Chapitre 15 : Confusion
— Bon, tu te décides gars ? On ne va pas y passer toute la nuit.
— Mais ferme-la, je n'arrive pas à me décider. Tu sais quoi, vas-y toi ! J'arrive pas à me concentrer avec cette putain de musique.
— T'es juste complètement défoncé, oui.
—Et c'est toi qui dit ça ? Regarde ta tête.
Son ami lui répondit avec une sorte de glapissement aigu ressemblant vaguement à un rire. Kyle lui lança la tablette et s'effondra de tout son poids sur le sofa avant de prendre une nouvelle bouchée d'Ascension. Il n'arrivait pas à se sortir la jeune indigène de la tête. Ce n'était pas un mannequin, elle était loin d'être parfaite, mais ses gros yeux innocents couleurs noisette, ses tâches de rousseurs sur son petit nez, ses cheveux en bataille... Elle avait quelque chose d'innocent, de candide, qui l'excitait au plus haut point. Elle devait sûrement être vierge en plus. Comment s'appelait-elle encore ? C'était un nom bien ringard, où un surnom peut-être. Quelque chose avec la Terre, la terrienne... Terra, voilà... Terra la terrienne.
— Je vous prie de vous dépêcher, la guêpe a beaucoup d'autres clients, leur fit poliment remarquer l'androïde qui attendait à la porte.
Un géant d'acier de plus de deux mètres, le corps caché dans une longue robe indigène beige de haute couture vu les motifs complexe qui l'ornait, laissant juste apercevoir sa tête métallique sous son capuchon dont les deux yeux brillaient d'une intense lueur jaunâtre. La petite fente lui servant de bouche laissait à présumer qu'on lui avait enlevé toute partie superflue, le réduisant à sa forme la plus simple. Comme quoi l'esthétique de son androïde ne préoccupait que peu la guêpe, ou tout simplement l'avait-elle récupéré dans une décharge et n'avait pas les moyens de l'embellir. Il devait avouer que voir ainsi cette machine le visage à nu le rendait un peu mal à l'aise.
— Hé, ça va, 'nous stresse pas, grogna Kyle. Ed, t'as fini ?
— Ouais, ouais, attrape, répondit-il en lui relançant la tablette.
Il défila la liste des filles qu'on lui proposait et devait bien admettre qu'elles n'étaient pas mal. La guêpe avait vraiment les meilleures prostitués de la métropole et sa réputation n'était pas usurpé. Mais bon, on ne lui montrait que des images, restait à voir ce qu'elles valaient en chair. De toute manière, vu les prix exorbitants, il ne s'inquiétait pas trop à ce sujet. Deux captèrent son attention ; Une beauté aux cheveux noir comme la nuit et aux yeux perçant de la même couleur et une autre aux formes un peu plus généreuses aux longs cheveux bouclés avec des yeux brun foncé. Pas comparables à la jeune indigène du « Hiago », mais sûrement assez pour ne plus y penser pendant quelques heures.
— Excellent messieurs, votre commande arrivera le plus vite possible. Traitez-les avec soins je vous prie. La guêpe vous remercie de la confiance dont vous lui accordez et...
— Ça va, ça va, épargne-nous tes discours, fais vite.
L'androïde s'inclina rapidement avant de quitter le luxueux appartement. Kyle souffla, reprit de nouvelles bouchées de l'inhalateur et laissa son esprit vagabonder. Non... il la voulait. Quel qu'en soit le prix, il la voulait.
— Ed ?
Son ami ne répondit pas, les yeux complètements perdus dans le vide.
— ED ? insista-t-il un peu plus fort.
Toujours aucune réponse.
— EDWARD, RÉPONDS !
Il se réveilla de sa transe en sursaut.
— Merde, c'est quoi ton problème, tu m'as fait hyper peur ! Tu veux quoi ?
— Y'a une fille, une antéenne, je la veux absolument.
— T'es sérieux ? On vient d'en commander !
— Non, ce n'est pas une pute, c'est une vraie fille. Tu te rappelles la dernière fois en boite, la petite qui était avec nous ? Je n'arrête pas de penser à elle. Je la veux. Y'a moyen que tu m'arranges ça ? Je suis prêt à y mettre le prix.
