Chapitre 10 : Les districts


— ...et là, une horrible bête avec des poils blancs m'a presque sauté dessus, une véritable saloperie avec des dents... longues comme mon majeur je vous dis. Donc le gars l'arrête au dernier moment et me dit avec son accent « Tu n'as pas ta place ici, terrien ». Donc moi je lui dis « Ok mon gars, pas de problème je m'en vais » mais là, le flic dont je vous ai parlé, il est apparu de nulle part et m'a emmené de force en dehors des districts et une fois sorti, bam, il m'arrête pour le meurtre d'un gars que je ne connais même pas ! Vous y croyez-vous ?

— C'est vraiment pas de chance ça. T'en dis quoi Terra ?

— Emmène-y-nous ! s'exclama soudainement Terra, ce qui fit un peu sursauter son hôte.

— Heu... j'ai dit quelque chose qui t'intéressais ?

— Tu n'as dit que des choses qui m'intéressais ! Que les dieux te bénissent Jonas !

— Et bien tant mieux, quelqu'un veut des bières ?

Gabriel fut le seul à répondre et après avoir cherché quelques secondes dans son frigo, lui jeta une canette de l'autre bout du salon qui frôla de seulement quelques centimètres le crâne de Chad. De toute façon, à sept dans ce petit appartement, c'était dur de s'éviter.

— Tu ne bois pas de bière chez toi, Terra ? questionna Jonas.

— Pas vraiment. Plutôt du vin, coupé à l'eau. Mon père n'aime pas que je boive de l'alcool...

— Ce qui ne l'empêche d'enchaîner les éclipse roses, ricana Kat.

— Bref, interrompit Chad. Terra, explique ce qui t'intéressais.

— Pour commencer, les femmes au visage maquillé de traits bleus, et bien ce sont des Phiries et je suis une Phirie.

— T'étais pas Nados toi ? demanda Nathaniel.

— Phirie par ma mère. Je ne connais pas trop la culture mais ma sœur, elle, y est très attachée. Mais le plus important, c'est que Phiri est un protectorat de Nadu. S'il y a des Phiris, ce que les Nados ne sont pas loin et ils ne le sont pas justement ! Ta « saloperie de bête », c'est un ahuta. C'est un bête à la mode chez nous, même moi j'en ai un.

— T'EN AS UN ? hurla Jonas.

— En fait pas vraiment, c'est plutôt à ma sœur, mon autre sœur, mais elle n'est jamais là donc c'est comme si c'était le mien. En plus, je le connais depuis mon enfance et on s'entend super bien.

— Ce n'est pas dangereux ces bêtes-là ?

— Pas si on le dresse bien et Farros est l'ahuta le mieux dressé de la cité, sans aucun doute. Je lui ai même appris à faire des tours ; Faire le beau, faire le mort, donner la patte, apporter le bâton...

— Donc c'est juste un gros chien quoi ?

— Pas vraiment... un peu, mais pas vraiment...

— Bon, si je résume. Les filles à traits bleus sont des protégées de ta cité et vos chiens bizarres sont à la mode chez vous, donc là où Jonas s'est perdu, c'est votre quartier et ton frère se trouve sûrement là-bas, c'est ça ?

— Exactement, tu es perspicace Chad.

— C'était pas sorcier non plus, soupira Nat. Mais bon, reste à y aller... et d'en revenir en un seul morceau.

— Mais ce n'est pas possible, vous êtes à ce point désœuvré pour entreprendre un truc pareil ? répondit Chad.

— C'est l'aventure, ce n'est pas pour ça qu'on est venu sur Antée ? sourit son ami à pleines dents.

— Je suis venu car mes parents sont venus pauvre imbécile, comme toi, et vous tous d'ailleurs ! s'énerva-t-il.

— Mais t'as même pas envie d'aider ta super méga pote Terra ? reprit Kat dans un vain espoir de convaincre son ami.

— Je la connais depuis une semaine, deux grands max ! Je suis désolé Terra, je t'aime bien mais je n'ai pas envie de risquer ma vie dans les districts pour ton frère que je ne connais même pas.

— J'arrive pas à y croire, t'es vraiment qu'une p'tite bite en fait...

— Mais vous êtes tous complètement débile ma parole, toi encore plus que les autres Kat. Robin, dis leur quelque chose.

