Chapitre 2 : La merveilleuse colonie d'Antée
— Veuillez attacher vos ceintures, nous nous apprêtons à pénétrer dans l'atmosphère d'Antée Epsilon, cinquième planète du système planétaire d'Antée. Notre arrivé est prévue pour quatorze heures vingt et une, heure locale, et la température sur place est de trente-deux degrés Celsius. Au nom de la Terre et de l'humanité toute entière, nous vous remercions de votre participation à l'effort de colonisation d'Antée. Chaque pierre que vous poserez est un nouveau pas pour l'avancement de l'espèce humaine. Un nouveau monde s'offre à vous et ce n'est qu'à vous d'écrire son histoire. Une fois atterris, veuillez préparer vos documents d'identification et dirigez-vous vers les portes de droite. De là, dirigez-vous vers les bureaux d'immigrations. Vous serez assisté par un membre du personnel qui vous guidera dans votre nouvelle vie sur la merveilleuse colonie d'Antée. Si vous êtes déjà colon, nous vous prions de vous diriger directement aux douanes. Pour le personnel recommandé par la métropole, dirigez-vous vers les portes de gauche...
Jonas trépignait d'excitation dans son siège, regardant par le hublot leur descente depuis la station spatiale « Stellaris ». La navette se mit à trembler violemment et des flammes se mirent à lécher ses flancs quand elle pénétra l'atmosphère de la planète. Il jeta un rapide coup d'œil aux passagers à ses côtés. La majorité avait l'air indifférents, les yeux rivés sur leurs tablettes ou leurs livres, jetant de temps en temps un regard désintéressé par le hublot pour suivre la descente de la navette. Peu avaient l'air de partager son enthousiasme, mais il pouvait les comprendre. Les offres pour émigrer sur Antée étaient juteuses et on la présentait comme une terre d'opportunités. Bien que la promesse d'un emploi stable accompagné d'une résidence offerte par la métropole était alléchante, en particulier comparé à ce qu'on lui offrait sur Terre, c'était avant tout l'aventure, la découverte d'un nouveau monde qui l'avait poussé à entreprendre ce voyage.
— Excitant, pas vrai ? dit-il au passager se trouvant à sa droite, une femme d'une cinquantaine d'années déjà occupée à écrire un rapport pour son futur patron.
— Oui, oui, excitant, répondit-elle sobrement.
— C'est quand même incroyable que des hommes aient survécu si longtemps sans contact avec la Terre, par eux-mêmes. Complètement dingue, non ? Je rêve d'en rencontrer et pour être honnête, j'aurais aimé travailler dans les contacts autochtones mais on m'a mis en ingénierie, « codage et entretien de drones ». Et vous ?
— « Assistante comptable ».
— Sympa.
— Ouais, sympa.
Jonas fit la moue face aux réponses froides de la femme. Il insista quand même, espérant avoir un début de discussion avec son compagnon de voyage.
— Et sinon, qu'est-ce qui vous a fait venir ici ? dit-il en se forçant un sourire sur le visage, faisant de son mieux pour paraître aimable.
— Un job facile, de l'argent facile, une place au soleil... comme tout le monde quoi. Laissez-moi deviner, vu votre enthousiasme, je dirais que vous êtes à la recherche d'aventure, ou un idéaliste pensant changer le monde en participant au projet de colonisation, ou peut-être que vous êtes à la recherche d'une nouvelle vie loin de la Terre. Attendez, au fait vous êtes bêtement un touriste, c'est ça ?
— Non, non, vous aviez raison, c'est plutôt l'aventure que je cherche, ouais. Je suis loin d'avoir la thune pour me payer des vacances comme ça, rigola-t-il. J'ai quelques amis qui y habitent déjà et je me suis dit « Jonas, tes potes sont là-bas, en train de coloniser un monde oublié et toi, tu restes là dans ton fauteuil à ne rien faire de ta vie. Bouge-toi mon vieux, t'as l'occasion de faire une différence » et bam, me voilà à des dizaines de milliards de kilomètres de chez moi, continuant la plus grande aventure de l'espèce humaine...
— Vous m'en direz tant, répondit-elle simplement, l'ayant à peine écouté.
