Chapitre 23 : Intérêts communs
Après son téléphone, c'était la porte qui faisait un bruit insupportable. L'alarme annonçait l'arrivée de visiteurs et Edward se contenta simplement d'enfouir sa tête dans ses oreillers. Déjà que son humeur était au plus bas depuis les nouvelles de la mort de ses gars, cette interruption dans son sommeil l'agaçait particulièrement. Il avait beau essayer de l'ignorer, l'alarme se fit de plus en plus bruyante et en grognant, se leva et empoigna son flingue. Toujours en caleçon, il se dirigea lentement vers l'écran de surveillance et vit une tête familière l'attendre au seuil de son appartement ; Dani, un de ses « associés » de travail. Avec méfiance, il se dirigea vers la porte, la sécurité de son arme relevée, prêt à mitrailler au moindre signe suspect. Qui sait, il pouvait s'agir d'un piège et Dani aurait bien pu servir de leurre. Bien qu'il sût que ce n'était que fort peu probable, les vieilles habitudes avaient du mal à mourir et la prudence restait mère de sureté. Edward entrouvrit la porte et, son flingue caché derrière son dos, passa la tête par l'ouverture. Son associé était bel et bien seul et semblait assez mal à l'aise.
— Dani, tu fous quoi chez moi, pourquoi tu m'réveilles, enfoiré ?
— Ed, ne me dis pas que t'as encore ton flingue pointé sur moi ? Un de ces jours, un de nous va se prendre une balle.
— Et ce serait bien fait pour sa gueule. J'vous déjà ai dit d'm'appeler.
— On a essayé, mais tu ne répondais pas, se défendit son larbin.
Edward se rappela soudainement de son téléphone qu'il avait balancé dans ses toilettes et se figea quelques secondes, si bien que Dani dut le réveiller par quelques claquements de doigts.
— Ouais, ouais, c'est ça, dit-il avec agacement, comme si rien ne s'était passé. Dis-moi surtout c'que tu fous ici.
— Y'a un gars qui insiste pour te voir. Le type qui fait des vidéos extrêmes un peu partout sur Antée.
— Jesse « le chasseur d'extrême » ? Putain, j'adore ses émissions ! Laisse-moi deviner, il veut distribuer son dernier épisode ? Et bien vas-y, qu'il distribue chez nous, j'lui donne la permission tant qu'j'peux voir l'épisode en avant-première. Vous vous occupez des trucs compliqués comme d'hab', ok ?
— Au fait, c'est pas vraiment ça Ed. Il veut te parler... et il a une poignée de sauvages avec lui.
— P'tain, c'est pas banal ça, répondit-il en se grattant le nez, visiblement peu impressionné.
En effet, ce n'était pas banal. Les sauvages qui l'accompagnaient avaient une mine assez sinistre, voire même menaçante. Leurs visages couverts de scarifications mettaient mal à l'aise ses hommes, pourtant armés de pistolets automatiques et de mitraillettes, et autour de leur cou pendait un collier de dentition humaine, certains avec plus de dix dents accrochées dessus. Ils étaient couverts de poussières et leur odeur empestait la salle où ils se trouvaient. Écrasé entre les nomades se trouvait une frêle figure terrienne aux yeux noirs de cernes et aux cheveux bleus décolorés se grattant nerveusement le corps tout en jetant des regards à droite et à gauche. Il leur avait donné rendez-vous dans une vieille maison coloniale abandonnée à quelques kilomètres de la métropole, au milieu des terres sauvages, dans un des anciens sites de repérages pour la location de la future ville terrienne. Edward se gratta la tête d'incompréhension et se demanda encore une fois pourquoi il était venu.
— Yo les gars, quoi d'bon ? demanda-t-il sans grande conviction dans la voix.
Ce fut la première chose qui lui vint à l'esprit. Personne ne lui répondit.
— Vous préparez une nouvelle émission, « un sauvage découvre la ville » ?
Ed ricana, mais à son grand agacement, ne vit personne apprécier son trait d'humour.
— 'Tain, t'es plus drôle à la télé qu'en vrai, râla-t-il.
Jesse ne répondit pas et il fallut une violente tape dans l'épaule de la part d'un des nomades pour lui délier la langue.
— Je... je suis envoyé par Bheidir... (Il reçut une nouvelle tape de la part de ses ravisseurs) ... je veux dire « le puissant et terrible » Bheidir Ouru, fils de Bakar Ouru, seigneur des chevaucheurs de vents et de toutes les tribus nomades, pour te demander ton aide pour accomplir sa juste vengeance contre ceux qui l'ont traitreusement attaqué lors de son jour de gloire et presque mortellement blessé devant les yeux de son propre père.
