Chapitre 6 : Une journée terrienne
— C'est donc ici que c'est arrivé ?
— Ouais, juste après ton départ. Une vraie boucherie. Du sang, des tripes, des membres sur des mètres, là, partout dans la ruelle. C'était la première fois que notre équipe voyait ça. T'aurais dû les voir... Jamie, un nouveau, s'était mis à vomir partout, rajoutant encore plus au bordel de la ruelle, mais bref, c'était une sacrée saloperie, crois-moi.
Khemno regarda la petite ruelle où l'on avait déposé quelques bouquets de fleurs et érigé un petit autel où une pierre luminescente éteinte depuis longtemps se tenait au sommet. Qu'un seul homme se tenait là et était occupé à prier silencieusement. L'inspecteur terrien, simplement habillé d'une chemise et d'un short pour ne pas trop attirer l'attention dans les districts, le regarda sans dire mot.
— Ils ont signé ? questionna Khemno.
— « La meute trouve toujours sa proie », avec trois yeux aux pupilles vertes dessinés au-dessus, deux horizontales et un un peu plus haut au milieu, à la verticale. Je ne m'y connais pas trop mais ça avait l'air d'être de l'art de chez vous. Ça te dit quelque chose ?
— Absolument rien.
— J'veux pas dire mais tes yeux...
— Mais c'est que tu me suspectes en plus ? Il y a des millions de personnes sur Antée avec des yeux verts...
— C'est bon, laisse-moi faire mon taf. Je suis censé interroger tout le monde sans exception.
— Et lui, tu l'as interrogé ?
— Ouais et il ne m'a rien dit. Peut-être que tu auras plus de chance que moi.
— Et pourquoi c'est à moi de faire ton travail ?
— Tu veux savoir ce qui se passe ici, n'est-ce pas ? Je suis terrien, toi tu es Antéen, il sera plus ouvert avec toi qu'un inconnu qui ne vient même pas de sa planète.
Khemno souffla de résignation et s'approcha de l'homme entrain de prier devant l'autel. Doucement, il lui mit une main sur l'épaule sans que ce dernier ne réagisse.
— Vieil oncle, tu tiens le coup ? questionna-t-il.
Aucune réponse.
— On essaye de t'aider vieil oncle, mais on ne peut pas le faire si tu ne dis rien.
L'homme tourna la tête et il vit le visage d'un homme brisé, les yeux gonflés de cernes, sa peau devenant grisâtre. Malgré sa quarantaine d'années, il en donnait vingt de plus.
— Je ne peux rien dire, ma bouche est scellée, marmonna l'homme de manière imperceptible.
— Ce sont des Maniemans qui ont fait ça, n'est-ce pas ? Des Hotzavites, des Nados, des Arachovites, des Adros ?
— Ma bouche est scellée...
— Quel est ton nom ? Alexis, le terrien avec moi, m'a dit que tu t'appelais Toutos. C'est le cas ?
L'homme ne répondit pas, se contentant de détourner le regard.
— Pense à ta famille, ton fils, ne veux-tu pas les venger ?
Il ne répondit toujours pas.
— Si je te dis que c'est « le temps des hyènes » ...
Toutos se mit à trembler comme un enfant, la phrase ayant fait comme un déclic dans son esprit, lui glaçant le sang.
— Je...promettez-moi d'aller chez les terriens, promets-moi que je pourrais les rejoindre.
— Je suis sûr qu'Alexis pourra t'arranger ça mais il nous faut quelque chose.
Après une longue hésitation, il se décida enfin.
— La guêpe, allez voir la guêpe...
— Attends, comment la connais-tu ?
— Ma bouche est scellée....
Il évita d'insister et rejoignit l'inspecteur, lui expliquant ce que Toutos lui avait dit.
— C'est qui ou quoi la guêpe ? Quel est son rapport avec ce massacre ? Où je peux la trouver ?
— Laisse tomber tout ça, l'ami. Occupe-toi juste de Toutos ; je lui ai promis une place avec vous hors des districts.
— Et pourquoi je devrais laisser tomber, hein ? On vient de trouver une piste !
