Chapitre 19 : Les otages
D'un coup d'épaule, Akhesa utilisa ses dernières forces pour défoncer la porte de l'appartement de son frère et balancer Robin, qu'elle trainait depuis tout à l'heure par les cheveux, à l'intérieur. Etiam se trouvait à la table du salon avec Ansong, ce dernier utilisant toute sa concentration pour écrire les lettres de l'alphabet le plus méticuleusement possible et sursauta à l'arrivé d'Akhesa.
— Que Shan-ri nous garde, garante, vous êtes blessée !?
— Ouais. Ansong, prends le gosse et surveille-le. S'il tente quelque chose, coupe-lui un doigt.
— Garante, vous nous avez dit qu'à la métropole, il ne fallait pas agir comme chez les nomades et pourtant vous agissez de la même manière, constata l'albinos en se grattant le menton.
— Ce n'est pas le moment de jouer au plus malin Ansong, fais seulement ce que je t'ai dit.
— Que s'est-il passé ? paniqua Etiam. Terra va bien ?
— Elle n'a jamais été mieux.
Au même moment, elle apparut par la porte, accompagnée de son frère portant une sorte d'étrange insecte de métal dans les bras et une étrange fille aux cheveux blonds virant aux blancs.
— Etiam ! se réjouit Terra en le voyant.
— Terra, par tous les dieux, tu vas bien ! J'étais mort d'inquiétude ! Pourquoi tu m'as menti, tu avais dit juste une nuit !
— Je suis désolée pour ça Etiam, mais il y a des choses plus importantes pour le moment ! La fille avec moi s'appelle Kat, c'est mon amie terrienne. L'autre s'appelle Robin, c'est aussi mon ami, ma sœur les prend en otage !
— Tu veux dire lui ? dit-il en pointant le garçon qui se trouvait au bout de la lame d'un albinos.
— C'est qui celui-là ?
— Le... scribe de ta sœur...
— Ce garçon n'a rien d'un scribe, s'énerva Terra.
— Salutation, je m'appelle Ansong, lui répondit l'albinos. C'est un honneur de vous rencontrer Terra Kandos.
— Comment connait-il mon nom, lui ?
Le son du poing d'Akhesa sur la table les fit tous taire, mettant fin à tout ce vacarme.
— J'ai mal à la tête et j'ai les côtes en feu donc par pitié, taisez-vous. Je vais vous dire ce qui va se passer. Khemno, tu iras trouver Epos et lui expliquer la situation. Les deux gosses resteront ici jusqu'à son arrivée et ensuite, on les transférera dans les districts, hors d'atteinte des autres terriens.
— Tu n'as pas le droit ! hurla sa petite sœur.
— Je t'ai dit d'arrêter de hurler, dit-elle froidement. Tu as deux choix. Soit je leur crève les yeux, leur arrache la langue et leur coupe les doigts avant de les relâcher dans la bordure, soit ils disparaissent le temps que tout ça se calme.
— Karam Akhesa, arrête tes conneries, ils ne parleront pas !
— Ansong, si ma sœur et mon frère tentent quelque chose, tranche la gorge au garçon.
— Très bien garante.
— Je me suis bien fait comprendre vous autres ?
Ils acquiescèrent à contrecœur.
— Très bien. Secondement, personne ne sort avant l'arrivée d'Epos. Ces types, je doute qu'ils agissent seuls. On ignore combien ils sont et sans aucun doute ils chercheront à se venger, voir à récupérer Terra. Ici nous sommes en sécurité. Etiam, je sais que tu as un peu de jugeote alors garde un œil sur mon idiote de petite sœur et fait en sorte qu'elle ne fasse pas de nouvelles conneries.
Le jeune fusilier se contenta seulement d'hocher la tête de manière peu convaincue.
— Dernièrement, il me faut des soins car ça fait diablement mal.
— Je suppose qu'un docteur terrien est hors de question, lâcha Khemno.
— Ce serait nous livrer à l'ennemi. Pour l'instant, je vais devoir me débrouiller avec ce qu'il y a dans ton appartement petit frère. Et sérieusement vous autres, ne faites pas les cons...
Alexis Sanders avait eu beaucoup de cas dans sa carrière d'inspecteur sur Antée et pour tous, il avait mis son cœur pour les résoudre, mais celui-ci, il voulait le fuir à toutes jambes. Dire que l'affaire était délicate était un euphémisme. Une catastrophe... C'était tout simplement une catastrophe. C'était un céramiste Sudagar qui avait trouvé les corps derrière sa boutique, des corps de terriens lacérés au couteau. Il observa les experts de la police scientifique prélever et analyser les échantillons trouvés sur les cadavres et pria qu'ils soient terriens.
