Chapitre 29 : Aftermath
— Je ne pense pas que ce soit une si bonne idée Khemno, lui souffla Delmion, le jeune étudiant Hotzavite.
— Mais si, maintenant plus que jamais il est important de nous unir et je crois qu'il n'y a pas de meilleure occasion qu'aujourd'hui de laisser nos vieux différents de côtés une bonne fois pour toutes.
— Et tu penses que deux pauvres gamins comme nous pourront mettre terme à plus d'un siècle de haine et de conflits comme cela, en claquant des doigts ? Mon vieux père doit sûrement s'arracher les cheveux dans les plaines dorées en ce moment en me voyant te parler ainsi.
— Et alors ? Le mien aussi vous déteste. Mon propre grand-père s'est fait écraser par une charge de hussards pour dire. Pourtant ça ne change rien au fait que nous sommes tous les deux-là, côte à côte, pour une cause bien plus importante que nos deux cités.
— Puisses-tu dire vrai mon ami. J'espère juste garder la tête entre les deux épaules en sortant d'ici.
Plus de deux semaines s'étaient passées depuis les évènements qui avaient violemment secoué les districts. Presque une dizaine de cadavres terriens armés jusqu'aux dents avaient été retrouvés criblés de balles et perdue entre tous ces corps, une jeune fille, terrienne elle aussi, toujours en vie, arborant sur le corps des signes de maltraitances et d'abus. La nouvelle s'était répandue aussi vite qu'un feu de forêt malgré les vaines tentatives du gouvernement colonial pour l'étouffer et bientôt la peur, puis l'incompréhension, suivi de l'indignation s'emparèrent des habitants de la métropole des deux côtés de la bordure. Bien loin étaient les promesses de paix et de sécurité qui leur avaient été promises. Terriens demandaient explications et Antéens réparations. Malgré l'insistance des forces de l'ordre, leurs interminables questionnements et interrogations, Kat ne dit pas un mot, parlant seulement en présence de ces amis et même là, que peu. Bien que les séquelles sur son corps étaient visibles, son esprit en cachait de bien plus grandes profondément ancrées en elle. Seul le réveille inopiné de David Paterson de son coma permit un début de compréhension de la situation. Malgré les dommages cérébraux irréversibles subis, les miracles de la médecine terrienne permirent à le remettre sur pieds et lui redonner la parole. Ses aveux furent maigres, mais suffisants. Ils avaient clairement démêlé un réseau de grande envergure dont Paterson n'était qu'un instrument, qu'une pièce dans un jeu plus grand. Sa culpabilité ne fut pas difficile à prouver, mais qu'un seul problème restait : Son jugement.
Khemno frappa lentement à la porte de la demeure de l'ambassadeur, une petite villa aux limites de la termitière cachée derrière plusieurs habitations ordinaires, et un grand homme à l'air robuste leur ouvrit, regardant avec méfiance et dégout l'Hotzavite sur le seuil. Il était équipé comme un fusilier et aux cicatrices sur son visage, reconnu l'un de ces vieux vétérans chargés de la protection de l'ambassadeur. Il vit dans ses yeux une haine profonde et viscérale envers son ami et sans ses ordres, lui aurait sûrement déjà sauté à la gorge.
— L'ambassadeur vous attend, dit-il d'une voix glaciale, mettant Delmion plus que mal à l'aise.
Il les laissa entrer avec récalcitrance et virent dans la salle commune richement décorée un vieil homme assis sur un des fauteuils bas typiquement maniemans entouré d'une poignée de gaillards n'ayant rien à envier au premier. Quelques poils un peu trop longs dépassaient de son éparse barbe en collier et seuls quelques rares cheveux blancs restaient ici et là sur son crâne glabre, laissant présager un âge extrêmement avancé. Après que Delmion se soit incliné devant lui, un des hommes leur fit comprendre d'un signe de tête qu'ils pouvaient tous les deux s'assoir.
— Hihi, si un jour quelqu'un m'avait dit que j'accueillerais un Hotzavite chez moi... Je lui aurais sûrement fait couper la langue, pas vrai garçons ?
— Pour sûr ambassadeur, en répondit un.
Khemno le regarda avec un mélange d'incompréhension et d'inquiétude.
— Je plaisante mon petit Khemno, décrispe-toi, ricana le vieillard. Donc si je comprends bien, vous aimeriez que je prenne le risque de me déplacer tout ce chemin pour me retrouver seul dans une pièce entouré de mes ennemis mortels pour quelle raison encore ?