— Ta piste mène au « Trou noir », ça ne sert à rien. Honore juste la promesse que je lui ai faite.
L'inspecteur souffla de résignation en se frottant les tempes.
— Très bien, je vais lui préparer ça. Dis-lui que je serais chez lui dans quelques heures. Merci de ton aide Khemno.
— C'est la moindre des choses que je puisse faire pour aider ma communauté. Si tu as besoin d'autre chose, n'hésite pas à venir me trouver.
— Je n'hésiterais pas, mon pote... je n'hésiterais pas.
Trois heures plus tard, Alexis retrouvera Toutos dans son appartement, pendu par les pieds, la gorge violemment tranchée...
Contrairement à quoi elle s'était attendue, le quartier où elles se trouvaient était assez spacieux. C'était une large rue piétonne pas très loin de l'appartement des Fujiwara, tout en béton, tellement propre que Terra aurait pu manger dessus. Des deux côtés, des immeubles de la même matière, en bien plus léger et de couleur blanche, de trois ou quatre étages avec de larges baies vitrées dont le reflet du soleil matinal leur donnait une couleur jaunâtre. Malgré tout ça, la nature y avait toujours sa place et se mêlait discrètement à l'endroit sous la forme de rangées d'arbres et de cyprès maniemans au milieu de la rue ou de petites haies bordant lesdits immeubles. En regardant assez haut, on pouvait apercevoir les silhouettes des immenses gratte-ciels du centre-ville dominer les alentours et encore au-dessus, des nuées de drones multicolores volant dans le ciel tels des oiseaux métalliques, certains petits comme des colibris, d'autres aussi grands qu'un homme adulte et une poignée grosse comme des voitures. Terra en avait même aperçu un de la taille du tout-terrain de Gabriel qui fit un boucan incroyable en passant au-dessus de sa tête, la laissant pantoise. Là maintenant, son regard était posé sur un semblant d'homme tout en métal et en plastique à la démarche badaude, voire ridicule. Terra enleva rapidement un de ses bracelets et le jeta sur son passage. Ce dernier tourna sa tête où brillaient deux yeux jaunes et ramassa doucement le bracelet avant de le rendre à Terra. Après un salut poli, il se remit en chemin de son étrange démarche. Elle s'apprêta à relancer le bracelet quelle se fit interrompre par Kat.
— Terra, tu comptes faire ça à chaque androïde ?
— Je suis désolé, rougit Terra. Mais celui-là, tu es sûr que c'est une machine ? Car il avait vraiment l'air gentil. Il m'a quand même dit « Bonne journée, madame ».
— Oui c'est une machine, comme les trois autres d'avant. Si c'est en métal et que ça vole, que ça roule, que ça marche ou même que ça danse, c'est une machine, aussi simple que ça.
— Pourtant, dans les « gardiens invisibles », Wallace-2 a des sentiments et tombe amoureux d'Anna. Elle lui a même dit « Sous ta carapace de métal bat un cœur d'or », et il a répondu « Non, je ne suis qu'un ramassis de câbles et de boulons » mais Anna va lui dire « Là-dessous, tout au fond, je sais que tu es vivant » avant d'embrasser sa tête métallique.
Kat ne dit rien et se contenta de la regarder avec perplexité. Jamais Terra n'avait été aussi gênée de sa vie.
— Tu... tu ne regardes pas les « gardiens invisibles » ? dit-elle timidement.
— Heu...ouais, j'ai vu deux, trois épisodes. Pour être honnête, je ne savais pas que les locaux avaient la télé... et surtout qu'ils étaient amateurs de série B.
— Mais sinon Catherine...
— Je t'ai dit de m'appeler Kat.
— Sinon Kat, on attend quoi ?
— Qui plutôt. On attend mes potes, je vais te les présenter. T'inquiète, ils ne devront pas être longs.
— Ah, très bien, répondit-elle doucement.