L'astroport Erikson pouvait paraître assez sommaire comparé à celui d'Anchorage depuis lequel ils avaient quitté la Terre. Un terminal central avec une poignée d'installations et de bâtiments l'entourant où le personnel fourmillait entre les différentes navettes déjà atterri et une tour de contrôle semblable à une voile de navire métallique ridiculement grande comparée au reste de l'astroport. Néanmoins, cette dernière avait une esthétique beaucoup plus chaleureuse que sa cousine sur Terre. À la place des imposants bâtiments de béton gris, aussi triste que morne, se trouvait de petits édifices de pierre ocre et de bois ébène entrelacés d'ivoire avec de grandes baies vitrées permettant aux voyageurs d'admirer l'arrivé et le départ des navettes faisant l'aller-retour entre la station spatiale et Antée. L'endroit était chaleureux, vivant, tout le contraire d'Anchorage. À peine sorti de la navette que le souffle chaud de la planète le frappa violemment au visage, une chaleur étouffante, et pour couronner le tout, l'air était lourd, trop lourd. Il n'arrivait pas à respirer, son souffle était rapide et court. Il n'était pas le seul et une poignée d'autres passagers hyperventilaient.
— Vous allez bien ? Avez-vous besoin d'assistance ?
Un petit drone se tenait en face de lui, volant devant son visage à l'aide de deux ailes à hélices, doté d'une petite sphère en son milieu où un petit visage inquiet se dessinait.
— Vous allez bien ? Avez-vous besoin d'assistance ? Le personnel médical de l'astroport « Erikson » est à votre disposition si besoin en est, continua la petite machine d'une voix robotique, mais néanmoins amicale.
— Non, non, je vais bien, ça fait juste un petit bout de temps que je n'ai plus respiré de l'air naturel, répondit Jonas.
— Nous voilà rassurés, dit le drone dont les traits de lueur bleue lui servant de visage prirent une expression souriante. L'atmosphère d'Antée est légèrement plus lourde que celle de la Terre et il vous faudra quelques jours pour vous y habituer. Si vos symptômes persistent, veuillez consulter un médecin au plus vite. Au nom du personnel de l'astroport « Erikson », nous vous souhaitons la bienvenue sur la merveilleuse colonie d'Antée, ensemble pour un avenir prospère. La bonne journée.
Aussitôt finie sa phrase, il se renvola directement vers un autre passager dans le même état que lui, réitérant les mêmes questions qu'il lui avait posées. Jonas reprit son chemin vers le terminal central, se dirigeant vers les portes de droite où la majorité des futurs colons se dirigeaient.
— Nom ?
— Jonas. Jonas Costa.
— Raison de votre venue ?
— Le travail. J'ai été recommandé par le ministère de la Colonisation.
Il n'y avait que dix bureaux pour la centaine de personnes arrivées et après trois longues heures d'attentes, c'était enfin son tour. L'homme chargé d'encoder ses données avait l'air de s'endormir sur son terminal informatique et posait ses questions d'une voix tellement basse que Jonas dut lui demander plusieurs fois de les répéter. Aviez-vous un casier judiciaire sur Terre ? Combien de temps compter vous rester sur Antée ? Avez-vous de la famille ou des connaissances déjà sur place ? Avez-vous un lieu de résidence ? Si oui est-ce le ministère qui vous loge ou un privé ? L'interrogation semblait interminable et il n'avait qu'une envie et c'était de fuir l'astroport pour enfin commencer sa nouvelle vie. On scanna sa puce d'identification plantée sur le dos de sa main et après encore une trentaine de minutes, il fut enfin libéré de ses devoirs civiques et put récupérer ses bagages. Jonas avait voyagé plutôt léger. De toute façon, il n'avait pas grand-chose à emmener avec lui. Un simple sac à dos rempli de vêtements fut le seul bagage dont il avait besoin pour commencer sa nouvelle vie et une fois récupérer, il se dirigea vers la sortie. Là, une foule s'y était rassemblée, la famille, les amis, les collègues de tous les nouveaux venus, agitant des panneaux avec le nom des personnes recherchées ou simplement les bras à grands cris. Jonas plissa des yeux, cherchant du regard une tête familière dans tout ce monde, en vain. Néanmoins, un homme en fin de vingtaine se dégagea de la foule. Il était bien rasé et plutôt propre mis à part les grosses tâches de transpiration qui tachetaient sa chemise à manches courtes. Des mèches de cheveux noirs tombaient devant ses yeux bridés qu'il dégagea rapidement d'un coup de main.