— Introuvable. Autant le sang que la bave ne correspondent à aucun répertoire connu, aucune liste. Son ADN non plus. Celui qui a fait ça n'est pas un colon. Par contre, c'est un sacré fumeur si ça peut vous aider.
C'était tout ce qu'il craignait. Ça devait bien arriver un jour ou l'autre, mais il aurait espéré que ce ne soit pas avec lui. Le premier meurtre de colons par des locaux dans la métropole et c'était à lui de s'occuper de ce cauchemar. Les journalistes arriveront dès que le mot aura fuité, ne faisant qu'empirer les choses, et déjà que les tensions communautaires étaient hautes, l'annonce de la mort de terriens dans les districts ne fera que jeter de l'huile sur le feu, les conséquences pouvant s'avérer terribles. Tant bien que mal, Alexis tenta de se calmer. Pour l'instant, avant de se soucier du futur, il devait se concentrer sur les faits. Qui étaient ces terriens, l'heure de leur mort et surtout, ce qu'ils pouvaient bien faire là. Même si les circonstances des meurtres étaient mystérieuses, les victimes, elles, l'étaient encore plus. Aucune carte d'identification, des cagoules cachant complètement leur visage, des matraques utilisées par la police militaire des casques bleus et pour finir, une camionnette non immatriculée. Aucun moyen de les identifier sans outil d'analyse comme ceux de la police. Leurs noms ne resteraient pas un mystère pour très longtemps, mais une chose était déjà claire, qui qu'ils soient, ils étaient mal intentionnés. Les experts scientifiques scannèrent le dos de la main de chaque victime, contenant leur puce d'identification, et les comparèrent à une liste cryptée de chaque résident identifié et enregistré de la métropole, accessible seulement par les forces de l'ordre et le gouvernement colonial. Les résultats des analyses arrivèrent vite avec l'identité des terriens. Deux ex-membres des casques bleus, un ancien ingénieur de la station Stellaris sans emploi et pour finir, une jeune étudiante de vingt-trois ans travaillant à mi-temps dans un bar du centre-ville, tous les quatre colons nés sur Terre. Un des deux ex-soldats, un prénommé Davis Paterson, présentait déjà une blessure à la main bandée à la va-vite, similaire à celle reçue dans l'œil, laissant présager qu'il y avait déjà eu une altercation entre la victime et son meurtrier. Alexis se rapprocha de son visage, examinant minutieusement la blessure, et sentit un léger souffle, presque imperceptible caresser sa main.
— Il est vivant ! hurla-t-il. J'ai besoin d'aide ici, il est vivant !
Ses collègues de la police scientifique se ruèrent à ses côtés.
— Où avez-vous appris à faire votre taf putain, s'énerva l'inspecteur. Vous nous avez presque fait perdre un témoin ! Appelez une ambulance immédiatement, il peut toujours nous claquer entre les doigts.
Le temps s'écoula et l'ambulance arriva, embarquant le seul survivant du massacre, suivi rapidement par une foule de drones-caméra journalistiques qui tournoyèrent autour des lieux comme des vautours en manque de chair fraiche. Ils furent forcés de nettoyer la scène du crime le plus rapidement possible sous les yeux d'antéens curieux et consternés de l'horreur qui venait de se dérouler dans leur paisible quartier. Il était midi et Alexis s'apprêta à retourner au commissariat que le céramiste l'interpella discrètement.
— J'ai... j'ai vu ce qui s'est passé m'sieur le terrien, j'ai vu ce qui s'est passé. J'ai entendu une commotion cette nuit et je suis parti sur le toit pour voir c'qui se passait.
— Vraiment ? Dis-moi tout, j'ai même de l'argent si tu veux !
— Je ne veux pas de ton argent, ça risque de mal finir pour moi si on découvre que j'ai reçu de l'argent terrien ainsi. Il y a des oreilles partout ici, c'est pour ça que ma bouche est scellée, mais la hyène est revenue, je peux vous dire cela. Les Nados l'appellent ainsi, adorée par les siens, crainte par ses ennemis. Vos frères terriens l'ont attaqué à trois, elle les a tous tués avec un couteau, tous les quatre. J'en ai déjà dit trop terrien, je suis désolé, je dois me taire.
