Chapitre 21 : L'évènement d'Edward


Jonas et Ed sortirent de l'ascenseur une fois les étages supérieurs du luxueux immeuble atteint. Rien que l'ascenseur lui-même était plus spacieux que sa propre salle de bains.

— Dis-moi Ed, tu l'as rencontré comment encore ce gars ?

— Comme toi. C'tait un client et on est devenu pote... enfin pote, je lui gratte son appart quoi.

Il se mit à glapir comme un étrange animal, glapissement qui tourna vite en sorte de lent hoquet sporadique avant de se taire complètement pendant quelques secondes, son sourire figé sur son visage dévoilant sa dentition argentée, comme un androïde qui venait de bugger. Un petit moment de silence gênant s'installa avant que son ami reprenne la parole.

— Bon, j'te préviens, il a un sacré caractère, le genre de gosse de riche qui s'croient tout permis, maiiiiiis... il est riche quoi, donc j'm'en fous. Gratte-le dans le sens du poil et tu finis avec une caisse en titane à la fin de la soirée si tu vois c'que j'veux dire mon gars.

Il se remit à ricaner tout en frappant à la porte. Ils ne reçurent aucune réponse. Après avoir encore frappé plusieurs séries de fois, la porte s'entre-ouvrit et un visage pâle et maladif apparut, ses pupilles dilatés scrutant ses visiteurs avec paranoïa.

— Kyle, c'est quoi cette tête ? C'est moi, Ed, ton pote. Haha, t'es complètement défoncé ma parole !

— Bordel, Edward, c'est qui lui ? s'énerva-t-il avec une voix faible et tremblotante. T'avais dit que t'allais venir seul !

— T'inquièèèèète, c'est un pote, il est cool, répondit-il.

— Un pote hein, tu le connais depuis combien de temps ?

— T'es quoi, un flic ? Vas-y, laisse-nous entrer, s'impatienta Ed.

— Peut-être que lui, s'en est un. T'es sûr qu'il est digne de confiance ?

— Puisque je te le dis. Et même si c'était le cas, ça devrait plutôt te rassurer que ce soit un flic et pas un sauvage avec une... putain d'épée ou chais pas c'qu'ils utilisent ici.

— Mais ferme-la Edward, ferme-la ! Je ne veux pas le savoir, je ne veux pas entendre parler de ces saloperies d'indigènes !

Après avoir jeté un dernier coup d'œil méfiant dans le couloir, Kyle les laissa entrer. Une soudaine inquiétude s'empara de Jonas. La dernière chose qu'il voulait, c'était se retrouver dans de nouveaux problèmes, surtout après sa dernière visite au commissariat. Il voulut rapidement en toucher un mot, mais Edward était déjà à l'intérieur. D'un pas hésitant, ils les rejoignirent. En effet, l'appartement était gigantesque et s'étonna qu'un homme puisse occuper autant d'espace à lui tout seul, l'enviant secrètement. Une forte odeur d'ascension parfumait le salon, expliquant l'état du propriétaire, et vit son ami se ruer vers les sofas avant de s'y installer d'un bond comme un gamin surexcité. Un immense écran prenait le mur en face d'eux qu'Edward s'empressa d'allumer au grand agacement de Kyle.

— Vas-y, mets-nous le jeu de baston de la dernière fois que je te mette une raclée !

— Justement, on ne doit pas aller à ton truc par hasard ? questionna Jonas. C'est ici ?

— Naaan, bien sûr que nan, c'est une soirée top secrète, on aura la location trente minutes avant qu'elle ne commence.

— C'est bien une question que poserait un flic, marmonna Kyle dans son coin.

— Ferme-la et viens-là que je t'explose.

Jonas s'installa avec eux, ni trop loin, ni trop près, et observa son hôte. Encore dans ses pyjamas malgré l'heure, il tremblotait comme une feuille tout en prenant de grosses bouchées de son inhalateur, trop grosses même de son point de vue, les yeux rivés sur l'écran tout en tenant sa manette nerveusement. Kyle était le contraire total d'Ed. Là où ce dernier était l'incongruité même et ne passait jamais inaperçu avec ses dreadlocks rouge vif et ses dents recouvertes d'argents, Kyle était la banalité incarnée. Si on lui avait demandé de se représenter un jeune colon cliché, ce serait lui qui serait apparu en premier, sans les effets de l'ascension sur son visage bien sûr. Mais sa paranoïa était contagieuse et le voir dans cet état l'angoissait au plus haut point. Qu'est-ce qui pouvait l'effrayer à ce point ? Pas la police terrienne tout de même ? Il se résolut à questionner Ed qui n'avait pas l'air bien inquiété.

