Chapitre 17 : Réunion de famille


Chapitre 17 : Réunion de famille

Aujourd'hui, Terra se sentait enfin prête pour la revoir. Depuis cette nuit au Hiago, elle n'arrivait pas à se sortir Kat de la tête. Rien que la mention de son nom lui faisait ressentir toutes les émotions imaginables passant d'une intense colère, à une tristesse sans fond et au final, la seule chose dont elle avait la certitude, c'est qu'elle lui manquait. Après tout, n'étaient-elles pas super-méga-pote ? Et toutes super-méga-potes n'ont-elles jamais eu de moment gênant ? Il était vrai que cette nuit-là, Kat n'avait pas l'air dans son assiette et se comportait de manière assez bizarre, n'était-ce pas là une excuse suffisante ? De toute façon, elle allait le savoir. Aujourd'hui était le jour tant attendu du concert de Bino en collaboration exclusive avec Will Lloyd, un évènement à ne pas manquer et y aller ne serait vraiment pas la même chose sans son amie et au fond d'elle, elle était certaine que Kat pensait la même chose. Avec le temps, Terra avait appris à se diriger entre la bordure et le quartier des Fujiwara sans trop de difficultés. Seulement vingt petites minutes de bus et dix à pied suffisaient pour la relier à son amie. Habillé de vêtements terriens (un short avec de bas noirs et un pull à capuche pour se protéger du vent naissant du changement de saison), la jeune antéenne fit route jusqu'aux quartiers résidentiels sud-ouest presque totalement mêlée à la foule, même si certaines personnes décelaient un certain exotisme dans son visage et ses traits. De là, ce n'était plus qu'un jeu d'enfant de rejoindre leur appartement. En marchant dans la rue, de violentes bourrasques de vent froid lui souffla au visage, contrastant avec la chaleur de la journée et elle pensa à son père, sa sœur et son neveu, à Etiam, à Thady et ses amis. Les festivals du changement de saison commenceront sans elle et pour la première fois de sa vie, elle n'y participera pas. Depuis combien de temps se trouvait-elle à la métropole. Un mois ? Deux peut-être ? De toute façon, elle ne s'en souciait plus trop, mais les vents naissants lui rappelèrent que le monde continuait à tourner, avec ou sans elle.

« —Raison de votre venue ? — »

— Visite chez les Fujiwara.

« —Veuillez patienter, en attente de confirmation— »

Terra n'avait jamais aimé ce concept terrien de porte parlante. Il y avait un je ne sais quoi de dégradent à s'adresser à des objets, fussent-ils doués de parole et elle se sentait particulièrement idiote à le faire. Après un petit grésillement, une voix se fit entendre à l'autre bout de l'émetteur de la porte et Terra reconnu immédiatement George Fujiwara.

— Monsieur Fujiwara, c'est moi, Terra Kandos, je viens voir Kat... Catherine.

La porte se débloqua et elle put entrer. Une fois à l'étage, le patrice de la famille Fujiwara l'attendait au seuil de son appartement, avec un sourire bienveillant.

— Quelle bonne surprise Terra, ça fait un bail qu'on ne t'a plus vu. J'ai cru que tu nous avais oubliés.

— Je suis désolée monsieur George, je serais bien revenue plus tôt, mais beaucoup de choses se sont passées depuis, rigola timidement la jeune fille. J'ai retrouvé mon frère et j'en ai profité pour passer du temps avec lui.

— Évidemment, Catherine me l'a dit, c'est tout à fait normal. Tu as faim ?

— Non, non, ça va, répondit rapidement Terra en pensant à la fade nourriture des terriens.

En entrant, elle fut accueillie par l'œuf robotique de compagnie de la famille qui glissa rapidement autour d'elle avant de repartir vaquer à ses occupations, si cette machine en avait. Une fois installée sur le fauteuil, George disparut avant de revenir avec deux verres.

— Vous êtes tout seul ? Kat n'est pas là ?

— Non, elle est à l'école... étonnamment. Ma femme travaille, comme mon fils. Y'a que moi qui reste.

— Et quand revient-elle ?

