Chapitre III
J'ouvre la bouche pour happer de l'air, mais suis entraînée vers le fond avant d'en avoir eu assez. Je me débats avec force, vidant mes réserves d'air plus rapidement. Je lutte pour revenir à la surface, là où l'air fouette mon visage et gonfle mes poumons. Je ne sens plus que l'eau glissant le long de ma peau, me traînant dans les profondeurs contre ma volonté. J'avais juste voulu essayer de nager par mes propres moyens. Je me croyais assez grande, assez débrouillarde pour y arriver.
Alors j'avais quitté la maison familiale pour aller jusqu'au lac. J'avais plongé, tête la première, sans un regard en arrière. Au début, j'avais flotté, j'en avais ri, c'était si facile ! Et petit à petit, mes forces m'ont abandonnée, je nageais vers la berge qui semblait s'éloigner à chaque brasse malgré mes supplications silencieuses.
J'avais fini par arrêter d'essayer, je m'étais alors miser à crier, à pleurer. Personne ne m'entendait désormais. J'avais mis la tête sous l'eau une fois, deux fois, trois fois... J'étais remonté une fois, deux fois... Mais cette fois, je le sens. Je n'y parviendrais pas. Mes bras douloureux pendant le long de mon petit corps frêle, vidés de toute énergie. Mes jambes ne bougent plus non plus, se laissant traîner vers le fond.
Mes yeux fermés ne s'ouvriront plus pour admirer ma maison, mon jardin. J'étais seule. "J'avais juste voulu grandir, j'étais prête.". L'étais-je réellement ? C'est ce que j'avais voulu croire. Et me voilà, descendant dans les profondeurs noires de ce lac qui semblait si inoffensif, si loin de la maison. Lentement, je sens ma gorge se remplir d'eau et je n'ai plus assez de force pour la chasser. Mon corps devient lourd et la lumière de la surface s'éteint petit à petit, tout comme celle de mes yeux. Ma dernière bulle d'air quitte mes lèvres et entame sa remontée vers la surface, où une lourde tâche funeste l'attend.
— Sam ! Crie une voix lointaine, transperçant ma tête douloureuse comme une balle à travers une glace, faisant disparaître ce mauvais rêve.
D'un seul coup, mes yeux s'ouvrent et j'aspire goulûment l'air, comme si c'était la première fois que je le faisais. Mes poumons se gonflent et je sens mon cœur reprendre petit à petit le contrôle de mon corps. Mes mains tremblent encore et je sens la sueur couler le long de mon dos et de mes tempes, mouillant mon oreiller sur lequel je m'étais assoupi un court instant, entre deux classes.
Mes cheveux sont collés à ma nuque à cause de la sueur et je devine que des auréoles ont pris place sous mes aisselles. Mes yeux rencontrent l'éclat argenté de ceux d'Aoile. Je ne décèle pas la moindre inquiétude dans ses iris, juste de l'agacement. Ses mèches roses frottent sur ma joue et je les éloigne d'un revers tremblant de la main. Je gémis tout en me redressant, permettant à la jeune fille à mes côtés de décoller son regard du mien.
Pourtant, je sens que mon gémissement n'est pas passé inaperçu quand je remarque qu'elle ne bouge pas. Assise au bout de mon lit, assez proche pour que je puisse l'entendre et assez loin pour que je garde un semblant d'espace vital, la jeune blonde aux mèches roses fait mine de s'intéresser à mon armoire en bois de chêne. Je soupire et passe une main dans mes cheveux, passant outre le fait que seule une douche peut me faire du bien à cet instant. Le comportement de la jeune femme à mes côtés m'exaspère par moment.
— Ça va, j'ai juste fait un cauchemar, je ne vais pas en mourir ! Et je m'appelle Samantha, je grogne.
Je quitte mon lit et mon regard tombe sur mon roman de mythologie égyptienne. D'ailleurs, les Égyptiens pensaient toujours que rêver de la Mort était un mauvais présage. Un long frisson secoue la colonne vertébrale en repensant aux images que j'ai vues. Si c'est ainsi que je dois mourir, je me dois d'éviter l'eau... Mais l'appel de la douche est plus fort. Un rictus déforme les lèvres de la blondinette à mes côtés tandis qu'elle se relève.