— Gab ! s'exclama Jonas avant de le serrer dans ses bras.
— Mais regardez qui a enfin décidé de sortir de sa grotte ! Qui l'eût cru ? Notre Jonas, ici, sur Antée avec nous. Si on me l'avait dit 'y a dix ans, je ne l'aurais pas cru, rigola-t-il en lui donnant une tape dans le dos. Pas trop de regrets ?
— Des regrets ? Quels regrets ? Je suis sur Antée bordel, Antée ! Tu te rends compte ? Le prince de la ville est de retour mon pote et croyez-moi, vous n'êtes pas prêt pour son arrivé !
— Le prince de la ville ? Quel prince de la ville ? Tu penses que toi, avec ton salaire d'ingénieur, tu vas arriver à quelque chose ? Tu rêves, mec. Viens, j'ai garé mon tout-terrain là-bas.
— Moque-toi de moi si tu veux mais tu as devant toi un homme nouveau. C'est à Jonas d'Antée à qui tu t'adresses maintenant, plus Jonas de la Terre. Ta sœur n'est pas avec toi ?
— Elle est restée à la maison et n'y pense même pas vieux pervers, elle n'est pas de ton âge. De toute façon, entre les terriens et les locaux, tu as largement le choix ici. Allez, passe-moi ton sac.
Après l'avoir déposé dans le coffre, Gabriel monta dans l'imposant tout-terrain rouge qui fit même siffler Jonas d'admiration. Jamais il n'aurait pu se payer un tel véhicule sur Terre. Il semblerait que son ami ait pu saisir les opportunités que lui offrait la colonie pensa-t-il en prenant place à son tour dans le véhicule. Le seul défaut qu'il trouva fut le manque de toit pour les protéger contre le violent soleil de l'après-midi et il pouvait en voir les effets sur les avant-bras rougis de son ami.
— Tu t'en tires plutôt bien on dirait, lança Jonas en appréciant le confort que lui proposaient les sièges de cuir. Par contre, tu devrais penser à investir dans un toit. J'ai l'impression de cuire vivant.
— Ce n'est pas à moi, c'est le boulot qui me l'a passé, répondit Gabriel en allumant le moteur. Interdiction de la toucher ou de la modifier. T'as vraiment cru que je pouvais me payer une caisse comme ça avec mon salaire de dendrologiste ? Tu rêves mon vieux. Si tu savais le nombre de fois que j'ai demandé qu'on installe qu'une simple clim... C'est peine perdue, crois-moi.
Dans un vrombissement, le moteur s'alluma et Gabriel fit immédiatement route vers la métropole qui se trouvait à quelques heures de l'astroport. Une longue et unique route d'asphalte à côté d'une ligne de train « mag-lev » les reliaient entre eux, toutes les deux semblant s'étendre jusqu'à l'horizon, coupant les plates plaines d'herbes jaunes de deux longues lignes grises, une vue presque irréelle. Dès qu'ils furent assez éloignés, ils furent plongés dans l'oppressant silence de la savane herbeuse, seulement dérangé par le bruit du moteur et des quelques bus faisant navette entre la ville et l'astroport, rajoutant encore plus à l'aura mystique de l'endroit. Même la ligne monorail semblait inutilisée, donnant l'impression qu'ils traversaient des terres oubliées par l'homme depuis des siècles.
— Fais pas cette tête, la région est à la base inhabitée, c'est pour ça qu'on nous l'a offerte. T'inquiète pas, Antée est aussi vivante que la Terre, voire plus. Enfin, c'est différent quoi.
— Sympa, sympa... Au fait, t'avais parlé des locaux, des filles, s'enquit discrètement le jeune homme. Elles sont comment ?
— Bah ça dépend, comme nous. C'est juste leur mentalité qui est différente. Et là encore, ça dépend de quel peuple tu parles et il y en a des centaines. De toute façon, je préfère les filles normales, enfin terriennes je veux dire, c'est moins de problèmes, mais là encore, c'est relatif. Je sais qu'il y en a certaines qui traînent dans la métropole à la recherche de mecs terriens, pour les marier ou je ne sais quoi. C'est parfait pour toi en fait, rigola-t-il.