— Vous vous méprenez vénérable ambassadeur, ce sera juste vous trois en tête à tête, l'amb...
— Silence Hotzavite, tu parleras quand il te le dira, le coupa violemment l'un des gardes du corps.
— Tout doux Melchor.... Laisse-le finir.
— Vous... vous serez avec l'ambassadeur d'Arachova qui a autant de risques que vous d'entreprendre ces discussions et il a accepté, reprit le jeune Hotzavite en tentant de calmer les hésitations de sa voix. Personne ne vous fera du mal avec lui à vos côtés. Jamais nous ne prendrions le risque de nous mettre vos deux cités à dos, et j'imagine que ça en va de même pour vous.
— Tu nous menaces, gamin ? grogna un second vétéran qui faisait les cent pas derrière eux.
— N... non, pas du tout, nous pensons juste que nos trois cités seront idéales pour représenter et donner une voix au Maniémas et ainsi, les terriens entendront nos demandes. Les victimes venaient autant de chez nous que chez vous donc je pense que l'idéale serait de nous serrer les coudes dans de moments pareils.
Le vieil ambassadeur se frotta lentement la barbe tout en regardant le plafond, émettant de petits bruits et grognements de temps en temps leur prouvant qu'il n'avait plus toute sa tête. L'affaire était importante et Khemno doutait que son maitre prenne tout cela bien au sérieux. Comme son ami l'avait dit, les victimes étaient leurs frères et sœurs Antéens et les terriens, malgré leur récalcitrance, devaient prendre la colère de son peuple en considération. Au lieu de réagir avec rage sans aucune réflexion comme ils avaient tant l'habitude de faire, une seule et même voix pour les représenter tous devait être envoyée et qui de mieux pour le faire que les trois plus grandes cités du Maniemas. Il ne restait plus qu'à réussir à mettre de côté les siècles de conflits enfantins de deux d'entre elles. Khemno avait beau se creuser la mémoire, il n'avait aucune idée de comment cette haine avait débuté et doutait qu'aucun d'entre eux ne le sache.
— Il est vrai que l'affaire est importante et le fait que les terriens ignorent nos demandent plus que contrariant, marmonna le vieil homme. Cette idée de triumvirat n'est pas mauvaise, une voix commune au lieu de brailler comme des animaux chacun de notre côté. L'idée m'aurait presque plu sans les jambes arquées.
— Mais pourtant on n'a pas le choix, intervint Khemno. Ils ont autant souffert que nous, il n'est que juste qu'ils aient leur mot à dire, ce ne serait pas une justice digne de ce nom sans eux. N'essayons-nous pas justement d'éviter d'agir comme les terriens le font ?
L'ambassadeur ne dit rien. Il regarda ses gardes du corps et éclata soudainement de rire sans raison, mettant les deux jeunes mal à l'aise. Les hommes autour de lui ne réagirent pas, restant de marbre tout en continuant de les fixer de leurs regards glaciaux.
— Belle rhétorique mon petit Khemno, je n'en attendais pas moins de toi. Je t'ai bien appris on dirait.
Khemno ne dit rien et se contenta de se courber devant le vieil homme en signe de respect. Bien que sa rhétorique vienne de son feu excellent tuteur Hameon, il évita d'en faire la remarque de peur de contrarier son maitre et le faire changer d'humeur.
— Donc vous êtes convaincu ? continua-t-il. Vous irez rencontrer les ambassadeurs d'Hotza et d'Arachova ?
— 'Semblerait que oui, répondit le vieillard avec un sourire tout en jouant avec les poils de sa barbe. Mais si ça s'avère être une traitrise, qu'Orta m'en garde, vous savez ce qui risque de se passer n'est-ce pas ?
— Je vous garantis sur l'honneur de tous nos dieux que les miens...
— On t'a dit de te taire Hotzavite, hurla de nouveau l'un des gardes, faisant bondir le pauvre Delmion dans son siège. L'ambassadeur a déjà accepté alors garde ta salive et disparais.
— B... bien sûr, ce fût un honneur vénérable ambassadeur, balbutia le jeune hotzavite en s'inclinant maladroitement.
Sous le regard sévère des gardes, les deux jeunes quittèrent silencieusement la demeure de l'ambassadeur et se permirent de souffler une fois dehors.
— Ça s'est plutôt bien passé, tu ne penses pas ? rigola Khemno.
— Ouais, parle pour toi... Tu verras quand on sera chez les miens si c'est aussi drôle, râla son ami.