— Celle-là ? Ouais, j'me rappelle d'elle, plutôt mignonne, elle risque de t'coûter cher par contre.
— Je m'en fous, je t'ai dit que ce n'était pas un problème l'argent. Vous pouvez me la trouver oui ou non ?
— Ça dépends, il nous faut des noms, des infos et tout.
— Terra. Son nom est Terra de... Nadu, ouais, c'est ça. Elle ne doit pas être difficile à trouver, y'a pas des milliers d'indigènes au centre-ville quand même... et en boite de nuit.
— Je vois c'que tu veux dire. Ça pourrait prendre des semaines, peut-être des mois, ça dépend de beaucoup de choses, de beaucoup d'facteurs quoi, mais tant que tu mets le prix, tu l'auras.
— Génial, t'es vraiment un pote Ed ! se réjoui Kyle.
— Bah tu sais, tant qu'on peut faire plaisir.
— Ah oui, une dernière chose. Elle est sûrement encore vierge donc si vous pouviez éviter de l'abîmer, ce serait sympa.
— T'es sûr ? On peut la rendre bien obéissante si tu nous laisses le temps de la dresser.
— Non, je la veux comme quand je l'ai vu la première fois. Voir encore ses grands yeux innocents quand je la baiserai pour sa première fois. Y'a pas d'intérêt sinon.
— On pourra te la laisser comme ça pour une nuit seulement mais après on devra la reprendre et la domestiquer, c'est une question de sécurité. S'il elle s'échappe, tu ne t'imagines même pas le bordel que ça risque de causer.
— Je vois, dommage. Mais bon, je profiterai de la nuit comme jamais alors.
— Voilà, ça c'est l'esprit à avoir mon pote, sourit Edward en prenant à son tour une grosse bouchée d'Ascension.
Akhesa respirait lentement, inspirant de grandes bouffées et expirant sans un bruit, essayant de garder un rythme constant avec ses battements de cœur. Cela faisait une demi-heure qu'elle était assise en tailleur dans l'herbe jaunâtre sous un arbre dont les feuilles formaient une coupole au-dessus de sa tête, la gardant à l'ombre, les yeux fermés en face d'Ansong qui lui était à genoux, faisant de même qu'elle. Le soleil se levait à l'est, colorant le ciel d'une violente nuance d'orange virant au rose et deux des lunes étaient encore visible dans le ciel. La brise matinale caressa son visage et souffla ses cheveux en arrière. Mis à part le chant des nuées de colibris multicolores virevoltant au-dessus d'eux et le son du vent dans les plaines faisant danser l'herbe sur des kilomètres, il n'y avait pas un bruit pour déranger la paisible harmonie de l'endroit. Un peu plus loin se trouvaient Lucas et Etiam qui regardaient la scène sans un mot.
— Ce rituel païen ne me plait pas maître Lucas, il essaye de la convertir, ça ne fait aucun doute. Comment les dieux sont censés les entendre s'ils ne parlent pas en plus ? Que Myra ait pitié d'eux.
— On s'en fiche de ça, pourquoi ils mettent une heure à chaque fois, c'est ça la vraie question. Biscuits ?
— Volontiers ami terrien ! Ce sont les sucrés ?
— Non, il n'y en a plus. Seulement ceux sans goût.
— Ah mince, soupira Etiam visiblement déçu. Je vais m'en contenter.
Pendant qu'ils finirent leur maigre collation, Akhesa rouvrit les yeux.
— Ansong, je pense que j'ai encore raté.
L'albinos ouvrit les yeux à son tour et expira aussi lentement que calmement.
— Ne vous inquiétez pas garante, personne n'y est arrivé du premier coup. Ce n'est atteignable que par la répétition et une discipline de soi rigoureuse. Shan-Ri n'a ouvert son troisième œil qu'après vingt longues années de méditation seul sur une montagne. C'est inscrit sur mon omoplate gauche si vous voulez vérifier.
— Je n'ai pas vingt années devant moi, n'y a-t-il pas moyen d'ouvrir mon troisième œil plus rapidement ? Comme une astuce par exemple ?
— On peut apprendre de quelqu'un qui sait déjà comment faire.
