Chapitre 22 : Le maître des aiguilles


— Plus sec, gamin, plus sec ! T'essayes de m'assommer ou de me caresser ? Tape plus sec !

Le jeune Nados d'une vingtaine d'années redoubla de violence dans ses coups et ses mains, recouvertes d'une série de bandages, s'écrasèrent puissamment contre les paumes de son grand frère. Le gamin était talentueux et Kirio se retrouva rapidement à encaisser ses coups avec le bras.

— Magnifique petit, c'est de ça dont je parle. Viens, on fait une pause avant que tu me brises le bras. Je ne le sens déjà plus, rigola-t-il.

De la chambre du premier étage de la bâtisse où ils se trouvèrent, Kat observa la cour dans laquelle les hommes en pagne s'entraînèrent à se battre. La cour était entourée par cinq gros bâtiments en briques de terre dont elle ignorait l'utilité, mais qui appartenaient sans aucun doute aux Nados. Ces derniers étaient assez hauts pour ne pas apercevoir les districts, ni même les gratte-ciels du centre-ville, en tout cas depuis l'étage où ils étaient enfermés. En voyant la jeune terrienne le regarder, le jeune Nados qui venait de finir son entrainement se mit à lui exhiber ses muscles transpirants avant de mimer des gestes obscènes. Kat lui répondit simplement de son majeur.

— Ne reste pas là petite Catherine, ce n'est pas une vue pour une respectable jeune fille. Ces jeunes n'ont aucune éducation, dit une femme d'une cinquantaine d'années tout en secouant la tête avec désespérance. (Elle se dirigea vers la fenêtre et se mit à hurler sur le jeune Nados) Jeza, tu manques encore une fois de respect aux terriens et je te jure que je ne te nourris plus cette semaine !

— Ça va espèce de vieille chèvre, détends-toi, je lui faisais juste comprendre que si elle avait besoin d'un vrai mâle cette nuit, l'étalon nados était disponible. Je lui ferais oublier tous les terriens qu'elle a déjà eus dès mon premier coup de reins.

— Et bien si je te vois dans son lit cette nuit, je jure sur les dieux que tu ne resteras plus un « vrai mâle » très longtemps, « l'étalon ».

Ses compagnons se mirent à éclater de rire et Jeza se contenta juste de tirer la langue en faisant semblant de se boucher les oreilles.

— De véritables enfants, que la divine Myra me donne la force...

Kat quitta la fenêtre et rejoignit Robin qui se trouvait contre un mur entrain de feuilleter quelques livres et parchemins nados. Dans la salle, plusieurs femmes étaient occupées à tisser des vêtements, d'autres à graver des bijoux, des bracelets, et autres accessoires nados. Une dernière était occupée à travailler une grosse fourrure blanche parsemée de quelques longs poils noirs. Voilà déjà plusieurs jours qu'ils étaient enfermés ici, sans contact avec l'extérieur à part cette cour. Ils n'avaient aucune idée d'où ils se trouvaient ; déjà que les districts leur étaient totalement inconnus, on leur avait bandé les yeux jusqu'à leur location secrète. La jeune fille se laissa glisser lentement à côté de son ami.

— Je m'emmerde... c'est amusant ce que tu lis ?

— Intéressant plutôt, répondit Robin. C'est une collection de contes, de légendes, de sagas et pleins de trucs du même style.

— Et c'est long ?

Il lui montra la pile de parchemins empilés à ses pieds.

— Et je ne te parle même pas de leur écriture bizarre.

Kat souffla un grand coup et s'enfuit la tête entre ses genoux.

— Je m'emmerde, je m'emmerde, je m'emmeeeeerde... Je suis prête à donner tout ce que j'ai juste pour un écran, ou des écouteurs, n'importe quoi.

