Chapitre 30 : Le procès
La tension était à son comble. L'escorte Hotzavite et Nados se dévisageaient avec haine, jouant avec leurs armes, prêt à les dégainer à tout moment et à charger au moindre mot, au moindre regard, de travers. Khemno et Delmion avaient choisi une petite place discrète cachée au milieu du quartier Arachovien, en territoire neutre, entourée de près de plusieurs habitations assez hautes pour les cacher des regards indiscrets de l'extérieure. Certains hommes à tout faire de l'ambassadeur Arachovien surveillaient les ruelles menant à la place tout comme l'entrée de la petite maison écrasée entre les autres imposants édifices, leur présence ayant pour seul but de montrer un semblant d'ordre et de contrôle, sachant très bien qu'en cas de soulèvement des deux camps, ils n'auraient aucune chance.
— Grands dieux, j'espère que vos chiens de guerres sont bien dressés, rigola de bon cœur l'ambassadeur Arachovien.
C'était un homme ventripotent aux grandes moustaches relevées avec une barbe parsemées de longues tresses décorées d'or et de jaspe. Rien que ses vêtements étaient d'une qualité rare et devaient coûter une fortune, tout comme ses nombreux colliers, bracelets et bagues. Tout l'inverse des deux autres ambassadeurs qui, bien qu'habillé pour l'occasion, était nettement plus sobre que leur hôte. L'ambassadeur Hotzavite, épaulé par Delmion, regarda avec haine le vieil ambassadeur Nados qui avait les yeux perdus dans le vide. Sa stature était noble, ses rouflaquettes se rejoignaient en larges moustaches et il semblait bien plus jeune que son maitre constata Khemno, et bien plus imposant.
— Me présenter moi, Hakros, à ce vieux fou à indexe crochu est plus qu'une insulte, autant jaser avec le cul d'une chèvre, s'énerva l'Hotzavite.
— N'y a-t-il point de différence entre un ambassadeur et un vulgaire animal chez les jambes arquées ? répliqua immédiatement le vieillard qui était soudainement sorti de ses rêveries. Dire que je pensais avoir affaire à un homme d'un minimum d'esprit, je suppose que c'était trop demandé à votre cité de dégénérés.
— Même malgré ton âge t'auras mon poing dans la gueule vieil homme !
— Mon Khemno te brisera les jambes d'abord, gamin (Khemno blêmit immédiatement à la remarque).
— Par tous les dieux calmez-vous, personne ne se battra ici. Ne vous rappelez-vous pas ce pour quoi nous sommes réunis aujourd'hui ? La justice pour nos frères et sœurs, notre avenir dans la métropole, c'est bien plus important que vos puériles querelles intercités, ne croyez-vous pas ?
— PUÉRILES ?! s'écrièrent-ils ensemble.
— Ne savez-vous pas le nombre de bons Hotzavites morts des mains de ces perfides Nados ?
— Tout du même, rejoignit le vieil ambassadeur. J'ai perdu de très proches amis de leur faute.
— Bien que je comprenne votre point vénérable ambassadeur, il ne vaut mieux pas mentionner nos conflits ainsi si vous ne voulez pas envenimez la situation, glissa doucement Khemno à l'arachovien.
— Ma foi, veuillez pardonner ma maladresse, mais vous comprenez bien ce que je veux dire, n'est-ce pas ? Mettriez-vous votre haine au-dessus de la vie d'innocents au point de causer encore plus de mal aux nôtres qu'ils n'ont déjà subi ? N'êtes-vous pas tous deux fils d'Orta, fils de la justice divine, par tous les dieux ?
Les deux autres ambassadeurs ne dirent rien, grognant chacun de leur côté, jusqu'à ce que Hakros prenne la parole.
— Je les hais, mais jamais je ne pardonnerai ces terriens pour ce qu'ils ont fait, sur l'honneur de mes ancêtres. Si pour avoir notre vengeance, je suis obligé de m'associer à un... un Nados, qu'il en soit ainsi. Juste pour cette fois, je suis prêt à mettre de côté ma haine.
— Et vous vénérable Nados ?
Le vieillard était encore ailleurs et Khemno s'empressa vite par prudence de répondre à sa place.