— Tu rigoleras moins quand je te ramènerai une princesse sauvage grâce à mes charmes irrésistibles. Qui sait, ils me prendront peut-être comme leur roi ? Tu crois qu'ils réagiront comment si je me fais passer pour un enfant des étoiles ?
— Ne blague pas avec ça, c'est un sujet tabou ici, lui sermonna son ami.
— Pour les locaux ou les terriens ?
— Les deux. Les plaies des guerres du Culte sont encore bien ouvertes et l'on préfère éviter le sujet. Tiens, par exemple, tu te rappelles du grand frère de Sam ?
— Quel Sam ? Bankowski ?
— Ouais, et bien devine quoi ? Le pauvre gars est mort, c'était un casque bleu...
— Tu te fous de moi ? blêmit Jonas. Il lui est arrivé quoi?
— C'était une opération pour arrêter un type, un superviseur du Culte je pense, je ne me rappelle plus de son nom. Il s'était réfugié dans une forteresse avec une petite armée et ils se sont tous battus jusqu'au dernier. Ça a été un vrai bain de sang. Patrick, le frère de Sam, s'est fait poignarder par un de ces fanatiques qui s'était fait passer pour mort. Je ne sais pas quelle saloperie traînait sur sa lame mais le jour suivant, le voilà qu'il chopait une sorte de tétanos de chez eux et même pas une semaine après il était mort, comme ça, sans que les médecins aient pu faire quoi que ce soit.
— Ah merde, je ne savais pas, je suis désolé, balbutia-t-il.
— T'inquiète, mais évite juste de trop aborder le sujet une fois en ville, ok ?
— Par contre, ça n'enlève rien à mon plan originel, prépare-toi toujours à m'appeler roi Jonas, seigneur des tribus sauvages d'Antée.
— Ahlala, tu m'avais manqué en tout cas... soupira Gabriel.
Il était entouré. Une dizaine d'hommes à la mine patibulaire patrouillaient l'entrepôt. Ils étaient habillés en civile, mais tout de noir, équipés de fusils automatiques dernier cri et de pistolets.
— Fouillez chaque recoin, chaque pièce. Il est là, je le sens, dit un homme chauve, le visage déchiré par une cicatrice partant du haut de sa lèvre jusqu'à l'œil.
Il portait un tee-shirt à longues manches noir qui moulait son corps massif et le bruit de ses bottes militaires contre le sol de béton claquait à chacun de ses pas. D'un petit signe de main, il fit signe à ses hommes de se disperser. D'une allure nonchalante, il fit les cent pas, sa voix rauque résonnant contre les murs de l'entrepôt.
— Ça n'a pas besoin de se finir comme ça Mark, tu le sais bien, continua-t-il. Rappelle-toi de tout ce qu'on a fait ensemble, rappelle-toi du passé. Fais pas le con, montre-toi, qu'on s'explique comme des hommes civilisés.
Toujours aucune réponse, toujours aucun bruit à part le son des bottes, le souffle des respirations et les doigts grattant nerveusement la gâchette de leurs armes. Des néons illuminaient faiblement l'entrepôt de leur lumière blanchâtre, la baignant d'une lueur fantomatique, rajoutant à l'ambiance oppressante de l'endroit. Des centaines de caisses provenant de l'astroport Erikson étaient empilées les unes sur les autres, créant un éphémère labyrinthe changeant chaque semaine à l'arrivée ou la sortie de nouveau chargement. Perdu dans ces méandres se trouvaient deux personnes. Un homme d'une cinquantaine d'années aux cheveux bruns grisonnant sur les côtés, à la barbe mal rasée et au regard sévère, portant un large imper gris et une femme bien plus jeune, peut-être une vingtaine d'années de moins, blonde, portant son habit d'employé de bureau, se rongeant les ongles d'angoisses. L'homme compta les balles restantes dans le barillet de son revolver. Que trois pour peut-être douze personnes. Une dans le foie, une dans le cœur et la dernière dans la tête, c'était plus que suffisant. Il aura sa vengeance.
