Chapitre 5 : Kat

Jamais Terra ne s'était imaginée qu'on puisse trouver plus confortable que les sièges en cuir du tout-terrain et pourtant, elle avait l'impression de s'enfoncer dans ce lit comme si elle s'était endormie sur un nuage. Les lueurs de l'aube filtraient à travers les fins rideaux de la fenêtre à côté de son lit et lui caressait le visage, la réveillant doucement de son long sommeil. Elle n'avait aucune idée d'où elle se trouvait, son dernier souvenir fut de s'être endormie dans le véhicule des deux terriens dont elle ne se rappelait plus les noms. Elle était dans une chambre, pas bien grande, mais différente de la sienne à Nadu, plutôt agréable même malgré sa sobriété. Les murs étaient de couleur blanc cassé, contrastant avec le bleu clair de ses draps et seule une fine armoire, un bureau et un écran en face du lit décoraient l'endroit. Terra voulut se lever mais ses membres courbaturés l'en empêchaient, lui donnant l'impression de peser une tonne, l'enfonçant encore plus dans le confortable lit. Malgré la brûlure de ses muscles, ses douleurs dans les pieds et ses crampes dans les jambes, jamais elle ne s'était sentie aussi bien. Elle avait l'impression de fondre, de ne faire plus qu'un avec le matelas. Quelqu'un frappa à la porte avant d'entrer discrètement. C'était une fille, peut-être de son âge ou plus. Ses cheveux blonds, presque blanc, lui tombaient dans le dos et elle tenait un plateau où se trouvait un bol rempli de sorte de petits grains multicolores d'où émanait une agréable odeur fruitée. La fille le déposa sur le bureau avant de s'approcher d'elle.

— Alors la marmotte, enfin réveillée ?

Terra ne répondit pas. Non seulement elle n'en avait pas la force et ignorait ce qu'était une marmotte, mais préférait observer son étrange interlocuteur. Cette fille était incongrue, autant à sa manière de s'habiller que son apparence. Rien que ses cheveux ne semblaient pas de couleur naturelle mais pourtant, on n'y voyait aucune trace de teinture. Ça en allait de même pour ses yeux qui étaient d'un brun si clair qu'ils en viraient presque au jaune. Elle portait un long pantalon de tissu beige et un T-shirt gris foncé qui tombait de son épaule droite avec marqué « Be Wild » dessus. D'une certaine manière, elle lui ressemblait, non pas par son physique mais dans sa manière de s'habiller. Elle pouvait s'imaginer parfaitement dans ses vêtements et elle devait l'admettre, son T-shirt lui plaisait bien.

— Et bien la marmotte, tu ne sais pas parler ? Tu comprends ce que je dis au moins ?

— Oui, oui je comprends, répondit timidement Terra. Je... je suis à la métropole ?

— Ouaip, bienvenue dans la demeure des Fujiwara, sourit-elle. Je m'appelle Kat, tu comprendras si je ne te serre pas la main.

Terra regarda sa main et la vit couverte de terre séché et d'égratignures. Elle failli s'étouffer en voyant l'état dans lequel elle avait mis le lit qui était presque noir de crasse et balbutia rapidement quelques excuses.

— Je suis désolée, je ne voulais pas salir ta chambre. J'étais tellement épuisée...

— T'inquiète, si t'es encore fatiguée, n'hésite pas à dormir. Je t'ai déposé un bol de céréale sur la table et si tu veux prendre une douche, c'est au bout du couloir à gauche. Ne te force pas trop. Je peux vite savoir ton nom ?

— Terra... Je m'appelle Terra.

— T'as vraiment un nom bizarre, s'esclaffa la fille. Et bien ravi de te rencontrer Terra.