— De la part du peuple Nados, nous acceptons aussi de mettre nos intérêts en commun avec les vénérables Arachoviens et les vénérables Hotzavites, pour le bien être de notre région et tous ceux qui y vivent. Veuillez pardonnez mon maitre, son vieil âge lui... fait défaut on peut dire...
— Et bien cela est fait, sourit l'ambassadeur Arachovien. Je ferais savoir à tous que le Maniemas, représenté par nos trois cités, est enfin rassemblé par une seule et même cause et que nous demanderons qu'ils nous livrent « David Patterson » pour qu'il soit jugé par ceux à qui il a causé tort.
— C'est merveilleux Khemno, c'est un jour historique, se réjouit Delmion en rejoignant son ami. Myra nous sourit, tous les dieux nous sourient. Pour la première fois depuis des siècles, nous sommes enfin unis, tu te rends compte ? Nous sommes enfin en paix !
— Espérons-le, rigola doucement Khemno. Je doute que ce soit aussi simple, mais c'est un bon début. Au moins, on ne risque plus de s'entretuer dans les rues.
— Alors comme ça on doit se bouffer de l'Hotzavites maintenant, cracha Mar. Bordel c'est de pire en pire. T'en penses quoi Akhesa ?
— Je pense que c'est les paroles de l'ambassadeur et les paroles de l'ambassadeur sont sacrées. Sérieusement, c'est pour le mieux, non seulement pour le procès, mais pour les districts en général. Les gens pourront enfin respirer un peu.
— Tu blagues j'espère ?! Ce vieux fou lâche soudainement que les Hotzavites sont nos amis et voilà qu'on doit oublier leurs siècles de crimes et d'agressions et se mettre à quatre pattes devant eux ? Qu'en est-il des « lunes pourpres » ? De « Djura » ? Tous ceux morts contre ces salopards du nord ? Ce vieillard sénile ne sait même plus pisser tout seul et tu veux qu'on lui obéisse sans broncher ? Tu n'es pas bien ?
— T'es pire qu'une adolescente Mar, ce n'est qu'une paix temporaire, rien de plus, répondit Akhesa avec un léger agacement dans la voix. Si ça t'amuse, tu pourras te battre avec eux autant que tu veux une fois que tout cela soit fini, mais tant qu'une bande de kusaks s'amuseront à mitrailler les nôtres dans nos propres maisons, je ne veux pas en plus avoir les Hotzavites sur les dos.
Le Nados ne répondit pas et s'affala encore plus mollement sur le canapé en grognant. Epos et Belesis ne parlèrent pas, se contentant juste de regarder les deux tourner en rond dans une discussion qui ne semblait pas finir, leur frère d'arme se plaignant à chacune nouvelle qu'Akhesa leur donna. Elle de son côté faisait les cent pas, tournant en rond dans la salle qui servait d'habitation d'Epos, brûlant cigarette sur cigarette. Bien qu'elle prît le temps de répondre à chacun des gémissements de son compagnon, son esprit était ailleurs, quelque part plus important. Le moment historique approchait, le fameux procès qui exposerait les crimes des terriens à tous, le procès qui ferait s'écrouler leur petit monde parfait qu'ils pensaient s'était créé, leur petite utopie hypocrite et insidieuse, qui leur fera enfin ouvrir les yeux, aussi aveugles soient-ils. Non, ça n'arrivera pas, elle les connaissait trop bien. Après tout, elle fut l'une des leurs, bien qu'aujourd'hui elle le regrettât amèrement. Rien que d'y repenser faillit lui faire entrer dans une rage incontrôlable, une rage telle qu'elle en avait rarement connu. Elle se calma en inspirant longuement sur sa cigarette et en recrachant la fumée lentement. Ces fils de putes de terriens... pensa-t-elle. Jamais ils n'admettront leurs crimes, jamais les siens n'auront la justice qu'ils mériteraient, pas même la petite catin de sa sœur d'ailleurs. Leur merveilleuse colonie restera leur merveilleuse colonie, tout ira bien dans le meilleur des mondes et Antée continuera à tourner comme si rien ne s'était passé. En tout cas, c'est qu'ils pensaient. Mais ils devaient comprendre une chose. Ils étaient chez eux ici, et ici, les choses se passaient différemment. Chaque dette était repayée, chaque offense punie... Une vie pour une vie comme on le disait souvent. Elle allait faire en sorte que ce concept de base se fasse respecter, qu'importe le coût.