— Avec ma fille, on ne sait jamais, rigola-t-il. Tu peux l'attendre ici si tu veux.

Terra répondit avec un sourire reconnaissant avant de prendre une gorgée de son verre. À son grand étonnement, c'était du vin, plutôt fort, mais qui venait du Maniemas, peut-être du royaume Adros si elle devait deviner.

— J'ignorais que vous étiez amateur de vin de chez nous. Vous l'avez acheté dans le quartier antéen ?

— Tu as l'œil... la langue je veux dire. Il m'a coûté un bras, mais il vaut le coup, tout droit sorti de ma réserve secrète. Ne dis rien à ma femme par contre, dit-il en lui faisant un clin d'œil complice qui fut répondu par un par un petit ricanement de sa part.

Ils discutèrent longtemps, rigolant comme deux vieux amis. Pour un homme de l'âge de son père, il avait le rire facile et elle en vint presque à jalouser Kat d'en avoir un aussi sympathique et ouvert, rien à voir avec le sien. Néanmoins, elle évita particulièrement les discussions tournant trop vers la « relation » entre Kat et elle, une relation amicale bien évidemment. Les heures passèrent sans signe de son amie et après quelque temps, ce fut Gabriel et sa mère qui rentrèrent. Alors que le premier n'exprima qu'une maigre surprise, Naomie, elle, fit une grimace de dégout à la vue de son mari et la jeune antéenne qui se changea rapidement en sourire forcé.

— Terra, mais quelle bonne surprise, tu viens nous rendre visite ?

— En quelque sorte. Je viens avant tout voir Kat. Salut Gabi.

Ce dernier se contenta seulement de l'ignorer et partit directement s'enfermer dans sa chambre.

— Ah, je suis désolée ma chérie, mais Catherine n'est pas à la maison. Ça fait un petit temps qu'elle n'est plus là. Je suppose que mon mari ne te l'a pas dit...

— Je ne sais pas moi, elle peut revenir à tout moment, se défendit George.

— Elle n'était pas à l'école ?

— Et bien... c'est ce qu'elle m'a dit avant de partir en tout cas.

— Évidemment... souffla sa femme. Elle est chez un de ses amis. Frost, je pense.

— Robin ? Vous savez où il habite ? Vous avez son adresse ?

— Je vais t'indiquer ça. Il se trouve dans les quartiers résidentiels sud-est je pense.

— Ou tu pourrais rester encore un peu, intervint discrètement George.

— Terra est venu pour Catherine, répondit froidement Naomi. Arrête de lui faire perdre son temps.

— C'est une question de politesse, répondit aussi froidement son mari. Si tu veux qu'elle dégage, dis-le tout de suite.

— Quand est-ce que j'ai dit ça ? s'énerva-t-elle. Tu sais très bien ce que je veux dire, ne fait pas l'innocent avec moi !

— Mais t'es complètement paranoïaque ma vieille. Va prendre tes médocs et fous-nous la paix.

Voyant le changement d'ambiance qui commençait à se produire, Terra décida qu'il était peut-être temps de s'éclipser.

— Je pense que je vais y aller, dit-elle discrètement. Je peux avoir la route pour chez Robin ?

— Évidemment ma chérie, répondit Naomi avec une voix affectueuse, à l'opposé total de celle qu'elle prenait avec son mari. Je te prépare ça tout de suite.

— Je vous remercie madame.

Après avoir reçu ses indications, Terra s'empressa de quitter le domicile des Fujiwara, qui semblait soudainement moins agréable, avant que leur dispute ne reprenne et se dirigea vers le bus le plus proche menant au sud-est de la métropole.


Ansong ne détourna le regard, ne montrant pas le moindre signe de faiblesse à son adversaire, qui le regardait avec un mélange de surprise et d'agacement.

— Tu veux quoi l'ami ? T'as un problème ? cracha l'homme.

L'albinos ne répondit pas, se contentant simplement de le fixer comme un ahuta ayant trouvé sa proie, sa main caressant son couteau en os de rak'shi accroché à sa ceinture, un de ses plus vieux butins de guerre. Une main se posa doucement, mais fermement sur son épaule.

