà venu souvent considérant sa relation tendue avec sa petite sœur. Dans mon cas, je suis juste pétrifiée. Incapable de penser, de réagir ni même de répondre à cette idée. Je me contente de me laisser choir sur le sol, les yeux dans le vide. Le silence a repris ses droits, mon cœur s'emballe sans que je sache exactement pourquoi. Je me sens coincée dans une coquille, le cœur qui se brise lentement à la pensée de croiser des monstres atroces, comme celui de mon rêve. Voir même de reconnaître celui de mon rêve.
— Où est la Faille ? Demande Aoile comme s'il s'agissait d'une simple question scientifique comme une autre.
J'entends sa voix comme un bruit de fond, sur lequel personne ne se focalise vraiment. Les larmes me montent aux yeux et un goût de bile prend possession de ma gorge. Dans mon ventre, mes boyaux forment un nœud très serré et violement tordu, je dois me retenir de ne pas vomir. L'air vient lentement à manquer et mes poumons m'envoient toute sorte de signaux de détresse. Je suis de retour en France. Madame Henoch est à quelques milliers de kilomètres. Je pourrais la rejoindre, tout plaquer.
— La Station Fantôme. La Station de métro « Croix-Rouge » à Paris, réponds Lucifer.
Comme dans les films, le son s'atténue et seul le dernier mot se répercute dans ma tête. En entendant le nom du pays dans lequel j'ai passé ma vie, les valves lacrymales de mes yeux s'ouvrent en grand et je fonds en larmes, ignorant tous les bruits alentour. J'y ai grandis. Je suis de retour dans la ville qui a accueilli une partie de ma vie, bien que trimballée de familles en familles. Un coup amer se répand dans ma gorge, un affreux goût métallique envahit ma bouche et j'ai juste envie de m'enfuir.
Reprendre une vie normale, si je le pouvais. Être ici, face à tout ça, me fait prendre conscience de ma faiblesse. Je ne suis pas prête à affronter ça, même avec un Archange, une hybride et un Oracle. Même avec toute l'armée d'Idan, je ne serais pas prête. J'ai commis une erreur en laissant les gens croire que j'en serais capable. J'ai voulu me prendre pour une héroïne et tout ce que je réussis à faire, c'est pleurer sur mon sort.
Je sèche mes larmes et fixe, face à moi, la brèche qui me fait face. Seul le bruit de mon cœur implosant se répète en boucle dans mes oreilles, tandis que mes pensées tentent de se focaliser sur un seul point. Une dernière chose. Cette Faille dont on m'a tant parlé. Et tout ce que je vois, c'est une fracture entre mes vies. Je suis passée de l'autre côté de ce fichu miroir... Et je le regrette.
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Bonjour les lecteurs !
Comment ça va ?
Deuxième semaine de cours pour moi, plus que quatre avant de revenir en France 😍❤Je ne vous dis pas à quel point j'ai hâte de rentrer. L'Angleterre c'est bien, mais la France c'est tellement mieux ! Quiconque vous dit qu'étudier à l'étranger, c'est mieux... Bah soyez heureux pour lui. Pour moi, c'est beaucoup plus dur que ce que je prévoyais 🤔
Sinon, à propos de ce chapitre... Qu'en avez-vous pensé ? Avez-vous aimé ? Qu'est-ce que vous avez aimé/moins aimé ? Sachant que mon défi de terminer TLB avant début novembre est toujours en cours, il me faut vos avis pour que je puisse améliorer l'histoire !
Que pensez-vous de l'évolution de chaque personnage ? Aoile qui devient plus "humaine" en quelque sorte, Samantha qui tente de garder la tête haute malgré tout (et je sais à quel point c'est difficile...), Thomas qui retrouve son humour malgré sa peur, et le gang qui trouve petit à petit sa place dans l'histoire ?
Bisous bisous à tous 💙🇫🇷🎉
Soyez heureux d'être qui vous êtes, dans le pays dans lequel vous êtes, appréciez chaque seconde passées avec votre proche parce que la séparation fait très mal 💜🦄
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