— Epos, quel est le nom du gamin, là ? dit-elle en claquant des doigts pour essayer de s'en rappeler. Le petit frère de Kirio ?
— Jeza ?
— Jeza, oui... Trouve-le, je dois lui parler. Je dois vous parler à tous. Maintenant est enfin le temps d'agir...
— Cassandre...
Le cyborg regarda du haut de la tour la vue qui se présentait à elle. Qui aurait pu imaginer que son Antée deviendrait comme ceci ?
— Cassandre.
Quelle ironie... Après tout ce qu'elle avait fait, après tous ses sacrifices, c'était la Terre qui était finalement venue à elle et non l'inverse. Elle en aurait presque rigolé si elle le pouvait encore.
— Gorgo !
Elle se retourna lentement, fixant froidement des yeux le gouverneur qui déglutit immédiatement, regrettant sa décision de hausser la voix. Sans un mot, un sourire mécanique et sans émotion se dessina sur son visage.
— Que puis-je faire pour vous assister monsieur Clarke ? répondit-elle avec courtoisie, prenant au dépourvu le gouverneur.
— Tu le sais très bien. La situation ne peut pas être pire, pesta l'homme en se servant un verre d'alcool. Je suis complètement débordé, tu étais sensée faire en sorte que tout ce bordel n'arrive pas, c'est la seule raison pourquoi tu es ici, c'est la seule raison pourquoi tu es encore libre.
— Libre est un grand mot. Prisonnière d'une cage d'argent correspondrait mieux, bien que je doive admettre qu'au final, ça ne change pas grand-chose de ma situation précédente. Toujours au sommet du monde, toujours à surveiller que le troupeau ne court pas à sa propre perte.
— Non, tu n'es rien qu'une machine prétentieuse avec un complexe de déesse, s'énerva le gouverneur. Tu n'as qu'un seul devoir, qu'un seul but et c'est de faire la Métropole ce que la Terre n'a jamais pu être pour nous, et pour l'instant, toutes tes décisions ne nous ont que rapproché de... de l'anarchie et du chaos !
— Tu as tort mon cher Allen Clarke, souffla doucement Gorgo en se retournant vers la baie vitrée. Je n'ai jamais eu de complexe de déesse, ni avant, ni maintenant. Je n'ai jamais oublié ce pour quoi je suis ici, je n'en ai pas le choix, mais la différence entre vous et moi, c'est que j'ai vécu trois-cents ans sur cette planète et je la connais mieux que n'importe qui. Si la perte de contrôle vous effraie tant que ça, déposez votre démission, car cette fonction n'est pas faite pour vous. Sinon, continuez à m'écouter et regardez avec moi la tournure que prendra la suite des évènements.
— Il ne risque pas d'y avoir de suite si ça continue ainsi, pas pour toi en tout cas...
— Pourquoi est-ce si dur pour vous d'attendre ? Vous croyez que la solution à tous vos soucis se trouve dans un contrôle absolu, mais devinez quoi ; c'est un mensonge, une illusion. Jamais vous ne contrôlerez quoi que ce soit, ni sur Terre et encore moins sur Anthée, j'en ai moi-même fait l'expérience. La patience est la seule vertu que vous devez avoir pour l'instant. Si vous voulez bel et bien faire de la métropole votre havre de paix, vous n'en avez pas le choix. Agissez et là vous ferez sombrer cette ville dans le chaos. Attendez et les occasions pour changer les choses se présenteront naturellement à vous.
— Qu'importe, grogna le gouverneur. Tu as intérêt à dire vrai Gorgo, non seulement pour toi, mais pour la Métropole entière.