Le banc commençait à lui faire mal au bassin et du rapidement changer de position. Les gens qui passèrent devant eux la regardèrent avec curiosité, sûrement à cause de ses vêtements Nados, se demandant ce qu'une locale faisait ici. Il semblerait qu'où qu'elle aille, elle était condamnée à attirer tous les regards. Un autre androïde passa, son corps métallique luisant d'un rouge vif contrastant avec ses yeux bleus et marchant d'une démarche bien plus élégante que le précédent.
— Hé toi ! héla Terra en attirant l'attention de toute la rue, à la grande gêne de Kat. Toi en rouge, viens-là ! Approche, approche, approche !
L'androïde se tourna avec curiosité et s'approcha de la jeune fille.
— Que puis-je fais pour vous madame ?
— Est-ce que vous êtes vivant ?
L'androïde s'immobilisa pendant quelques secondes, sans rien dire, la fixant de ses diodes bleues lui servant d'yeux.
— Non.
—Très bien, merci mon ami métallique. Tu peux retourner à tes occupations.
— Terra...c'était vraiment nécessaire ? lâcha la terrienne.
— J'étais curieuse. Je voulais avoir une réponse à ma question.
— Je t'avais déjà donné la réponse.
—Oui mais je voulais avoir la réponse du concerné et tu as vu ce qu'il a répondu ? Il a dit « non ». N'est-ce pas une preuve d'intelligence d'admettre sa condition de machine ? Et qui dit « intelligence » dit « conscience » comme dirait le sage philosophe Mosios, et la conscience n'est-il pas le propre de l'être vivant car celui-ci admet son existence ? Si une pierre admet que c'est une pierre, il aura fait preuve de questionnement de soi, donc de conscience, donc de vie et pour cela, ne mérite-t-il pas le respect ? Donc d'une certaine manière, il est possible que cet androïde essayait de nous dire qu'il était vivant et possédait une âme.
— Terra... Tu peux juste arrêter de dire n'importe quoi pendant cinq minutes s'il te plaît ? Si tu veux, je peux te trouver une pierre avec qui parler.
— Désolé, dit-elle doucement.
— Je ne voulais pas être méchante Terra, mais tu ne peux pas juste aborder tous les androïdes dans la rue et faire des théories pareilles. Quand tu dors la nuit, tu te demandes si ton lit à des courbatures à force de te supporter ? C'est la même chose ici avec les drones ou les androïdes, voilà tout.
— Moi, mon lit ne m'a jamais dit bonne journée.
— Hé, ne commence pas ! Tu as très bien compris ce que je voulais dire.
Le temps passa lentement et Terra s'amusa à retenir chaque petit détail des terriens qui passait, de leur démarche à leur manière de parler, de s'habiller, de la regarder avec curiosité et dix minutes passèrent ainsi avant de voir Kat faire un signe à un jeune qui s'approchait. Un blond aux yeux d'aigles, au visage noble et aux traits fins, un garçon magnifique dont émanait une classe naturelle. Elle ne put détourner son regard de lui quand il vint à leur rencontre.
— Je n'arrive pas à y croire... Où tu l'as trouvé ?
— C'est mon frère qui l'a trouvé. Terra, je te présente Nathan. Nathan, Terra.
— Tu te fous de moi, elle s'appelle vraiment Terra ?
— Puisque je te le dis.
— Et ben enchanté, dit-il en lui tendant la main.
— En...enchanté.
Il avait quelque chose dans le regard, un je ne sais quoi qui l'empêchait de le regarder droit dans les yeux.
— Elle est timide, hein ?
— C'est ce que tu crois? mais laisse-lui cinq minutes et elle ne se taira plus. T'aurais dû la voir tout à l'heure, elle s'extasiait devant chaque androïde.
— Elle a même gardé ses vêtements indigènes, c'est incroyable. Tu t'appelles vraiment Terra ?
— Si fait, Terra Kandos, fille d'Haji, descendante d'Iska, répondit-elle doucement.
Le garçon la regarda avec curiosité avant de se tourner vers Kat, avec méfiance.
— T'es sûr que c'est une vraie indigène ? Elle n'a pas d'accent...