— Ed, tu ne peux pas nous donner un petit indice sur ce que tu nous as préparé ?

— Non, une surprise c'est une surprise mec.

— Ce n'est pas illégal quand même, je veux dire qu'on ne risque pas d'avoir des ennuis, pas vrai ?

— Bah, l'ascension aussi est illégale et tout le monde s'en fout, répondit-il seulement, ce qui ne fit rien pour le rassurer.

Après une bonne grosse heure, Ed reçut enfin l'appel dévoilant la location de l'évènement.

— Allez les gars, dit-il en se levant d'un bond. On ne va pas nous attendre, on se dépêche un peu si on veut arriver au début !

Son excitation partagée que par lui-même, Kyle se leva avec récalcitrance et disparu dans sa chambre pour se changer. La voiture d'Edward, une « coloniale urbaine » modifiée à ses goûts, était garée dans la rue en dessous de l'appartement et quand tous furent prêts, ils purent enfin se mettre en route. La musique à fond, ils déambulèrent à toute allure sur les routes du centre-ville, chaque nouveau tournant lui faisant un haut-le-cœur, et Jonas crut plusieurs fois à l'accident si l'I.A. de sécurité de la voiture n'était pas intervenue pour leur sauver du désastre au dernier moment, ce qui n'avait pas l'air d'inquiéter plus que ça leur conducteur. Ce dernier avait l'air totalement déconnecté de la réalité et accompagnait la musique en hurlant les paroles tout en tapant des mains sur le volant, le lâchant de temps en temps pour danser sur son siège.

— Détendez-vous les meccccs, c'est quoi cette mauvaise ambiance ? Vous n'aimez pas la musique ? Vous voulez que je change ?

— C'est bon, tant qu'on arrive en un seul morceau...


Leur destination se trouvait à l'est de la ville, un quartier qu'il n'avait jamais vu, mais que tous connaissaient de réputation. Edward ralentit un peu l'allure, laissant Jonas admirer les magnifiques mansions et villas abritant l'élite, la crème de la crème, d'Antée. Une en particulière semblait rassembler pas mal de monde vu le nombre de véhicules garés devant et Jonas devina l'endroit comme leur mystérieuse location. L'espace entre les différentes habitations était assez grand et même malgré cela, celle-ci avait l'aire isolée du reste du quartier, se rapprochant des limites de la métropole. Juste quelques kilomètres les séparaient des terres sauvages, représentant l'idéal du rêve antéen. Jonas s'imagina habiter ici, se lever chaque jour avec la vue du soleil se levant sur les plaines s'étendant à perte de vue, peut-être avec une petite femme locale à ses côtés. Qui sait, un jour peut-être, rêvassa-t-il. Un homme d'une cinquantaine d'années à l'air sérieux les attendait à l'entrée et fut approché par Edward qui, à son grand étonnement, le tapa dans la main jovialement avant de se mettre à discuter avec lui comme deux vieux potes. Jonas les rejoignit et voulut faire de même, mais l'homme s'arrêta soudainement et se mit à le dévisager avec méfiance. Edward lui glissa juste quelques mots dans l'oreille et son visage se décrispa. D'un signe de main, il permit au trio d'entrer.

— T'inquiète, « Junior » est toujours comme ça avec les inconnus, mais il est cool une fois que tu le connais.

— Je n'en doute pas une seconde, Ed, répondit Jonas non convaincu.