Le palais de justice des terriens n'était pas le plus grand ouvrage de la métropole et avait loin d'avoir la prestance d'autres grands bâtiments comme l'aiguille argentée. Après tout, jamais ils ne s'étaient imaginé accueillir un événement aussi important que celui-ci. Pour la première fois, mêlée à la foule de terriens attendant à l'extérieur, une véritable masse d'Antéens de tous horizons, de toutes régions, familles des victimes, dignitaires ou simplement particuliers voulant voir la justice terrienne tant promise. Jamais la métropole n'avait vu autant de locaux rassemblés au centre-ville, une occasion qui n'échappa pas aux journalistes qui s'empressèrent de filmer le tout à l'aide de leurs drones-caméras. Néanmoins, une ligne de policiers supportés par une dizaine de gardiens de la paix sépara les deux peuples, évitant ainsi un éventuel mouvement de foule pouvant mener à un bain de sang. Plusieurs agitateurs Antéens hurlèrent des injures à l'autre parti, réclamant le sang de David Patterson, allant même jusqu'à lancer des pierres par-dessus le cordon de sécurité ce qui leur valurent immédiatement une arrestation, ces dernières ne faisant qu'augmenter encore plus la tension présente.
— Aïe, fais-gaffe Karam ! s'énerva Terra après s'être pris un coude dans la figure.
Cela faisait déjà plusieurs minutes que la jeune Nados essayait de se frayer un chemin dans ce désordre, espérant enfin rejoindre le palais de justice qui lui permettrait de respirer un coup. Malgré tous ses efforts, chaque nouveau mètre lui valait de nouveaux bleus et elle se sentait plus se faire bousculer en avant qu'autre chose. Après encore quelques poussées à droite et à gauche, elle atteignit enfin le dernier cordon, celui qui gardait l'entrée du palais, et regretta amèrement de ne pas avoir accompagné la délégation maniemane en voyant le monde qui se faisait repousser par les androïdes de sécurité. Elle prépara rapidement le badge qui se trouvait dans sa poche et s'approcha d'un pas peu confiant d'une des machines à qui elle le lui présenta, la laissant passer seulement après quelques longues secondes d'incertitudes. L'autre côté fut bien plus calme et d'un petit geste de main, fit signe à ses amis qu'elle était passée.
— Enfin t'es là ! Je vais être totalement honnête, je pensais qu'on allait te retrouver en charpie ma vieille, se réjouit Nathan en la rejoignant.
Chad et Robin étaient à ses côtés, jetant un œil inquiet à la foule qui se déchainait dehors.
— Quel bordel, je n'ai jamais vu ça de ma vie, continua Chad. On dirait le début d'une... d'une révolution ou quelque chose du genre. Ça me fait stresser, vraiment... Je me demande même si c'était une bonne idée de venir...
— Évidemment que oui, Kat a besoin de nous maintenant plus que jamais, répondit Terra. Qu'importe ce qui se passe là dehors, notre super-méga-pote se trouve là-dedans toute seule et elle a besoin de notre soutien !
— Je sais bien, je ne dis pas le contraire, c'est juste que... je ne sais pas, tout ça me fait peur, je ne sais pas comment l'expliquer.
— Ha, ne me dis pas qu'un grand bonhomme comme toi a peur d'une poignée d'imbéciles comme ceux-là ? se moqua la jeune fille. On est derrière une armée de policiers et d'androïdes, il ne va rien t'arriver princesse.
— Ce n'est pas eux qui me font peur, c'est tout ça, toute cette situation. Ce qui est arrivé à Kat, à toi... Toutes ces horreurs qui se déroulaient sous notre nez sans que personne ne réagisse, sans que personne ne fasse même semblant d'y prêter attention. Il a fallu que toute cette merde arrive, que Kat souffre autant, pour qu'enfin on intervienne, qu'on fasse quelque chose...
Elle sentit une véritable frustration dans sa voix, voire même une rage, et mit une main sur son bras pour tenter de le calmer. Même Nathan et Robin semblaient affectés par ses paroles, leurs mines devenant soudainement plus sombres, plus moroses, montrant que ces événements les avaient bien plus marqués que ce qu'ils ne le laissaient croire.
— T'inquiète, c'est pour ça qu'on est ici après tout, sourit-elle doucement. Tout ça, ça va bientôt n'être que le passé et on va de nouveau passer du bon temps tous ensemble, comme avant.
Chad répondit à son sourire, essuyant les quelques larmes qui avaient coulé sur ses joues. Malgré sa taille et son physique, il n'en restait pas moins qu'un grand enfant et le voir ainsi l'émut.