Ses yeux croisent à nouveau les miens et je suis encore une fois intriguée par leurs couleurs : argents. Je suis un peu surprise de la voir dans ma chambre, bien que depuis son arrivée, rien de ce qu'elle fait ne me paraisse normal. Déjà, on s'est parlé deux ou trois fois en dehors des cours. La seule chose qui nous a rapproché, ce sont nos sorties dans les couloirs le soir. Je sais qu'Aoile est là depuis mi-août, ce qui est assez inhabituel, puisque l'Abbaye n'ouvre qu'à partir du 26 août, quand les cours reprennent. D'après elle, ses parents l'ont laissé plus tôt parce qu'ils n'en pouvaient plus de l'avoir sur le dos.
— Je tâcherai de m'en souvenir la prochaine fois que je te sauve la vie, Samantha Ashley Silver Green, se moque la jeune fille.
Le fait qu'elle connaisse mes autres prénoms ne me surprend pas, elle a dû subtiliser ces données en piratant l'ordinateur de ma psychologue. Selon elle, c'est un « hobby ». Pourtant, elle ne semble pas s'y connaître en hacking et je ne l'ai jamais vu sur un ordinateur. De toute manière, Aoile n'a jamais rien su faire comme les autres, ce qui lui vaut d'être « laissée tranquille » par les autres élèves. Certains la traitent même de « démone », invoquant une méchanceté hors du commun que je n'ai jamais vu.
Tout ce que je sais de cette fille, c'est qu'elle sait presque tout sur tout le monde sans jamais parler. Passant outre sa petite pique et l'utilisation de mon nom complet - dont j'ai horreur - je m'assois en tailleur sur mon lit, essayant de comprendre ce cauchemar. Ma psychologue me dit toujours qu'un cauchemar n'est qu'une conséquence d'un traumatisme. Scolairement parlant, je n'ai aucun stress à avoir, je fais partie du groupe de tête.
Mes nombreuses lectures y sont pour beaucoup. Ceux qui pensent que les livres ne nous apprennent rien n'en ont clairement jamais ouvert un de leur vie. Socialement parlant... Disons que le mot "société" est la définition même de tout mon stress. C'est sans doute pour cela que les seules personnes qui me parlent sont les personnes comme Aoile. Des protecteurs plus que des amis, ils sont toujours là quand on a besoin d'eux, mais c'est tout. Le reste du temps, ce sont des fantômes qu'il ne vaut mieux pas chercher.
— C'était quoi cette fois ?, s'enquit la blonde.
Je soupire et mes sourcils se froncent, créant ce que nous surnommons "la ride du lion". Sa question sort de nulle part et si elle n'avait pas déjà pu assister à certains de mes cauchemars, je n'y répondrais même pas. Contrairement à moi, elle ne semble pas dormir énormément, comme le témoigne les cernes sous ses yeux. Une fois, elle m'avait confié qu'elle était ici comme garde du corps pour l'un des élèves et nous avions ris ensemble. Bien qu'elle semble musclée, elle n'a rien d'un garde du corps. C'est à partir de ce moment-là que j'avais décidé de la laisser m'aider avec mes terreurs nocturnes.
— Rien, j'ai imaginé ma professeur de littérature en bikini, ironisé-je, en levant les yeux au ciel.
Aoile hausse un sourcil, un demi-sourire prenant place sur ses lèvres pendant une demi-seconde. Si la jeune femme sourit à ma blague de fort mauvais goût, je peux sentir sa colère faire bouillir ses veines, sans trop savoir pourquoi. C'est comme si ses émotions étaient aussi les miennes, par moment. Et j'avoue que ça me fait vraiment peur.
Je fronce les sourcils, croyant avoir discerné du rouge dans ses iris métallisés. Je crois que mon cauchemar a réellement fait disjoncter mon cerveau. Je sais que la blonde adore « repousser » les autres, mais elle n'a pas et n'aura jamais les yeux rouges. C'est scientifiquement impossible. Aoile soupire et croise les bras, attendant une réponse de ma part. Ne voyant rien venir, elle se détend et je sens la colère refluer de mon corps tandis que la blonde lève les yeux au ciel à son tour.
— Et elle est jolie ?, réplique la blonde, m'arrachant un rire étouffé.
Je tourne mon regard vers Aoile, qui semble attendre une réponse. Une réponse sérieuse. Je secoue la tête, faisant une grimace de dégoût. La blonde éclate de rire, me faisant oublier quelques instants le terrible cauchemar dans lequel je me trouvais il y a quelques minutes.