L'intérieur était l'opposé total de quoi il s'était imaginé. Contrairement à l'extérieur, l'endroit n'avait rien d'une demeure ou d'une maison. Tout avait été changé pour accueillir confortablement un maximum de personnes et ressemblait plus à un luxueux lounge qu'une habitation. L'endroit baignait sous une douce lueur rosâtre et les murs diffusaient les derniers registres de Neo-Funk à la mode. Il devait y avoir une centaine, peut-être trois cents personnes de tout type et de tout horizon, certain tout aussi farfelus qu'Edward, d'autre habillés formellement comme on pourrait le faire à un diner d'affaires et la majorité, comme Kyle et lui, étaient totalement banales, de simples hommes et femmes en habits décontractés profitant de la soirée. Bien que ce ne soit pas son type de soirée, l'ambiance lui plaisait bien et tous avaient l'air détendus, profitant du moment. Edward se fraya un chemin dans la foule, serrant la main de certaines personnes, faisant l'accolade à d'autres, donnant l'impression qu'il connaissait toute l'assistance. Jonas le suivi maladroitement et derrière lui, Kyle qui jeta de petits regards inquiets dans l'assistance. Soudain, il se figea et son corps entier se mit à trembler.

— Quel plaisir de vous revoir monsieur Kyle, la guêpe se réjouit de votre présence.

Kyle ne répondit pas et regarda avec effroi l'androïde décharné, encapuchonné dans sa robe indigène, qui le fixait de ses intenses yeux jaunes. Il n'avait qu'une envie et c'était de courir, fuir le plus vite possible cet endroit. On lui avait tendu un piège, c'était certain.

— Hé, mais je te reconnais toi, t'es la boite de conserve de la guêpe !

L'androïde se retourna et salua poliment Edward qui vint à sa rencontre.

— Si fait, ravi de vous revoir.

— Y'a pas ton propriétaire dans le coin ? Pour être honnête, ça fait un p'tit temps que j'aimerais le rencontrer.

— Mon maitre s'excuse infiniment pour son absence, mais ce dernier ne se déplace jamais hors du trou noir. Néanmoins, il espère que vous apprécierez le divertissement qu'il vous a envoyé.

— Encore des prostitués ? demanda Kyle avec méfiance.

— Non, un spectacle typiquement manieman, lui répondit l'androïde avec un certain entrain dans sa voix métallique. Il a déjà commencé et se déroule à l'instant à la cave, pour de raison de sécurité.

— Comment ça des raisons de sécurité ? s'inquiéta Jonas.

— Ne vous inquiétez pas, cela ne vous concerne guère. Détendez-vous chers amis et profitez.

L'androïde fit une dernière révérence avant d'aller accueillir de nouveaux invités, un jeune couple, qui venait tout juste d'arriver.

— Tu as une idée de quoi il voulait parler ? souffla Jonas dans l'oreille de son ami.

— Évidemment, sinon je ne vous aurais pas invité. Vous allez voir les potes, vous n'avez jamais vu ça de votre vie !

Voyant ses compagnons hésiter, Edward se mit à les pousser vers les escaliers. Ces derniers étaient construits en spirale, les empêchant de voir ce qui les attendait à la cave. D'ici, on pouvait entendre une commotion, la clameur d'une foule, une musique mise à fond et en prêtant mieux l'oreille, des encouragements. Ce que vit Lucas une fois en bas le glaça le sang. Une centaine de personnes étaient rassemblées autour d'une fosse creusée à même le sol où deux hommes ensanglantés, armés jusqu'aux dents, étaient occupés à s'entretuer avec rage. Là où Edward avait l'air extatique, Jonas sentit la nausée lui monter à la gorge. La salle, comme en haut, était plongée dans cette même ambiance rosâtre virant par moment au mauve ou au rouge, à part qu'ici, les couleurs semblaient plus violentes, plus vive, comme la musique, semblable à ce qu'on aurait pu trouver dans une boite de nuit. Un homme commentait le combat avec excitation et un des combattants dans la fosse, armé d'un sorte de sabre dont la lame finissait en croissant de lune, assena un terrible coup à la nuque de son adversaire, qui le décapita net. Sa tête vola sur quelques mètres avant de rouler tristement sur le sol. Il lui fallut toute sa maitrise de soi pour ne pas vomir à l'instant. Jamais il n'avait vu d'homme mourir devant ses yeux et n'aurait imaginé que son premier soit d'une manière si brutale. Ses yeux vitreux semblaient le fixer et Jonas du immédiatement détourner le regard. Des écrans accrochés aux murs diffusaient en boucle l'exécution sous les applaudissements et les cris de la foule et les louanges du commentateur.

— Alors, c'est pas complètement dingue ! hurla Ed. Lui, c'est Dagaz « le sanglant », treize victoires et quatorze maintenant, mon putain de favori ! L'autre c'est Inuos, enfin c'était.