— Oh, ma pauvre enfant, je suis vraiment désolée, s'excusa la femme de toute à l'heure. Nous n'avons rien de tout cela ici. Les ateliers ne sont utilisés que pour le travail. Je t'aurais bien apporté l'écran qu'on a à la maison, on ne l'utilise presque jamais, mais Kirio nous a interdit de vous apporter le moindre appareil électronique.

— C'est pas grave m'dame. Vous au moins, vous êtes cool. Je peux visiter les autres bâtiments ?

— Désolé Catherine, seulement le premier étage de celui-ci. Mais si tu veux quoi que ce soit, dis-le-moi.

— Je veux juste prendre l'air... je ne demande rien de plus.

La femme la regarda avec une expression peinée. Elle se contenta de lui frotter les cheveux comme on le ferait à un enfant en bas âge et bien que ça l'agaçait, Kat se laissa faire. Elle se serait sentie mal d'être désagréable face à une telle bonté. Le bruit d'une porte ouverte avec violence les fit tous sursauter. Kirio entra avec rage et se dirigea vers Kat.

— Tu veux quoi toi encore ? dit la femme en s'interposant calmement, mais rapidement entre les deux. Tu ne peux pas nous laisser en paix plus de deux minutes ?

— Ce n'est pas à toi que je suis venu parler mère, c'est à cette catin de terrienne ! Elle n'arrête pas de distraire mes gars. Je vous ai dit de la surveiller et voilà qu'elle les provoque d'ici. Mais qu'est-ce que vous foutez, Karam ?

— Déjà tu me parles sur un autre ton, dit-elle sèchement. Tu as beau jouer au guerrier avec tes amis, mais pour moi, tu ne restes qu'un petit gamin mal élevé. Là-bas, tu peux faire ton chef comme il te chante, mais ici, c'est moi qui dirige. N'oublie pas qui t'a mis au monde, fils. Cela fait trois jours qu'ils sont enfermés ici et ils ont largement le droit de goûter un peu au soleil. Si toi et tes amis êtes en manque de femmes, il y a bien assez de putains dans les districts pour vous satisfaire. Dans le pire des cas, utilisez vos mains, mais n'allez pas harceler nos hôtes.

L'assistance se mit à ricaner au grand agacement du Nados et même Robin eut du mal à se retenir.

— Et bien elle n'a qu'à prendre le soleil après les entrainements ! se rattrapa-t-il tant bien que mal pour garder un brin de crédibilité. Et ce semblant d'eunuque, il ne pose pas de problème parmi tant de femmes ?

— Évidemment que non. Contrairement à vous, les garçons terriens sont bien éduqués. Ce n'est pas un chien en chaleur lui.

Kirio grogna une dernière fois et quitta la salle, humilié.

— Pas facile un garçon pareil, pas vrai ? commenta Kat narquoise.

— Et comment... Malgré son âge, il est toujours aussi turbulent que durant son enfance, répondit-elle. À croire qu'il ne grandira jamais. Et je ne parle même pas de la mauvaise influence qu'il transmet à son frère. Il a le cœur pur, mais qu'est-ce qu'il est difficile. De toute façon, avec moi, il n'osera rien vous faire.

— De toute façon, il ne me fait pas peur votre fils.

— C'est bien, c'est l'esprit qu'il faut avoir. Il aboie beaucoup, mais ne mord pas. J'espère que tu ne garderas pas une si mauvaise impression de nous quand tout cela sera fini.

— Ne vous inquiétez pas, ma meilleure amie est Nados et elle ne nous a dit que des bonnes choses à votre sujet, pas vrai Rob ?

— Tout à fait madame, que des bonnes choses...


— C'est impossible, quelle est cette sorcellerie ? murmura le nomade.

— C'est donc cela la magie des premiers hommes ? en commenta un autre.