Il répondit d'une petite voix presque inaudible.

— J'ai... j'ai vraiment envie de voir les districts en fait.

— C'est pas possible, Gabriel, t'es son frère, tu ne vas quand même pas la laisser faire ?

— J'en ai rien à foutre... répondit-il sèchement.

— Charmant, vraiment charmant cette famille. De toute façon, je vous aurais prévenu, n'allez pas pleurer après...

Un silence s'ensuivit sans qu'aucun ne prenne la parole. De toute façon, si tout allait bien, ils n'y auraient pas de problème. Les Nados se serrent les coudes, rien n'est plus fort que le lien qui unissent les fils de Nadu Sudaram et une fois qu'elle aurait retrouvé sa communauté, ils prendront soin d'eux. La question était de les trouver et pour cela, il leur fallait l'aide de Jonas et prier qu'il se rappelle du chemin. Bien qu'elle lui soit redevable pour son aide, son air un peu benêt avait quelque chose d'agaçant et bien qu'elle ne soit pas la fille la plus exemplaire à ce sujet, il dégageait une aura d'incompétence et de paresse qui l'exaspérait plus que tout. Et dire que son père se plaignait de sa chambre qui n'était jamais rangée, il se serait sûrement évanoui en visitant cet appartement. Des vêtements partout, des déchets jetés rapidement dans un coin... Et elle n'osait même pas parler de cette horrible odeur d'homme et de nourriture qui traînait en l'air. Pourtant il avait l'air propre ; Ses cheveux de femme lui tombant jusqu'aux épaules avaient l'air bien entretenus et son visage était complètement glabre et soigné, tout le contraire de ce que son appartement laissait penser.

— Donc Jonas, tu peux nous guider là-bas ? demanda Terra.

— Bah tu sais, j'aimerais bien mais je veux dire... je me suis fait arrêter par les flics y'a pas longtemps, je ne veux pas plus de problèmes tu comprends ?

— Évidemment, c'est pas cool. Tu peux pas juste nous donner des indications ? insista Kat.

— Ouais, ouais, bien sûr, je vous envoie ça tout de suite. Mais soyez prudent les jeunes, ok ?

— Prudent ? Où est l'amusement dans ça ? dit-elle en tirant la langue.


Terra ne voulait prendre aucun risque. Enfilant ses vêtements Nados, elle failli même se faire les peintures Phiris sur le visage telle Yashey la lui avait apprise avant de se raviser. On la regarderait bien assez comme ça sur la route jusqu'aux districts. Même Kat fit un effort et s'habilla de manière simple, qu'un jeans serré noir et un t-shirt à longue manche orange avec une casquette et des lunettes de soleil. À sa grande satisfaction, Nathaniel et Robin firent aussi l'effort de s'habiller sobrement et quand tous furent prêt, ils purent enfin se mettre en route. Ils leurs fallurent une trentaine de minutes de bus pour atteindre la bordure de la métropole, passant des quartiers résidentiels à une zone où se trouvaient des centres-commerciaux aussi grands que le bâtiment du conseil à Nadu, voir l'agora entier. Des images de différents produits défilaient sur leurs murs, tout comme d'incohérentes publicités mêlant des terriens souriants faisant la fête à côté du dernier tout-terrain tout droit importé de la Terre, ou d'une boisson au contenu multicolore volant entre les étoiles pour s'écraser sur Antée avec comme slogan « Epsilon max, première boisson énergisante cent-pour-cent antéenne garantie de vous faire toucher les étoiles ». Mais là n'était qu'un simple avant-goût comparé au spectacle qui l'attendait à la bordure. En sortant du bus, un immense panneau se trouvait devant eux où un antéen (sûrement un Dolisien vu ses habits) et un terrien se tenaient bras dessus bras dessous rigolant en boucle avant de laisser un message leur annonçant la bienvenue à « La bordure, là où deux mondes se rencontrent sous le signe de la fraternité, de la compréhension et de l'harmonie. Enrichissons-nous de nos différences pour une colonie plus prospère et agréable. Un merveilleux avenir nous attend ! ». En effet, Terra devait bien l'admettre, c'était vendeur. Et que dire de l'endroit ? Comme si un homme avait pris tout ce que le Maniemas avait de meilleur à offrir et l'avait fourré dans un seul endroit, et pas que le Maniemas. Des maisons de thé damsumites côtoyaient des théâtres d'ombres arachoviens, des artistes de rues jouaient de leurs instruments au milieu de l'allée sous une foule attentive de terriens et elle vit même une taverne nados proposant de plat de chez eux accompagné de danses traditionnelles.