— Oui mais concrètement, ça va me prendre combien de temps ?
— Justement, ce n'est pas l'esprit à avoir garante. Comment voulez-vous faire le vide dans votre esprit et élever votre conscience au prochain plan existentiel en vous posant de telles questions ? Ne pensez pas « quand », ni « comment », ne pensez tout simplement pas.
— C'est compliqué ton histoire, je n'ai pas le temps de faire divaguer mon esprit justement.
— Alors comment espérez-vous vous détacher de celui-ci ?
Akhesa ne répondit pas et regarda son protégé complètement détendu se lever et commencer à s'étirer. Elle fit de même, appréciant les doux rayons de soleil de sa région natale. Enfin elle avait un peu de chaleur et comptait l'apprécier autant que possible.
— Demain on reprend l'entrainement, dit-elle en rejoignant la camionnette. Sois patient avec moi Ansong, je n'ai pas l'habitude de ce genre d'exercice. Il me faudra du temps.
— Évidemment garante, comme moi avec les lettres. Vous apprendrez et je ferais sûr d'ouvrir votre troisième œil.
Lucas lui proposa un de ses biscuit sec qu'Akhesa prit et mangea. Ce n'était pas grand-chose mais étrangement, ça parvenait à la rassasier pendant quelques heures, ou en tout cas donnait cette impression. De toute manière, elle avait l'habitude d'avoir l'estomac vide plusieurs jours de suite et avoir de quoi se remplir la panse lui suffisait amplement, même si ce n'était que des biscuits au goût aussi insipides que la personnalité de Lucas. Ayant atteint le Haut-Maniemas, il leur faudrait peut-être une ou deux journées de route pour atteindre la métropole et une pour rejoindre Nadu, dans le cas où ils trouveraient une route. À cheval par contre, une semaine, et il leur faudrait encore en trouver. Selon ses estimations, ils devaient se trouver non loin de Youtab, une cité fluviale traversée par la « grande sœur », un des bras de la « longue couleuvre », un fleuve traversant l'ouest de la région passant par les terres Nados et disparaissant dans les montagnes Phiris. Elle aurait bien gardé la camionnette et envoyé le terrien rejoindre Nadu en bateau mais ne sachant comment conduire, ça aurait été du gaspillage de laisser le véhicule au milieu de nulle-part. Ils se sépareront donc à Youtab, Lucas et Etiam repartiront à Nadu prévenir son père et eux, après avoir trouvé une monture, rejoindront la métropole. Elle préférait encore avoir quelqu'un de confiance à ses côtés et de toute manière, ce lui serait utile pour son instruction.
— Alors Akhesa, c'est quoi le plan ? demanda le terrien.
— On rejoint la grande sœur. Moi et Ansong, on achète des chevaux pour la métropole et vous deux, vous retournez à Nadu et confiez mes affaires à mon père et ma sœur. Et n'oubliez pas de lui dire que je ramènerai Terra avant même qu'il puisse dire son nom.
— Attendez, intervint Etiam. Je veux venir avec vous. Je ne vais pas rester en retrait alors que Terra est en danger !
— Mais qu'est-ce que tu racontes encore toi ? souffla Akhesa exaspérée. Personne n'est en danger. Moi à la limite, Ansong je dis pas, mais sûrement pas ma sœur. Elle a juste fait une saloperie de fugue, y'a rien d'extraordinaire.
— Mais elle est à la métropole, insista-t-il. Toute seule.
— Sûrement chez mon frère ou dans le quartier Nados. Dans les deux cas, elle est en sécurité et a juste besoin de quelqu'un pour la ramener à la maison par la peau du cou et ce n'est certainement pas mon frère qui fera cela... En fait non, tu peux venir, je sais quoi faire de toi finalement.
— Quoi donc ?
— Mon petit Ansong doit apprendre à lire et écrire. Tu lui enseigneras.
— Sérieusement ? Peau-de-lait est analphabète et vous voulez que je lui serve de professeur ? Il a l'air complètement sot en plus ! Voyez, il s'est même tatoué sur le corps des phrases qu'il ne sait même pas lire !
— Je n'ai pas besoin de savoir les lire, je sais ce qu'elles signifient et c'est ça qui compte, répondit calmement Ansong.