— Mark, c'est de la folie, fuyons tant qu'il en est encore temps, chuchota-t-elle, la nervosité déformant sa voix.
— Ça fait six ans que j'attends que cette ordure pointe le bout de son nez. J'aurais sa peau... même si c'est la dernière chose que je dois accomplir de ma vie, je jure de le buter cet enfoiré.
Il referma le barillet de son arme et souffla un grand coup. Des pas s'approchèrent, des pas lourds, déterminés, et avant tout confiants. Il n'y avait qu'un seul homme possédant une telle assurance et il n'aura qu'une seule chance.
— C'est pour toi bonhomme. Papa te l'a promis. Aujourd'hui tu seras vengé, souffla-t-il en tenant son arme contre son torse.
Le cliquetis d'une culasse qu'on tira se fit entendre derrière lui et il sentit le canon froid d'un pistolet se poser contre sa nuque.
— Pas aujourd'hui Mark, pas aujourd'hui...
— Jessica, qu'est-ce que tu fous ? s'étrangla-t-il. Qu'est-ce que ça signifie ?
— Je suis désolé Mark, dit-elle doucement. Mais il n'y avait pas d'autre choix. Ne m'en veux pas...
Il blêmit. C'était impossible, ça ne pouvait pas être vrai, pas Jessica, pas elle. Le vieux détective fut immédiatement entouré par la dizaine d'hommes à sa poursuite et là, il le vit. L'homme à cause de qui tout cela avait commencé, l'homme qui lui avait tout pris, une expression désolée se dessinant sur son visage balafré. Une rage qu'il ne s'était jamais imaginé ressentir envahit son cœur.
— Hé Mark, ça fait un bail, dit le chauve de sa voix grave. Pourquoi tout doit être si compliqué avec toi... Si seulement tu n'étais pas aussi fouineur. Il a fallu que ça tombe sur toi, le seul flic non corrompu de cette saloperie de ville... Merde, si tu savais à quel point ça me fait chier d'en arriver là...
— Et bien si ça te fait chier, c'est tout à mon plaisir Johnny !
— Tu n'as vraiment pas changé, rigola-t-il d'un ton maussade. Mais ça n'a pas d'importance, c'est fini Mark, c'est fini...
— Va te faire foutre, qu'est-ce que t'as fait à Jessica espèce d'ordure ? C'est entre toi et moi, laisse-la partir !
— Faire ? Mais je n'ai rien fait mon pauvre ami. Ahlala, si tu savais... Dis-lui Jessica.
— Je suis désolé Mark mais... mais c'est mon frère... Johnny est mon frère.
C'était impossible, les mots n'arrivaient même plus à sortir de sa bouche. Il lui avait tout pris, Johnny lui avait tout pris. Non... tout cela n'était qu'une illusion, il n'avait jamais rien eu, il n'avait jamais eu personne. Ce n'était qu'un pion dans un jeu bien trop grand, un jeu dépassant même sa propre existence. Le canon de l'arme poussa plus fort sur sa nuque et des larmes se mirent à couler sur ses joues. Je suis désolé Mark, vraiment, dit la voix de la femme. Tout devint noir, une détonation et puis plus rien...
— AAAAAAH, NOOOON ! hurla Terra en se ruant sur l'écran. Non, non, c'est une blague, ça doit être une blague, il n'y a pas d'autre explication, ça ne peut pas finir comme ça, PAS COMME ÇA !
— Hé bien... Jessica, le frère de Johnny... Qui l'eût cru, dit Khemno en se grattant la barbe. C'est une sacrée manipulatrice en fait, dire que je l'aimais bien.
— Mais la fin, t'en penses quoi ? insista sa petite sœur agacée par son manque de réaction. Mark ne peut pas mourir, pas comme ça, pas maintenant ! Il n'a même pas encore vengé son fils ! Et les gardiens, ils vont devenir quoi les gardiens sans leur chef ? Par tous les dieux, dites-moi qu'il y a une autre saison qui arrive, que la série ne finit pas comme ça, par pitié !