Terra resta là, pantoise, à regarder Kat de la métropole sortir de la chambre, la laissant seule avec toutes ses questions. Elle n'avait pas l'air méchante, bien au contraire, mais elle lui restait tant d'interrogations. Elle se leva les jambes tremblantes et dut faire appel à toute sa détermination pour ne pas s'effondrer directement. Elle était toujours dans ses habits de la veille et sa propre odeur lui donnait la nausée. D'un pas hésitant, elle se dirigea jusqu'au bureau où se trouvait les céréales et prit une grosse poignée qu'elle fourra immédiatement dans sa bouche. C'était sucré, doux et sec, comme aucune nourriture qu'elle avait déjà goûtée auparavant. Elle prit une autre poignée, puis une autre, et en quelques minutes, le bol était vide et sa faim redoubla d'intensité. Elle décida de sortir de sa chambre et se dirigea dans le couloir, vers la porte de gauche. Ses pieds glissèrent sur le sol en bois poli et grimaça en voyant les traces qu'elle laissait, espérant que ses hôtes ne lui en veuillent pas trop. Elle atteignit la salle de bain et fut assez surprise en voyant l'apparence de cette « douche ». C'était étrange, juste une sorte de tube métallique en verre bleu, dont les coins étaient constellés de petits trous. Un petit écran se trouvait au milieu où une myriade d'informations incompréhensibles y étaient écrite, telle la température de l'eau, l'intensité des jets, le choix d'une douche hydromassante ou vaporisée, et bien d'autres options. Terra y entra avec hésitation, érafla l'écran de ses doigts et lâcha un cri quand elle se fit agresser par des jets de vapeur bouillant qui lui brûla le corps. Prise de panique, elle glissa en essayant de sortir de la douche avant de s'écraser par terre. Kat apparut rapidement par la porte, le visage inquiet.

— Tout va Terra ? Qu'est-ce qui se passe ?

— C'est la douche, paniqua-t-elle. Elle m'a brûlé !

— Ah oui, c'est sûrement la première fois que tu vois une douche. C'est ma faute, j'aurais dû t'expliquer.

Terra frotta ses avant-bras rougis en n'écoutant que d'une oreille les explications de Kat dont elle ne comprenait de toute façon que le quart, retenant seulement comment augmenter ou baisser la température.

— ...d'ailleurs, n'oublie pas tes vêtements.

— Pardon ?

— Tes vêtements, tu ne te laves pas habillée quand même ?

— Non, non, non, pas du tout, j'ai été surprise, c'est tout, rougit Terra. Je... je peux déposer où mes vêtements ?

— Où tu veux. T'inquiète, on s'en occupera, répondit-elle tout en sortant.

Terra retira ses vêtements trempés et les jeta au sol. Immédiatement, un étrange objet apparut d'une ouverture sous la porte, semblable à une carapace de tortue en plastique glissant sur le sol, se ruant sur ses vêtements. Elle regarda l'étrange créature les avaler et failli faire un arrêt cardiaque quand cette dernière lui souhaita une bonne journée avant de repartir aussi rapidement qu'elle était venue. Encore perplexe de sa désagréable expérience, elle retenta sa chance et put enfin prendre une douche agréable. Les jets de vapeurs cette fois-ci lui massaient le dos et elle put sentir toute la crasse quitter son corps et ses cheveux. Elle resta longtemps sous la douche, plus longtemps qu'elle ne l'aurait voulu et seul un petit bruit à la porte la ramena à la réalité. D'un petit coup d'œil, elle vit ses vêtements à l'endroit même où elle les avait laissés, dans un état impeccable, pliés et parfumés. Une fois finie, Terra fit vit sa toilette et s'habilla. Le couloir était impeccable, toute trace de son passage ayant disparu. Une autre étrange machine, semblable à un œuf de la taille d'un chat, l'attendait, un petit visage souriant se dessinant sous sa carapace de plastique transparente.

— Mademoiselle « -Terra- », vous êtes attendue dans la salle à manger. Veuillez me suivre s'il vous plaît.