Le train à sustentation magnétique filait à travers les plaines à une vitesse prodigieuse, glissant presque sans un son sur le monorail qui le menait à la métropole. À quelques kilomètres de là, la bande de Bheidir restait abasourdie devant l'interminable serpent d'acier qui passait devant leurs yeux. De son côté, Jesse en profita pour prendre une bonne bouffée d'air frais avant de reprendre la route dans la nauséabonde caravane transportant le jeune seigneur. Il devait bien l'admettre, la « transcontinentale » pouvait paraitre impressionnant pour un sauvage, bien que pour l'instant elle ne soit qu'au stade « transrégionale » (et même là c'était discutable). Néanmoins, la métropole avait prévu de rajouter dans quelques années une immense autoroute, la plus grande que la planète n'aurait jamais connue, à la ligne ferroviaire et là, la vue vaudra enfin le détour. Une voix désagréable l'appela depuis l'intérieur du chariot et à contrecœur, il la rejoignit. Bien que son ventre soit toujours recouvert de bandages, ses cicatrices s'étaient refermées et la vie semblait revenir lentement, mais sûrement chez le jeune Bheidir. Il mangeait de nouveau convenablement et son acariâtreté ne faisait qu'empirer avec sa faim, tout comme sa susceptibilité et pour cela, Jesse préféra ne pas le faire attendre. Il se tenait là, allongé avec dédain sur une dizaine de coussins sur le plancher du chariot, ne prenant même pas la peine de regarder ce qui se trouvait en dehors. D'un signe de main, il lui fit signe de monter.

— Il semblerait qu'il y ait de plus en plus de signes des terriens, ça veut dire qu'on s'approche ?

— Ouais, peut-être encore quatre ou cinq jours grand max.

— Parfait... parfait... et combien de temps pour retrouver la fille ?

— La fille ?

Il vit une expression de haine défigurer son visage et un frisson lui parcourut l'échine.

— Ah, vous... vous voulez dire « la fille », celle-là ? Je... j'en ai aucune idée, la métropole est immense, on parle de millions de personnes là ! C'est presque...

Bheidir l'interrompit en lui lançant une hachette qui frôla son crâne et déchira la bâche en peaux derrière lui qui couvrait la charrette.

— Combien de temps... répondit-il seulement.

— Un mois, non trois... deux semaines. J... je dois rentrer en contact avec mes clients, eux pourront nous aider. Si la fille est théoriquement impossible à retrouver, son ami terrien, lui, ne peut pas se cacher. Mes amis, mes clients pourront me donner de quoi le retrouver en un rien de temps !

Tant bien que mal, Jesse essaya de retrouver son souffle, le cœur battant la chamade après l'une des plus grandes frayeurs de sa vie. Bheidir semblait réfléchir et paraissait toujours aussi contrarié.

— Deux semaines... c'est long... Tes bestioles volantes ne peuvent pas la retrouver directement ?

— Je suis désolé, mais... mais c'est impossible, ce n'est pas comme ça que je marche, je vous le jure !

— Et on va rester où durant tout ce temps ?

— Mes clients, je vais leur demander. Avec ce que vous avez pillé en chemin, je suis sûr qu'ils vous trouveront un p'tit coin peinard le temps qu'on les retrouve tous les deux.

Le jeune nomade se frotta les paupières avec désintérêt et ne lui répondit seulement que d'un bref signe de main. Jesse s'inclina une dernière fois avant de vite prendre congé de son ravisseur. Il allait souffler de soulagement qu'il entendit encore une fois la voix de Bheidir.

— Ma hachette. Va la récupérer.

Après une nouvelle courbette, il partit récupérer avec récalcitrance l'arme qui avait failli se loger dans son crâne. S'il s'en sortait en un seul morceau de tout cela, plus jamais il ne remettrait les pieds hors de la métropole se promit-il, plus jamais.