— Au contraire, je te remercie infiniment, ton témoignage m'a été précieux. Si jamais tu veux la protection de la métropole, il te suffira de demander l'inspecteur Alexis Sanders.
— J'préfère m'en passer m'sieur l'terrien. On a vu c'que votre protection a apporté au pauvre Toutos. Faite juste en sorte qu'on puisse vivre en paix ici, c'est tout c'que j'demande.
Le mot de la mort du Nados avait donc fuité, malgré tous ses efforts pour le cacher. « La guêpe », « la hyène », « le trou noir », il ne s'en sortait plus avec tous ces surnoms idiots. Au moins, il connaissait le seul homme capable de le renseigner : Khemno Kandos.
Terra revint de la cuisine avec trois tasses de thé et en passa une à Kat, l'autre à Etiam. Elle en aurait bien pris une pour Robin, mais le jeune garçon était encore endormi et le chien de garde albinos de sa sœur lui filait le sang de poulet. Il n'avait pas fermé un œil de la nuit et malgré les cernes qu'il avait sous les yeux, il semblait toujours aussi vif. Khemno, lui, était parti il y a une heure chercher Epos et Akhesa, quant à elle, s'était endormi juste après ses instructions d'hier et ne semblait pas prêt à se réveiller de sitôt. La bande de jeunes était laissée à eux même, à s'enraciner dans le salon.
— Donc toi aussi t'aimes les Jicky skins, Etiam ? questionna Kat en sirotant son thé.
— Ça va, ils ne sont pas mauvais, mais je ne m'y connais pas comme Terra. Je n'ai pas d'écouteurs, ni de radio alors...
— Tu devrais en profiter pour en acheter ici, ce n'est pas très cher, continua Terra, sa tasse dans une main, un beignet dans l'autre.
— J'ai pas d'argent terrien, sinon je l'aurais bien fait. Je dois admettre que tu n'avais pas tort, c'est pas mal intéressant la métropole, en tout cas pour ce que j'ai pu voir depuis la fenêtre de l'appartement.
— N'est-ce pas ? Et tu n'as rien vu. Par exemple, l'avenue Espérance, t'en tomberais par terre tellement que c'est incroyable, pas vrai Kat ?
— Ouais, c'est sympa.
Ils continuèrent à siroter leur thé en silence, Terra cherchant une position plus confortable sur le fauteuil.
— Hé l'albinos, t'as pas de vessie où quoi ? demanda-t-elle. Tu ne vas jamais aux toilettes ?
— J'irais quand garante sera réveillée.
— Qui c'est « garante » ?
— Votre sœur, dame Terra, répondit poliment Ansong.
— « Dame Terra »... c'est bien la première fois qu'on m'appelle comme ça... Dis l'albinos, je peux chercher ma guitare où tu risques de mutiler mon ami.
— Vous risquez de réveiller votre sœur.
— Et bien tant mieux, tu pourras aller aux toilettes alors. Sérieusement, on s'ennuie comme des rats morts...
— Soit, mais ne faites pas trop de bruit s'il vous plait. Qui sait si nos ennemis peuvent nous entendre.
— « Nos ennemis » ... Où est-ce que ma sœur t'a encore trouvé, toi...
— En Iturie, lors de ma seizième année, je pense.
— C'était une question rhétorique, le scribe, soupira Terra en se levant.
Elle partit chercher sa guitare et revint dans le salon. Cela faisait un petit temps qu'elle n'avait plus joué et caressa les cordes avec amour. Elle gratta ici et là, faisant de petites notes aléatoires pour retrouver ses marques, et improvisa une petite mélodie suivant son humeur. Le temps passa lentement et tout le monde s'occupait comme ils le pouvaient ; Kat en lisant un recueille de poèmes Nados qu'elle comprenait qu'à moitié, Terra à composer des mélodies à la guitare, Etiam, qui venait de trouver l'écran de Khemno, regarda quelques épisodes des « Surhumains », une série qu'il ne comprenait qu'à moitié, et Ansong quant à lui ne baissa nullement sa vigilance et continua à surveiller l'otage. Le bruit d'un homme frappant à la porte les sortit tous de leurs occupations. Ce n'était pas Khemno, il serait directement rentré. Ils se regardèrent tous un moment et Terra se leva avec hésitation. Elle se tourna vers Ansong qui ne semblait pas non plus quoi faire à part garder sa main prudemment sur la manche de son couteau et même Etiam resta sur ses gardes. Terra ouvrit lentement la porte et vit un grand homme brun mal rasé aux yeux fatigués, mais intelligent, habillé à la terrienne de manière plutôt ringarde selon ses goûts. L'homme avait l'air plutôt surpris de la voir.