— Bah, ça ne peut pas être pire, si ?
— Tu serais étonné de savoir qu'ils ne sont pas si différents que ça finalement nos braves deux peuples.
L'hôpital terrien était magnifique. Isolé dans un quartier paisible du Nord, on aurait dit une voile de navire ou un étrange coquillage construit de mains d'hommes, rassemblant les matériaux favoris des terriens dans une construction mélangeant le style respectif des deux planètes. Comme elle l'aimait, les grandes vitres et baies dont raffolaient tant les terriens recouvraient les flancs du bâtiment, permettant même aux rayons du soleil de pénétrer la chambre où elles se trouvaient. Assise à côté de son amie, Terra tenta tant bien que mal de lancer un début de discussion.
— Je ne savais pas qu'il y avait autant de chiffres dans un corps humain, lança-t-elle en regardant l'un des moniteurs à côté du lit. T'as une idée de ce qu'ils veulent dire ?
Kat secoua lentement la tête. Des bandages plein le corps, elle leva lentement le bras et mit la paille de sa boisson en bouche, les yeux perdus dans le fond de la chambre. Bien que ses blessures aient relativement toutes disparu et que son état de santé se soit nettement amélioré, ses yeux étaient toujours noirs de cernes et ses lèvres gercées, des traces de dents indiquant qu'elle les avait récemment mordues à sang. Durant les deux semaines qui avaient suivi son sauvetage, elle n'avait vu presque personne, renvoyant tous les journalistes et chaque enquêteur dès qu'elle en avait l'occasion, ne laissant que ses amis, et par obligation sa famille, la visiter. Durant tout ce temps, Terra n'avait presque jamais quitté le seuil de son lit, comme son amie le lui avait demandé, la tenant compagnie et en essayant tant bien que mal de la faire sourire. Elle n'avait eu depuis presque aucun contact avec sa sœur et les autres Nados, les seules nouvelles de sa communauté ne venant qu'avec les quelques visites de son frère. Son nom et son implication ne furent mentionnés nulle part, comme l'inspecteur Alexis Sanders l'avait promis, et put se permettre ainsi d'éviter des centaines de questions compromettantes, autant pour elle que pour les siens. En d'autres termes, tout semblait enfin s'arranger, lentement mais sûrement.
— Tu sais, t'as reçu pas mal de cadeaux. Tu veux les ouvrir ?
— Je ne les connais même pas, je n'en veux pas de leurs trucs, répondit-elle doucement. Jette-les... ou donne-les à une autre chambre, 'sais pas, je m'en fiche.
— Y'en a certains de personnes qui tiennent vraiment à toi. Par exemple, il y a mon frère qui t'a apporté quelque chose.
— Ok, t'as gagné, rigola-t-elle faiblement. Juste celui-là.
Avec un sourire, Terra chercha dans la pile de présents venant de divers particuliers dont le trois quarts leur étaient inconnus et sortit une petite boite en bois gravée minutieusement de différents symboles, qu'elle tendit immédiatement à son amie.
— C'est joli, c'est quoi ?
— Ouvre vite, dit Terra avec excitation. Tu verras !
Elle fit comme demandé et y sortit un talisman blanchâtre d'une matière semblable à de l'ivoire où y était gravé plusieurs étranges symboles.
— C'est un collier ? s'étonna Kat. Ça a l'air précieux...
— Tu ne crois pas si bien dire. Ça a été béni rien que pour toi par un prêtre pour te protéger des malheurs et du mauvais sort. Presque aucun étranger n'a la chance d'en recevoir et encore moins de se le faire bénir personnellement, mais pour toi, ils ont fait une exception. Derrière il y a ton nom et devant, c'est le symbole de la trinité sacrée. Je sais que tu ne crois pas en nos coutumes et à notre religion maiiiis... mais je voulais vraiment que t'en ais un. Je sais que c'est bizarre...
— C'est pas bizarre, c'est pour ça que je t'adore, sourit Kat à pleines dents.
Le cœur de Terra se réchauffa et elle prit la main de son amie dans la sienne. Elle sentit quelques larmes lui monter aux yeux qu'elle s'empressa d'essuyer avec un reniflement.
—Hé, Terra, c'est pas toi qui es sensée pleurer normalement, ricana-t-elle.
— Je suis juste... vraiment heureuse que tu ailles bien, c'est tout, et je ne pleure pas en plus... je... bon ça va, j'ai un peu pleuré, mais j'ai fait ça pour te faire parler.