— Je t'ai dit que c'est mon frère qui l'a trouvé. Elle était dans le Maniemas et quand il l'a ramené, elle était couverte de terre et tout. Tu peux même demander à Gabi si tu ne me crois pas. Et ils sont où les autres ? Ça fait trente minutes qu'on vous attend...
Il ne dit rien et pointa seulement le doigt derrière lui. Deux autres garçons essoufflés apparurent, un costaud faisant une tête de plus que ses amis et l'autre qui était le total opposé et devait même être plus petit que Terra. Les deux furent tout aussi surpris que Nathan à la vue de l'antéenne à côté de leur amie, la regardant de la même manière avant que Kat ne brise la glace.
— Avant que vous vous y mettiez aussi, oui c'est une vrai locale et non, elle n'a pas d'accent. Terra, le grand black, c'est Chad Collins. Le petit là, Robin Frost. Pourquoi vous faites les insociaux ? Dites quelque chose.
— ... salut... je suppose, répondit Chad avec méfiance. Catherine, tu nous expliques ce que tu fous avec une locale ?
— Mon frère l'a trouvé et on l'a recueillie.
— « On l'a recueillie » ... Non mais tu t'es entendue ? Tu l'as pris pour un chat sauvage ou quoi ? Dis-moi, Terra, c'est ça ? C'est vrai ce qu'elle raconte ?
— Oui, oui, c'est vrai. J'essayais de me rendre ici, à la métropole, et Gabriel Fujiwara m'y a déposé, et comme je n'ai pas d'endroit où rester, Kat m'a proposé de rester chez elle.
— Mmmh, tu viens d'où déjà ?
— La cité de Nadu.
— J'en ai déjà entendu parler. C'est dans le Maniemas, c'est ça ? Près de Sudagar ?
— Sudagar est plutôt loin en fait. Ils sont à l'est et nous à l'ouest.
— Je vois, je vois...
Le garçon continua à la dévisager de la tête aux pieds, les yeux plissés, tout en se frottant le menton.
— Chad, tu peux me dire ce que tu fous ? s'agaça Kat.
— Tu nous appelles à huit heures du matin sans raison et on te trouve avec une locale sortie de nulle part... Donc ouais, je me méfie et ouais, je sens déjà le plan foireux.
— Le plan foireux ? Quand est-ce que j'ai parlé de plan, hein ?
Terra ne dit rien et se contenta de les regarder silencieusement. Trop de choses se passaient en même temps et elle devait faire le tri dans son esprit. Était-ce si incroyable de voir une antéenne sur Antée au point d'appeler tous ses amis pour l'examiner comme une bête de foire ? Maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait pas vu un seul Antéen depuis qu'elles avaient quitté l'appartement. Ce n'était pas une sensation désagréable d'être la seule des siens ici, mais c'était étrange, oppressant, comme si elle était le centre d'attention de la rue, comme si tous les regards étaient posés sur elle.
— Au fait Terra, une petite faim ? demanda Kat.
Son petit-déjeuner l'avait à peine remplie et un repas plus consistant n'aurait pas été de refus.
— Oui, oui, j'ai un peu faim.
— Parfait ! Viens, on s'arrache.
Comme pour la cinquantième fois aujourd'hui, le trois-quarts du bar s'était retourné à sa venue et elle vit même un homme la prendre discrètement en photo. La terrasse donnait sur la rue et on leur avait servi un cocktail d'une couleur plus que suspicieuse en attendant le repas.
— Faut vraiment qu'on te trouve d'autres fringues, c'est plus possible. Ils vont me rendre fou cette bande d'ahuris, cracha Kat.
— J'en ai d'autres dans mon sac, des vêtements terriens, répondit-elle tout en buvant par petit coup avec sa paille.
Un androïde serveur portant un tablier rose s'approcha de la table et y déposa un apéritif de dattes que Terra s'empressa d'attaquer.
— Et bien, on dirait qu'elle n'a plus bouffée depuis des mois notre indigène, souffla Nathan en sirotant son cocktail.
— C'est normal, c'est de la nourriture typique de chez eux, répondit Chad en la regardant finir l'apéritif.