— Heu... salut petite, je viens voire Khemno, il est là ?
— Non, il est parti, il reviendra bientôt. Je suis sa petite sœur, Terra Kandos.
— Ah oui, Terra, évidemment, je suis bête. J'aurais dû m'en douter, ton frère m'a beaucoup parlé de toi. Je suis Alexis Sanders, enchanté. Vu qu'il n'est pas là, je peux l'attendre à l'intérieur ?
Terra se retourna et vit l'albinos lui dire « non » de la tête.
— Bien sûr, vous êtes un ami de mon frère après tout.
Ansong fit une grimace en voyant le terrien rentrer. Sa garante ne lui avait pas donné d'instructions pour une situation comme celle-ci. Il se contenta seulement de dégainer discrètement son couteau, le cachant à côté de lui, à portée de main.
— Et bien... 'y a du monde à la maison à ce que je vois, constata Alexis.
— Ouais, on est entre amis, faites comme chez vous. Vous voulez quelque chose ? Thé ? Beignets ?
— Je dirais pas non à une petite collation, sourit l'inspecteur en s'installant confortablement sur un fauteuil.
— Viens Kat, je te montre comment préparer le thé comme chez nous.
La jeune terrienne ne comprit d'abord pas, lui faisant un discret signe d'incompréhension, mais le regard insistant de Terra la fit vite comprendre ce qu'elle avait derrière la tête. En partant à la cuisine, ils virent le regard de l'albinos posé sur eux. Ansong savait qu'elles tramaient quelque chose, mais n'osa rien dire de peur de se trahir auprès du nouveau venu.
— T'es aussi un ami de Terra je suppose, posa Alexis à l'albinos, histoire de lancer un début de conversation.
Le jeune nomade ne répondit pas, ne lui lançant qu'un regard plein de haine et de mépris. Elles se moquaient de lui. Comme d'habitude, il était seul contre le monde. Rien que le regard de ce terrien le rendait fou.
— Pas un grand parleur à ce que je vois, j'ai fait quelque chose pour t'énerver ?
Encore un silence de sa part. Ce terrien aussi se moquait de lui, ils le prenaient tous pour un idiot, mais c'étaient une grave erreur de leur part. S'il le fallait, il s'occuperait de ce terrien encombrant puis du petit, comme sa garante le lui avait ordonné.
Dans la cuisine, Terra se mit à chauffer de l'eau, donnant des astuces et instructions à son amie, et attendit qu'elle se mette à bouillir pour commencer à parler sérieusement.
— Qu'est ce qui te prend ? s'énerva Kat silencieusement. Tu penses que c'est un jeu ou quoi ?
— Absolument pas, bien au contraire ! Si on veut sauver Robin, c'est l'occasion ou jamais. Ma sœur est endormie et son chien de garde n'osera rien faire avec la présence d'un témoin.
— Et Etiam ?
— Etiam est un de mes plus proches amis, je lui fais totalement confiance. Il sera avec nous.
— C'est trop risqué ! Et tu comptes faire comment en plus ? Demander gentiment à l'albinos de nous remettre Robin ? Il m'a tout l'air sauf net. Oublie cette idée, c'est de la folie.
— Pourquoi tu te dégonfles ? C'est pourtant pas dans ton caractère ! Tu tiens vraiment qu'on t'envoie dans les districts avec les amis de ma sœur ? Tu as pourtant vu ce qu'elle a fait ! Qui sait ce que ses compagnons seront capables d'accomplir. Je ne veux pas te laisser avec eux, Kat. Qu'on parte avec Robin quelque part, chez toi, chez lui, chez Nathan, loin de tout ça, comme avant, et si jamais Akhesa tente de nous chercher, on menace d'appeler la police !
— Pourquoi ne pas les appeler directement ?
— Ça risque de mettre en danger mon frère et Etiam. Et c'est ma sœur après tout, même malgré ce qu'elle a fait, je ne peux pas faire cela. On vient de la même famille, on a le même sang, c'est contre nos traditions. Je veux juste qu'elle reste loin de toi et retourne de là où elle est venue.
Kat acquiesça sans grande conviction, mais Terra vit dans ses yeux que son amie lui faisait confiance.
— Ça ne nous dit toujours pas comment récupérer Robin. Une idée ?
— Aucune, répondit-elle en versant l'eau bouillante dans les tasses. Et toi ?