— Je t'ai dit de le respecter Etiam, ne m'oblige pas à me répéter. Soit tu l'enseignes, soit tu t'en vas, c'est aussi simple que ça.
— Ça va, très bien, je le ferais, se résolut le jeune fusilier en rouspétant.
— Et pas un mot sur sa peau sinon on t'abandonne en route.
— Très bien, très bien, j'ai compris, c'est bon. Et pourquoi vous voulez l'instruire en plus ?
— Et pourquoi veux-tu savoir ? Ce sont mes affaires. Si ça te concernait, je te l'aurais dit, cracha-t-elle. (Elle se tourna vers Lucas) Direction ouest-sud-ouest le terrien, jusque quand nos yeux verront le fleuve se dessiner à l'horizon. De là, ce ne serait qu'un jeu d'enfant pour rejoindre Youtab.
« Réveille-toi mon amour »
Encore le même rêve. Sa langue était pâteuse. Ses deux paupières semblaient collées entre elles et son dos était en bouilli. Et sa nausée... Un mouvement trop brusque et elle risquerait de rejeter tout le contenu de sa soirée de hier. L'intense lumière des néons lui brûlait les yeux même derrière ses paupières et avec un grognement, se força à les ouvrir, découvrant une salle assez familière. Sur une table en face se trouvait assis un grand échalas trop incongru pour le confondre avec qui que ce soit, une femme aux cheveux court savourant une boisson chaude à l'odeur amer et un homme aux cheveux de femme.
— Bon, écoute petite. Faut vraiment que tu comprennes que ce n'est pas un hôtel ici, lâcha Bino.
Évidemment... les coulisses, pensa Terra. Le même fauteuil que la dernière fois. Elle essaya de se lever mais un poids le lui en empêchait, un poids sur son épaule gauche. Quand elle vit la tête de Kat se reposer sur elle, la jeune antéenne se figea d'effroi. Ce n'était donc pas un rêve, c'était bel et bien arrivé. Mais qu'est ce qui lui était bien passé par la tête ? Ça devait être l'alcool, ça ne faisait aucun doute, il n'y avait pas d'autres explications. Elle n'était pas débauchée, pas au point d'embrasser une autre femme comme une vulgaire putain Damsumite. En essayant de se débarrasser de la tête de son amie, celle-ci se réveilla en baillant sous les yeux horrifiés et cernés de Terra.
— Sacré soirée hier soir, pas vraie chérie ? lâcha Kat en l'enlaçant, se reposant plus confortablement contre elle.
« Chérie » ... Elle l'avait appelé « chérie » ... C'en était trop. Terra se leva brusquement, s'arrachant de son étreinte perverse, mais sa nausée la rattrapa et aussitôt debout, elle retomba à quatre pattes et vomi toutes les éclipse rose de la vieille sur le tapis des coulisses.
— Ça va Terra ? Qu'est ce qui te prends ?
— Qu'est ce qui me prends ? QU'EST-CE QUI ME PRENDS ? MAIS TOI QU'ES CE QUI TE PRENDS ? C'ÉTAIT QUOI ÇA HIER ?
— Un baiser.
Terra voulut répondre mais fut coupée par une nouvelle vague de nausée qui lui remonta l'œsophage et revomit la même bile rosâtre que la première fois.
— Wow... Ça c'est pas très sympa, commenta Bino qui observait la scène comme on contemplait une pièce de théâtre. (Il se tourna vers l'androïde qui se tenait dans un coin de la salle) Jimmy, tu peux me nettoyer tout ça ? Et me chercher un café s'il te plait.
L'androïde acquiesça et marcha mollement hors de la salle pour trouver un chiffon.
— C'est moi qui te fais cet effet-là ? demanda doucement Kat.
— Non... Je veux dire OUI ! Qu'est ce qui t'as pris par tous les dieux ! Pourquoi tu m'as... m'as... Tu sais très bien !
— Parce que tu me plais, c'est tout. Je ne te plais pas moi ?
— Oui... Non... Enfin oui, comme une amie. Mais toi, tu... tu... tu as profité de moi, pour faire tes trucs pervers de terrien !
— J'ai rien fait de pervers, je t'ai juste embrassé.
