8 - Les convertis
La mission que Tory s'était donné venait de prendre fin. Lahynn était revenue parmi eux, saine et sauve. Il n'avait pas pour habitude de penser au lendemain, mais il devrait quand même se trouver un nouvel objectif. Comme son père avant lui, il arpentait les villages depuis bien longtemps, en échange de proies et de peaux. Mais avec la guerre, les villageois étaient devenus plus méfiants. Il était peut-être temps pour lui de se monter sa propre affaire. Ou bien trouver quelqu'un qui aurait besoin de ses services, après tout il était encore dans la force de l'âge et le travail ne lui faisait pas peur.
Il s'apprêtait à passer la porte du château, quand une main se posa sur son épaule. C'était Ohênn. Le blond taciturne qui le questionna du regard.
— Vous n'avez plus besoin de mes services ici. Et Lahynn est entre de bonnes mains.
— Je comprends ton empressement, est-ce qu'on peut avoir une dernière discussion ?
Il l'invita d'un geste à s'asseoir en face de la cheminée éteinte.
L'adolescent jeta un œil à son ami lupin, qui n'émit pas d'objections.
— Je tenais à m'excuser et à te remercier par la même occasion, reprit Ohênn. Je sais que les elfes n'ont pas ce tact pour les convenances humaines, il ne faut pas leur en vouloir. C'est pourquoi je me porte garant de leurs paroles.
Tory hocha la tête.
— Merci pour votre accueil, intervint Valcor.
Ohênn se racla la gorge, lui aussi mal à l'aise avec les codes sociaux.
— Est-ce que tu sais où tu vas aller ?
— Ça fait longtemps que je suis sur les routes, donc on va commencer par reprendre là où on s'est arrêté depuis qu'on a croisé la route de ton maître. Pour ce qui est de Lahynn, je reviendrais la voir quand je passerais dans le coin.
— Tu ne veux pas savoir où elle était pendant tout ce temps ?
— Lenjja m'a parlé d'une faille, mais il ne m'a pas expliqué laquelle.
— C'était une faille dans l'espace-temps, elle a vécu dans un autre monde depuis sa disparition. Mais elle ne doit surtout rien savoir pour sa propre sécurité.
Dans un autre monde.
Tory pesa ces mots et imagina une demi-seconde quel avait pu être sa vie loin de toute cette folie. Ravalant cette pensée, il émit un grondement.
— Pour sa sécurité... Je suppose qu'on a tous notre rôle à jouer depuis qu'Isâârd a rebattu les cartes.
— Tu y étais ? Le jour où Tzaïr s'est proclamé roi et qu'il a déchainé ses sbires sur la population ?
— J'étais encore un gamin. Mais va savoir comment, je n'ai pas eu la chance de voir la première battue s'abattre sur le village, je me suis réveillé sous une souche d'arbre et j'ai découvert à mon réveil, l'œuvre du tyran.
Ohênn resta pensif. Lui était alors un jeune homme dans la fleur de l'âge qui avait été sauvé par ce qu'il pensait être des bienfaiteurs. Le seul souvenir qu'il en gardait était qu'il se trouvait dans la capitale, entouré d'autres enfants et d'adolescents comme lui, déboussolés. Un homme au visage doux avait fait son apparition et leur avait demandé de le suivre dans sa carriole. Il revoyait aussi ces étranges murs érigés comme des miroirs à leur droite et à leur gauche, en une sorte de couloir vers l'arrière de la calèche de l'inconnu. Des bruits sourds en sortaient, des hurlements étouffés. Ce n'était qu'une fois dans piège, qu'il se rendit compte qu'il était trop tard pour fuir.
Au moins Tory avait échappé à ce destin.
— Tu as dû entendre parler des convertis, s'avança Ohênn.
— Les gamins iéoniens enlevés à leur famille et élevés dans la foi isâroise ? Oui, j'en ai entendu parler, il y a quelques années. C'est terrible pour eux et pour leur famille. Il parait que beaucoup sont restés du côté d'Isâârd et qu'aujourd'hui ils ont nos âges.
— J'ai entendu dire que certains étaient pires que les isârois pures. Ils sont reconnaissants d'avoir été choisis par les Yeux d'Isâârd et d'avoir été adoptés auprès de leur Père.
— Grand bien leur fasse ! Ils ont choisi leur camp, cracha Tory avec dédain.
Ohênn haussa les épaules.
Valcor sonda le jeune blond et capta une ombre dans ses yeux vert bleu. Il comprit alors que l'apprenti du vieil elfe avait aussi fait partie de l'élite isâroise, avant de fuir comme un paria. Il ne posa pas de questions, se contentant d'observer et d'écouter les dernières nouvelles d'Ortilâ.
L'étendue du pouvoir d'Isâârd grandissait chaque jour. Isâârd, le dieu du chaos et de la souffrance, avait fait un pacte avec un humain depuis de nombreuses années. De leur fusion, était né le personnage de Tzaïr, mi-Homme, mi-Dieu.
Isâârd s'était autoproclamé souverain du monde d'Ortilâ, mettant fin au règne d'Iéonïsse, déesse de la paix. Après avoir trahi la déesse, en l'an 100, ils moururent tous deux. Isâârd fut le second à mourir et son corps se transforma en un lac aussi noir que son âme. Guettant l'occasion de prendre possession d'un corps afin de finir ce qu'il avait commencé.
Iéonïsse quant à elle, avait fait héritage d'un don qui se confierait de génération en génération. Le sang qui avait coulé de son sein, avait été recueilli par le jeune chêne qui avait amorti leur chute. Plus tard, une femme en avait récolté sa sève et le contact avec sa peau avait permis au don de la déesse de se transmettre. Les siècles passèrent, et quand la menace frappa aux portes d'Ortilâ, le don avait été confié à cette petite fille brune aux yeux de perles.
Le combat d'Isâârd et d'Iéonïsse était une lutte infinie depuis plusieurs siècles. Un souverain avide de pouvoir pactisait avec le dieu du chaos et seule une héritière du pouvoir d'Iéonïsse était à même de lui conférer suffisamment de pouvoir et une enveloppe charnelle pour lui permettre de mettre fin aux agissements du chaos. Mais cette fois, Tzaïr avait opté pour une stratégie plus pernicieuse. Après les humains, il s'attaqua aux gardiens des éléments de la nature. Cette option défiant toute logique, laissa le peuple dans un état de sidération. Tzaïr voulait ainsi prouver aux dieux qu'il n'était qu'au début de son ascension.
Sa chasse ne faisant que commencer, il fomenta un projet afin de renverser les dieux eux-mêmes, lorsqu'il se fit enfermer sur sa propre terre par trois mages. Un humain, un elfe et une nymphe.
Magiquement emprisonné, Tzaïr vit ses capacités s'amoindrir drastiquement et mit en place un réseau de sbires et d'isârois.
Valcor avait vu tous les événements de ses yeux d'argent liquide. Il suivait Tory depuis louveteau. Seul son ami connaissait sa véritable identité et l'histoire d'Ohênn lui fit penser à la sienne. Tous les deux cachaient une partie d'eux-mêmes au reste du monde.
Ses souvenirs étaient brumeux, il se souvenait d'une intense douleur à la poitrine et se réveilla dans le petit corps vigoureux d'un jeune loup. Il avait profité de ses attributs canins pour trouver un mentor et il était tombé sur cet enfant insouciant et aussi fougueux que lui. Valcor avait la réflexion d'un adulte et son instinct le poussa à être le guide et le protecteur de cet humain. En plus, il grandirait plus vite que lui en quelques mois.
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