La chaussure de Belesis s'écrasa dans une flaque d'eau brunâtre à l'odeur nauséabonde et jura en retirant son pied le plus vite possible, maudissant le quartier iturien et tous ses habitants. De tous les quartiers des districts, celui-ci devait sûrement être le plus sale, le plus bondé, le plus odorant et avant tout, le plus désagréable à habiter. Un véritable bidonville accueillant un flot incessant d'Ituriens, grandissant chaque jour, rempli de miséreux et de mendiants à chaque coin de rues et de minuscules habitations pour des familles entières. Certaines rues étaient tellement étroites par endroits que même un homme de sa carrure aurait eu du mal à y passer. Derrière lui, Mar enjamba avec facilité la flaque en ricanant au grand agacement de son compagnon.

— Pas facile quand on a trop de bras et trop de jambes, pas vrai ?

Belesis ignora ses piques et refocalisa son attention sur la rue. Dès qu'un Iturien se montrait un peu trop curieux, il se contenta de dévoiler lentement son Kukri caché sous sa veste, les faisant immédiatement déguerpir ou détourner le regard. L'endroit ne lui avait jamais inspiré confiance et à la première altercation trop suspecte, il était prêt à se défendre et saigner l'insolent comme il l'avait déjà fait tant de fois par le passé. Mar semblait plus détendu, mais malgré son apparente nonchalance, il le savait lui aussi sur ses gardes. Ils connaissaient tous deux bien assez les Kasaïs ainsi et rien ne leur empêcherait de croiser d'anciennes connaissances du temps des Ikituraï un peu trop rancunières envers les Nados. Ce n'était pas la première fois que c'était arrivé, ni la dernière, mais comme tout bon Nados se respectant, ils étaient trop fiers de leur origine pour la cacher, préférant la confrontation plutôt que la dissimulation. Cela leur valut bien sûr énormément de regards, des fois curieux, des fois méprisants, voir tout simplement hostiles. Mais là encore, ça ne les inquiétait que peu. Si c'était des loups, de vrais guerriers, ils seraient restés dans leur région à combattre les Kouraïs. Juste une bande de lâches n'ayant même pas l'honneur de défendre leur foyer. Belesis se contenta de cracher au sol à cette pensée. Jamais un Nados, un vrai, n'aurait même pensé à faire cela. Le quartier était assez grand, bien plus grand que le leur, mais ils savaient exactement comment procéder pour trouver l'homme en question. Mar interpella gentiment un groupe de jeunes gamins des rues jouant dans les parages qui s'approchèrent avec méfiance.

— Hé, les gamins, vous voulez vous faire quelques pièces facilement ? Y'a un bonhomme que je cherche, un vieil ami, vous pouvez m'aider à le retrouver ?

Les gosses ne répondirent rien, se contentant de regarder les deux étranges personnages avec suspicion. La bourse qu'il sortit de sa poche les mit immédiatement en confiance.

— Il ressemble à quoi votre « bonhomme » ? répondit le plus âgé de la bande qui ne devait avoir que douze ans.

— Un vieux monsieur très gentil avec une barbe blanche et de gros verres terriens sur les yeux. C'est un chirurgien, un médecin et un botaniste.

— Évidemment, je vois qui c'est, je le connais. Donne-nous l'argent et on te le ramène en moins de deux.

— Tu as cru que j'étais terrien espèce de petit lécheur de boue ? Ne me prends plus jamais pour un idiot si tu ne veux pas goûter au revers de ma main. Allez ouste. Trouvez-le-moi et après vous aurez votre argent.

Les gamins disparurent en leur tirant la langue et en leur lançant quelques injures discrètes. Les deux Nados se mirent à patienter et après une bonne demi-heure, les gamins revinrent avec l'information nécessaire.

— On a trouvé le gars. Le beau-frère d'un ami de mon grand-père se procure ses herbes contre les rhumatismes chez lui. Il s'appelle bien Emchör ?

— Ouais, c'est ça, c'est lui qu'on veut rencontrer.

— Si j'peux me permettre de poser la question, qu'est-ce que des gaillards comme vous voudraient à un vieillard comme lui ? Vous avez un problème avec lui ? On vous envoie pour lui briser les jambes ?