— Peut-être, mais ça à l'air idiot...
— Dis toujours ?
— Présente-nous, proposa Kat tout en déposant délicatement des pétales de fleurs dans le breuvage comme le faisait Terra.
— Pardon ?
— Présente-nous à ce gars, Robin et moi, comme tes amis terriens, introduis-nous.
— Ça nous avancera à quoi ? s'impatienta Terra en posant les tasses sur un plateau, s'apprêtant à bientôt servir le tout.
— S'il sait qui on est, si notre identité est connue, quoi qu'il nous arrive fuitera forcement à l'extérieur. Il n'osera plus toucher Robin de peur de mettre en danger ta sœur. Quand il partira, on trouvera une excuse pour partir avec lui en prenant Robin avec nous. Il n'osera pas le tuer devant un témoin, un témoin terrien en plus.
— Karam Kat, et tu disais que c'était moi qui ne prenais pas ça sérieusement !
— Écoute, je ne sais pas quoi te dire, c'est la seule chose qu'on a, donc on le fait ou pas ? la pressa la terrienne.
— Merde, tant pis, on le fait !
Terra arriva avec le plateau, le transportant aussi rapidement que maladroitement jusqu'à la table accompagnée de près par son amie. Elle jeta un rapide coup d'œil à l'albinos et frissonna en voyant son regard sombre posé sur elle, les mâchoires serrées comme s'il se mordait l'intérieur des joues, lui faisant remettre en question tout leur plan. Elle ne savait pas pourquoi, mais il lui faisait penser à Farros, l'ahuta d'Akhesa, une bête pâle assoiffée de sang capable d'exploser à tout moment sans son maitre. La jeune fille reprit son courage à deux mains, avala sa salive, et fit en sorte de ne rien laisser transparaitre de suspicieux sur son visage à part un sourire bienveillant envers son invité.
— Et voilààà ! Bon, Kat à deux mains gauches donc je ne vous promets pas une qualité digne de chez nous, mais j'ai rajouté ma petite touche particulière « à la Terra » dont vous m'en direz des nouvelles.
— Bah tu sais, après ceux de ton frère, ce sera difficile de faire mieux, rigola Alexis. J'ai hâte de goûter ce que tu me proposes. En tout cas, ça fait plaisir de voir une amitié entre antéen et terrien comme la vôtre, ça ne promet que de belles choses pour l'avenir, n'est-ce pas ? Terra et... Kat, c'est ça ?
— C'est ça, acquiesça Kat.
— Ah oui, c'est vrai, j'ai oublié de vous présenter, reprit Terra faussement gênée. Monsieur Sanders, je vous présente Catherine « Kat » Fujiwara, ma meilleure amie. Le petit endormi à côté de l'ami Ansong, c'est Robin Frost (La surprise se lut sur le visage de l'albinos qui fut pris au dépourvu).
— Ravi de vous rencontrer les jeunes, même toi Ansong. T'as l'air d'être un peu timide, mais je suis sûr que t'es un bon gars.
Encore une fois, Ansong ne répondit pas. Ses joues rougirent et arbora une mine mélangeant un embarrassement totale et une frustration extrême. Jamais de sa vie il ne s'était senti aussi vulnérable et aurait préféré affronter cent ennemis à la fois que de rester une seconde de plus ici. Son cœur battait à la folie, son souffle commença à se faire court et fit de son mieux pour contenir sa panique. Il n'avait jamais été confronté à de telles situations et n'avait aucune idée de comment réagir ou de quoi dire. Déjà qu'il n'était pas à l'aise avec les mots... D'habitude, c'était Akhesa qui faisait cela. Mais une chose était certaine, ce terrien, Sanders, ne pouvait plus quitter cette salle vivant. Il ne pouvait pas lui permettre de rejoindre les siens en ayant connaissance de leurs noms et leur location, il en était hors de question.
— À propos, moi, c'est Etiam, rajouta le fusilier qui se trouvait dans son coin.
—Ravi de te rencontrer aussi, t'habites dans les districts ?
— Non, je suis un fier Nados façonné de la plus pure pierre de Nadu Sudaram, un véritable produit du pays monsieur le terrien, répondit-il fièrement.
— Vraiment, comme « la hyène » ? Il semblerait qu'il ou elle aussi soit une sacrée célébrité chez vous.
Le cœur de chaque antéen présent manqua un battement. Un terrien ne pouvait connaitre le surnom d'Akhesa, c'était impossible, seule à Nadu elle était appelée ainsi. Terra elle-même failli recracher son breuvage.