— T'as raison, 'sais pas ce qui m'a pris, j'ai un peu craqué, je ne voulais pas vous déprimer les gars.
— T'es en fait qu'un grand nounours, toi, se moqua à son tour Nathan. C'est vraiment la honte, Chad.
— T'étais littéralement dans le même état que moi avant de partir enfoiré, t'es vraiment pas dans une position pour juger !
— Ne l'écoutez pas vous tous, je ne vois absolument pas de quoi il veut parler, se défendit-il rapidement.
Un vacarme insupportable se fit soudainement entendre de l'autre-côté du cordon de sécurité. Des cris, des plaintes, des acclamations et des réclamations... Elle sut immédiatement ce que ça voulait dire ; la délégation maniemane était enfin arrivée. Escortés par une vingtaine d'hommes, les ambassadeurs du Maniemas se dépêchèrent de rejoindre le palais en suivant le chemin dégagé par leurs gardes, visiblement agacés par la foule les entourant. Selon les descriptions de son frère, Terra devina le plus vieux comme l'ambassadeur Nados, qui faisait pâle figure comparé aux deux autres. Les androïdes leur firent immédiatement place et la délégation rentra après les avoir lancés un dernier regard de mépris. En passant devant Terra, certains des Nados en profitèrent pour rapidement l'étudier du coin de l'œil, surpris de voir l'une des leurs à l'intérieur, avant de se reconcentrer sur l'escorte. De son côté, elle n'en fit rien, faisant son possible pour les ignorer, n'ayant absolument aucune sympathie pour eux. Néanmoins, elle vit une inquiétude se dessiner sur le visage de Robin une fois la délégation passée, ce qui piqua sa curiosité.
— Quelque chose qui te tracasse Robin ?
— Un membre de la délégation, le plus jeune, je le connais, Kat aussi.
— Un des Nados qui vous ont kidnappé ? lui murmura Terra dans l'oreille.
— Oui, et pas le plus sympa, en particulier auprès de Kat. Si elle le voit, je ne sais pas comment elle va réagir...
— Maintenant que tu le dis, ce n'est pas normal. L'escorte des ambassadeurs, en tout cas du nôtre, est composé seulement de vétérans alors pourquoi ont-ils quelqu'un de si jeune parmi eux ? Je doute qu'il soit vétéran de quoi que soit à son âge.
— Ils ne l'ont quand même pas pris pour intimider Kat tout de même, s'inquiéta le garçon.
— Je ne pense pas, mais avec les miens, je n'en serais même pas étonné... Je vais le garder à l'œil au cas où, on ne sait jamais. S'il tente quoi que ce soit, je préviens la sécurité.
Elle qui pensait que l'intérieur serait plus calme, elle était bien loin du compte. L'intérieur fut tout aussi bondé que l'extérieur ; chaque siège était pris, les gens étaient coudes contre coudes et bien qu'il y eût moins d'agressivité émanant de l'endroit, une certaine tension était quand même présente du côté des Antéens, si bien que comme dehors, ils s'étaient de nouveau séparés en deux groupes distincts. Une dernière ligne de gardiens de la paix garda les rangs de devant où le juge, jurés, avocats et tout un tas d'autres postes dont elle ignorait l'utilité attendaient la victime et l'accusé. Prenant l'allée du milieu, Terra se dépêcha de rejoindre le devant de l'assemblé en espérant apercevoir son amie derrière le mur les séparant. Après une dizaine de minutes, elle la vit enfin, escortée par deux policiers qui la guidèrent jusqu'à son siège. Elle s'empressa de lui faire signe à grands mouvements de bras que Kat remarqua avec un petit sourire discret. Tant bien que mal, Terra essaya de lui faire comprendre que tout allait bien se passer, qu'elle était à ses côtés (tout du moins moralement), avant de disparaitre sous une masse de journalistes qui s'empressèrent de photographier la victime.
— Je n'arrive pas à y croire, ils ont complètement volé ma place ! s'énerva la jeune Nados tout en essayant de se redégager un passage entre eux.
— Laisse-tomber ma vieille, souffla Chad, c'est pas avec eux que tu passeras. Putain, je n'arrive même pas à voir ce qui se passe... Viens, on essaie de se trouver une place là derrière, ok ?