— C'est donc ça les districts... C'est mieux que je ne l'avais imaginé.

— C'est parce que ce n'est pas les districts, répondit Nathaniel. On n'y est pas encore, là c'est juste le quartier antéen, la partie sympa. Les districts, c'est tout au fond je pense.

— C'est ici qu'on vient pour découvrir la culture antéenne facilement, continua Kat. Y'a plein de trucs à faire, à manger et à voir. Tu vas te sentir comme chez toi Terra !

— Et bien je ne suis pas trop familière avec toute les cultures d'Antée. Il y en a beaucoup et vraiment différentes les unes des autres.

— T'as pas vu de truc Nados ici ?

— Vite fait quelques-uns. Je comprends l'intérêt que tu me portes Kat. C'est vrai qu'avec un endroit pareil, ça donne envie d'en voir plus sur Antée.

— N'est-ce pas ? Hé, t'es avant tout ma super-méga-pote. Sérieusement, je ne veux pas que tu croies que je te vois comme une bête de foire ou quelque chose comme ça... enfin au début peut-être un peu, mais plus maintenant. T'es vraiment une amie maintenant !

— Je sais, panique pas comme ça, rigola Terra. Je pensais la même chose à ton sujet quand je t'ai vue pour la première fois et maintenant, tu es ma super-méga-pote terrienne.

— Mais c'est que tu t'adaptes mine de rien, ricana Kat. Même pas deux semaines et tu parles comme moi. C'est du... comment t'appelles ça Rob ?

— Du mimétisme ?

— Je... ce n'est pas vraiment à ça que je pensais.

— C'est quoi du mimétisme ? questionna l'antéenne.

— C'est quand on reproduit inconsciemment le comportement de quelqu'un d'autre à force de traîner avec lui, reprit Nathan. Ou c'est du camouflage, avec des animaux qui ne font qu'un avec la nature, un des deux... ou les deux, j'en sais rien.

— C'est tout le contraire de Kat en fait, se moqua Terra.

— Tu peux parler toi, quand t'es arrivée et tout le monde te regardait. Je me rappelle encore quand t'as appelé l'androïde en hurlant comme une lunatique dans la rue. Belle exemple de mimétisme !

— Tu ne peux pas comprendre, c'est du mimétisme inversé, ma spécialité secrète. Sois pas jalouse, peut-être que t'apprendras par mimétisme.

Cette remarque fit immédiatement rire les deux filles sous l'œil perplexe de leurs compagnons. Pour confirmer ses propos, un couple de terriens s'interposèrent discrètement entre les deux et demandèrent de prendre une vidéo avec Terra, pour envoyer à leur famille sur Terre. Ils lui demandèrent de dire quelques choses de typique de chez elle et après quelques secondes de réflexions, répondit « N'y a-t-il pas de meilleur amante qu'une bonne coupe de vin ? Elle est plus chaleureuse que ta femme, te connaît mieux que ta mère et est plus douce que ta sœur », un vieux proverbe Nados qui, elle ignorait pourquoi, fut la première chose qui lui vint à l'esprit. Les terriens la regardèrent avec étonnement, visiblement un peu déçu par le manque d'exotisme de son adage et après un petit remerciement, reprirent le chemin. Il ne fallut qu'un rapide coup d'œil entre elles pour que les deux amies éclatent de nouveau de rire.

— Vous avez vraiment l'air con toutes les deux, vous savez ça ? s'agaça Nathan.

— T'es juste jaloux car tu n'es pas dans notre délire. Ne l'écoute pas Terra, il essaye de nous envoyer des ondes négatives. Vas-y, balance nous d'autres expressions.

— Il y en a une, mais je ne sais pas si je peux la dire...

— Allez, insista Kat, je suis sûr que ça va être drôle.