Le petit œuf glissa doucement dans le couloir, lui faisant signe de le suivre dès qu'elle s'arrêta pour admirer la demeure. Elle se retrouva dans une salle où une famille était en plein petit déjeuner et Terra eut du mal à cacher sa gêne quand ils se retournèrent tous pour la regarder. Ils étaient quatre. Kat, le terrien qui conduisait le tout-terrain, un homme d'une cinquantaine d'années avec des lunettes au nez et pour finir, une femme d'à peu près le même âge aux cheveux court donnant un air plus jeune qu'elle devait sûrement l'être.

— Salut petite, dit l'homme à lunette. Tu dois être affamée. Viens, assieds-toi.

Terra ne réagit pas et resta immobile, sans parler.

— N'ai pas peur, on va pas te manger, continua l'homme.

— Tu ne vois pas que tu l'intimides ? murmura discrètement Kat. Laisse-lui le temps de s'adapter, c'est un nouvel environnement pour elle. Viens Terra, ignore mon père, il est hyper gênant. Détends-toi, fais comme chez toi.

Elle prit place timidement en bout de table, avec Kat à sa gauche et le terrien au tout-terrain à sa droite. On lui passa une assiette de légumes dont elle constata avec étonnement étaient tous d'origine antéenne, accompagnés d'une étrange pâte blanchâtre ressemblant à du fromage de chèvre. Elle prit sa fourchette et goûta la pâte sous le regard oppressant de la famille. C'était insipide, voir même un peu fade et ce fut une véritable épreuve pour finir son morceau.

— Alors, t'aimes bien ?

— Oui, c'est bon, mentit Terra.

— Heureux que ça te plaise, continua le père. Je m'appelle George, voilà ma femme Naomi, ma fille Catherine et mon fils Gabriel.

— Terra, Terra Kandos. Fille d'Haji, descendante d'Iska le miraculé. Merci de m'avoir recueilli.

— Il n'y a pas de soucis, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de rencontrer une locale, et encore moins d'en aider une. Après tout, on est tous humains n'est-ce pas ? C'est la moindre des choses de s'entraider, hein ?

Terra ne réagit toujours pas et se contenta de dévisager ses interlocuteurs, à la grande déception de George.

— Par contre, je ne veux pas te mettre de pression mais tu comprendras qu'on ait quelques petites questions, continua-t-il. Je veux dire que Gabriel t'a trouvé dans un piteux état au milieu de nulle-part, on veut juste savoir comment tu t'es retrouvée comme ça.

— Elle vient peut-être d'une région en guerre, dit sa femme. Tu es une réfugiée Terra ?

— Non, je vous ai déjà dit qu'elle venait du Maniemas, c'est pas en guerre le Maniemas. C'est au nord qu'il y a des guerres, pas à l'ouest.

— Ah ouais, et tu es géographe maintenant Gabriel ? se moqua son père.

— Mais putain, laissez-la s'expliquer, merde ! s'énerva Kat. Voilà Terra, tu peux parler maintenant.

— Je... je viens de Nadu, une cité de l'ouest. Ma venue... C'est un peu difficile à expliquer à des terriens, mais je peux vous dire que mon frère se trouve ici, à la métropole, et que j'essaye de le retrouver.

— Ton frère, hein ? Et tu sais où il se trouve précisément ? Son adresse par exemple, tu l'as ?

— Je l'ignore.

— Tu l'ignores ?

— Oui, je l'ignore.

— Tu te rends compte qu'il y a des centaines de milliers d'habitants dans la métropole, et plusieurs millions à coté ?

— Je ne savais pas, rougit Terra.

— Est-ce que tu as son nom au moins ?

— Bien sûr, il s'appelle Khemno, Khemno Kandos.

— Et bien voilà, une piste, se réjouit Kat. On avance. Lentement, mais on avance.