Le générique défila lentement sur le petit écran accroché en face du lit de Terra. Des câbles maladroitement fixés dans le mur zigzaguaient jusqu'au rez-de-chaussée où se trouvait le groupe électrogène de seconde main que leur avait refilé Lucas, un des rares outils terriens que son père appréciait. Les ampoules électroniques terriennes leur apportaient plus de lumière que n'importe quelle pierre luminescente ou bougie, et ce n'était qu'un seul des avantages que l'électricité leur apportait. Un accès à l'eau chaude, à l'air frais durant la saison sèche, à la radio et avant tout de chose, à la grande joie de Terra, un écran dernière génération capable de lire n'importe quel film, série ou émission terrienne venant de la métropole. Un véritable trésor qu'elle avait reçu pour ses douze ans, qui rassemblait souvent la famille pour des nuits consacrées aux « Gardiens invisibles », la série terrienne phare produite ici même sur Antée. La jeune adolescente souffla et éteignit avec résignation le petit dispositif à peine plus grand qu'un miroir avant de se laisser tomber dans son lit. Son frère assis à même le sol s'appuya contre le mur, jouant avec une petite balle en caoutchouc qui traînait par terre.
— Tu penses que c'est vrai ? dit Terra les yeux rivés au plafond.
— Évidemment que non, ce ne sont que des comédiens, des acteurs. Tout ça, ce n'est que du spectacle.
— Je sais bien, mais je voulais dire l'histoire, elle doit bien venir de quelque part, non ? Tu penses vraiment qu'il y a tout ça qui arrive en ce moment même à la métropole ? Avec des flics corrompus et tout.
— Je ne pense pas. Cette histoire de « mon coéquipier a tué mon fils donc je vais créer une équipe de justiciers pour débarrasser la ville de sa corruption » m'a l'air un peu tirée par les cheveux mais bon, qu'est-ce que j'en sais moi de toute façon, je ne suis pas terrien.
— C'est peut-être pour ça que le vieux ne veut pas que j'aille à la métropole, soupira Terra. Il doit penser que c'est comme dans les séries.
— Tu sais bien que papa ne regarde pas de série et il n'a aucune idée à quoi ressemble la métropole à part que c'est rempli de terriens. Il te pense juste trop influençable, c'est tout.
— Moi ? Influençable ? C'est n'importe quoi, s'agaça-t-elle. Qu'il me laisse tranquille à la fin, je ne suis pas un jouet.
— Tu n'es pas un jouet mais tu es sa fille, rétorqua Khemno. Et en plus, as-tu essayé de faire des efforts de ton côté ? Essayé-toi de lui faire plaisir ?
— Pleins de fois ! Je l'accompagne à chaque festival, au temple, aux processions et je l'ai même accompagné au tournoi de lutte la semaine passée.
— Mais toi, as-tu participé au festival, as-tu participé au tournoi de lutte, à une procession ? Tu sais à quel point il en serait fier. Ça, ça lui fera vraiment plaisir.
— Premièrement, c'est terriblement barbant et tu le sais mieux que n'importe qui donc tu es de loin la dernière personne qui peut me demander à participer à une procession. Et un tournoi de lutte... Je tiens à la vie, mon vieux. Si j'y participe, je risque de me briser tous les os...
— Très bien, alors propose-lui d'aller à la chasse, insista son grand-frère.
— Pour tuer des animaux innocents ? Non merci.
— Les rats des plaines ne sont pas aussi innocents que ça.
— Mais ils restent quand même des êtres vivants, il mérite la pitié aussi.
— Tu n'es vraiment pas facile Terra, tu sais ça ?
— C'est à cause de vous. On a un caractère difficile dans la famille.
Le jeune homme souffla d'exaspération en se frottant les tempes. Sa sœur le regardait avec un regard faussement innocent et il savait qu'il ne s'en sortirait pas sans aller directement au but.
— Bon, tu veux quoi ?
— Aller à la métropole, juste une fois, c'est tout ce que je demande.
— Et papa ne veut pas et tu veux que je le convainque, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Et bien c'est impossible, trancha Khemno. Il est têtu comme une mule, il ne changera jamais d'avis.
— Mais toi tu es son fils unique, insista-t-elle. Celui qui portera son nom. Il t'écoutera !