— Mais qu'est ce que tu racontes petit idiot ? Tais-toi et contente-toi juste de nous mener à lui au lieu de débiter des âneries, s'impatienta Mar.

Après un petit bout de marche, les gosses les menèrent jusqu'à une petite boutique en coin de rue où se trouvait un petit écriteau indiquant « Herbes, drogues, remèdes et aphrodisiaques disponible ici » en dialecte iturien. Les deux Nados étaient assez familiers avec la langue pour comprendre ce qui était écrit et entrèrent avec méfiance. Le désordre à l'intérieur était épouvantable ; des étagères remplies de récipients et de petits pots à usage inconnus, des tables de préparations remplies de plantes et différentes poudres de couleurs diverses attendant à se faire mixtionner, des dizaines d'instruments de chirurgie ituriens accrochés de diverse manière aux murs... Des caisses et des sacs empilés un peu partout rendaient la boutique, déjà pas bien grande, presque impossible à s'y déplacer sans renverser quelque chose. Un petit vieillard à la barbe blanche avec des lunettes se trouvait derrière le comptoir et s'immobilisa immédiatement à la vue des nouveaux venus, se mettant à trembler comme une feuille, allant même jusqu'à renverser le récipient qu'il rangeait à l'instant. Alors que Mar jeta les pièces aux gamins restés dehors, son compagnon se rua sur le vieillard qui, pris par un soudain élan d'énergie, fuita le plus vite possible vers l'arrière-boutique. Comme un bœuf dans un magasin de porcelaine, Belesis fonça droit devant, renversant tout sur son passage, et intercepta le pauvre homme avant qu'il ne puisse prendre ses jambes à son cou. Il le souleva par le col de sa tunique au-dessus de sa tête et l'écrasa contre le mur. En voyant les regards curieux de la bande de gosses, Mar referma la porte de la boutique à leur nez avant de rejoindre sans grande hâte son compagnon.

— Mais... mais qu'est-ce que vous faites ici, bégaya-t-il. Que me voulez-vous encore à la fin ?

— Par tous les dieux, est-ce une manière d'accueillir des vieux amis ? l'interrogea le Nados, amusé par la position où se trouvait le vieillard.

— Et est-ce une manière d'étrangler les gens sans raison comme ça ? Lâchez-moi bande de barbares de l'ouest.

— Seulement si tu nous promets de ne pas détaler comme un lapin cette fois-ci.

Belesis lâcha sa victime qui s'écrasa mollement sur le sol en toussant et en se frottant la gorge, tout en dévisageant méchamment les deux brutes qui avaient démoli sa boutique.

— Je peux savoir ce que vous venez faire ici, Nados ?

— Un des nôtres a besoin de tes talents de chirurgien, « maitre des aiguilles », dit sèchement Belesis.

— Par le vénérable Shan-ri, as-tu perdu l'esprit ? Ne m'appelle pas comme ça ici.

— Tu as une dette à régler vieil homme. Ne nous fais pas perdre notre temps et suis-nous.

— Sinon quoi ?

— Sinon on révèle à tous que le maitre des aiguilles, le Kouraï le plus détesté de toute l'Iturie réside dans le voisinage, répondit innocemment Mar. Je suis sûr qu'une poignée de gaillards serait ravie d'apprendre la nouvelle.

Le vieillard déglutit à ses paroles.

— Alors « Emchör », qu'est-ce tu dis ?

— Je dis que ce serait un plaisir d'aider mes vieux amis Nados, sourit-il.


— ... tout comme la nuit sans... l... lunes, le cheval, le corbeau et la femme enceinte sont mauvais augures pour les récoltes du début du mois d'Ane... An... Anie ?

— Anemion. Je t'ai déjà dit que quand « Anemos » précède le mois, ça devient « Anemion », arrête de me le faire répéter, s'agaça Etiam.