Terra mangea par petit coup, regardant l'étrange famille débattre sur son sort. Bien qu'elle en avait déjà goûté des milliers de fois, ces végétaux avaient une saveur nouvelle, différente plutôt. Ils étaient plus doux et moins huileux, un délice. Mais étrangement, ça ne lui remplissait pas l'estomac et le repas manquait cruellement de viande, mais elle n'osa pas réclamer, ne voulant abuser de leur hospitalité. Son petit guide robotique se trouvait dans un coin de la pièce, toujours avec un visage souriant, en dessous d'un étrange tableau qui ressemblait à ce qu'aurait pu donner le violent meurtre d'un arc-en-ciel par un peintre, avec des couleurs mélangées dans un désordre incongru, mais curieusement harmonieux. Elle n'arrivait pas à se décider si cette œuvre était amusement original ou un raté total mais dans tous les cas, ses yeux picotèrent à force de le regarder. La salle à manger était un mélange de moderne et de naturel, le plâtre se mélangeant au bois avec une touche de plastique, totalement différent de tout ce qui avait chez Nadu, l'opposé totale de ce qu'on pouvait trouver chez elle.

— Je suppose que tu n'as pas d'endroit où rester, dit Kat, la sortant de ses rêveries.

— Non, non. J...je n'ai pas d'endroit où loger.

— Tu pourrais rester ici !

— Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité.

— On s'en fout, tu es la bienvenue ici. J'ai toujours rêvé de rencontrer une vrai locale, je veux dire une vrai de vrai, qui vient des cités perdues dans les terres sauvages, vivant comme à l'époque, pas les vieux attrapes-touristes d'ici. Tu sais qu'ici on ne voit presque jamais de local ? Et je ne connais personne qui en connaît personnellement. Honnêtement, ça nous fait plaisir de t'héberger.

— C'est... gentil, hésita Terra, pas vraiment sûr de quoi répondre.

— Et nous ? On a notre mot à dire ? s'agaça Gabriel.

— Te connaissant, tu la déposeras directement chez les flics. En plus, quand t'invites tes amis, on ne dit jamais rien à ce qu'on sache.

— Mais ce n'est pas ton amie justement ! C'est une inconnue que j'ai ramassé au milieu de nulle part !

— Et alors ? C'est une antéenne bordel, t'en as croisé beaucoup toi ? Tu en as parlé ? En plus regarde-la, regarde son visage innocent ! dit-elle en la pointant du doigt. Elle ne ferait pas de mal à une mouche, comment tu peux même penser à l'abandonner ? De toute façon, si tes potes peuvent rester, Terra peut rester, aussi simple que ça.

— Elle n'a pas tort mon petit Gabi, reprit George. Par contre, Kat, elle sera sous ta responsabilité, tu sais ça ?

— Kat et responsabilité dans la même phrase...Hilarant.

— Ouais, ouais, tu te moques mais je ferais pas le fier à ta place. À ton âge, toujours vivre chez tes parents, t'es un sacré raté quand même.

— Ferme-la espèce de garce, t'as vu la gueule de tes potes ? Et c'est moi que tu traites de raté ?

— Et toi tes potes, une bande d'ivrognes qui passent leurs journées à l'intérieure à jouer aux jeux-vidéos et à se branler ! Sérieusement, va te pendre mec !

— Moi j'ai un taf au moins petite salope !

— Encore heureux, t'es pire qu'un parasite !

ÇA SUFFIT !!! hurla leur mère qui s'était soudainement mise à pleurer. Je... je me sens pas bien, je fais une attaque, George mes calmants, où sont mes calmants ?

— Je ne sais pas moi. Qu'est-ce que je ferais avec tes médocs ?

MAIS PUTAIN GEORGE, JE FAIS UNE ATTAQUE ET C'EST COMME CA QUE TU RÉAGIS ? MAIS QU'EST-CE QUI M'AS PRISE DE MARIER UN HOMME COMME-TOI ?

Terra regarda la femme bondir hors de table et se ruer dans sa chambre en pleurs, suivi de près par l'œuf-machine. Le père avait l'air exaspéré et sortit de sa poche une petite pilule bleu qu'il s'empressa d'avaler avec une gorgée d'eau. Pendant ce temps, Gabriel et Catherine se dévisageaient avec haine et méchanceté, sans dire un mot. Jamais elle ne s'était sentie aussi mal à l'aise.