Les hommes d'Edward se regardèrent avec étonnement et ce dernier semblait totalement déconnecté de la situation, les yeux perdus dans le fond de la salle, la bouche légèrement entrouverte. Après quelques secondes, il reprit la parole.
— 'Rien compris, dit-il simplement.
Jesse se tourna rapidement vers ses ravisseurs avant de se retourner vers Edward.
— Bon écoute Edward, je ne peux pas t'expliquer pourquoi, mais un... un ami a besoin de ton aide pour trouver quelqu'un et il est prêt à payer, beaucoup, pour ton soutien.
— Ça, c'est pas de chance mec, mais on a nous-même nos propres problèmes, des gars à trouver, des enfoirés à liquider... On a trop de taf sur les mains. Va t'falloir trouver quelqu'un d'autre...
— Y'a personne d'autre, tu le sais bien ! Écoute mec, j'ai juste besoin de matos, quelque chose, n'importe quoi, même juste un bête ordi à la con, c'est tout ce que je demande, insista-t-il avec une voix de plus en plus tremblante. C'est vraiment important... une question de vie et de mort... ma vie et ma mort !
Jesse sentit le regard oppressant des nomades sur lui et sut que de nouvelles paroles trop incriminantes de sa part équivaudraient à une gorge tranchée. Edward ne répondit rien et se contenta de réfléchir pendant quelques secondes en se grattant le menton.
— Mon p'tit Jesse, pour tes émissions, tu faisais comment pour trouver tes scoops ? Genre tes sauvages là, t'les as trouvé comment ?
— Je ne sais pas si je peux le dire, bégaya le chasse-mort.
— Tu t'fous de moi ? T'viens chez moi, m'demander mon aide, et tu m'dis qu'y'a des choses que tu peux pas me dire ?
Jesse se gratta encore plus nerveusement.
— Je m'introduisais dans le système d'une... d'une base des casques bleus et hackait leurs drones de surveillance pour suivre les déplacements des nomades.
Ses paroles laissèrent les terriens bouche-bée, se regardant avec étonnement. Edward quant à lui sourit, dévoilant ses dents argentées que les nomades dévisagèrent avec avidité, tout en jouant d'un doigt avec ses dreadlocks.
— Sérieusement ? T'as l'air d'avoir des ressources comme gars. Je pense qu'on serait capable d'arriver à un accord toi et moi finalement. Dis à ton « pote » que j'ai une excellente affaire pour lui.
— C'est... c'est-à-dire ?
— Tu serais capable d'hacker les systèmes de la ville? Je cherche quelqu'un avec un talent comme le tien. Trouve celle que je cherche et je trouverai son type. J'mettrais tout ce dont tu as besoin à ta disposition, j'peux t'avoir accès à tout c'que tu veux, ce ne serait alors pas trop compliqué pour toi, pas vrai ?
— Je... je suppose, ouais.
— Il m'aide avec ses sauvages, et je l'aide avec mes hommes, continua-t-il. Il sera les muscles, et moi le cerveau. T'en penses quoi, bonne affaire non ? Vous les sauvages, v'en pensez quoi ? Vous comprenez c'que j'dis au moins ?
— H'mure... Moque-toi de nous encore une fois et je t'arrache tes dents de luxe espèce de kusak de mes deux, répliqua un des nomades.
Edward ne répondit rien et se retourna seulement vers ses hommes.
— Quelqu'un peut m'traduire c'qu'il a dit ? C'est incompréhensible son charabia...
— Ce qu'il voulait dire c'est qu'il était heureux de ta proposition et il sera ravi d'en informer son seigneur, rattrapa vite Jesse.
Bien que Nathaniel semblât totalement détendu, Chad, lui, n'arrivait pas à s'enlever cette inquiétude de son esprit. Cela faisait déjà plusieurs jours que Kat et Robin avaient disparus et bien qu'avec la première ça ne l'étonnait pas trop (Elle leur avait habitué de ses fugues inopinées de plusieurs jours d'où elle revenait de manière tout aussi incongrue, comme si rien ne c'était jamais passé), le fait que Robin non plus n'ait plus donné aucun signe de vie était plus qu'étrange. Peut-être qu'il s'inquiétait trop, mais il n'arrivait néanmoins pas à se détendre. Ce mauvais pressentiment le taraudait profondément.