Terra acquiesça et à contrecœur, les suivit vers le fond de la salle.
Jeza regarda avec rage la terrienne qui leur avait apporté malheurs et souffrance, celle qui avait causé la mort de sa mère, son frère et lui avait pris un bras. Elle ne l'avait pas remarqué, mais lui n'avait d'yeux qu'elle. Même la venue de l'accusé ne le fit à peine broncher, bien à l'inverse de ses compagnons qui étaient sur le point d'éclater de rage. Néanmoins, elle n'était pas la raison de sa venue, partiellement tout du moins. Le procès commença quand le juge réussit enfin à faire taire la salle. La tension était à son comble. Le juge parlait, les avocats répondirent, mais ils n'en avaient cure, il n'y avait que le verdict qui comptait, c'était tous ce pourquoi ils étaient venus. Une trentaine de minutes s'écoulèrent, les jurés délibérèrent, l'accusé fut reconnu coupable et le juge s'apprêtait à annoncer la peine. Son cœur battait la chamade, comme celle de tous les antéens présents. Les drones survolèrent l'estrade, se préparant enfin à filmer la résolution de tous ces événements qui avaient secoué la métropole. Les mots sortirent de sa bouche comme au ralenti et le corps de Jeza, tout comme celui de Terra et des autres antéens se figèrent.
« 40 ans de prisons avec sursis »
Il n'arrivait pas à le croire. Ils avaient donc choisi leur camp. Une véritable frénésie s'empara de la salle, les gens hurlants, insultants et se ruant en avant jusqu'à se faire repousser par les gardiens de la paix. Certains Antéens décidèrent de déchainer leur rage sur les terriens à leurs côtés et ces derniers tentèrent de s'enfuir en se bousculant et en se piétinant l'un l'autre. Le juge avait perdu tout contrôle et une véritable émeute avait éclaté à l'intérieur de la salle. Une inquiétude s'empara de Terra et voulut immédiatement rejoindre Kat pour voir si elle était bien en sécurité, mais une main s'écrasa rapidement sur sa bouche alors qu'une autre la tira en arrière. Elle voulut se débattre, appeler à l'aide, mais la poigne était trop forte et fut totalement à la merci de son assaillant. Heureusement, en se rapprochant de la sortie, ses amis constatèrent qu'elle manquait et la virent vite disparaitre dans la foule fuyant vers l'extérieur. Sans perdre une seconde, ils se mirent à ses trousses, tentant tant bien que mal de la retrouver dans tout ce monde. Au même moment, Jeza avança doucement vers le cordon de sécurité. « Jusqu'où étais-tu prêt à aller pour les tiens », lui avait-on demandé. « N'importe-où » avait-il répondu. « Alors tu seras notre bras vengeur, la mèche qui attisera notre fureur. Tu seras la justice dont cette planète a tant besoin ». Ces mots résonnèrent encore clairement dans son esprit, lui donnant encore plus de force. Orta le baignait de sa lumière, il la sentait tout autour de lui. Dire qu'il pensait mourir comme un lâche, vieux et incapable n'ayant jamais rien accompli de sa vie... Dieux qu'est-ce qu'il s'était trompé, un glorieux avenir lui avait été préparé. Les androïdes gardiens de la paix devinrent de plus en plus violent et n'hésitèrent pas à briser quelques os pour repousser la masse de personnes essayant d'atteindre l'estrade. Ils commencèrent à se faire déborder, donnant à Jeza l'occasion idéale pour se glisser derrière eux. Comme il l'avait pensé, il était bel et bien béni, les dieux lui avaient donné l'occasion de confronter les bourreaux des siens, ceux qui les regardaient même pas quelques minutes auparavant avec mépris et qui tremblèrent de peur en constatant sa présence. Même la terrienne se figea d'effroi en le voyant, lui procurant un plaisir qu'il pensait ne jamais connaitre, celui d'un prédateur devant sa proie. Cependant, ce n'était pas pour elle qu'on lui avait offert cette chance, mais pour lui, « Patterson ». Les deux policiers qui escortèrent la jeune fille, après quelques secondes d'hésitations, se ruèrent vers le Nados qui à son tour, fonça vers sa cible.