— Tu vois ça Terra, dit Kat en coupant le silence qui s'était installé. Et bien bienvenu chez les Fujiwara. Des débiles et des maniaco-dépressifs, rien d'autre.

Ta gueule Kat, un mot de plus et je te jure qu'elle va partir celle-là, hurla son père tout en levant la paume, d'une telle violence qu'elle en fit même sursauter Terra.

— C'est ça, c'est ça, va te faire foutre le vieux, répondit-elle en sortant à son tour de table, suivi peu de temps après par un claquement de porte.

La jeune antéenne continua à touiller son assiette où ne restait plus que la pâte blanche fade.

— T'aimes pas le tofu ? questionna aimablement George.

— Pas... pas vraiment, ça n'a pas beaucoup de goût... Mais le reste était délicieux.

— Heureux de l'entendre... Je suis désolé que t'aies assistée à ça. Kat n'est pas une fille facile.

— Une vrai salope, intervint Gabi.

Son père ne répondit rien et se contenta de lui lancer un regard sévère.

— Je... j'ai aussi une sœur avec un caractère difficile, mais je ne l'ai plus vue depuis longtemps.

— Vraiment ? Elle a quel âge ?

— Plus vieille que moi, sûrement le même âge que Gabriel.

— À croire que les gens ne grandissent jamais... pourtant tu m'as l'air bien éduqué.

— C'est bien la première fois qu'on me dit ça, rigola Terra.

— Et bien, si c'est la première fois qu'on te le dit, je n'ose pas imaginer les autres adolescents de chez vous. Je devrais peut-être envoyer mes gosses là-bas, histoire que vous leur donniez une leçon de politesse.

— Je doute qu'ils s'y plairaient. Il n'y a pas de terrien, ni même d'électricité.

— Tant mieux, c'est important de savoir revenir aux sources. Les jeunes oublient ça de nos jours. À croire qu'ils ont oubliés que nous ne sommes plus sur Terre. D'ailleurs, j'apprends depuis quelques années une de vos pratiques, l'art du « relâchement total et du vide », tu en fais par hasard ?

— Non, non, on ne fait pas ça à Nadu, c'est au nord qu'on le fait je pense.

— Dommage, tu aurais pu me donner quelques cours. J'ai vu que t'avais une guitare, tu sais en jouer ?

—Évidemment, les Jicky Skins, Will Lloyd, Jim Salvo, .... Nommez-les et je peux vous les jouer ! dit fièrement Terra.

— Mais sinon, des morceaux de chez vous, tu sais en jouer ?

— Ah... ben oui, évidemment. « L'élégie du jeune guerrier », les « Milles fleurs »,« Le berger et la nymphe », « la saga d'Elohim sans-visage » mais seulement la musique, pas les paroles, comme je ne me rappelle plus... oui, j'en connais quelques-unes.

— Super ça, se réjouit George. J'ai hâte que tu nous en fasses une démonstration !

— Ah, ce... serait un plaisir, je suppose.

— Un véritable plaisir j'en suis sûr, intervint une Kat revenue de nulle-part. Bon, vous comprenez que j'emprunte notre indigène familiale ? Allez viens Terra, on doit retrouver ton frère, y'a pas de temps à perdre.

— Tu penses aller où comme ça ? s'énerva son père.

— T'es sourd ou quoi ? Je viens de le dire.

Sans même lui laisser le temps de réagir, la terrienne l'agrippa par le bras et la mena sous les menaces de son père vers la sortie. Elle vit le regard plein d'incompréhension de Terra et se pressa de la rassurer.

— T'inquiètes la marmotte, je t'ai juste sorti de l'enfer mais tu ne le sais pas encore, dit-elle avec un sourire narquois.