— Et bam, cinq-zéro ! s'écria Nat en balançant sa manette. C'est une annihilation totale mesdames et messieurs. Chadwick Collins est effondré face à l'immesurable talent de Nathanael Lynch, l'homme à deux cents de QI. « Monsieur Collins, quelles sont vos impressions après cette nouvelle défaite contre Nat le magnifique ? Avez-vous déjà perdu tout espoir ou aurez-vous l'audace de retenter votre chance face à l'actuel champion en titre ? »
Chad ne dit rien, visiblement pas amusé par les railleries de son ami ou plutôt, peu préoccupé. Toutes ces pensées tourbillonnèrent dans sa tête à lui en donner une terrible migraine et les cris de Nathan ne l'aidaient pas à y voir plus clair.
— Pfff, quel mauvais perdant celui-là, souffla le blondinet. Pas besoin de faire cette gueule-là, je suis juste meilleur, c'est tout. Pas besoin de râler...
— Je n'arrive pas à me retirer ces deux-là de la tête, pensa-t-il à haute voix, ignorant les remarques de son ami. Y'a définitivement quelque chose qui cloche. Robin ne serait jamais parti comme ça, aussi longtemps, sans rien nous dire. Il ne répond même pas à mes appels. C'est définitivement pas normal.
— T'es encore avec ça ? Détends-toi à la fin, t'es pas leur père, ils n'ont pas besoin de baby-sitter, ils sont assez grands pour se débrouiller tout seul. (Il se tourna vers son androïde qui se trouvait dans un coin en mode veille) Tu peux me chercher un « Epsilon fresh » steuplait ?
— Tout de suite monsieur Lynch, dit l'androïde en se réveillant de sa torpeur.
— Ils doivent sûrement se trouver chez le frère de Terra, continua-t-il. Depuis cette histoire au Hiago, t'es devenu complètement parano, mec. Honnêtement, qu'est-ce que tu penses qui peut arriver ?
— Je ne sais pas putain, je suis inquiet, c'est tout, s'énerva Chad. Toi t'es jamais stressé ou quoi ? T'es un robot ?
— Ça va, ça va, calme-toi, j'ai compris, qu'est-ce que tu peux être lourd, toi... si tu veux, on ira voir chez le frère de Terra s'ils y sont, si ça peut te calmer. Alors par pitié, arrête de gâcher l'ambiance.
Il semblait qu'un nouvel invité était venu leur rendre visite leur avait annoncé Atilia, la mère de Kirio et Jeza. Un vieillard tout droit arrivé du quartier iturien accompagnant l'homme au crâne rasé qu'ils avaient croisé lors de leur première escapade dans les districts. Un vieillard qui avait fait tout ce chemin depuis chez lui expressément pour les voir. Un vieillard que personne ne connaissait à part le fils ainé d'Atilia. Kat n'avait aucune idée de ce que les Nados manigançaient, mais ça ne présageait définitivement rien de bon. L'atelier était vide, la majorité des tisseuses et artisanes ayant pris la journée de libre (sous forte insistance de Kirio), et seuls les hommes étaient restés à l'étage d'en dessous à boire le thé et discuter. Évidemment, la brave femme comme promis était restée à leurs côtés, dans la salle adjacente, prête à intervenir à tout moment pour faire sûr que ses fils n'abusaient pas de leur pouvoir, que l'hospitalité Nados soit respectée même si loin de chez eux. D'ici, Kat et Robin essayèrent d'écouter depuis la trappe menant aux escaliers les discussions qui se disaient plus bas.
— T'entends quelque chose ? demanda-t-elle à son ami qui avait lui aussi l'oreille collée contre la trappe de bois.
La concentration du jeune garçon était totale. Les yeux plissés, il ne répondit même pas à Kat et préféra se concentrer sur sa tâche.
— Quelqu'un monte, s'exclama-t-il soudainement en se relevant. Vite, fait comme si de rien n'était !
Quand Kirio monta avec le vieillard, Kat se trouvait comme d'habitude à la fenêtre à prendre l'air et Robin dans son coin à continuer à lire la pile de parchemins qu'on lui avait apportés. Kat se retourna en feignant la surprise et en profita pour étudier le nouveau venu. Il lui inspira directement un sentiment d'antipathie. Il avait un on-ne-sait-quoi de malsain derrière ses grosses lunettes terriennes rafistolées qui laissait apparaitre deux petits yeux noir calculateur, les dévisageant comme des rats de laboratoire. Elle put confirmer à sa manière de s'habiller qu'il ne venait pas de la même région que les Nados, portant une robe de couleur terne par-dessous son gilet de laine et un petit bonnet rouge décrépi sur le crâne.