— Ma vieille, tu es tellement prévisible, on peut lire en toi comme dans un livre ouvert.
— Parle pour toi, je voulais juste te faire réagir et ça a marché comme prévu. C'était mon plan depuis le début ma pauvre !
Les deux filles rigolèrent un peu entre elles, savourant le moment qu'elles passaient à deux. Quelqu'un frappa à la porte, les interrompant à leur grand agacement. Kat déverrouilla la porte à l'aide d'une commande à côté de son lit et une tête bien trop familière se présenta à eux. Alexis retira ses lunettes de soleil et les déposa sur une petite table à l'entrée avant de déposer un énième cadeau dans le tas qui trainait juste à côté.
— Vous allez bien les filles ? Je ne vous interromps pas j'espère ? dit-il tout en s'asseyant à côté d'eux.
— Bof, tu veux quoi ? répondit sobrement Kat, un début d'agacement dans la voix.
— Comme d'habitude Catherine, comme d'habitude. Juste mon rapport journalier, rien de nouveau.
— Et bien qu'est ce que tu veux que je te dise de plus ? J'ai dit tout ce que vous vouliez savoir, foutez-moi juste la paix à la fin...
— Allez, ne dis pas ça, je fais juste ce qu'on me demande de faire, je sais bien que ça t'emmerde tout ça, dit-il avec compassion. Je dois juste vérifier que notre témoin favori aille toujours bien et n'ait rien de nouveau à ajouter.
— J'm'en fous. Je vais bien et j'ai toujours rien à « ajouter ». T'es content maintenant où je dois signer une déposition...
Terra ne put s'empêcher de cacher un sourire en coin. Mine de rien, entendre son amie parler ainsi était un signe de progrès. Certes mince, mais malgré tout un bon commencement. Comme quoi sa fouge habituelle n'était peut-être pas partie.
— Ce n'est pas tout, continua Alexis en grattant sa barbe de quelques jours, visiblement mal à l'aise de ce qu'il allait annoncer. On a enfin une date pour le procès de « David Patterson ». Son implication dans un réseau criminel de grande envergure a enfin été prouvée et des liens avec tes ravisseurs ont été faits. Même si les damages cérébraux qu'il a reçus sont sévères, on a quand même réussi à lui faire identifier plusieurs des victimes terriennes de la fusillade dans les districts et prouver son affiliation avec ceux qui t'ont fait ça, à toi et aux victimes... nombreuses victimes antéennes. Tu devras venir, ton témoignage sera vital. Ce sera un des procès les plus importants de l'histoire de cette planète et ce que tu diras permettra de rendre justice aux terriens, aux antéens, à tout le monde, tu comprends ? Il est temps de prouver que nous terriens sommes conscients des crimes commis par les nôtres, que le sort de nos voisins nous préoccupe autant que celui de nos propres concitoyens. Prouver que la métropole est bel et bien un havre de paix réunissant nos peuples, une ville pour tous, une ville où nous sommes tous égaux, qu'importe sa planète ou sa cité.
Terra eut presque envie d'applaudir, mais remarqua que son amie n'avait pas réagi, comme si elle n'avait rien entendu. Elle l'entendit néanmoins murmurer quelque chose, presque imperceptiblement. La jeune terrienne se mit à trembler comme une plume. Ses yeux s'humidifièrent et elle se recroquevilla sur elle-même dans son lit, s'écrasant le plus possible, donnant même l'impression qu'elle essayait de disparaitre entre ses genoux et ses épaules.
— Non... non, non, non... Je veux pas, je veux pas, je veux pas.
Sa manière de s'exprimer avait changé, même son intonation. On aurait presque dit un enfant apeuré dans sa réaction. Par compassion, Alexis s'approcha, mais Kat se figea, ses yeux larmoyants grands ouverts, fixés sur lui.
— VOUS NE POUVEZ PAS FAIRE ÇA ! VOUS NE POUVEZ PAS FAIRE ÇA !
Kat hurla comme un animal apeuré et Terra s'interposa rapidement entre les deux, faisant sévèrement signe du regard à l'inspecteur de se reculer avant de se ruer à côté de Kat, lui prenant la main en tentant de la calmer
— Tout doux Kat, tout doux, c'est fini, n'oublie pas que c'est fini, plus personne ne te fera du mal dorénavant, plus personne, dit-elle en lui caressant lentement la main.
Bien que ses cris s'étaient arrêtés, Kat fondit en larme et Terra fit de son mieux pour la soutenir.
— Je suis désolé monsieur Alexis mais vous devez partir, dit doucement, mais sévèrement Terra.