— L...la...la hyène ? Ja...jamais entendu parler, bégaya-t-elle. Ce n'est pas le surnom le plus flatteur ça, haha, pour sûr, pas vrai Etiam ?
— Où avez-vous entendu ça ? répondit-il seulement, une angoisse se lisant sur son visage.
— Bah, tu sais, les mots circulent vite par ici. Une célébrité pareille n'aurait pas pu arriver inaperçue.
Personne ne répondit, les deux jeunes Nados se lançant seulement quelques regards pendant qu'Ansong jeta rapidement un coup d'œil inquiet vers la chambre où dormait sa garante. Voyant ces réactions, la mine d'Alexis se fit plus sérieuse.
— Je savais que j'allais avoir une réaction pareille, soupira l'inspecteur. Ne vous inquiétez pas, je suis avec vous. À la base, je voulais en parler avec Khemno, mais croyez-moi, je suis là pour aider. Je peux comprendre que la hyène vous terrifie, qui ne le serait pas avec tout le bordel qui se passe dans votre communauté, mais si vous voulez que je vous aide, vous devez m'aider aussi, essayez de comprendre cela.
— C'est que... c'est difficile à dire, les surnoms chez nous, ça vient, ça part. « Votre hyène », elle pourrait être n'importe qui. Et qu'a-t-elle fait de si incroyable pour intéresser les terriens ?
— Je ne peux pas le dire hélas...
— Qui êtes-vous déjà, demanda fermement Etiam.
— Alexis Sanders, l'inspecteur Alexis Sanders. Je travaille pour le service de police de la métropole.
— Vous êtes un fouineur terrien en d'autres termes.
— Non, un inspecteur de police et avant tout un ami. Je veux rendre la métropole aussi sûre et agréable que possible pour tous, aussi bien pour les antéens que les terriens.
— Et bien c'est... bien... admirable je veux dire, mais nous n'avons pas de problème, même mon frère vous le dira, dit rapidement Terra. Il n'y a aucun problème ici.
Alexis vit de la sincérité dans les paroles de la jeune antéenne. Il s'apprêta à lui poser une dernière question qu'il sentit une vibration venant de sa poche indiquant qu'il recevait un appelle, sans aucun doute de son supérieur. Tant pis pour Khemno, il reviendra le voir un autre jour.
— Ok Terra, je veux bien te croire, mais reste quand même prudente. Je dois hélas y aller. Si tu vois quoi que ce soit de suspicieux, n'hésite pas à le dire à ton frère.
— Pour sûr. De toute façon, on allait y aller aussi, pas vrai Kat ? (Elle acquiesça rapidement) On avait prévu d'aller chez elle après avec Robin donc on pourra vous accompagner, à part si ça vous dérange bien sûr.
— Absolument pas, bien au contraire. Par contre, faudra penser à réveiller votre copain, je ne tiens pas à le porter jusqu'au centre-ville, rigola-t-il.
— Non. Il reste.
Le ton dont Ansong avait prononcé ces mots jeta un froid dans la salle. Aussi coupante qu'une lame et gelé que de la glace, la voix du garçon semblait tout autre que celle de tout à l'heure et pour la première fois, Terra se sentit en danger.
— Voyons Ansong, qu'est-ce que tu veux dire par « Il reste », rigola nerveusement Terra.
— Il reste. Et « Sanders » reste aussi.
— Je te l'ai dit, j'aimerais bien rester, mais on m'appelle. On se reverra un autre jour si jamais tu veux parler, répondit l'inspecteur qui n'avait pas l'air de comprendre la situation, mais maintenant, le travail m'appelle.
— Personne ne part, tout le monde reste jusqu'à l'arrivée de Khemno Kandos.
Elle le vit dans sa gestuelle, dans la position de son bras, que son couteau avait déjà été dégainé, elle ignorait quand, et celui-ci s'enfonçait ou allait s'enfoncer dans le dos de Robin. Il lui suffira qu'un coup, qu'un coup sec, pour transpercer ses vêtements et lui percer le cœur par derrière et son regard montrait que dès que l'inspecteur aurait mis un pied sur le seuil, son ami mourra.
— NON ! hurla-t-elle. Je veux dire non, ne partez pas ! J'ai menti, on sait des choses, mon frère aussi. En tant que Nados, nous connaissons la hyène. Khemno en sait plus que moi, mais je pense être capable de vous avancer.