— C'est donc eux, constata le vieil homme. Je peux les examiner ? (Kat grigna par le mot utilisé)
— Tant qu'il reste en un seul morceau... répondit le Nados.
— Comment ça, « tant qu'il reste en un seul morceau » ! blêmit Kat.
— Tant que vous faites ce qu'il vous demande, y'aura pas de problème. Emchör, ne nous fait pas perdre notre temps, il est précieux.
Le vieillard observa les deux jeunes adolescents et lentement, fit signe à Kat de s'approcher. Elle ne lui répondit qu'avec son majeur, ce qui rendit Kirio rouge de rage.
— Espèce de chienne insolente, c'est la dernière fois que tu nous manques de respect ainsi ! hurla-t-il
Il agrippa Kat par le bras et leva le siens, prêt à lui assener une sévère correction, mais une porte qui claqua l'interrompit immédiatement dans son mouvement. Il lâcha vite la jeune terrienne et se contenta de cracher dans un coin pour se calmer. Encore une fois, dame Atilia l'avait sauvé juste avant le drame. Elle sentait dans sa voix qu'il mourait d'envie de lui faire du mal et cette pensée lui fit malgré tout un peu froid dans le dos. Qui sait combien de temps sa mère arriverait à le retenir.
— Terrienne, obéis ou je te jure que tu le regretteras !
— J'le fais mais c'est pas parce que tu me le dis, fit-elle avec une fausse nonchalance dans la voix, ce qui comme prévu l'agaça encore plus.
Après tout, chacun se battait avec ses propres armes et elle devait bien se défendre à sa manière, et quoi de mieux que son « insupportable » caractère ? Même si elle était forcée d'obéir, elle se jura de ne pas lui rendre la vie facile, n'en déplaise à Robin qui frissonnait comme un chiot terrifié à chaque haussement de voix. Kat s'approcha finalement du vieil Emchör qui souleva aussitôt sa manche. Elle eut un soudain mouvement de recule de dégout quand sa peau toucha la sienne, mais la main moite et fripée du vieillard était fermement ancrée à son avant-bras qu'il mit à tripoter avec intérêt.
— Quelle douceur la peau terrienne, épargnée de toutes épreuves de la vie, de toutes rudesses de nos terres, et ces mains... simplement parfaites. Remarquable...
Ses doigts glissèrent de son avant-bras jusqu'à sa main qu'il se mit à étudier lentement. Sur le dos de sa main, on pouvait distinguer une minuscule bosse rectangulaire en dessous de sa peau, pas plus grand qu'un grain de blé. Il tâtonna la puce d'identification tout en ajustant ses lunettes.
— Peut-être une incision jusqu'à la moelle épinière ? Moui, ça peut marcher, marmonna-t-il dans sa barbe. Petit garçon, approche-toi aussi s'il te plait.
Emchör refit les mêmes vérifications sur Robin et put bel et bien confirmer l'emplacement de la puce.
— Alors ? demanda Kirio qui observait la scène de son coin.
— Alors je vais manger, boire, et faire une petite sieste, répondit le vieil homme en retournant sur ses pas.
— Tu te moques de moi ?
— Jamais je n'oserai, se défendit-il rapidement. C'est que si je ne suis pas dans mes conditions de travail habituel, j'ai la main tremblante. Vous ne m'avez même pas laissé le temps de m'assoir aujourd'hui et je meurs de faim, mes vieux os me font souffrir. Il me faut aussi des anesthésiants, mon matériel, et cetera, je ne peux pas travailler dépourvu de tout.
Le Nados souffla en se frottant les sinus.
— Si tu nous fais perdre encore notre temps, je te jure que je vais faire un malheur, dit-il en sortant furibond.
La dernière chose qu'ils entendirent de lui après qu'il soit redescendu fut un cri de rage et de frustration suivi d'une porte fracassée.
Le matériel qu'Edward lui prodigua fut d'une qualité extraordinaire et s'étonna même qu'un homme comme lui en possédât. Un cadeau de quelques-uns de ses amis travaillant dans les services gouvernementaux qu'il disait. Avec le terminal qu'il lui avait confié, même le plus minuscule drone à l'autre bout de la métropole ne pourrait lui échapper, pas la moindre information cryptée ne pourrait être cracké. Jesse observa le décrypteur avec envie et Edward sourit à son intérêt.