— Ignore-le Ansong, des regards comme ça, tu en croiseras des milliers ici. Tu ne vas quand même pas sauter à la gorge de chaque type qui te dévisage ?

— Un sauvage, purement et simplement, souffla Etiam.

— Ce sont eux garante, ils me regardent comme si j'étais une bête de foire, j'en peux plus. Il y a des mouches d'acier qui volent dans le ciel, des navires qui naviguent entre les étoiles et eux, ils ne regardent que moi !

— Tu es une bête de foire, va falloir t'y faire. Je n'avais jamais vu de garçons à la peau de lait non plus avant toi et crois moi, c'est dur de ne pas te regarder.

— Moi par exemple, j'ai cru qu'on t'avait plongé dans un pot de peinture blanche la première fois que je t'ai vu, se moqua le jeune fusilier.

— Alors que me reste-t-il à faire ?

— Enveloppe-toi dans des draps, que sais-je ? Et arrête de te plaindre, ce n'est pas comme si tu étais né sans jambes et sans bras aussi. Tu as juste une peau bizarre, c'est tout.

Ansong souffla de résignation aux mots de sa garante et détourna son regard de l'homme, humilié une nouvelle fois. Il détestait cet endroit ; Ici, il était faible, tout ce qu'il avait accompli ne comptait plus. Chez les nomades, il lui aurait directement défié en duel, mais à la métropole, c'était à celui qui aboyait le plus fort, au plus grand parleur, une chose qu'il détestait particulièrement ou plutôt, un concept totalement incompréhensible à ses yeux. Rien n'était vrai, aucune parole n'avait de valeur, c'était ainsi que la société marchait chez les citadins, une société hypocrite et fallacieuse. Était-ce ainsi aussi à Nadu ? Non, il suffisait de voir sa garante. De plus, elle lui avait raconté comment elle avait pourfendu les trois frères qui avaient abusé de sa sœur. Chez eux, tous maux méritaient réparation. Peut-être qu'une fois qu'ils auront retrouvé la petite Terra et retourné à Nadu, il pourra enfin provoquer en duel ce prétentieux d'Etiam qui lui avait tant manqué de respect. Non, c'était son professeur et un ami de la famille de sa garante, il n'aura pas d'autres choix que de le supporter, que ça lui plaise ou non. Ansong décida finalement de recentrer son attention sur les bâtiments qui les entouraient. Comment était-ce possible de vivre ainsi, aussi à l'étroit ? Il n'y avait pas le moindre espace pour respirer, les rues étaient bondées de personnes et d'animaux et l'odeur qui en émanaient était infecte. La seule chose qu'il appréciait était le festival de couleurs qu'offraient les districts aux yeux, autant dans les vêtements de ses habitants que dans la couleur des habitations, des voiles et cordes à linge qui pendaient entre eux, et les amphores multicolores vendues aux étales qui donnait une certaine vie à l'endroit, le contraire total de son Iturie natale aux couleurs mornes et ternes. On y aurait presque pu voir une ambiance festive si on ne comprenait mot de ce qui se disait dans les rues, qui était composées essentiellement d'insultes de marchands envers leurs concurrents et de disputes entre voisins. Et évidemment, dès qu'il passait, tous les regards se tournèrent sur lui et ce fut de plus en plus compliqué de les ignorer. Il entendait d'ici les messes basses des matrones, les rires moqueurs des enfants et même les enseignements du vénérable Shan-ri n'arrivait pas à le calmer. Il se sentait vulnérable, son cœur battait la chamade, son souffle était court et il sentit des larmes lui monter aux yeux, même s'il fit tout son possible pour les contenir. Sa main glissa rapidement sur son couteau, comme si celui-ci pouvait le protéger de tous ces regards et sa seule envie était d'exploser, de laisser libre cours à sa rage, leur montrer à tous que ce n'était pas un faible, qu'il ne se laisserait plus faire face à eux. La voix de sa garante le calma immédiatement.

— Enfin le voilà. Vous voyez le misérable vieillard à la barbe là-bas, contre le mur ? C'est lui qu'on cherche.