— Tu n'es pas obligée de parler Terra. Tu n'es qu'une enfant, je ne veux pas te mettre en danger.
— Si c'est pour aider notre communauté, qu'importe le danger. Ansong a raison, vous devez rester.
— Je... vous remercie les jeunes, vraiment, c'est courageux de votre part. Votre implication ne sera mentionnée nulle part, je le promets. Donc c'est quoi cette histoire de hyène, qui est-ce ?
— Un Nados, un nados à problèmes. J'ignore son nom ou qui il est. Même si Nadu n'est pas la plus grande cité d'Antée, ni même du Maniemas, des dizaines de milliers de personnes vivent derrière ses murs, si bien qu'il vienne de la cité même... enfin ce que je veux dire est qu'on le connait de réputation, mais que son identité reste un mystère. Ses « exploits » eux, sont connus de tous et sont assez controversés. Je ne sais pas si vous connaissez un peu notre histoire, mais nous sommes de fiers guerriers, combattant pour la gloire de nos ancêtres et la défense de notre cité enviée par ses ennemis avides depuis toujours. Nous avons connu de nombreuses invasions et nos pères, nos oncles, nos grands frères, tous se sont déjà battus pour Nadu. Beaucoup d'entre eux sont tombés au combat, devenant des martyres dont les noms sont immortalisés à jamais, gravés dans la pierre de la montagne. Les autres reviennent vivants et couverts de gloire. Par exemple, mon père m'a raconté qu'après être revenus de la boucherie de la crête de Djura, ils avaient été accueillis comme des légendes vivantes, que les femmes jetaient des fleures depuis le balcon de leurs maisons, que les hommes non-combattants les soulevaient sur leurs épaules en chantant leurs noms et que s'il n'avait pas été aussi tremblant dut au récent combat, il aurait sûrement été extatique. Enfin bref, je m'éloigne. Ce que je voulais dire, c'est que la guerre est ancrée bien malgré nous dans notre culture et nos traditions depuis des générations et depuis votre arrivée sur Antée, Nadu a connu une de ses plus longues périodes de paix. Jamais le Maniemas n'a été aussi sûr et c'est là que ça pose problème. Les générations plus jeunes rêvaient de faire leurs preuves, prouver leurs forces à leurs ainés et certains ont commencé à causer des problèmes. Au final, les plus déterminés d'entre eux quittèrent la cité pour offrir leur service en tant que mercenaires à l'étranger, en quête de gloire et de batailles. Là où les loups se battent pour la meute, les hyènes ne se battent que pour eux même, enfin, c'est ce que mon père m'a raconté en tout cas, d'où son surnom. J'étais encore petite quand c'est arrivé, mais si la hyène que vous cherchez est bel et bien Nados, il doit sûrement faire partie de cette génération. Mon frère pourra vous aider plus que moi, il a connu cette période.
Alexis se frotta le menton et même Ansong avait l'air intéressé par ce que venait de dire Terra.
— Donc la hyène fait partie de ces jeunes Nados mercenaires ?
— S'il est bel et bien Nados, sans aucun doute, confirma-t-elle.
— Et toi Etiam, tu n'en sais pas plus ?
— Non, j'étais aussi un peu trop jeune quand c'est arrivé, répondit le fusilier pour tenter d'enlever l'attention du terrien de sa personne. Comme Terra l'a dit, c'est plus à Khemno qu'il faut demander.
La porte d'entrée s'ouvrit aussitôt sa phrase finie et Terra aperçut avec un mélange de joie et de satisfaction son frère. Son sourire disparu aussitôt en voyant l'homme au crâne rasé qui l'accompagnait, suivi par une poignée de Nados à la mine patibulaire.
— Je connais ce terrien, dit Epos avec méfiance. Khemno, il fait quoi ici ?
— C'est un ami, répondit-il. Vous vous connaissez d'où ?
— Nous nous sommes croisés un beau jour dans les districts alors que j'aidais un terrien qui s'était perdu. La métropole est petite, pas vrai terrien ?
— Tu es l'homme avec le « requin de terre », l'ahuta, c'est ça ? En effet, la métropole est vraiment petite. Je voulais te parler en tête-à-tête Khemno, mais vu le nombre d'invités que t'as, je pense que je vais te laisser. Nous discuterons une prochaine fois.
— Pas encore Terrien, pas encore... (Une des brutes qui accompagnait Epos bloqua la sortie de son imposante carrure). Khemno, vous alliez parler de quoi ? Qu'y a-t-il de si important que tu peux partager à un terrien, mais pas à tes frères Nados ?