— Alors, t'en penses quoi, tu penses que tu peux te débrouiller avec ça ?
— Ou...ouais, c'est du bon matos, bien mieux que ce que j'utilisais pour les avant-postes d'Iturie.
— Ça veut dire que je tiens enfin ma vengeance, hurla Bheidir en fracassant son poing sur la table, faisant même sursauter Ed.
Les négociations avaient été assez courtes, le jeune nomade n'étant pas le plus difficile à convaincre et on s'était décidé de les loger dans une des villas prêtées par un autre des nombreux amis d'Edward. Néanmoins, il s'était décidé de rester avec Jesse, agissant comme le leader de la petite alliance à la grande exaspération des terriens. Son incroyable agressivité offrait un étrange contraste avec la mollesse d'Edward.
— P'tain, on n'aurait pas dû le prendre ici, souffla tout doucement ce dernier dans l'oreille de Jesse. Dis-lui qu'il y a de l'alcool et de la bouffe dans la salle d'à côté, qu'il dégage. En plus il pue.
— Est-ce qu'on parle de moi ? questionna Bheidir en grognant, ayant compris une bribe de paroles de l'accent de son hôte
— Absolument pas seigneur, absolument pas, on pensait néanmoins que vous seriez plus à votre aise dans le salon avec vos guerriers à vous détendre et à profiter du confort terrien.
— J'en ai rien à faire de votre confort et votre détente. Je veux être là quand on trouvera yeux-de-jades et son rat de citadin galeux.
— Mais je doute que vous compreniez quelque chose mon seigneur.
— SILENCE ! hurla-t-il en écrasant une nouvelle fois son poing sur la table, faisant encore sursauter Edward qui l'assena d'un regard plein de haine. Vous voulez vous débarrasser de moi, c'est ça ? Vous pensez que vu que je ne suis pas terrien, je ne suis qu'un imbécile c'est ça ? Tu oses me manquer de respect, Jesse ?
Le pauvre chasse-mort balbutia quelques excuses dans un vain espoir de calmer le nomade avant de se reconcentrer sur le décrypteur. Il lui fallut peu de temps pour se familiariser avec son nouveau matériel de travail et une fois à l'aise, se mit rapidement à la tâche. Il n'avait que peu d'indices. On lui avait envoyé l'enregistrement du drone de surveillance et vit ce qu'il cherchait ; Une jeune antéenne se prenant pour une terrienne accompagnée par deux jeunes adolescents terriens et deux antéens, dont une fille que Bheidir reconnu immédiatement.
— C'EST ELLE, C'EST ELLE QUE JE CHERCHE ! VOILÀ YEUX-DE-JADE !
— 'Semblerait qu'on ait des intérêts communs, répondit Edward en se frottant la barbichette. Tu saurais la trouver comme ça, Jesse ?
— Pas si elle est dans les districts, non. Néanmoins les deux ados, eux, sont totalement traçables. Ils venaient d'où encore t'as dit ?
— Une boite de nuit appelée l'Hiago.
Il lui fallut une vingtaine de minutes pour accéder à la liste complète des clients du Hiago et se mit à fouiller tous les profils correspondants aux adolescents recherchés. Après un petit bout de temps, ils arrivèrent à en trouver deux assez ressemblant. Une jeune fille nommée « Catherine Fujiwara » et l'autre « Robin Frost ». Il jeta un petit coup d'œil à Ed qui lui répondit seulement en haussant les épaules, incertain. Tentant le tout pour le tout, il les considéra comme les cibles recherchées et accéda aux factures et achats faits par les deux dans la boite de nuit. À partir de là, la démarche la plus compliquée et la plus dangereuse commençait, qui demandait toute sa concentration. À partir des payements faits avec des puces d'identifications, les plus talentueux des hackers pouvaient se permettre de remonter jusqu'à la banque de données de la personne concernée, contenant toute sa vie privée, les clés numériques de son habitation, de sa voiture, ses comptes bancaires et entre autres, une fonction d'urgence permettant d'avoir leur localisation exacte, utilisée seulement par le gouvernement lors de la disparition d'un colon. Faire cela pouvait leur valoir énormément de problèmes, étant l'un des plus gros crimes qu'on puisse commettre dans la métropole, mais Edward n'avait pas l'air de s'en soucier. Il se décida donc de continuer et commencer sa minutieuse entreprise. Le temps passa lentement et la nervosité de Jesse était palpable ; il transpirait à grandes gouttes et brulait cigarette sur cigarette, ne disant pas un mot, sa concentration étant totale. Après tout, il n'était pas encore prêt à se retrouver en prison et en plus, il n'avait rien à voir avec tout cela. Ce n'était qu'un pauvre présentateur d'émission essayant de vivre sa vie. Il se détendit soudainement et s'écroula dans sa chaise.