Il se mit à éclater de son glapissement animal habituel. Dagaz se mit à hurler quelque chose dans un dialecte violent et gutturale qu'il n'avait jamais entendu de sa vie tout en se frappant le torse de fierté.

— Il dit quoi ? questionna Kyle visiblement intéressé.

— J'en sais foutre rien, peut-être un autre adversaire, aucune idée.

Un androïde apparut dans la fosse et tira le corps sans tête par la jambe vers l'ouverture où entraient les combattants. Il fut suivi par une myriade de petits drones glissant sur le sol qui se mirent à nettoyer l'arène du sang des précédents combats jusque quand elle soit impeccablement propre.

— Bon, je dois vous laisser mes amours, j'ai quelques affaires à régler, dit Edward en tapant dans les dos de ses deux compagnons. Si vous devez parier, toujours sur Dagaz. Profitez bien de cette nuit les gars, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de voir un truc comme ça.

Jonas voulut dire quelque chose, exprimer son désaccord avec tout cela, mais son ami avait déjà disparu dans la foule. Ça le dégoutait, tout cela le dégoutait. Il n'allait pas rester une seconde de plus dans cet horrible endroit et s'apprêta à partir, mais au même moment, un nouveau combattant entra l'arène ; Une brute de plus de deux mètres de haut tout en muscle portant des gantelets sur lesquels des séries de lames rouillées et de clous étaient attachés. Une inquiétude et une étrange curiosité, presque malsaine, s'emparèrent de lui. Ce spectacle le dégoutait, mais néanmoins, il était curieux de voir la suite des évènements. Ce « Dagaz » venait de se battre, était épuisé et pourtant, on le mettait face à un monstre pareil. Le combat était inégal, injuste, ça risquait d'être un massacre, mais cependant, Jonas voulait le voir... juste par curiosité, juste celui-là et après, il se jurerait de partir.


Edward remonta les escaliers arborant une mine satisfaite. Jonas et lui étaient pareil, le même type de personnes, des gens simples sachant apprécier les bonnes choses de la vie et lui en faire profiter ainsi était son plus grand plaisir. Une fois de retour au rez-de-chaussée, le jeune homme fit route joyeusement au fond de la salle où l'ambiance était plus calme et se dirigea vers une porte gardée par un homme à la mine dure, un ancien militaire qu'il connaissait depuis quelques années déjà. Après lui avoir remis un petit salut, l'homme le laissa entrer. Un salon s'y trouvait où une vingtaine de personnes patientaient dans une ambiance totalement différente de la soirée d'à côté. Néanmoins, la nervosité se lisait sur leurs visages, certains tirant sur leurs clopes avec frustration. D'un œil étranger, ils pouvaient paraitre tout aussi excentriques qu'Edward ; Des cheveux teints de couleurs inhabituels, le corps tatoué jusqu'au cou et les derniers vêtements à la mode « Underground » de la métropole. Évidemment, quelques inhalateurs d'Ascension tournaient entre eux dans un vain espoir de détendre le groupe. En voyant cela, Edward fit la moue.

— Mais c'est quoi votre problème à tous aujourd'hui ? râla-t-il. Vous faites d'ces gueules, c'est pas possible.

— Je ne vois pas pourquoi on devrait se réjouir, commenta un maigrichon aux oreilles parées d'anneaux en plastique. Je ne sais même pas comment tu fais pour garder ton calme.

— Garder mon calme ? Pourquoi j'devrais garder mon calme ?

— Ben pour tout ce qui est arrivé à Davis et son groupe. On est mal mec, vraiment mal.

— Attend, attend, attend, s'est passé quoi avec Davis et son groupe ? Ils n'ont pas chopé la fille, c'est ça ? Ça arrive, on l'aura la prochaine fois, répondit-il nonchalamment. Passe-moi une bière plutôt, au lieu de stresser.

— Tu ne regardes pas les infos, pas vrai ? conclut son ami.

— Tu m'as pris pour un mouton ? Les médias, c'est que de la merde de toute façon, à part cracher des conneries, ça ne sert à rien.

— Davis et les autres sont morts, tous, tués par des sauvages dans les districts.