— Tous ces petits symboles me rendent fou, ils ne sont même pas dans l'alphabet que tu m'as montré !

— Relis-moi la ligne et arrête de te plaindre. Après ça, nous reverrons encore une fois les mois.

L'albinos grogna et à contrecœur, reprit depuis le début. Dans son coin, Akhesa observait discrètement la scène sans un mot.

— Tu comptes vraiment faire de lui un scribe ? lui glissa Epos qui se posa à côté d'elle. Cela fait des heures qu'ils sont sur le même texte.

Elle ne répondit pas, ne bougeant pas les yeux d'Ansong. Ce gamin était intelligent, très intelligent, même si personne ne semblait s'en rendre compte, et bien qu'elle évitât de le montrer, elle était vraiment impressionnée. Pour un enfant illettré ayant passé sa vie à se battre et à tuer, il apprenait à une vitesse prodigieuse et il fallait presque être aveugle pour ne pas apercevoir ses progrès, ce qu'ils semblaient tous être. Seule sa naïveté restait son plus grand ennemi. Quelqu'un frappa à la porte et elle sut que son chirurgien était arrivé. Tous se retournèrent à l'arrivée du vieillard qui frotta ses quelques maigres cheveux restants de gêne. Il salua silencieusement l'assistance avec un sorte de marmonnement incompréhensible et se tourna vers Akhesa.

— Encore vivante celle-là ? Et je vais devoir la retaper en plus ? Quelle horreur...

— Tiens, je m'étais dit là même chose avec toi en Iturie, répondit-elle avec nonchalance. Allez, occupe-toi de ma blessure que tu déguerpisses au plus vite. Ta présence me répugne déjà vieil homme.

Il voulut répliquer, mais voyant le visage de ses chiens de guerres, se ravisa rapidement.

— Je suis désolé que mon humble personne vous dérange autant maitres Ikituraï, je finirais mon office dans les plus brefs délais.

— Absolument répugnant, lâcha Akhesa avec dégout.


— Que l'Élevé me garde, ce n'est pas joli à voir tout ça.

Le maitre des aiguilles observa la blessure et la jugea rapidement en la tapotant de ses doigts fripés. Le sang mélangé au pus coula lentement de l'entaille à chaque nouvelle pression.

— Le rein a été légèrement touché, mais rien que je ne puisse pas retaper. Vous avez bien fait d'avoir déjà désinfecté la blessure. Ça aurait pu être bien pire, tu as de la chance.

La chambre de Khemno avait été laissée vide pour Emchör et Akhesa, son lit improvisé en table d'opération rudimentaire. À côté de lui, un bol d'eau chaude et une pile de serviettes sur lesquelles étaient posés plusieurs instruments de chirurgie. Une dizaine d'aiguilles étaient plantées avec précision à différents endroits autour de la blessure pour atténuer la douleur.

— Tes doigts sont-ils toujours aussi lestes ? demanda Akhesa. Et ta vision ?

— Impeccables, comme toujours. Ça ne se perd pas tout ça.

— Tant mieux... tant mieux... répondit Akhesa avec un sourire. À vrai dire, ma blessure n'est pas la vraie raison de ta venue. N'importe quel imbécile dans les districts pourrait me recoudre s'il le fallait, mais personne n'a ta doigtée, ni ta connaissance du corps humain.

— Je vois, je vois... j'ai compris, dit le vieil homme avec lassitude. Tu veux le faire parler ? Le briser tout simplement ?

— Rien à voir avec tout ça. Serais-tu capable d'enlever une puce d'identification de la main d'un terrien ?

— Une puce d'identification ? Quel drôle d'idée, je n'ai jamais fait de chose pareille. Pourquoi voudrais-tu faire ça ?

— Disons que j'aimerais faire disparaitre quelques terriens et tant que ces puces restent dans leur corps, c'est impossible.

— Et ne serait-ce pas plus simple de leur trancher directement la main ?