— Y's'passe quoi, t'as réussi ? s'enquit Ed.
— Ouais... ouais... j'ai réussi, souffla-t-il de soulagement. J'ai trouvé cette « Catherine Fujiwara » ... et vous ne devinerez jamais où elle se trouve.
— Arrête avec tes mystères et parle, s'énerva Bheidir.
— Les districts, elle est en plein milieu des districts. Elle est restée avec les antéens qui l'accompagnaient.
— Et ça veut dire que yeux-de-jade se trouve avec elle ! dit le nomade avec excitation.
— Parfait, parfait, ça fait deux pierres d'un coup, sourit Ed. Jesse, d'mande à ton sauvage si ses « guerriers » savent utiliser des armes à feu. Je pense qu'il est temps qu'on s'mette en chasse. Précise-les justes de m'apporter la fille, ok ?
Terra avait les yeux rivés sur la rue. Tout semblait si paisible là-dessous. Des Antéens comme elle, comme son frère, flânaient dans les rues avec le sourire, avec insouciance, profitant de cette magnifique journée du début de la saison des vents comme elle aurait rêvé de le faire. La vie avait l'air tellement simple, tellement agréable. Un couple descendait calmement la rue, bras dessus, bras dessous, ce qui ne fit que rajouter à son mal-être. Une personne, juste une seule personne pour gâcher tout ça, pesta-t-elle tout bas. Les dieux agissent bel et bien de manière mystérieuse. Après son chien de garde, ses brutes lui servant d'amis, voilà que c'était au tour des vieillards à la mine plus que suspicieuse que sa sœur ramenait. Quelle était la prochaine étape, Kara Sudaram en personne ? Le contraste par rapport à la rue était attristant. Néanmoins, ce n'était pas dans son caractère de se laisser enfermer en cage comme un vulgaire oiseau et encore moins d'abandonner ses amis. Si Akhesa pensait qu'elle allait se laisser faire ainsi, c'était bien mal la connaitre. Jamais elle ne courbera l'échine face à elle. Elle pouvait se montrer patiente s'il le voulait, avec beaucoup de difficultés, certes, mais elle pouvait le faire. Elle se retourna et regarda Etiam, toujours occupé à enseigner l'albinos qui tenta tant bien que mal de retenir ce qu'il lui disait. Malgré l'aversion qu'elle avait envers lui, il y avait quelque chose de touchant à le voir apprendre, quelque chose lui donnant presque un air d'enfant malgré les quelques années qu'il avait de plus qu'elle. On aurait même presque pu croire qu'il y avait plus en lui qu'une bête violente et stupide aux ordres de sa sœur, presque une certaine humanité. Mais ça n'enlevait rien au fait qu'il eût tenu ses deux amis au fil d'une lame, prêt à les assassiner sans la moindre hésitation ou remords.
Le temps semblait passer lentement, autant pour elle que tous les autres coincés dans l'appartement. Khemno s'était remis à travailler sur les dossiers et les affaires administratives qu'il avait laissées de côté depuis l'arrivé d'Akhesa, Etiam tenta de s'introduire à contrecœur à la culture terrienne et Ansong, quant à lui, ne perdait pas un seul moment pour avancer dans ses études à un point tel qu'il forçait même l'admiration de Terra qui ne se serait jamais imaginé travailler autant sur de choses aussi ennuyeuses. Cela faisait maintenant presque un jour que le vieillard était parti, accompagné d'Epos, et attendait toujours une occasion pour pouvoir quitter l'appartement. Sa sœur n'avait pas encore quitté sa chambre et elle ignorait si elle dormait ou était bel et bien éveillée, ce qui mettait une variable non négligeable dans ses plans de fuite. La dernière et plus importante était Etiam. Elle ignorait de quel côté il se trouvait et n'avait pas encore trouvé d'occasion pour en discuter. Pouvait-elle toujours compter sur lui et son soutien ? Rien n'était moins sûr. Mais maintenant que tous les compagnons d'Akhesa étaient partis, c'était sa chance. Cette occasion ne se présenterait pas deux fois.
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