La salle fut plongée dans un silence total. Edward ne dit rien, ne répondit rien, comme si son cerveau venait de se déconnecter de son corps. Ses yeux étaient plongés dans le vide et seul un petit spasme s'empara de son épaule. D'un coup, il se rua sur son compagnon qui lui avait dit la nouvelle et lui écrasa son pied sur la tête. Il se mit à le rouer de coups avec rage, les bagues qu'il portait aux doigts lui lacérant le visage, d'une telle violence que les autres présents dans la salle durent intervenir pour les séparer. Séparé de sa victime, Ed passa sa rage cette fois-ci sur les objets les plus proches, renversant les tables, éclatant les verres contre les murs et finis en brisant le miroir qui se trouvait contre le mur en hurlant comme un fou furieux. Ses compagnons préfèrent rester en retrait, le laissant finir sa crise plutôt que de prendre le risque de finir comme leur ami agonisant, le visage en sang.

NE ME DIS PAS QUE C'EST CE FILS DE PUTE D'INSECTE QUI L'A FAIT ?!

Personne n'osa répondre.

RÉPONDEZ PUTAIN DE MERDE !

— Ce... ce n'est pas la guêpe, hésita un jeune d'une vingtaine d'années environ. Le drone de repérage nous a envoyé quelques images avant de se faire désactiver. C'était des sauvages qui accompagnaient la fille qui ont fait ça. Ils avaient des terriens avec eux, deux adolescents.

À peine sa phrase finie qu'Edward se trouvait nez à nez avec lui, le fixant des ses yeux fous, quelques gouttes de sang coulant sur son visage, et posa ses mains ensanglantées sur ses joues.

— Je veux que vous me trouviez ces types, dit-il doucement, presque en chuchotant. Je veux que vous trouviez tout ce qu'il y a savoir sur ces types, tout. J'me fous de savoir combien ça coûte, ni combien d'hommes il faut. Trouvez-les, tuez-les, et apportez-moi cette petite pute antéenne de Terra Kandos, je me suis bien fait comprendre ? Brûlez tous les districts s'il le faut, mais je veux Terra Kandos.


Malgré sa taille, le géant était plus agile qu'il n'y laissait y paraitre et après avoir esquivé de près un coup de la lame-lune, répliqua d'un crochet de ses gantelets cloutés dans le flanc de son adversaire, sous les cris d'horreur de la foule. La tension était à son comble, le cœur de Jonas battait à toute allure, il était inquiet et se surprit même à encourager Dagaz avec Kyle à ses côtés. Certains se joignirent à lui, d'autre huèrent avant d'encourager son adversaire. Le commentateur parlait à une vitesse fulgurante, la voix tremblante, essayant d'anticiper la suite des évènements. Les paris battaient leur plein, les mises augmentant à une vitesse vertigineuse, penchant doucement en faveur du géant. Jamais il ne s'était senti aussi investi dans quelque chose, plus que dans n'importe quel sport, que n'importe quel film ou série. Peut-être était-ce car ici, il y avait de vrais enjeux ? Il n'en avait aucune idée, mais en tout cas, jamais n'avait-il autant anticipé et craint la suite des événements. Alors que Dagaz titubait en arrière, le géant en profita pour lui assener un coup de pied en plein dans sa blessure, ce qui le fit tomber à genoux. Alors qu'il s'apprêta à l'achever, une sirène retentit pour annoncer la fin du combat et la victoire du géant nommé Kazar. Les conspuations et les acclamations se mélangèrent pour former un brouhaha terrible. Certains hurlèrent au match truqué, d'autres pour la mort de Dagaz ou pour le remboursement de leur pari alors que les victorieux préférèrent se taire, satisfaits de leurs gains. Quant à Jonas, il souffla de rassurement. Assister à une nouvelle exécution aurait sûrement fini par le traumatiser à vie.

— Pourquoi il nous a demandé de parier sur ce blaireau ? râla Kyle. Il n'est même pas foutu de crever convenablement !

— Tu tiens tant que ça à le voir mourir ?

— Évidemment, je suis venu voir un combat à mort, pas un match de boxe. Et mon argent en plus !

— Bah, tu le récupéreras une autre fois, je suis sûr que ce n'est pas les occasions qui manqueront, dit-il dans un vain espoir de le calmer.