Enfin Nadu était en vue, les rayons du soleil se reflétant sur les lourdes pierres formant les remparts. Les bannières flottantes au-dessus des portes représentaient la montagne sous les trois lunes peintes en or sur un fond azur, la couleur de la cité. Une bande de marchands d'Yllunua, guidant une caravane de trois yunts, s'écartèrent rapidement à l'arrivée de son buggy soulevant un nuage de poussière à son passage. Bien que Lucas adorait le domaine Aurora qui était en soi un petit paradis perdu, il lui manquait la magie de l'imprenable bastion de l'ouest. Peut-être était-ce dû au fait que ce fut la première cité qu'il avait découvert sur Antée ou le fait que les Kandos venaient de là, mais il en dégageait une certaine nostalgie. Il s'en souvenait comme si c'était hier, les retrouvailles aux pieds des remparts d'un père et de ses enfants, les larmes à la nouvelle de la mort de leur mère et leur sourire à la découverte de leur sœur. Rarement une scène l'avait autant ému. Il aperçut les fusiliers gardant l'entrée de la cité lui faire signe de s'arrêter et décéléra jusqu'à être à leur niveau. Les gardes le regardèrent avec méfiance avant de se détendre en reconnaissant le seul terrien faisant régulièrement l'aller-retour entre chez eux et la métropole.

— Maître Lucas, quelle surprise. Qu'est-ce qui vous ammène ? Ne deviez-vous pas venir le mois prochain ?

— Convocation du Magnus l'ami, et on ne fait jamais attendre le Magnus, vous le savez mieux que moi.

Une jeune recrue ne put cacher un petit rire à la vue de cet étranger parlant comme l'un des leurs.

— Laissez-moi deviner, un rapport avec la petite Terra ? questionna un autre fusilier. Qu'Orta me foudroie si ce n'est pas le cas.

— Vous êtes perspicace... Etios ?

— Etiam, c'est Etiam. Pour être honnête, je m'inquiète aussi pour Terra. Venez, je vous escorte chez le Magnus. Les autres garderont votre tout-terrain.

Une foule de curieux s'était déjà attroupé autour de son buggy quand il suivi le fusilier à travers l'agora. Le marché était en ébullition, l'odeur des épices flottant dans l'air et les cris d'intenses négociations pouvaient se faire entendre jusqu'au second étage de la cité. Lucas s'écarta rapidement pour faire place au troupeau d'un vieux berger qui le fixa avec étonnement. On pouvait apercevoir sur certaines échoppes des marchands vantant fièrement des produits et des vêtements terriens qu'ils avaient sûrement obtenu de seconde main. Il vit même avec étonnement que l'un d'eux s'était procuré un drone-camera en presque parfaite état, le présentant comme un totem terrien apportant chance et fortune.

— Dis-moi Etiam, que voulais tu dire que tu t'inquiètes aussi pour Terra ? questionna Lucas une fois qu'ils furent assez éloignés de l'agora. Il y a quelque chose qui ne va pas avec elle ?

— En quelque sorte, elle... elle a disparu depuis quelques temps...

— Quoi ?! Sois précis, combien de temps exactement ?

— Cinq jour, six peut-être.

— Bordel... Et Haji, il dit quoi ? Il tient le coup ?

— Je l'ignore, je ne l'ai plus vu depuis trois jours. Vous le connaissez aussi bien que moi, il doit être mort d'inquiétude.

— C'est tout à fait normal après tout. Tu as une idée de ce qui aurait pu arriver ?

—Une fugue on suppose. Elle a laissé un message qui laissait supposer ainsi... Ici, nous sommes arrivés.

Le fusilier frappa à la porte mais n'obtint aucune réponse. On pouvait seulement entendre des bruits de dispute venant de l'intérieur. Etiam décida d'ouvrir doucement la porte et Lucas en profita pour rentrer doucement.

— Que les dieux soient loués, te voilà enfin Lucas, s'exclama Yashey en se précipitant à leur rencontre. J'ai besoin de ton aide, c'est mon père...

— Qu'est ce qui se passe ?

— Il s'est mis en tête de se rendre à la métropole pour récupérer Terra.

Haji se trouvait à la table à nettoyer son arme, faisant mine de ne pas les avoir remarqué entrer.