— Ben heu... « Si elle écarte les cuisses un peu trop vite, dans ton lit c'est une Damsumite. Si après trois cycles enfin tu jouis, sans aucun doute c'est une Phirie. Si en te montant, elle te met mal-à-l'aise, méfie-toi, c'est une Nados que tu baises. Mais attention, si elle est sèche, mieux vaut fuir au plus vite, car tu t'es sûrement perdu dans un bordel Hotzavite. »

Aucun des terriens ne réagirent, à sa grande gêne.

— J'ai pas compris, répondit seulement Kat.

— Ben en fait, c'était un ivrogne près de chez nous qui chantait ça et mon père m'a dit de ne pas écouter car c'était grossier et qu'une femme de mon rang devait immédiatement oublier une telle chanson.

— Ça je comprends, ça parle de baise. Mais les Damsumites, les Hotzavites, je ne comprends pas.

— Les Hotzavites sont les ennemis mortels des Nados, d'où la chute. De toutes les femmes, ce sont les Hotzavites les pires.

— Comment tu sais ça, Rob ? s'étonna Nathan.

— Après avoir rencontré Terra, j'ai fait des recherches sur sa culture et sa cité, pas vous ?

— Je vais t'avouer que je n'y ai pas pensé, avoua-t-il.

— Et toi Kat ?

— Tu sais, moi et tout ce qui est recherche, étude et tout, c'est pas mon truc.

— Par contre, je peux te poser une question Terra ? reprit Robin.

— Bien sûr, vas-y.

— Tu déteste aussi les Hotzavites ?

— Je ne peux pas dire, j'en ai pas croisé beaucoup, mais tout le monde m'a dit de me méfier d'eux et que s'ils découvrent que je suis Nados, ils me violeront et me couperont l'index.

Ils faillirent s'étouffer à sa réponse.

— Ne me dis pas que c'est vrai, balbutia Nathaniel.

— C'est faux bien sûr, c'est n'importe quoi, c'est ce qu'on me racontait quand j'étais petite pour me faire peur... je pense. Mais nos deux cités sont en paix. Les miens sont juste paranoïaque, c'est tout. C'est une autre époque, vous comprenez ?

— Moui, ça m'a l'air hyper malsain de dire ça à un gosse quand même, répondit Kat. Vous avez un sacré problème...

— Au moins tu comprends pourquoi je suis partie.

— Ouais, y'a mieux comme ambiance. Espérons juste que les districts ne soient pas comme ça.

Ils continuèrent leur chemin, s'enfonçant dans le quartier Antéen et peu à peu, la présence terrienne diminua et les bâtiments devinrent petit-à-petit bon marché, les enseignes attrayantes faisant place à des pancartes et des écriteaux plus locaux. Les routes étaient moins entretenues, parsemées de craquelures et des nids-de-poule dût au passage de nombreux Yunts et avec un sourire, Terra découvrit de longues toiles pourpres, azures et orangées accrochées entre les bâtiments afin de garder les passants à l'ombre, comme chez-elle. Un sentiment de familiarité l'envahit, avec néanmoins une touche d'exotisme en voyant une famille entière en équilibre sur une petite moto terrienne en train de zigzaguer dans la rue. Une odeur de cuire émanait de derrière les habitations et elle put deviner sans mal quelques tanneries non loin. Maintenant ce fut une odeur de soleth jaune qui lui mit l'eau à la bouche, un épice qu'elle appréciait particulièrement sur l'agneau bouilli que préparait sa sœur, provenant d'un marchand d'épices qui avait l'air assez populaire vu la foule qui s'était rassemblée autour de son échoppe. Sans savoir pourquoi, elle se sentait à l'aise dans ces rues, ce qui fut l'inverse totale de ses compagnons qui scrutèrent les lieux d'un œil méfiant. En effet, une poignée de locaux s'étaient retournés pour regarder avec curiosité les terriens qui se trouvaient si loin des leurs, qui ne fit qu'accroître leur malaise.

— Sinon, on est encore loin des districts ? questionna-t-elle pour tenter de détendre ses amis.

— Selon les indications de Jonas, on y est déjà, répondit Nathan.

— Vraiment ? Il n'y avait pas une bordure, une frontière, ou quelque chose comme ça ?

— En fait c'est plus un concept qu'autre chose, y'a pas vraiment de frontière, enfin si. Là où il y a des locaux, c'est les districts, sinon c'est la métropole.

— C'est bizarre. Alors pourquoi il n'y a pas plus d'antéens au centre-ville ?