— De toute façon elle avait faim, laissez-la. Terra, ça te dérange qu'on te pose quelques questions ? Si on veut t'aider, on a besoin d'explications.
— L'aider pour quoi ?
— Et bien laissez-la parler et vous saurez.
Tous les quatre étaient maintenant tournés vers elle, attendant avec fébrilité ses explications.
— Comme je l'ai dit ce matin, si je suis à la métropole c'est...heu...c'est pour trouver mon frère qui se trouve ici.
Maintenant, ils se tournèrent tous vers Kat.
— Quel est le rapport avec nous ? répondit Chad.
— Et bien nous allons l'aider.
— L'aider ? Son frère est un local n'est-ce pas ?
— Tu veux que ce soit quoi d'autre ?
— Et bien, il y a quatre-vingt-quinze pour cent de chance qu'il se trouve dans les districts, n'est-ce pas ?
— Ouais, c'est probable, acquiesça la jeune fille.
— Et tu y as déjà mis les pieds ?
— Absolument pas.
— Et toi, Terra ?
— C'est la première fois que je suis ici.
— Et bien... C'est bien parti en tout cas, s'exaspéra Chad.
— Sois pas aussi pessimiste, je sais que ça ne va pas être facile de le retrouver mais dans l'immédiat, Terra est seule dans la plus grande ville de sa planète. Elle ne connaît rien ni personne et on ne peut pas la laisser comme ça, pas vrai ?
— Moi ça me va, répondit le blond. De toute façon, je n'allais pas laisser la première indigène que je croise dans ses problèmes.
—...moi aussi, dit doucement Robin d'une petite voix, surprenant Terra qui commençait à le croire muet.
Seul Chad ne dit rien et semblait récalcitrant à la demande de Kat.
— Je suis loin d'être riche, je ne peux rien faire pour elle.
— Tout n'est pas une question de thune, mec. Tu te rappelles la première fois que t'es arrivé, comment t'étais ? Je demande juste que tu l'aides à s'intégrer, c'est tout.
— SI tu payes le repas, je te promets d'y penser, négocia-t-il.
— Si je te dis que c'est Nat qui paye, ça compte quand même ?
— Hé oh, pourquoi ce serait moi ? s'énerva le garçon. J'ai déjà payé la dernière fois !
— Fais pas le radin, t'es riche de toute façon.
— Mes parents sont riches, pas moi sale escroc !
Terra regarda avec amusement la dispute entre adolescents terriens et ne put cacher un ricanement. Malgré sa méfiance initiale, elle les trouvait quand même sympathiques et une certaine chaleur émanait d'eux. Après un repas tout aussi frugal que le petit-déjeuner, les trois garçons rentrèrent et Kat et Terra furent laissées seule à seule, profitant du soleil de l'après-midi avec une dernière boisson aux frais du silencieux Robin Frost qui fut entraîné bien malgré lui dans les négociations.
— Alors, t'en penses quoi ? demanda Kat.
— Penser quoi de quoi ?
— Penser quoi d'eux, de moi ?
— C'est une drôle de question, s'étonna Terra. Je l'ignore, vous êtes amicaux je trouve.
— Tu dois nous trouver bizarres, pas vrai ?
— Non, non, pas du tout ! Pas du tout !
— Allez Terra, dis la vérité, rigola-t-elle.
— Un peu... vous êtes un peu bizarre, mais vous êtes drôles. C'est normal je veux dire, vous êtes des étran... des terriens. Je n'en ai pas croisé beaucoup dans ma vie, à part dans les séries et Lucas qui vient nous voir de temps en temps.
— Lucas ?
— Un érudit terrien, un anthropologue je crois. C'est lui qui a trouvé mon nom.
— Ça m'étonne pas, ils sont bizarres ces types. D'ailleurs, y'a quelque chose que j'aimerais savoir.
— Oui, tout ce que tu veux.
— Pourquoi t'es venue ?
— Je te l'ai déjà dit, pour mon frère.
— Pas de ça avec moi Terra, je sais qu'il y a autre chose, j'en suis sûr.