— Il est passé où Ed en plus ? Cet endroit me saoule, encore plus que son « Dagaz ». Je veux rentrer, qu'il bouge son cul celui-là !

Il devait bien l'admettre, cela faisait un petit moment qu'il ne l'avait plus vu. Peut-être que les combats ne l'intéressaient pas, mais il en doutait fort vu sa connaissance de l'endroit. Vu l'insistance de Kyle, ils se décidèrent finalement de quitter la fosse et partirent le chercher à l'étage principal. En vain, l'homme était introuvable. En voyant son compagnon perdre patience, Jonas décida finalement d'appeler un taxi pour rentrer chez eux.

— Ça va, finalement t'es quelqu'un de correct, conclut Kyle sur le chemin de retour. Tu veux squatter chez moi ce soir ? Il me reste encore pas mal d'ascension.

Il avait beau être insupportable par moment, il devait bien admettre que le personnage lui plaisait et accepta son invitation avec plaisir. Malgré ses premières impressions, il ne semblait pas être un mauvais bougre dans le fond.

— Tu retournes finalement à la métropole ? demanda Yashey.


Assisse dans les jardins du troisième étage, elle regarda à l'ombre d'une toile installée par les servantes de la maison son fils jouer à la balle avec son grand-père, buvant calmement du thé froid qu'elle avait préparé dans la matinée. Après des journées d'insistances, elle avait finalement convaincu Haji de prendre une après-midi de libre pour se changer les esprits et le voir ainsi sourire avec son petit-fils la rendait heureuse. Il en avait même presque oublié Lucas qui se trouvait à côté d'elle, observant la scène aussi avec sourire.

— C'est un magnifique garçon. Tout à fait sa mère.

— N'est-ce pas ? Et son grand-père aussi.

— Vous voir comme ça me donne presque envie de fonder une famille.

— Presque ? s'étonna Yashey.

— Il me faut encore trouver une femme qui veuille bien d'un pauvre anthropologue comme moi, rigola-t-il.

— Je suis sûr que nous avons deux trois femmes esseulées à la recherche de leur prince charmant. Peut-être que celui-ci sera terrien. (Elle se tourna vers les servantes derrière entrain de savourer leurs collations) L'une d'entre vous serait-elle intéressée par ce bel érudit terrien ?

Les jeunes filles se mirent à glousser comme des adolescentes ce qui fit rougir Lucas, gêné par la remarque.

— S'il me fait un enfant aussi fort et intelligent que les premiers hommes, je suis même prêt à l'épouser sur-le-champ, dit l'une d'entre elles qui ne fit que redoubler l'embarra du pauvre terrien qui balbutia quelques excuses pour se sortir de sa situation.

— Honnêtement, tu ne te rends pas compte de la chance que tu as d'être accepté parmi nous. Ça nous fera du bien de t'avoir à la cité, pour moi, mon fils, Terra, Etey, mon futur enfant...

— Je n'en doute pas une seconde, mais... attends, tu as bien dit ton futur enfant ?

— Peut-être, peut-être pas...

— Mais c'est une merveilleuse nouvelle ! Pas mal joué Yashey, pas mal joué. Il semblerait que je n'ai pas d'autre choix que de rester pour t'offrir mon soutien. Est-ce que ton père le sait ?

— Tout le monde sauf lui, je vais lui faire la surprise quand Terra reviendra. Si c'est un garçon, je le nommerai Iska comme mon ancêtre. Si c'est une fille, Vispala, le nom de ma grand-tante, une grande guerrière et une maître de la lance.

— Et ton mari ? Qu'en pense-t-il ? Il n'a pas d'idée lui ?

— Il portera déjà son nom. C'est la moindre des choses de le laisser honorer ma famille de leurs prénoms.

— Juste, agréa Lucas, juste... En tout cas, je suis heureux pour toi et c'est un honneur d'assister à la naissance d'un nouveau Kandos...

— Elwan plutôt, mais ça me fait plaisir que tu restes. C'est mon père qui va râler. (Elle vit son fils lui faire un signe qu'elle lui rendit tendrement) Je veux qu'Akhesa revienne, que toute la famille soit là, elle me doit bien ça. Qu'on soit tous rassemblés, comme avant.

— Vous allez l'être, ne t'inquiète pas. Tu aurais dû me le dire plutôt, j'aurais pris de quoi fêter l'évènement.