— Lui ? Cet... ivrogne ? s'étonna Etiam. Et il a quoi de spécial à part le fait de cuver son vin au milieu de la rue ?

— Et bien lui, le cuveur de vin, est un vieil oncle Nados et si un des nôtres est arrivé à la métropole, lui plus que quiconque sera capable de nous indiquer où il se trouve.

Le vieillard avait l'air profondément endormi et plusieurs taches mauves parsemaient sa barbe grise, indiquant sûrement un vin Aolien bon marché et beaucoup trop jeune. D'un coup de pied dans les côtes, Akhesa le réveilla en sursaut, balbutiant quelques menaces dans le vent avant de remarquer son interlocutrice.

— Ça fait un bail vieil homme, dit-elle simplement.

— T'es qui fillette ? T'sais qu'tu risques des problèmes en jouant ainsi, grogna-t-il. Je...

Il s'interrompit pendant quelques secondes, dévisageant la femme qui se trouvait devant lui, et son visage passa de la rage à la surprise.

— Karam ! Qu'Orta me foudroie à l'instant, Akhesa la hyène serait de retour ?

— Non, seulement Akhesa l'inconnue. Le cynique, voici mes compagnons ; Etiam le fusilier et Ansong le scribe. Etiam et Ansong, voici le cynique ; un moins que rien qui est venu à la métropole pour rester un moins que rien. Un véritable exploit, croyez-moi.

—T'es toujours une vraie salope, dis-moi, grigna le vieillard. Sinon, je suppose que t'as pas fait tout ce chemin juste pour visiter le vieil oncle Ismiraï ?

— En effet, je suis à la recherche de quelqu'un et je sais que tu pourras m'aider à la retrouver.

— Bah, tu me surestimes ma chère. Ce n'est pas parce que je dors dans la rue que je connais la rue.

— Je cherche une jeune fille prénommée Terra Kandos, continua Akhesa en ignorant sa remarque, ma sœur. Une petite Nados qui se prend pour une terrienne. Elle doit sûrement avoir rejoint mon frère Khemno.

— Que c'est drôle, ricana Ismiraï, dévoilant une série de dents manquantes. Elle était justement-là il y a trois semaines à me poser de mêmes questions.

— Que c'est drôle, en effet. Et donc ? Où est-elle ?

— À ton avis ? Tu l'as dit toi-même.

— Chez mon frère... souffla Akhesa. Évidemment... Rafraichis-moi la mémoire, il vit toujours dans le quartier Antéen ?

— Toujours, et pas la moindre envie de nous rejoindre.

— Je te remercie vieil homme, que Hiago te bénisse qu'avec du bon vin.

— Dernière chose petite, lâcha Ismiraï alors qu'elle s'apprêtait à s'en aller. Tes compagnons, je suis sûr qu'ils seront heureux de te voir, et en bonne santé en plus.

— Je n'en doute pas une seconde, mais je ne suis que de passage. Je ne compte pas m'attarder ici donc mieux ne vaut-il pas qu'ils se réjouissent de ma présence.

— Compréhensible... Que les dieux te gardent, la hyène.