— Rien qui ne vous concerne les gars. Vous ne connaissez pas la notion de vie privée chez vous ? Laissez-moi passer maintenant, j'ai un appel à passer.
— Tu ne vas nulle part. Je n'aime pas les terriens, et encore moins ceux qui viennent fouiner dans nos affaires. Je t'ai déjà vu une fois trainer chez nous et je ne crois pas aux coïncidences. Je ne sais pas ce que tu cherches ici, mais on fera en sorte de le savoir très vite.
— Epos, je t'ai dit que c'était un ami, je le connais depuis longtemps ! plaida désespérément Khemno.
— Je n'ai pas confiance en tes amis. On t'a déjà dit de ne pas t'associer avec les terriens, qu'est-ce que tu ne comprends pas dans ce qu'on te dit ? s'énerva-t-il.
— Epos, je te dis qu'on est tous du même côté. Il essaye de nous aider !
— Non, il n'y a qu'un seul côté, nous et les autres. Tu le sais très bien Khemno. Tout ce qui est arrivé, c'est à cause de ces putains de terriens et celui-là, c'est le seul que je vois trainer chez nous. Je t'ai dit que je ne croyais pas aux coïncidences !
— Comment ça la faute des terriens, qu'est ce que vous voulez dire ? intervint l'inspecteur.
— H'mure... Que Karam l'emporte, répondit le Nados à la porte. Ce terrien est impliqué, tranche-lui la gorge Epos !
— Epos, ne l'écoute pas. On a bien assez de problèmes ainsi, la violence ne résoudra rien !
— On n'a pas le choix, je ne prendrais aucun risque.
Epos sortit une lame de sa ceinture et Alexis pâlit en le voyant s'approcher de lui. Il était désarmé et Khemno, s'interposant entre les deux, ne pourrait le retenir très longtemps.
— Pour l'amour de tous les dieux existants, allez-vous vous taire un jour ?
Epos s'interrompit, reconnaissant la voix de son amie d'enfance. Akhesa s'appuyait avec difficulté contre la porte de la chambre, ses cheveux collés sur son front moite et habillée d'un training terrien orange et noir qui appartenait sans aucun doute à son frère.
— Vous n'êtes pas sur un foutu champ de bataille, des gens essayent de dormir Karam. Epos, t'as cru que c'était un putain d'Hotzavite ? C'est dans les districts qu'on t'a appris à te battre dans les appartements ? Quant à toi le terrien, on est tous sur les nerfs pour le moment donc n'en voulez pas à Epos, un Nados a le sang chaud. Si vous voulez parler avec mon frère, revenez une prochaine fois.
Les Nados restés à la porte se regardèrent entre eux, incertains de la démarche à suivre.
— Quoi ? Vous avez une objection ? Vous avez quelque chose à rajouter ? continua Akhesa.
Ils se contentèrent de secouer la tête et libérèrent la sortie. Sans perdre une seconde de plus, Alexis en profita pour enfin quitter l'endroit après avoir donné un rapide coup d'œil à Khemno. Une fois débarrassés de la présence de ce terrien, ils refermèrent la porte et se permirent de souffler.
Aussitôt dans la rue, Alexis prit une grande bouffée d'air frais, son cœur battant à une vitesse incroyable. Rarement il avait eu une telle frayeur. Cet homme, Epos, il n'aurait quand même pas assassiné un terrien, il devait bluffer, il n'y avait aucune autre explication. Pourquoi une telle haine à son égard, pourquoi une telle haine contre les terriens tout court ? Y avait-il un lien avec le meurtre des terriens ? C'était peu probable. Selon ces témoignages, ce n'était que de la légitime défense. Mais cette haine ne pouvait provenir de nulle part. Une chose qui était sûre, c'est que l'incident de cette nuit n'était pas le premier et qu'en général, ça ne finissait pas en faveur des antéens. Il fut vite sorti de sa réflexion par les vibrations venant de sa poche et se souvint de l'appel qu'il avait reçu plus tôt. Il décrocha rapidement et constata que c'était bel et bien le commissaire qui l'appelait.
— Alexis, qu'est-ce que tu fous ? Ça fait trente minutes que j'essaye de te joindre !
— Et bien désolé de te l'apprendre, mais j'étais assez occupé, s'agaça-t-il.
— C'est ça, tu m'en diras tant... On veut te voir Alex, t'es appelé « en haut ». T'as intérêt à te magner le cul si tu ne veux pas de problèmes.
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