« Je suis le bras vengeur des miens, je suis celui qui attisera la flamme de notre fureur », répéta-t-il en boucle tout en s'approchant de David Patterson qui était terrorisé. « C'est le plus beau jour de ma vie » pensa-t-il alors qu'une intense chaleur carbonisa son corps.
Terra avait beau mordre et se débattre comme une forcenée, l'homme ne semblait pas lâcher son affaire et continua à la trainer hors du palais de justice. Perdue dans tout ce monde et avec la panique qui ne faisait qu'augmenter, personne ne la remarqua et son assaillant put même passer le cordon de sécurité extérieur qui laissa passer tous les fuyards sans exception. Néanmoins, elle se réjouit en voyant que ses amis étaient toujours sur ses pas et que même l'ayant perdu de vue, ces derniers firent de leur mieux pour essayer de la retrouver. Cela voulait dire qu'il ne lui manquait plus qu'une occasion pour signaler sa position et elle serait sauvée. Soudainement, un flash de lumière jaunâtre provenant du palais de justice lui brûla les yeux pendant une fraction de seconde, suivi juste après par une détonation comme elle n'en avait jamais entendu auparavant, une détonation si violente qu'elle brisa les vitres de bâtiments à des lieux à la ronde, lui vrillant les tympans si fort qu'elle ne ce serait même pas entendue hurler. Un souffle brûlant la projeta elle et son agresseur au sol, lui arrachant l'air des poumons tout en les écrasant. Elle fut même sûre que son cœur s'était arrêté pendant quelques secondes avant de reprendre à une vitesse qui menaçait de le faire exploser à tout moment. Encore sous le choc, Terra se réveilla d'un coup, en sursaut, en se sentant étouffer. Elle prit immédiatement une bouchée d'air et constata que celui-ci était rempli de cendres. En toussotant, elle cligna quelquefois des yeux et tenta tant bien que mal de réajuster sa vue encore abimée par le court, mais intense flash de lumière. Ce qu'elle vit lui aurait fait souhaiter perdre la vue à tout jamais. Le palais de justice était entrain de se faire dévorer par les flammes et à ses pieds, une mare de sang et de corps déchiquetés par la soudaine explosion. C'était incompréhensible, elle n'avait aucune idée de ce qui se passait, incapable même de trouver un début d'explication au cauchemar dans lequel elle était plongée. Un véritable enfer s'était déchainé tout autour d'elle, mais étrangement, elle s'en sentait à peine concernée, comme si on l'avait soudainement déconnectée de la réalité, comme si elle se trouvait en plein rêve éveillé. Son jeune esprit d'adolescente n'arrivait pas à concevoir la réalité d'une telle scène, préférant jouer avec son inconscient pour adoucir le choc. Sans un mot, elle se leva et marcha lentement vers le brasier, enjambant des cadavres à moitié carbonisés et des blessés atrocement défigurés. Qu'un mot parvint à sortir de sa bouche. « Kat, tu es là ? », dit-elle doucement en regardant le palais de justice brûler. Une main l'agrippa de nouveau par le bras et la tira encore une fois en arrière, le plus loin possible du carnage. « Je ne peux pas partir, Kat est là-dedans, elle a besoin de moi », protesta-t-elle presque imperceptiblement. En vain, on ne la lâcha pas. Et qu'en était-il de Chad, Nathan et Robin ? Elle ne pouvait pas partir maintenant, sans savoir ce qui était advenu de ses amis. Des sirènes se firent entendre et plusieurs navettes survolèrent le site de la boucherie pendant que d'autres essayèrent d'éteindre les flammes à l'aide de canons à eaux. Terra regarda ce spectacle avec étonnement avant de se tâter le visage. Ses mains étaient rouge cramoisie et constata que son visage était ensanglanté, tachant ses vêtements noirs de cendres à grandes gouttes. Il semblait qu'elle aussi était blessée et qu'elle était en train de perdre une dangereuse quantité de sang, bien qu'elle n'en eût cure. Après tout, il n'y avait qu'une seule chose qui importait. Elle se sentit lentement perdre connaissance, ses paupières se faisant de plus en plus lourdes tout comme ses membres. Une dernière pensée passa par son esprit avant que Terra ne sombre dans l'abime. « S'il te plait Kat, ne me laisse pas » ...
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