— Je t'ai dit de réfléchir avant d'agir, expliqua une petite voix cachée derrière le canapé. N'oublie pas qu'elle n'est pas terrienne, tu ne peux pas faire des trucs comme ça.
Terra se retourna et vit Robin qui fit aussitôt mine de ne rien n'avoir dit. Bien qu'elle fût pâle dut à la nausée, elle se sentait rouge de rage. Avec beaucoup de difficultés, les jambes tremblotantes, elle se leva et se dirigea vers la sortie.
— Tu vas où Terra ?
— NULLE-PART ! hurla l'antéenne. JE RETOURNE CHEZ MON FRÈRE ESPÈCE DE SUCCUBE !
— Succube ? répéta Kat avec étonnement.
— PARFAITEMENT ESPÈCE DE... DE... DE SORCIÈRE !
— Sorcière ?
Terra ne répondit pas et continua sa route vers la porte. Elle se retourna une dernière fois vers son amie.
— JE NE VEUX PLUS JAMAIS TE REVOIR !
Kat ne dit rien, la regardant juste avec deux grands yeux étonnés et la vit sortir en claquant violemment la porte, plongeant la salle dans un silence gênant. Seul Jimmy qui venait de revenir avec son chiffon et sa tasse de café ne semblait pas dérangé et après avoir donné la tasse à Bino, se mit à nettoyer le sol en face du fauteuil en émettant de petits bruits comme un ouvrier sifflant en travaillant.
—C'était là que t'aurais dû la retenir, dit tout simplement Robin en prenant place sur le fauteuil. C'est tout ce qu'elle attendait.
— Comment tu sais ça, toi ?
— C'est évident. Sinon elle serait partie directement.
— Tu penses ? Mince, j'ai déconné. Mais qu'est-ce que je suis stupide, mais qu'est-ce que je suis stupide, s'énerva la jeune fille en se tirant les cheveux. Maintenant elle me déteste, j'en suis sûr. C'était la dernière chose que je voulais, je te jure ! Je suis sensée faire quoi maintenant ?
— Attendre. C'est tout à fait normal qu'elle réagisse comme ça. Ça fait trop de nouvelles expériences en un soir pour une Antéenne venant tout juste d'arriver à la métropole. Laisse-lui juste le temps de digérer tout ça seule. T'as pas à t'en faire, je vous ai regardé hier, ça m'avait l'air sincère. Laisse-lui juste le temps...
— Ok... Je comprends, souffla Kat. C'est juste que... Je ne veux pas la perdre, tu comprends... Je veux dire... je l'aime vraiment bien quoi.
Le chemin de retour jusqu'à la bordure était assez simple. Deux bus suffisaient pour y mener et de là, qu'une petite dizaine de minutes de marche pour rejoindre le quartier de son frère. Pendant toute la route, Terra fut furibonde. Le soleil brillait fort, plongeant le quartier dans une ambiance chaleureuse jaunâtre, ses rayons se faufilant dans les rues étroites et se reflétant sur les petits appartements de quelques étages de haut seulement collés les uns aux autres, de couleurs variés passant du beige au rouge, du vert au bleu azure, du blanc au rose. Des plantes grimpantes cyan escaladaient la façade de quelques-uns d'entre eux, faisant un peu respirer l'endroit, lui donnant une touche de verdure. Et contrairement au reste de la métropole, il y faisait un calme agréable. Pas de bourdonnement de drones, ni le cri de matrones hurlant d'une habitation à l'autre, juste les bruit de pas sur la route pavée et les discussion calme entre antéens d'origines diverses. Tout ce que Terra appréciait en y réfléchissant bien si elle n'était pas aussi énervée. De l'œil, elle chercha l'appartement de son frère, un vert de trois étages. Elle avait absolument besoin d'utiliser son autel pour se purifier et prier. Maintenant plus que jamais elle avait besoin de guidance, que les dieux lui viennent en aide et lui portent conseil. Une fois trouvé, elle y entra, montant les marches quatre par quatre jusqu'à son étage et frappa la porte avec acharnement, comme si elle essayait de la défoncer. Après quelques secondes, Khemno lui ouvrit en panique et souffla en découvrant que ce n'était que sa sœur.