Elle avait une lueur de malice dans le regard et fut étonnée par la perspicacité de la jeune terrienne. De toute façon, elle pouvait lui faire confiance, elle le sentait.
— Pour dire la vérité, j'ai fugué... j'ai fugué de chez moi...
— Ha-ha ! Je savais que tu me cachais quelque chose ! Pourquoi t'as fugué ? Problèmes familiaux ? La guerre ou un truc du style ?
— Pas du tout, pas du tout, c'est juste que... Je t'ai dit que c'était difficile à expliquer. C'est que ma place ne se trouvait pas à Nadu, pas dans ma cité, j'en suis convaincue. Même l'oracle me l'a confirmé. Je suis trop différente des miens...
— Des oracles...trop cool. C'est pour ça les vêtements terriens dans ton sac ? Et les écouteurs ? Et la guitare ?
— Oui, c'est pour ça. Chez moi, les gens me regardent bizarrement, je ne peux pas être comme je veux être. Mon père veut faire de moi quelqu'un que je ne suis pas et ça le rend fou. Je veux être libre, tu comprends ? Libre de vivre comme je l'entends. Je me sens comme une terrienne pourtant, mais il ne l'accepte pas.
Kat éclata de rire.
— Qu'ai-je dit de si drôle ?
— Rien, rien. En fait, t'es une vraie princesse ! Tu sais, toi et moi, on n'est pas si différente, tu sais ?
— Tu penses ?
— J'en suis sûr ! Je pense qu'on va bien s'entendre toutes les deux.
Une odeur d'épices et de terre émanait des rues où des maisons d'argiles, de pierres et de tôles étaient montées les uns sur les autres tels des cubes qu'un enfant aurait empilés. Les antennes avaient envahi l'endroit et chaque habitation en avait au minimum trois récupérées ici et là, voir même construite à la main. Étrangement, ces dernières étaient utilisées pour tout sauf leur fonction initiale. On y pendait son linge, des amulettes, et même quelques bannières y flottaient fièrement. Ce n'était pas l'Antée auquel il s'attendait, mais les districts avaient un charme atypique qui lui plaisait bien. Jonas s'y enfonçait depuis une bonne dizaine de minutes et le nombre de terriens avait diminué petit à petit. Il y avait ici une authenticité qu'il n'y avait pas à la bordure de la métropole où pullulait les attrape-touristes, les marchands, les guides en tous genres, les restaurants, les bars « authentiques » ou n'importe quoi d'autre pouvant apporter un profit rapide et facile, rien de tout cela. Ici, il avait une vue plus naturelle des locaux. Il savait que chaque peuple avait son district particulier et ignorait totalement dans lequel il se trouvait. On le regardait avec curiosité et un groupe d'adolescentes locales au visage maquillé de quelques traits azure émirent de petits gloussements à son passage qu'il s'empressa de répondre de son sourire le plus charmeur. Pris dans ses distractions, il faillit se faire renverser par une immense créature semblable à un dromadaire à tête plate qui prenait presque à elle toute seule toute la rue, sous les plaintes des autres passants. Au-dessus d'eux, de grandes toiles multicolores accrochées entre les bâtiments les préservaient des violentes morsures du soleil. Il était totalement sous le charme et ne fit pas attention à l'homme en face de lui. Ce dernier le bouscula violemment et Jonas faillit tomber par terre. Il se figea d'effroi en voyant l'hideux animal qui se tenait attaché au bout d'une corde. Jamais n'avait-il vu de pareille horreur. Une poignée de longs poils noirs se dressèrent tout en vibrant sur son dos et elle émit un sifflement strident tout en dévoilant une puissante mâchoire remplie de dents sûrement capables de lui broyer la jambe comme si ce n'était qu'une brindille. Ses petits yeux noirs étaient plongés dans les siens et Jonas sut qu'elle allait lui bondir à la gorge. Avant même que la bête puisse sauter, son maître tira violemment sa laisse et lui mit une violente tape sur le museau.
— T'inquiètes pas l'ami, il ne bouffe pas le terrien, seulement de l'Hotzavite, sourit l'homme.