— Tu rêves petite. S'il dit non, rien ni personne ne lui fera changer d'avis, c'est triste mais c'est comme ça, tu vas devoir t'y faire. Je ne peux rien faire pour toi.
Le visage de sa sœur se déforma de déception et ses yeux commencèrent à s'humidifier. Elle lui répondit seulement d'un « Ok » avant de s'enfuir sous ses draps. Il n'en pouvait plus, elle était vraiment insupportable.
— Bon ça va, t'as gagné, je pense avoir une idée...
— C'est quoi ? Dis-moi vite ! s'exclama-t-elle avec fébrilité, poussée par une soudaine monté d'enthousiasme.
— Quand je disais que rien ne pouvait faire changer d'avis notre père, il est possible que ce ne soit pas tout à fait vrai. Les dieux... Le jugement des dieux est la seule chose capable de lui faire changer d'avis...
— Merci, ça, c'est le cas pour tout le monde. Je ne vois pas en quoi ça nous avance...
— Et bien si tu m'avais laissé finir, je t'aurais dit que vu que le grand oracle est la seule capable d'entrer en contact avec les dieux, si tu reçois sa bénédiction pour m'accompagner à la métropole, il ne pourra plus refuser, s'agaça Khemno.
Le visage de Terra s'illumina et ses yeux, larmoyant il y a peine quelques secondes, pétillèrent de joie.
— Mais tu es un génie, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Bénis soient les dieux de m'avoir donné un frère aussi génial, hurla-t-elle en se jetant sur lui, le couvrant de baisers.
— Bah tu sais, tant que je peux rendre service, rougit-il. Tu as une offrande ?
— J'ai le premier album de Will Lloyd, ça devrait suffire je pense.
À peine son offrande en main, elle se rua hors de sa chambre et descendit l'escalier menant au rez-de-chaussée en trombe. Haji n'eut même pas le temps de lui demander où elle partait qu'elle était déjà dehors. Khemno descendit discrètement et s'installa à la table où se trouvait son père occupé à remplir des tonnes de paperasses et d'interminables rapports à envoyer au conseil et au Défenseur.
— Mais par tous les dieux Khemno, quelle mouche l'a encore piquée ?
— Qui ça, Terra ? Je n'en ai aucune idée, rien de bien important sans doute.
— Soit, soit, souffla Haji en reprenant son travail. Je ne sais pas ce qu'il lui prend ces derniers temps, je l'ai rarement vue aussi dissipée. Tu es sûr que ce n'est rien d'important ?
— Je ne pense pas, que veux-tu qu'elle fasse ? Elle a beau avoir un caractère difficile, ce n'est pas Akhesa. C'est loin d'être un enfant à problème. Elle fait juste sa crise d'adolescence et tu n'es plus habitué, tout simplement. Nous aussi on a été comme ça. Tu as eu les mêmes inquiétudes et regarde-nous maintenant. Crois-moi, tu te fais juste trop de soucis.
— Très bien, mon fils, je te crois. Mais promets-moi quand même de garder un œil sur elle, juste au cas où.
Khemno lisait une inquiétude sur le vieux visage de son père. Sa fille le préoccupait, ça se voyait, mais qui pouvait lui en vouloir ? Après ce qui s'était passé avec Akhesa, ce n'est que normal qu'un père soit aussi protecteur avec son enfant.
— Je te le promets papa mais je t'assure que tu t'inquiètes trop. Je crois que c'est à cause de toute cette paperasse et ces lettres que tu dois envoyer, ça te rend anxieux. Tu devrais prendre une pause de quelques semaines, essaya-t-il de le rassurer tant bien que mal.
— Jecrains que je n'en aie pas le temps. On doit renouveler l'alliance avec lesfamilles du croissant et j'ai pris bien assez de retard déjà. Ah oui, et il y a cette histoire de fissure dans les remparts qui requiert aussi mon attention.
— Tu sais, je ne pense pas que quelqu'un prendra d'assaut la cité de sitôt. Tu dois vraiment prendre du repos. Je vais te chercher Yashey et Andy, la présence de ton petit-fils te détendra.
— Mais quelle est votre obsession à l'appeler Andy à la fin ? s'agaça Haji.
— Je trouve ça sympa comme diminutif Andy, et c'est bien plus facile qu'Antiemno.
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