— Au centre-ville, ils sont sous la législation terrienne alors que dans les districts, vu que c'est considéré hors métropole, ils sont libres de vivre selon leurs coutumes, expliqua Robin.

— Et c'est pour ça que ça vous fait si peur les districts ?

— Peur ? C'est Chad qui a peur, moi je m'en fous, se défendit immédiatement Kat. Je suis hyper détendue là (elle croisa vite le regard d'une poignée de vieilles femmes occupées à la fixer en ricanant tout en fumant une longue pipe). Ouaip... hyper détendue. Et maintenant qu'on est là, on fait quoi maintenant ? Je vous préviens déjà, on ne se sépare pas. Je n'ai pas la moindre envie de croiser tes potes Hoztamachin.

— Hotzavites. Je t'ai dit qu'on me disait ça pour me faire peur. De toute façon, si ça arrive, je vous défendrais.

— Vraiment ?

— Absolument pas, si on croise des hotzavites, on court, répondit Terra en tirant la langue.

— Super... me voilà rassurée. Et on fait comment pour retrouver ton frère ?

— Je vais trouver quelqu'un avec un air sympathique et lui poser la question, quoi d'autre ? Regarde le vieillard là-bas, dit-elle en pointant du doigts un homme à la longue barbe grise endormi contre le seuil d'une maison. Il a la tête d'un homme qui connaît l'endroit. Quelqu'un m'accompagne ?

Terra ne reçut aucune réponse et se résolut d'y aller seul. Elle regretta immédiatement sa décision en sentant l'odeur de vin rance que dégageait l'homme. Une longue barbe grise tout aussi sale que sa touffe de cheveux renforçait son aspect de miséreux et un simple pagne décoloré fut le seul vêtement qui couvrait son maigre corps. Néanmoins, il dormait paisiblement, sa respiration se faisant à peine entendre et elle regretta presque de le réveiller durant sa sieste. Doucement, elle lui secoua l'épaule et le vieillard se réveilla, haussant un de ses sourcils broussailleux de surprise en voyant la jeune fille se tenant devant lui.

— Je peux t'aider, ma p'tite dame ? bailla-t-il en se frottant le coin des yeux.

— Oui, j'ai besoin d'un renseignement, trois fois rien. Je cherche un Nados, enfin la communauté Nados. Savez-vous où les trouver ?

— Je m'y connais pas trop mais t'es pas déjà Nados, toi ? Pourquoi t'as besoin de les trouver ?

— Et bien en fait, je me suis perdue, mentit-elle.

— Y'a pas de honte à dire que t'es nouvelle ici. Ça fait combien de temps ? Une, deux semaines ?

— Deux semaines. Ça se voit tant que ça ?

— Avec la tripoté d'terriens que tu t'trimbales, ouais, tu ne passes pas inaperçue.

— Et qui vous dit qu'ils sont avec moi ?

— Une intuition. Peut-être la manière d'ahuri avec laquelle ils me regardent au beau milieu de la rue, 'sais pas trop.

— Très bien, je vois le genre, je vois le genre... toujours plus malin que tout le monde, n'est-ce pas ? Et pour ma première question, vous ne m'avez toujours pas répondu.

— Ouais, je sais où les trouver.

— Et ?

— Et quoi ?

— Et où se trouvent-ils ? s'agaça-t-elle.

— J'peux pas te dire ma p'tite dame, ce n'est pas ça que tu m'as demandé.

— C'est littéralement ça que je t'ai demandé, vieillard sénile !

— « Savez-vous où les trouver ? », c'est ce que tu m'as demandé. Ouais, je sais où les trouver, par contre te dire où ils sont, ça, c'est une autre histoire, sourit l'homme.

Terra n'en pouvait plus. Elle n'avait qu'une envie et c'était lui écraser son pied tout droit dans son visage au sourire suffisant.

— Très bien, tu as gagné, t'es content ? Je ne sais même pas pourquoi je suis venue te voir.

— Ça va, je rigolais, détends-toi ma p'tite dame. Les jeunes de nos jours n'ont vraiment aucune patience, et encore moins d'humour. T'as de l'argent sur toi gamine ?

— Ça ne te concerne pas, pourquoi ?

— Pour rien. Je me disais juste qu'avec de quoi me payer un p'tit arachovien rouge, je m'ferais un plaisir de te guider chez les tiens.