— Je... je comprends, balbutia-t-il. J'aurais pas dû... c'est moi qui suis désolé. Prends bien soin d'elle, Terra.
Elle répondit seulement d'un hochement de tête. L'homme partit discrètement, laissant les deux jeunes filles seules. Les pleurs de Kat se transformèrent lentement en sorte d'hoquètement sporadique.
— Je n'en peux plus de cet endroit, je veux partir d'ici. Je les hais tous, tous. Tous des putains d'hypocrites, pas un qui vaut le coup ! Personne n'était-là quand j'avais le plus besoin d'eux, personne ne l'a jamais été de toute ma vie ! Pas mes putains de parents, pas mon connard de frère, personne, comme d'habitude, absolument personne.
— Nous on était-là, lui souffla doucement Terra. Nathan, Robin, Chad... même monsieur Alexis, crois-le ou non.
— Je... je sais, vous êtes les seuls que j'ai. Terra, quand... quand tout sera fini, allons-nous-en, partons d'ici, rien que nous deux.
— Pa... partir d'ici ? s'étonna Terra. Pour aller où ?
— N'importe où, où on veut, là où pourra être nous-même, heureuses, sans se soucier de cette... cette ville, du reste de cette planète.
Elle voyait dans ses yeux larmoyants qu'elle parlait sérieusement, qu'elle était désespérée. Elle n'aurait pas pu dire non.
— Ouais... ouais, bien sûr, je te suivrais, sourit faiblement Terra. N'importe où...
Comme prévu, ça ne s'était pas révélé facile, mais au final, la haine commune contre les terriens avait pris le dessus et les Hotzavites avaient eux aussi accepté « l'alliance » provisoire entre leurs cités. Khemno ricana un peu rien qu'en repensant à la manière dont les négociations s'étaient déroulées. Au final, son ami n'avait pas eu tort, leurs deux peuples n'étaient pas si différents après tout. Maintenant, il ne restait plus qu'à organiser avec l'aide des Arachoviens la rencontre entre leurs ambassadeurs respectifs. Il entra chez lui et s'apprêtait à se détendre qu'un bras se glissât rapidement par-dessus ses épaules, le faisant grimacer, sachant d'avance ce qu'on lui voulait.
— Alors petit frère, quoi de nouveau chez nos ennemis jurés, sourit Akhesa en apparaissant derrière lui, son indéchiffrable regard plongé dans le sien.
— Rien de nouveau chez « nos ennemis jurés », répondit-il en dégageant le bras de sa grande sœur appuyé sur ses épaules. Ils ne nous aiment pas, mais ils aiment encore moins les terriens.
— C'est une bonne chose. En ces moments, mieux vaut rester soudé.
— Même avec des Hotzavites ? Je ne t'aurais jamais imaginé dire ça.
— Moi non plus, ricana-t-elle. La vie est pleine de surprises pas vrai ? Dis-toi que le mercenariat n'est pas facile si on rechigne à se battre avec telle ou telle personne (Elle s'écrasa dans le fauteuil tout en prenant la tablette de son frère, mettant une chaine d'informations terrienne). Depuis longtemps que j'ai fait la paix avec mes braves Hotzavites, enfin appris à les supporter plutôt. Mais ça importe peu, la seule qui importe, c'est ma petite sœur.
Comme d'habitude, Etiam et Ansong se trouvaient aussi là, prenant une pause dans leurs longues périodes d'étude qui avaient l'air d'épuiser autant le maitre que l'élève.
— Tu ne la reverras pas de sitôt, elle te fuit comme la peste. Elle passe d'amis en amis et je doute fort qu'elle revienne ici... Tant que tu seras là en tout cas.
— Oh, je m'en doute bien. Ça la tuerait de montrer un peu de gratitude ? De toute façon je n'en ai rien à faire. Qu'elle me râle dessus, qu'elle me fuie ou me crache au visage, au moins elle est toujours en un seul morceau. Par les dieux, cette fille est insupportable.
— Ce n'est pas comme si vous étiez innocente dans l'histoire, souffla discrètement Etiam.
Akhesa ne répondit pas et se contenta seulement de lui assener un regard glacial, qu'il esquiva maladroitement en faisant semblant de regarder ailleurs.
— C'est juste que je ne pense pas que vos décisions étaient les meilleures, c'est tout...
— Et bien dis-moi qu'est-ce que j'aurais dû faire alors, tu as eu largement le temps d'y penser, n'est-ce pas ? répondit-elle simplement, sans trace de rage dans sa voix.