Cela faisait des heures qu'il était coincé à la même ligne, sur un dossier sur lequel il travaillait depuis une semaine. Une histoire de droit de passage de convois humanitaire ayant comme mission d'apprendre à lire et à écrire aux masses et instruire le Maniemas à l'histoire humaine commune. Une entreprise honnête, mais vouée d'avance à l'échec. Il n'y avait aucun intérêt à savoir lire si on n'en avait besoin, ce qui était le cas de la majorité des analphabètes de chez eux. Ce n'était ni l'écriture, ni la lecture qui allait aider à cultiver son champ et si ce n'était pas des outils agricoles terriens, ça n'intéresserait nullement le peuple. Et que dire de l'apprentissage de l'histoire humaine commune ? Jamais un Nados n'écouterait leur histoire de la bouche d'un étranger et jamais le conseil ne l'accepterait. Ce serait remettre en cause tout ce qui faisait de Nadu ce qu'elle était, ce serait remettre en question les dieux en personnes. Là où un terrien ne verrait qu'Antée Epsilon, leur vieille colonie perdue dans les étoiles, un Nados lui verrait Kallu, la terre de leurs ancêtres, la terre qui les a créés. Là où le terrien ne verrait que l'étoile du système planétaire d'Antée, une boule de gaz parmi des milliards d'autres, eux voyaient Ranun, leur soleil, le mari de la plus grande des lunes. Là où ils ne voyaient que des satellites, lui voyait ses dieux. Les terriens voyaient le monde à leur manière, eux de la leur, et Khemno espéra qu'avec sa lettre, ils comprennent cela, si pour autant il arrivait à la terminer. Avec frustration, il gratta son calame à la pointe encrée sur ses feuilles de brouillon dans l'espoir que l'inspiration lui vienne, en vain. D'ailleurs, pourquoi devait-il écrire tout cela sur du papier de roseau hors de prix alors qu'au final, son dossier serait scanné et envoyé numériquement. Toutes ces pensées trottinaient dans sa tête et un martèlement à sa porte le ramena violemment à la réalité. Terra devait sans doute encore avoir oublié les clés de rechange qu'il lui avait prêté. Khemno s'étira un bon coup sur sa chaise avant d'aller ouvrir. Néanmoins, il se paralysa en voyant qui se trouvait à la porte. C'était bien sa sœur, mais pas celle à laquelle il s'attendait.

— Salutation petit frère, ça fait un bail, n'est-ce pas ?

Les mots n'arrivaient pas à quitter sa bouche. Akhesa avait l'air encore plus redoutable que la dernière fois qu'il l'avait vu, en particulier avec ses vêtements nomades qui dévoilaient ses avant-bras scarifiés et tatoués. Par-dessus sa tunique brun foncé se trouvait une sorte de veste de cuir paré de laine qui ressemblait plus à une armure qu'autre chose sur lequel reposait plusieurs talismans autant d'origines nomades que Nados. À son grand soulagement, il ne voyait plus ce collier de dents qui le dégoutait tant quand il était plus jeune. Son visage par contre n'avait pas changé. Évidemment, les effets du froid, de la guerre et du mode de vie nomade se voyaient, lui donnant un air rude et sauvage, mais ses traits nobles et sévères étaient restés et son regard, son fameux regard carnassier, indéchiffrable, était toujours là. Ses yeux verts étaient plongés dans les siens, pouvant tout et rien dire, ne laissant transparaitre aucune émotion, aucune lueur, rien ne pouvant lui indiquer ce qu'elle sentait ou ce qu'elle pensait. Derrière elle, un autre visage familier. L'ami de sa petite sœur, le jeune fusilier Etiam, avait gardé ses habits Nados de haute couture à la mode chez les familles aisées de chez eux et lui fit un petit salut poli en le voyant. La troisième personne par contre, était assez particulière. Un jeune garçon à la peau blanche comme du lait, aux yeux aux pupilles décolorés et aux rares cheveux visibles sur son crâne rasé de la même couleur. Il était habillé de manière à peu près similaire à sa sœur, laissant supposer des origines nomades, et dès qu'il essayât de le regarder dans les yeux pour mieux le cerner, ce dernier détourna le regard aussi rapidement que possible.

— Oui, c'est un albinos mon petit frère. Il s'appelle Ansong et c'est mon scribe. L'autre c'est...

— Etiam Dheji, le fils de dame Amata la luthière, oui je le connais.

— Salutation Khemno, que les dieux vous gardent, dit poliment le jeune garçon auquel il répondit de la même manière.

— Sinon, est-ce des manières de laisser ta grande sœur au seuil de ta porte ? Qu'en penserait notre mère ?

— Ah... je... oui, désolé, j'avais l'esprit ailleurs. Entre Akhesa, et vous aussi Etiam et Ansong, vous êtes la bienvenue chez moi.

—C'est à force de rester chez les terriens... Tu en oublies comment te comporter comme un Nados, commenta-t-elle.

— Ça va, ne commence pas... grommela son frère. Et en quoi ai-je l'honneur de ta visite grande sœur ? Je t'ai manqué ?

— Oui, oui, tu m'as manqué...