— À ce prix-là, autant me trouver un autre guide.

— T'en trouveras pas. 'Suis le seul à ce point désœuvré pour t'aider. D'ailleurs, je ne prends que de l'argent terrien.

— Tu sais que c'est mauvais pour la santé de boire trop de vin...

— Sans vouloir t'offenser ma p'tite dame, je n'en ai rien à fiche. Et qui te dit que je bois beaucoup ?

— J'hésite entre ton haleine et ton allure, peut-être ton odeur aussi, c'est dur à dire.

— Je vois que le chaton a sorti ses griffes, se moqua-t-il. Bon, on a un accord ou pas ?

— On a un accord, souffla Terra à contre-cœur.

— Parfait, dit-il en se relevant péniblement de son seuil. Tu peux m'appeler « Le cynique ». Et toi, ton nom ?

— Contente-toi de m'appeler « La terrienne ».


Avec agilité, le cynique se fraya tranquillement un passage dans les rues, parmi la foule, suivi à une distance raisonnable par la bande de terriens derrière-lui, doutant de l'intégrité de leur guide. Une bande de gamins habillés de vêtements terriens de seconde main et parés d'accessoires maniemans les dépassèrent, courant avec un chiot derrière une balle en bande de cuire enroulées avant de s'arrêter non loin de Kat. Ils pointèrent ses cheveux du doigt en rigolant avant de se faire rappeler à l'intérieur par leurs parents. En voyant son amie perdre patience, Terra rejoignit rapidement le vieillard.

— Mes amis s'impatientent le cynique, on a l'impression de tourner en rond. On est bientôt arrivé ?

— Vous êtes en train de tourner en rond, sourit-il.

— Comment-ça, tu te moques de moi ? On avait un accord !

— Je l'ai tenu, te voilà chez les tiens.

— Mais on est littéralement au même endroit que tout à l'heure ! hurla l'adolescente.

— T'es vraiment pas la plus maligne ma p'tite dame, tu sais ?

Un soudain sentiment d'inquiétude s'empara d'elle, un sentiment oppressant, comme si la rue entière était une bête affamée et qu'elle avait trouvé sa proie. Sur les balcons, des hommes à la mine sombre les regardaient et étrangement, la rue s'était vidée. Ils étaient seuls.

— Terra, je me sens assez mal à l'aise en fait, s'inquiéta Nathaniel en se rapprochant d'elle. Pour être honnête, j'ai vraiment envie de rentrer chez moi.

La même angoisse se lisait sur le visage de Kat et de Robin.

— Pas d'inquiétude les amis, bafouilla Terra. Il doit y avoir un malentendu, juste un simple malentendu.

— Et si ce sont des Hoztamachin ? chuchota Kat le visage blême. Ce vieil enfoiré nous a vendu contre son alcool, j'en suis sûr !

— Des Hotzavites et je t'ai déjà dit que c'était pas possible, je l'espère de tout mon cœur. Laisse-moi parler, surtout ne dit rien. C'est juste un malentendu. (Elle se retourna vers le vieillard) Qu'est-ce que signifie cette mise en scène le cynique, que veux-tu ?

— Moi ? Rien. Vous par contre, que voulez-vous, qu'est-ce qui vous emmène, hein ?

Son ton avait changé. Il n'avait plus cette malice dans la voix, celle-ci remplacée par un ton plus sérieux, virant presque à l'animosité.

— J'ai dit que j'étais à la recherche des miens, c'est tout ce que vous avez à savoir.

— Ne me prends pas pour un idiot ma p'tite dame, ne me prends surtout pas pour un idiot. T'as dit que tu cherchais un Nados en particulier, son nom.

— je n'ai rien à vous dire.

— Regarde là-haut, dit-il en pointant les balcons du doigt. Soit tu peux me parler à moi, soit ils seront obligés de descendre et crois-moi, ça me fera mal d'abîmer une si jeune fleur. Et tes amis terriens ne seront pas épargnés non-plus. Donc je le répète une dernière fois, son nom.

Terra serra les poings d'impuissance et malgré elle, dut céder au menace du cynique.

— Khemno... Khemno Kandos na Haji, voilà son nom.

— Tu m'en diras tant, tu m'en diras tant... T'as une voix de terrienne mais pourtant tu parles comme une Nados, comme c'est intéressant... On peut connaître ton nom ma p'tite dame ?