— Tu te les serais fait voler par les nomades, heureusement que tu ne l'as pas fait.

— Fait quoi ? demanda Haji qui les avait rejoints, s'écrasant mollement sur le tapis où ils se trouvaient.

— Faire quoi ? balbutia Lucas. Et bien... heu... vous ramener des souvenirs d'Iturie pardi, pour Yashey et Antiemno.

— D'Iturie ? Erk, tant mieux. On en a bien assez de souvenirs d'Iturie avec Akhesa. En voir un de plus m'aurait rendu fou.

Après avoir fini sa phrase, il se servit dans la carafe de verre soufflé magnifiquement décoré contenant le thé et se mit à boire à grandes gorgées, au grand agacement de sa fille.

— Je suis heureuse que tu prennes le temps d'apprécier tout l'amour que j'ai mis dans ce thé, commenta Yashey avec ironie.

— C'est que je meurs de soif, se défendit-il. Il m'a fait courir ton petit. Je ne suis plus tout jeune, tu sais.

— Ne raconte pas n'importe quoi ou je me mets à t'appeler « Haji l'ancien ».

— Quelle horreur, tu m'appelleras ainsi le jour où j'aurais les cheveux gris, pas avant. Sinon ami terrien, quand retournes-tu à la métropole ?

— Je crains que ça ne va pas être avant un petit temps. Dis-toi que je prends mes vacances chez vous.

— N'est-ce pas merveilleux ? sourit malicieusement Yashey.

Haji s'étrangla avec son thé.

— Je vous préviens tout de suite, il ne reste pas chez moi !

— Pourtant, il le mérite avec le service qu'il nous a rendu. De toute façon, ce n'est pas grave, je suis sûre qu'Etey se fera un plaisir de l'héberger.

— Il ne devrait pas plutôt accompagner Akhesa récupérer mon idiote de fille ? grommela-t-il. Au moins, il se serait rendu utile...

— Par tous les dieux, avec un père tel que toi, je peux comprendre qu'elle se soit enfuie à toutes jambes...

— C'est ça... à croire que vous avez tout manigancé. Vous voulez lui faire gagner du temps n'est-ce pas ? C'est inutile, Akhesa la ramènera par la peau du cou s'il le faut !

— Et c'est reparti, souffla Yashey en levant les yeux au ciel. Arrête de raconter des bêtises et profite de la journée « grand-père », avant que tu ne deviennes sénile.

— Sénile ? Moi ? Ah, dans cent ans peut-être, oui. (Il se leva d'un bond avec une soudaine poussée d'énergie et se mit à héler deux gardes qui passèrent non loin) Vous là, ma fille ose dire que je suis vieux et sénile ! Cinq pièces de jaspe et ma tournée à celui qui arrivera à me mettre au sol, ordre du Magnus.

Le premier garde hésita, mais le second, un jeune adulte plein de fougue se débarrassa rapidement de ses armes et son bouclier et se rua vers Haji.

— Sans rancune Magnus, hein ? cria-t-il excité.

— Fais le malin fiston, mais tu rigoleras moins une fois que tu te retrouveras à brouter l'herbe comme un agneau.

Les deux hommes luttèrent sous les rires et les encouragements des servantes sous la toile. Lucas en profita pour glisser quelques mots à Yashey.

— Tu devrais arrêter de lui dire ça avant qu'il ne se brise tous les os du corps.

— Ne t'inquiète pas, il adore ça, rigola-t-elle discrètement.

La lutte était acharnée, le garde prenant doucement l'avantage grâce à sa force de jeunesse, mais avec agilité, Haji lui balaya les pieds et, pris dans son élan, le jeune homme perdit l'équilibre. Utilisant sa force contre lui, son supérieur en profita pour le faire rouler sur son épaule avant de l'écraser dans l'herbe du jardin sous une pluie d'applaudissements et de sifflements. Haji se releva avec difficulté et fièrement, fit sa plus belle révérence à son petit public.

— Pas... pas si sénile que ça, pas vrai ma fille ? dit-il à bout de souffle. Pas le moindre problème. Regarde bien Antiemno, ton grand-père est au sommet de sa forme.

— Au sommet de sa forme, vraiment, ironisa Yashey. Maintenant viens nous rejoindre avant que tes hommes finissent par te briser en deux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top