En rentrant, Akhesa fouilla du regard son appartement, ne faisant aucun effort pour cacher son indiscrétion.

— Où est ton autel ? Je ne le vois pas.

— Pourquoi tu as besoin d'un autel ?

— Pour prier, quoi d'autre ? Cela fait des semaines que je suis sur les routes et je n'ai pas eu l'occasion de prier convenablement.

— Dans ma chambre, la petite salle de gauche.

Elle lui fit un petit signe de remerciement avant de s'en aller trouver l'autel, laissant son frère avec ses deux compagnons. Un silence gênant planait entre les trois garçons et Khemno fit de son mieux pour le briser en les invitant à s'asseoir au salon.

— C'est... c'est un grand honneur de vous rencontrer Khemno aux yeux de jade, balbutia l'albinos. Je suis Ansong le scribe, heu je veux dire, future scribe, car je ne sais pas écrire, ni lire, mais j'apprends. Garante votre sœur m'enverra à Nadu m'instruire. Pourquoi-moi vous diriez-vous ? Et bien c'est une bonne question car à part me battre, je ne sais pas faire grand-chose. Certes je connais les enseignements de Shan-ri l'élevé par cœur ; d'ailleurs vous ne le voyez pas, mais je les ai tatoués partout sur mon corps. Mais à part ça, je ne suis pas le plus cultivé, ni le plus malin, plutôt un fardeau pour les autres à vrai dire. Si vous saviez le nombre de fois que mon père avait essayé de me noyer quand j'étais enfant, j'en ai carrément appris à nager pour vous dire... Enfin bref, il semblerait que dame votre sœur ait trouvé une autre utilité pour moi, à part la noyade et la guerre. Et en parlant de guerre, êtes-vous aussi bon combattant que votre sœur, votre père et votre grand-père ? Garante m'a parlé des terribles batailles qu'ils ont vécues, entre autres de la boucherie de la crête de Djura. Encaisser une charge de cavalerie de face, quelle glorieuse manière de partir. J'aurais aimé avoir un grand-père pareil, mais je viens d'une famille de bergers, pas de guerriers, les seuls combats que nous ayons eus étant contre nos moutons, bien que je pense que certains de mes oncles avaient été recrutés dans les campagnes d'« Ituriatos » ...

Khemno écoutait sans mot dire le monologue de l'albinos qui avait l'air plus nerveux qu'un Nados dans une taverne Hotzavite et même Epos avait l'air surpris par son flot de paroles. À chaque nouvelle phrase, il accélérait la cadence au point que le comprendre, qui était déjà compliqué au départ, devenait presque impossible.

— ... Et vous devinerez sans doute pourquoi j'ai jeuné pendant cinq jours d'affilé après cela. Soyons honnêtes, je pense que nous aurions tous fait la même chose. D'ailleurs en parlant de cela, je... Oh garante, vous avez fini !

— Je vois que vous avez fait connaissance, remarqua Akhesa.

— En effet... Sinon Akhesa, quelle est la raison de ta venue à part me visiter ?

— Tu penses que je suis venue seulement pour te voir ? Je viens aussi voir ma petite sœur adorée, mais je ne la vois pas. J'étais pourtant certaine qu'elle était ici avec toi.

— Comment le sais-tu ? Elle est partie voir une amie. Elle reviendra demain, ou après-demain, je l'ignore.

— Très bien, très bien, sourit Akhesa en prenant un fruit qui trainait sur la table, le croquant à pleines dents. Et elle se trouve où son amie ? Dans les districts ?

— Au centre-ville, pourquoi veux-tu savoir ?

— Je ne vais pas tourner autour de pot. Terra n'a pas sa place à la métropole. Je viens la récupérer et la ramener à Nadu, et le fait que tu ne l'aies pas ramenée toi-même est une honte, mais pas surprenant. Tu as toujours été doux, comme un terrien, je ne t'en veux pas pour ça.

— Akhesa... C'était son rêve de venir ici, tu ne peux pas lui enlever ça.

— La place d'une jeune femme digne de ce nom est à Nadu, pas ici. Dis-moi où elle est, dit sa sœur calmement, mais avec une telle fermeté dans la voix qu'il dut se plier à sa demande.