— Par tous les dieux Terra, es-tu obligée de me faire peur comme ça ? J'ai cru qu'un voleur essayait de forcer l'entrée !
— J'ai... j'ai besoin d'utiliser ton autel, répondit-elle après une petite pause, la voix tremblante.
— Pourquoi ? Ça va petite sœur ? s'inquiéta-t-il. Tu n'as pas l'air d'aller.
Elle n'eut pas la force de répondre. Sans un mot, la jeune fille fondit en larme, s'effondrant dans les bras de son frère. Jamais elle ne s'était sentie ainsi de sa vie. Khemno ne dit rien et se contenta de lui frotter les cheveux, tentant en vain de la consoler.
— Je ne sais pas ce qui m'arrive, gémit Terra. Je ne sais pas ce qui m'arrive et ça me rends folle. Qu'est-ce qui ne vas pas avec moi, Karam ?
— Ça va aller sœurette, ça va aller... Reste pas là, rentre, je vais te faire du thé.
Elle n'arrivait pas à se retirer Kat de l'esprit. Peut-être était-elle vraiment dégénérée dans le fond, qu'une débauchée... Qu'en penserait sa famille, les dieux, ses ancêtres ? Qu'en penserait sa mère ? L'avait-elle vue depuis les plaines dorées ? Était-elle en train de pleurer en voyant ce que sa fille, son dernière enfant à qui elle avait sacrifiée sa propre vie pour mettre au monde, était devenue ? Rien que cette pensée lui fit remonter les larmes aux yeux. Mais en son for intérieur, au fond d'elle, elle savait que cette maudite terrienne était profondément enfouie dans son cœur. Pourquoi ne lui avait-elle rien dit, pourquoi ne l'avait-elle pas retenue. Elle ne pouvait rien dire à son frère, qui sait comment il réagirait ? La dernière chose que Terra voulait, c'était de perdre son affection. Lucas aurait été la personne idéale à qui parler, son esprit plus souple et compréhensif que celui de son peuple ou bien Etey, qui lui ne jugeait jamais personne pour leur acte, lui-même ancien membre du Culte cherchant la rédemption. Ayant lui-même nombres de choses à se faire pardonner, cela faisait aussi de lui une bonne personne à qui se confier. La jeune fille sécha maladroitement ses larmes et accompagna son frère à l'intérieur. Son frère lui montra le petit autel qu'il avait installé dans sa chambre sur une table basse, près des photos de sa famille, décoré par plusieurs talismans représentant les trois dieux lunaires majeurs, et alluma rapidement une pierre luminescente qu'il déposa dessus.
— Prends ton temps Terra, dit doucement Khemno. Je t'attendrais dans le salon.
Sa sœur lui répondit avec un timide « merci » et attendit qu'il sorte pour installer un coussin en face de l'autel pour s'y installer. Après un dernier reniflement, elle leva sa main droite vers le ciel et se mit à prier, implorant le pardon de ses ancêtres. Elle voulait sa mère, que les dieux lui laissent entendre sa voix qu'une seule fois et qu'elle lui dise que tout allait bien, qu'elle ne lui en voulait pas. Terra pria pendant longtemps, tellement longtemps que son frère dut toquer à la porte pour la rappeler de son thé. Sans grande conviction, la jeune fille le rejoignit. La boisson qu'il lui proposa la réchauffa au plus profonds de son être et elle sourit.
— C'est vraiment bon ce que tu fais. C'est vraiment toi qui prépare ?
— C'est ma recette secrète, sourit Khemno en lui faisant un clin d'œil. Tu ne devineras jamais d'où elle provient.
— De l'Umatura ?
— D'Hotza.
Elle failli s'étouffer avec son thé.
— D'Hotza ? C'est un thé hotzavite ? Co... comment tu connais ?
— Mon petit secret. Il se peut ou pas que mon voisin connaisse la recette et il se peut ou pas que le voisin en question soit hotzavite, répondit-il innocemment.
— SÉRIEUSEMENT ? MAIS VOUS... IL N'A JAMAIS ESSAYÉ DE TE TUER ?
— Pourquoi ferait-il ça ? C'est mon ami.
— Incroyable... Mais Epos, Papa, ils savent ?