— Non, le terrien n'est pas idiot. Mais moi, je le suis encore moins, dit-elle en se tapotant le front de ses doigts. Je sais comment ils marchent, eux. La puce en question est reliée jusqu'à la moelle épinière de l'hôte par des câbles pas plus épais qu'un cheveu de femme. Les sectionner activera la puce et alertera les autres terriens. Enlève-la par contre... Et il disparaitra de la surface du monde, intraçable et introuvable. Il perdra tout ce qui fait de lui un terrien. Incroyable n'est-ce pas ? Tout ce qui font d'eux ce qu'ils sont se trouve dans une puce pas plus grande qu'une pièce de jaspe. Comme si leur âme entière se trouvait dans leur main droite...

— C'est... passionnant, je dois bien l'admettre, mais ce que tu me demandes m'a l'air très compliqué. Je ne suis pas sûr que je serais capable d'accomplir ce que tu me demandes la...

— Compliqué ? Pour le « maitre des aiguilles » ? L'homme qui connait la disposition de chaque nerf du corps humain et comment les atteindre sans le moindre problème ? Le tortionnaire personnel de Xaisan « Ituriatos » ? Ne fait pas l'humble avec moi vieillard. C'est pour les occasions comme celle-ci que je ne t'ai pas laissé nourrir les corbeaux dans le nord. Alors ne viens pas jouer à l'innocent avec moi Emchör, fais simplement ce que je te demande et tout ira bien. Tu pourras rejoindre ta misérable boutique dans cette déchèterie que vous appelez quartier avec ton identité protégée comme promis et avec de quoi te payer quelques putains hautes-gammes chez la guêpe pour plusieurs mois.

— Je n'ai pas l'impression d'avoir énormément de choix, n'est-ce pas ?

— En effet. Soit tu es avec moi, soit tu es contre moi. Comme en Iturie, pas vrai mon vieil ami ? sourit innocemment Akhesa.

— En effet, comme en Iturie... souffla le vieil homme.


Quelques heures passèrent et enfin Emchör sortit de la chambre, les mains en sangs et partit se les laver à l'évier de la cuisine.

— Toi, tu es bien le frère de la hyène, n'est-ce pas ? Va vider le bol d'eau dans la chambre et ramène des serviettes propres.

— Elle va s'en tirer ? demanda Khemno.

— Évidemment. Elle sera de retour sur ses pieds en moins de temps qu'il faudra pour le dire, répondit-il en se lavant les mains.

Terra en profita pour se faufiler dans la chambre et vit sa sœur allongée dans le lit, sa respiration lourde contrastant avec le silence de la pièce.

— Heu... Ça va ? demanda-t-elle sans grande conviction.

— Qu'est-ce que tu veux ? répondit seulement sa sœur.

— Je... je voulais savoir ce qui allait se passer maintenant que tu vas guérir.

— Exactement ce que j'ai dit qui allait se passer. Tu repartiras toujours à Nadu, plus avec moi, mais tu repartiras quand même, avec une lettre pour notre père. Ansong t'accompagnera.

— L'albinos ? Pourquoi avec l'albinos ? s'agaça Terra.

— Je t'ai déjà dit de ne pas discuter. Tu es toujours en danger et Ansong sera le meilleur des gardes du corps. On ne sait pas jusqu'où s'étend l'influence de ces terriens et rien ne nous assure qu'en dehors de la métropole tu seras toujours en sécurité. Plus tu seras gardée, mieux ce sera.

— Et toi, tu ne viens plus ?

— Epos m'a parlé de nouvelles affaires qui requiert ma présence ici donc je suis obligé de prolonger mon séjour.

— Soit, soit, répondit Terra en se frottant le menton avec suspicion. Et mes amis, Kat et Robin, quand les laisserais-tu partir ?

— Dès que tu seras partie ma petite sœur, sourit Akhesa. Dès que tu seras partie...

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