— Je ne connais pas l'adresse de ses amis, soupira Khemno, mais je sais un endroit qu'elle fréquente souvent. Une boite de nuit terrienne appelée « Hiago ». Elle y va souvent faire la fête.

— Le « Hiago » ... que les dieux me gardent, ils ne respectent donc rien. Et Terra va faire la fête là-bas ? Il était grand temps que j'arrive...

— T'exagères encore... C'est juste une adolescente qui cherche à s'amuser.

— Elle s'amusera autrement à Nadu. Dis-moi où trouver cet endroit et je la ramènerai en quelques heures. Quant à vous deux, profitez-en pour avancer dans les cours. Vous avez de la chance, mon frère pourra vous aider. C'est l'érudit de la famille après tout.

— Non, je viens avec toi.

— Tu ne me fais pas confiance ?

— Si, et c'est pour cette raison que je t'accompagne. Je veux m'assurer que tu ne sois pas trop brusque avec elle.

—Très bien petit frère, c'est toi qui connais le chemin. (Elle se tourna vers les deux autres) Évitez de vous entre-tuer durant notre absence et si vous le faites, faites-le dehors. N'allez pas salir l'appartement de mon frère.


Kyle était aussi excité que nerveux. Aujourd'hui sera enfin le jour où il aurait ce qu'il voulait. La petite antéenne avait été perdue de vue pendant quelque temps et on l'avait cru perdue dans les districts, mais voilà qu'elle était réapparue au centre-ville. De plus, ses amis ont été aperçus au Hiago, ce qui voulait dire qu'il y avait de fortes chances qu'elle les rejoigne à un moment ou un autre. Si les potes « Recycleurs » d'Ed voulaient faire leur coup, c'était cette nuit ou jamais. Mais si ça tournait mal, les problèmes qu'il aurait... Qu'en penseraient ses parents et ses amis ? Non, il n'avait rien à voir avec tout cela, ce n'était pas un crime. On lui offrait des services et ignorait que leur entreprise était illégale. Tout ce qu'il voulait, c'était d'assouvir ses fantasmes au moins une fois dans sa vie, ce n'était pas comme si c'était une chose de mal. Surtout avec une fille innocente comme cette petite Terra. Rien que d'y penser l'excita encore plus.


Après s'être perdue trois fois et avoir fait une demi-douzaine d'aller-retour, Terra trouva enfin l'appartement des Frost qui se trouvait finalement pas si loin de chez les Fujiwara. Le soleil se couchait déjà à l'horizon et à l'ouest, les premières étoiles pointaient leur nez. Il commençait à faire assez froid et elle se surprit à grelotter sous son pull, ce qui n'était vraisemblablement pas le cas pour les autres terriens de la rue dont la température n'avait pas l'air de déranger, plutôt même le contraire. Elle appela les Frost avec l'émetteur, mais ne reçut aucune réponse. Elle recommença une fois, puis deux, puis dix fois, mais toujours rien. À la treizième tentative, une voix rauque et désagréable lui répondit de la manière la plus hostile possible, ce qui la prit au dépourvu pendant quelques secondes.

— B...bonsoir, je suis venu voir Robin Frost et Catherine Fujiwara. On m'a dit qu'ils étaient ici ?

— Qu'est-ce que tu leur veux ? cracha la voix de l'émetteur.

— Je... je suis une amie, je voulais leur rendre visite et passer du temps avec eux.

— Ils sont pas là...

— Où sont-ils partis si je peux demander ?

— Je n'en sais foutrement rien, à un concert ou un truc du style.

— À un concert ? Évidemment ! Merci beaucoup, se réjouit Terra en repartant sur ses pas.

Évidemment, Kat n'aurait manqué cet évènement pour rien au monde. Elle raterait sans aucun doute le début, mais ça n'importait peu ; au moins son amie serait là. Elle accéléra l'allure en se frottant les bras de froid et le sourire aux lèvres. Terra avait un bon pressentiment pour cette nuit, elle le sentait, tout allait s'arranger entre elles deux et tout redeviendra comme avant.

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