— Évidemment que non ! Tu t'imagines les histoires sinon. Hé, je compte sur toi pour garder le secret, hein. Jure-le sur les dieux.
— Promis, promis, juré sur l'honneur d'Orta, répondit solennellement Terra en levant sa paume vers le ciel. D'ailleurs... Y a-t-il moyen que je le rencontre ou il risque de me violer et me couper l'index ?
— Te violer ? Mais qu'est-ce que tu racontes espèce de buse ? On est entre personnes civilisés ici. Tant que tu ne fais pas de commentaires douteux comme celui-ci, évidemment que tu peux le rencontrer. C'est un type passionnant en plus, je suis sûr qu'il va te plaire mais surtout, pas un mot au père, ok ?
Même si les dieux ne lui avaient répondue, ils lui avaient donnée son frère, une bénédiction dont elle ne pouvait assez les remercier. Son sourire et sa bonne humeur remit un peu de joie dans le cœur de Terra.
Un nouveau malheur avait encore frappé leur communauté, au grand dam d'Epos. La pauvre femme était effondrée en larmes sur le sol, pleurant sa perte à grands cris, tentant de se faire consoler en vain par son mari qui avait l'air tout aussi abattu que sa femme. Un attroupement de voisins curieux se tenaient au seuil de la porte de leur demeure, n'osant rentrer et déranger le couple. À grandes coudées, Epos et ses compagnons se frayèrent un chemin parmi eux et entrèrent dans la maison. Immédiatement, la femme se jeta dans ses bras.
— Tomyris ! Junpey ! Rendez-moi mes enfants, rendez-moi mes enfants ! hurla-t-elle.
— Calme-toi par tous les dieux, explique-nous ce qui se passe.
— Mes enfants, mes pauvres enfants, ils me l'ont pris. Ma petite Tomyris, mon petit Junpey.
— Qui ? Qui les a pris ? s'agaça le jeune Nados. Sois précise !
Le mari de la femme, un petit homme avec un début de calvitie, la prit dans ses bras et lui susurra doucement dans l'oreille de se calmer et de le laisser parler.
— Excusez ma femme, son esprit est totalement chamboulé.
— Et bien si vous voulez de l'aide, il va falloir nous expliquer précisément ce qui se passe, et dans le calme.
— C'est... c'est notre fille et fils, cela fait deux jours qu'ils ont disparus. On a eu aucune nouvelle, personne ne les a vus. Elle était partie seul avec son petit frère, pour jouer dehors et se promener. Je pensais qu'elle allait rester dans le quartier mais personne ne les a revus depuis hier. Tomyris vient de passer sa onzième année et Junpey en a six. Ils ont tous les deux des cheveux noirs et des yeux bruns, elle porte toujours un foulard rouge dans les cheveux.
Lui et ses compagnons écoutèrent consciencieusement la description des enfants.
— Ne vous inquiétez pas, ils doivent être perdus. Les districts sont gigantesques, ce n'est pas la première fois que quelqu'un s'y perds, en particulier des enfants. Moi et les gars passeront le quartier au peigne fin et en un rien de temps, ils seront de retour parmi nous juste avec une petite frayeur, rien de plus.
— Vous êtes bon Epos, je ne sais comment vous remercier...
— Vous me remercierez en gardant vos enfants à l'œil la prochaine fois, répondit-il en lui donnant une tape sur l'épaule.
Les jeunes Nados quittèrent l'endroit, l'esprit perplexe. Il avait menti, il n'y aura sûrement pas de prochaine fois.
— Les Hotzavites ? Ou les mêmes fils de putes qu'avec Toutos, demanda Eleon, un de ses vieux compagnon d'arme.
— Sûrement les seconds, cracha Epos. Karam j'en peux plus de tout ce bordel. Mais bon, on ne peut écarter aucune piste. Ce soir, nous irons voir ces jambes arquées d'Hotzavites. Si on découvre qu'ils ont le moindre rapport dans cette histoire, je jure sur Orta que je les massacrais tous jusqu'au dernier !
— Et on sera à tes côtés, continua un autre de ses amis. Comme au bon vieux temps.
En effet, comme au bon vieux temps, rêvassa-t-il. Il ne manquait plus que la hyène...
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