— Je... ok, ça va, vous avez gagné, j'ai rien dit...
— Si tu as des choses à me reprocher, aie de quoi soutenir tes propos, gamin stupide, cracha Akhesa.
Etiam rougit dans son coin et Ansong esquissa un petit sourire de fierté aux mots de sa garante.
— Et sinon, qu'est-ce qui va se passer maintenant ? questionna ce dernier.
— Notre peuple réclame du sang, notre peuple aura du sang, c'est bien pour cela que le « conseil des trois » est là, non ? répondit-elle en se tournant vers Khemno.
— Pour faire entendre notre voix aux terriens et faire sûr que le procès soit juste et équitable pour tous, pas pour « couler le sang ».
— Mais notre voix réclame du sang, se défendit-elle en feignant l'innocence dans sa voix. Notre voix réclame que le terrien se fasse écarteler au milieu de la bordure à la vue de tous, éventrer vivant et pendu par les pieds. Si tu demandes aux miens, ils te diront qu'il faudrait le nourrir à nos ahutas.
— Et tu penses que les terriens accepteront cela, Akhesa ?
— Si c'est le procès juste et équitable que tu veux tant, ils n'auront pas le choix n'est-ce pas? L'homme a quand même versé le sang des nôtres et fait disparaitre de nombreux frères et sœurs. Il n'est que juste qu'il soit jugé par ses victimes, n'est-ce pas ?
— Peut-être, mais si c'est pour effrayer les terriens et aggraver les tensions entre nos peuples, alors je ne pense pas que ce soit la meilleure solution.
Akhesa éclata soudainement de rire, le prenant au dépourvu. Comme d'habitude, il n'avait aucune idée de ce qui lui passait à l'esprit et se contenta de garder le silence.
— T'es avec qui à la fin petit frère ? dit-elle en calmant légèrement son rire. Sérieusement, t'es avec qui, Khemno ?
Même si son visage était détendu, malgré son sourire apparemment chaleureux, la froideur de ses yeux ne mentait pas. Il la connaissait plus que tout, elle bouillonnait de rage.
— Je suis du côté qui apportera la paix aux nôtres Akhesa, tu le sais très bien. Tu n'es pas la voix du peuple, tu n'as pas l'autorité de juger mes choix ni mes convictions. Je sais que mes pensées sont aussi justes que droites, en concordance avec nos dieux et notre peuple, même si elles ne te plaisent pas, mais tu n'as aucun droit de douter de ma fidélité aux nôtres. C'est mon peuple tout autant que le tiens Akhesa, et j'en ai fait autant pour lui que toi.
Il avait choisi ses mots avec minutie, pour affirmer ses convictions sans faire exploser sa sœur. Celle-ci ne répondit pas, mais son sourire avait disparu.
— Vous avez entendu ça vous deux, qu'est ce que vous en dites ?
— Désolé, mais je préfère ne pas me mêler à ça, répondit discrètement le jeune fusilier.
— Tu es lâche à ce point-là, Etiam ? Où peut-être le sort de notre peuple ne t'intéresse pas ? Tu préfères t'esquiver à tes responsabilités de Nados ?
— Je... pas du tout ! s'agaça-t-il. Je suis un bon Nados, jamais je ne tournerai le dos à mes devoirs.
— Alors dis-moi ce qu'on devrait faire à ce terrien, celui qui a voulu nous prendre Terra, celui qui m'a enfoncé un couteau dans le ventre.
— Qu'on le tue bien sûr, qu'on l'égorge comme le vulgaire animal qu'il est ! Qu'ils apprennent les conséquences d'attaquer les nôtres.
— Et toi Ansong ?
— La question ne se pose même pas garante. Vous savez bien que chez nous, sa peau décorerait déjà l'une de nos bannières depuis des lustres.
Akhesa se retourna vers son frère arborant une mine satisfaite, à son grand agacement. Il devait bien l'admettre, elle avait une sacrée rhétorique et un talent pour faire pression qui en allait presque à la manipulation. Néanmoins elle ne pouvait se permettre de continuer à agir ainsi, pour le bien de tous.
— Je sais ce que tu veux Akhesa et ça n'apportera que le chaos et le malheur à tous, ouvre les yeux.
Elle reprit une mine sérieuse et regarda son frère droit dans les yeux, leurs pupilles de jade plongé l'un dans l'autre.
— Pas à tous petit frère, dit-elle doucement. Seulement à ceux qui le méritent...
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