— Magnus, je suis venu vous dire que je suis prêt à vous accompagner récupérer votre fille, dit fièrement Etiam.

— Mais par tous les dieux, si c'est pour dire ça, tu peux partir, s'énerva Yashey.

— Laisse-le, s'il veut m'accompagner, c'est son choix, pas le tien. Toi et le terrien vous pouvez dire ce que vous voulez mais ma décision est déjà prise.

— Papa par pitié, arrête ça.

— Écoute ta fille Haji, ça ne sert à rien.

Il n'en avait cure. Sa carabine n'avait plus servi depuis des années, mais Nadu construisait ses armes pour durer et un petit coup de nettoyage la remettra rapidement d'aplomb. Sa fille le regarda avec inquiétude alors qu'il était occupé à huiler la culasse de son arme, la tirant par petit coup pour vérifier qu'elle glissait bien.

— Papa, tu ne te rends pas en Iturie, une carabine ne te servira à rien.

— Ça m'a servi toute ma vie, cette fois-ci ne fera pas exception.

— Mais Haji, c'est de la métropole dont on parle bon sang, tu n'as jamais rien vu de pareil, s'exaspéra Lucas. On parle de plus d'un million d'habitants terriens, et le double, non le triple d'Antéens et tu n'y as jamais mis les pieds !

— Comme il y a quinze ans. J'avais à peine mis les pieds hors de ma cité et pourtant, je l'ai retrouvée alors qu'elle était à l'autre bout du monde

— Écoute-moi. Laisse-moi y aller et je la retrouverai en un rien de temps, fais-moi confiance.

— Je ne te fais pas confiance. Tu es doux. Même si tu la retrouve, tu céderas à ses supplications et tu ne la ramèneras pas.

— Papa, tu m'as promis pourtant...

— J'ai aussi promis que je ne perdrai pas un enfant de plus. Je suis désolé Yashey mais je n'ai pas le choix.

— Ça va mal se passer, je le sais ! Cette ville n'est pas faite pour toi. Je t'en supplie, laisse Lucas y aller, fais-le pour moi, fais-le pour ton petit-fils. Rappelle-moi ce que tu m'as dit... Tu ne m'abandonnerais plus...

Elle avait touché une corde sensible et vit son père hésiter.

— Nous sommes en paix, jamais la région n'a été aussi sûr. La violence n'arrangera rien, fais nous confiance, insista Yashey.

Haji expira, passant ses doigts huileux dans ses cheveux, et déposa son arme sur la table avec résignation.

— Je savais que tu ferais preuve de bon sens, sourit le terrien. Je te le promets, je retrouverai Terra en un rien de temps...

— Non... non, ce n'est pas elle que tu trouveras, l'interrompit sèchement Haji.

— Papa, qu'est-ce que tu veux dire ?

— Je te l'ai dit. Je connais Lucas, je connais Terra. Il ne la ramènera pas, c'est un fait. Si elle ne m'obéit même pas, tu crois vraiment qu'elle l'écoutera lui ? Une personne la ramènera, quoi qu'il se passe.

— Papa, tu n'y penses pas...

— Lucas, je sais que tu tiens à Akhesa, tu sais sûrement où elle se trouve. Elle la retrouvera et elle la ramènera sans sourciller.

— Tu ne lui fais quand même pas confiance, s'énerva Yashey. C'est la pire de toutes les idées que tu aies eu !

— Elle reste ma fille, je lui fais confiance plus que tout. Tu as beau la haïr autant que tu veux, elle tient à toi, à ton frère et à ta sœur. Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais c'est à ton tour de me croire maintenant. Lucas, tu sais où elle se trouve n'est-ce pas ?

— Aux dernières nouvelles, quelque part au fin fond de l'Iturie.

— Et bien tu sais ce qu'il te reste à faire. Trouve Akhesa et prouve moi que je peux te faire confiance.

— Je l'accompagne ! s'exclama Etiam.

— Soit. D'ailleurs, quand vous la reverrez... dites-lui que son père lui remet ses salutations.

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