Il avait le crâne rasé court, un regard pénétrant, des traits durs et nobles, mais avec un je-ne-sais-quoi qui l'inquiétait, qui le mettait mal à l'aise. Peut-être était-ce son animal, ou son sourire carnassier, il n'en était pas sûr.
— Alors ami terrien, ce sont nos femmes qui te font rêver ainsi ? rigola-t-il.
— Non, non, pas du tout ! C'est votre quartier, l'architecture que je trouvais très... très belle.
— Donc tu trouves mes sœurs laides, c'est ça ?
— Absolument pas, ce n'est pas ça que je voulais dire !
— Je te taquine l'ami, je te taquine, mais faut avouer que les petites Phiries là-bas... bonnes à croquer, pas vrai ?
— Et bien... elles sont quand même un peu jeunes, vous ne trouvez pas ? hésita-t-il.
— Ça ne veut pas dire grand-chose ici, mais je pense que tu dis vrai. Toi t'es nouveau, n'est-ce pas ? T'es sur Kallu depuis combien de temps ?
— Kallu ?
— Antée si tu veux.
— Depuis peu de temps en fait, un peu moins d'un mois je dirais.
— Je m'en doutais. Ça se voit à des kilomètres.
— Comment ça ?
— Ici n'est pas un endroit pour les terriens, l'ami. T'es trop loin, tu risques d'avoir des problèmes.
— C'est une menace ? se méfia Jonas.
— Un conseil, rien de plus. Ce n'est rien contre toi l'ami, mais tu devrais rester parmi les tiens. Si tu veux, je t'escorte à la bordure, enfin le plus près possible vu que je doute qu'on me laisse passer avec mon ahuta. T'as un nom ?
— Jonas Costa.
— Et bien « Jonas Costa », je vais prendre la relève d'ici, fit une voix derrière lui.
Un homme en milieu de trentaine en short-chemise le prit par l'épaule avant de se mettre entre l'antéen et le terrien.
— Belle bête que t'as là, dit le nouveau venu. Tu l'as trouvé où ?
— Je l'ai traqué moi-même, pourquoi ?
— Simple curiosité, voilà tout. Bon, tu comprendras que je reprenne mon compatriote pas vrai ?
— Comme tu veux, répondit nonchalamment l'antéen. Ce n'est pas mes histoires après tout. Que Myra vous garde, amis terriens.
Sans perdre une seule seconde, le nouveau venu escorta Jonas vers la bordure. Quand ils furent assez éloignés, il prit enfin la parole.
— Vous êtes sacrément con vous, dites-moi.
— C'est quoi votre problème ? Déjà vous êtes qui pour commencer ?
— Un flic et je viens de vous sauver le cul.
— Vous n'avez rien sauvé du tout. Le gars maîtrisait sa bête, elle lui obéissait au doigt et à l'œil.
— Vous êtes vraiment idiot... ou vous me cachez quelque chose ?
— Vous cachez quelque chose ? Vous vous foutez de moi ? Mais vous me voulez quoi à la fin ?
— Trois fois rien.
Avec une rapidité prodigieuse, il lui tordit le bras et le pressa contre son dos.
— MAIS C'EST QUOI TON PROBLÈME ?
L'inspecteur ne dit toujours rien et tordit son autre bras et d'un rapide coup de pied derrière le genou, le força au sol. Jonas impuissant se sentit se faire passer des menottes au poignet et ne put que grogner, son visage écrasé contre la route de terre des districts.
— Jonas Costa, si c'est votre vrai nom, je vous arrête pour suspicion de meurtre de l'antéen dénommé Toutos Kahi.
— C'EST UNE BLAGUE ? ÇA NE FAIT MÊME PAS UN MOIS QUE JE SUIS ICI !
— Tant mieux, tu n'as rien à craindre alors, répondit-il en le relevant sous les yeux surpris des locaux.
Ce n'était pas possible, il devait rêver, ça ne faisait même pas un mois... un misérable mois. Un homme ne pouvait possiblement pas être aussi malchanceux.
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