Elle a sans doute un don, parce que dès que nous sommes ensemble, je me sens plus relax. La jeune femme à mes côtés m'entraîne dans son fou-rire, qui dure quelques minutes. Cela fait du bien de rire après un cauchemar pareil. J'admire les pointes roses des cheveux de mon amie, qui les balaye ses épaules. Elle a vraiment la classe d'une star américaine.
— Elle n'est pas vraiment mon type, avoué-je.
Aoile lève les yeux au ciel et me redresse en m'attrapant le bras. Je grimace en sentant la force qu'elle emploie, tout en me demandant à quel moment il est utile pour une lycéenne d'avoir autant de force, avant que la petite blonde me lâche en voyant ma grimace. Pendant quelques secondes, elle a vraiment l'air embarrassée.
— Et la vérité ?, lâche-t-elle, reprenant son air sérieux.
Je me laisse choir sur mon matelas, ignorant en premier lieu sa requête. Je sais qu'Aoile est quelqu'un de très tenace et qu'elle ne quittera pas ma chambre sans avoir eu sa réponse. Pour moi, ce n'est qu'un cauchemar. Enfin, c'est ce que j'aurai continué de croire sans l'intervention de cette fille.
Ensemble, nous avons décrété que mes cauchemars provenaient en fait d'autres personnes. Que c'était des souvenirs d'autres personnes et en aucun cas mon futur. Au tout début, j'avais trouvé cette théorie farfelue et je m'étais bien moquée d'Aoile. Je lui avais peu parlé à ce moment-là, je la voyais comme une personne totalement folle pour le coup.
Et petit à petit, j'avais pris conscience que sa théorie me permettait de mieux vivre mes cauchemars, puisque ce ne serait donc pas des mauvais présages. Du coup, j'étais revenue vers Aoile et ensemble, on essayait de me « guérir ». Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais moins de mal à m'ouvrir à elle qu'à ma psychologue. Pourtant, je n'avais aucun doute sur le fait qu'Aoile était bien plus atteinte que moi. Peut-être est-ce pour cela que nous nous étions rapprochées finalement. Et plus elle m'aidait, plus je la voyais un peu comme un Ange. Mon Ange Gardien.
— Je me noyais, je murmure.
Je la vois détourner le regard et un murmure inaudible sort de sa bouche. Je ne comprends pas ce qu'elle dit, mais je peux voir que ma confession l'a chamboulée. Je ne sais pas ce qu'elle a, mais cela semble lui rappeler quelque chose. Peut-être qu'elle a déjà failli se noyer, ou a vu quelqu'un se noyer ? Un silence s'installe entre nous, tandis que j'essaye de comprendre pourquoi ma pauvre cervelle voulait se noyer.
Ou pourquoi quelqu'un voulait noyer mon cerveau. Sans doute pour ne plus entendre les affreux cris qui me réveillent en pleine nuit, ou les pensées des différentes personnes qui hantent mon cerveau. Peut-être même est-ce pour ne plus avoir à subir les moqueries des autres élèves, qui m'ont pris pour cible le jour même où j'ai posé un pied dans la cour du lycée. Cette hypothèse me paraît plausible, même si je sais que ce n'est pas mon cerveau qui se noyait.
Au fond de moi, je sais très bien que ce n'était pas un cauchemar. Je jette un coup d'œil vers la jeune fille qui me regarde toujours, l'air soucieux. Elle n'a pas besoin de formuler sa théorie, enfin notre théorie. C'était un Souvenir. Un souvenir des Autres.
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Oh Aoile, que caches-tu ? Et qui es-tu ? Bienvenue à ce personnage !
Merci à tous pour votre lecture, j'espère que ça vous a plû ! Merci à ceux qui prennent le temps de corriger chacune de mes erreurs, c'est toujours gentil ! Merci pour vos avis si positifs, ça me fait chaud au coeur !
J'espère que vous aimez l'apparition, petit à petit, du fantastique dans la vie de Samantha ! Elle a une vie difficile comme vous pouvez le voir ❤ C'est aussi ma façon, à travers Sam, de demander aux gens d'aller plus loin que les apparences. Ce n'est pas parce que quelqu'un à l'air fragile qu'il l'est vraiment, et inversement ! Ne laissez personne devenir la "tête de turc" de la classe parce que vous ne savez pas ce que cette personne peut vivre au quotidien ! ❤
- C'était le message de paix -
Je vous embrasse fort et je vous dis à mercredi prochain !
Je suis disponible en message privé pour toutes vos questions, je réponds à tous le monde et je ne mords pas ❤ Voilà !
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