— Terra Kandos na Haji, sa sœur.

Le vieillard fit signe à un des hommes sur les toits qui bondit au sol avec l'agilité d'un chat et se dirigea vers Terra. Il était plutôt grand, élancé, son crâne rasé et son visage, qui était assez beau, arborait les traits d'une noblesse guerrière typique de chez eux. Par-dessous sa veste nados, il portait un débardeur terrien blanc et un training comme pantalon lui donnant une apparence incongrue. Ses yeux noirs étaient perçants, comme ceux d'un aigle et Terra le reconnut immédiatement. Elle prit la parole avant même qu'il ne puisse ouvrir la bouche.

— MAIS JE TE CONNAIS TOI, TU ES EPOS LE FILS DU POTIER ! hurla la jeune fille. TU M'AS OFFERT UN VASE LORSQUE TU ES REVENU À NADU AVEC AKHESA !

Le rasé lui fit immédiatement signe de se taire.

— Mais ça ne va pas d'hurler ainsi ? s'énerva-t-il. Et ne m'appelle pas le fils du potier !

— Ce n'est pas important ça, ce vieil ivrogne nous veut du mal ! Aide-nous !

— Calme-toi par tous les dieux ! Ce vieil ivrogne comme tu l'appelles est un ami, il ne vous veut aucun mal, plus maintenant en tout cas.

Epos fit vite signe à un de ses compagnons resté en haut qui siffla de toutes ses forces. Aussitôt les portes des maisons s'ouvrirent et petit à petit, la vie reprit dans la rue. Elle vit même les gamins de toute à l'heure ressortir avec leur balle.

— Mais qu'est-ce qui se passe ici par tous les dieux, c'est quoi cette mise en scène ?

— Une simple mesure de sécurité. Les Nados se serrent toujours les coudes, tu le sais bien. Les terriens là-bas, ils sont avec toi, c'est ça ?

— Ouais et vous nous avez fait hyper peur. Je peux leur parler et tu vas encore nous jouer un tour ?

Epos ne répondit rien et lui fit poliment signe d'y aller.

— Terra, c'est quoi ce bordel ? Qu'est-ce qui se passe à la fin ! s'énerva Nathaniel qui était à bout de nerf.

— Comme je vous l'ai dit. C'est juste un gros malentendu, c'est tout. Ce grand imbécile est un ami de ma grande sœur.

— Et les Nados ?

— Tout autour de vous.

— Donc on peut se détendre ? questionna Kat.

— Il semblerait...

D'un pas déterminé, Terra retourna chez Epos et lui assena un terrible coup de pied en plein dans le tibia, ce qui lui fit lâcher un petit grognement de colère.

— Karam, c'est quoi encore ton problème ? s'énerva-t-il.

— Ça, c'est pour m'avoir fichu la peur de ma vie. J'ai cru que vous étiez des Hotzavites. Tu n'as toujours pas répondu à ma question ! C'est quoi ton petit manège ?

— Déjà tu parles bien à tes ainés, petite. Avant toute chose, je veux savoir ce que tu fous ici !

— Je vous l'ai déjà dit, je viens visiter Khemno. Mon père m'en a donné la permission... pour ma quinzième années.

— Et les terriens, tu les connais d'où ?

— De... Lucas. Le blond là-bas c'est... c'est son neveu.

— Quel Lucas ?

— Le seul Lucas que tu connais, notre Lucas, le Lucas de Nadu. C'est quoi cette méfiance ?

— Je n'ai pas l'habitude de voir des terriens traîner par ici, c'est tout, répondit-il tout en se frottant le tibia.

— Et bien c'est une mauvaise idée de venir à la métropole mon grand.

— Très drôle petite, tu m'en diras tant... Sinon tu veux quelque chose à boire ? J'ai du thé, du vin, de la bière, de l'ale, du jus de fruit, du jus de légume, du sirop, du lait... ah ouais, de l'eau aussi.

— Laisse-moi deviner, tu as aussi du rouge arachovien je suppose, répondit Terra narquoise.

— T'as vraiment cru que je pouvais me payer ça ?Réclame-le au cynique, ça lui servira de leçon, lança-t-il au vieillard qui fitmine de ne rien avoir entendu.

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