13 - La femme au parfum

Lorsque Tzaïr s'était réveillé, voilà presque douze ans de cela, ce fut une explosion.

Jériio, l'humain qui abritait le dieu du chaos, avait réussi à atteindre un poste de premier conseiller auprès du roi.

L'homme né de basse condition, avait rapidement compris les rouages de la politique. La confiance du roi lui fut accordé amenant avec elle la jalousie des autres conseillers. Il recommanda à son souverain de faire construire plusieurs pièces sous le manoir, officiellement destinées au stockage de vivres et de vins, à l'abri de la lumière. En secret, il fit construire un second sous-sol, plus tard destiné à ses expériences et ses collections les plus sordides et les plus extravagantes. Le monarque mourut quelques mois après l'ascension de Jériio. A peine la garde eut-elle le temps de se rendre compte de l'assassinat du roi, qu'ils rejoignirent eux aussi le royaume de Viémiène. Le nouveau roi autoproclamé prit alors d'une main de fer la direction du royaume.

Très rapidement, apparurent de l'ombre des hommes et des femmes fidèles à la cause du dieu du chaos.

Leur sauveur.

Leur Père à tous.

Et c'est ainsi que des entrailles du manoir, naquirent des créatures cauchemardesques et que la capture de proies d'exception commença.

Pendant que le peuple iéoniens se faisait envahir par la maladie et les enlèvements, Tzaïr s'éclipsa pour trouver les gardiens des éléments, confortant sa domination sur le peuple, et défiant ainsi les autres dieux.

Par la magie noire, il parvint à voler certaines parties de leur pouvoir aux gardiens, les laissant sans défenses dans des corps humain et mortel.

Sa chasse ne faisant que commencer, il fomenta un projet afin de renverser les dieux eux-mêmes, lorsqu'il se fit enfermer sur sa propre terre par trois mages. Un humain, un elfe et une nymphe.

Magiquement emprisonné, Tzaïr vit ses capacités s'amoindrir drastiquement, ce qui ne l'empêcha pas de continuer de déverser sur les résistants, son flot de sbires et de soldats isârois.

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Lahynn n'avait pas remarqué les détails de la pièce lors de sa fuite, pendant la possession de son Entité sur son corps. Le réfectoire comportait sur la gauche une longue table en chêne entourée de chaises. En face, brûlait tranquillement un feu de cheminée. Et à droite l'immense bibliothèque qui laissa Lahynn bouche bée.

Poussée par la curiosité et son estomac, elle trouva les cuisines. Trois personnes s'affairaient autour d'un dîner végétarien, l'air était embué de vapeur, d'odeurs poivrées, fumées et fraîche en même temps. Il y avait des marmites sur plusieurs feux, des fumoirs et un four en pierre.

Le soir venu, ils se réunirent pour manger et Lahynn revit l'homme qui se tenait dans la lumière de l'embrasure de sa chambre. Celui qui était apparu à côté de Tory.

Ses joues lui brûlèrent lorsqu'elle comprit que c'était l'homme qui l'avait porté deux fois jusqu'au château. Elle garda le nez dans son assiette de cèpes braisés à la sève et au persil, gagnée par la honte, car elle se souvenait de son émoi la première fois qu'il l'avait porté contre son torse chaud.

Ohênn n'était pas bavard, il ne parlait que pour appuyer des dires, sinon son visage restait impassible. Ses cheveux blonds étaient attachés par une queue basse. Sa forte mâchoire était adoucie par son regard bleu-vert. Il était arrivé depuis plusieurs années parmi la famille de Lenjja, il avait un grand sens du service, mais peu de la parole. La plupart du temps transparent, il riait peu comme si un mutisme s'était tissé autour de lui.

La table recelait de mets plus appétissants les uns que les autres. Tory et Valcor avaient été également conviés. L'adolescent ne se fit pas prier pour ce second repas copieux et se servit de nouveau en pois sautés à la graisse et fumés. Valcor profita encore du tapis moelleux, comme un simple chien domestique. Toujours réticent face au végétarisme de ses hôtes.

Après le diner, chacun retourna à ses appartements. Lahynn vit Tory s'éclipser comme une ombre à l'extérieur du château et lui emboitant le pas.

Le froid piqua sa peau et elle serra sa cape autour de ses épaules. La lune, imposante et nacrée, était le seul phare dans la nuit. Elle plissa les yeux mais ne décela aucune trace du garçon dans la pénombre.

— On me suit ?

La voix qui avait résonné à sa droite, la fit sursauter. Tory se détacha de l'ombre en souriant, narquois.

Si elle avait eu des cordes vocales, le jeune homme aurait entendu un rire de malice et la jeune femme aurait nié suivre son ami, feintant de vouloir prendre l'air et d'inviter Tory à rester s'il le souhaitait. Mais elle ne put qu'esquisser un sourire en secouant la tête.

Les parfums de mucus et de mousse parvinrent à leurs narines. Prise d'une soudaine lubie, la jeune femme mima une balade nocturne à son compagnon.

— Mieux vaut rester en sécurité près du château, déclina-t-il sur la réserve.

La jeune femme fit une moue dépitée.

Elle dessina un arc et des flèches avec ses doigts, plaidant avec caprice pour une marche non loin du château.

— Je suis désolée, Lahynn, mais ce n'est pas possible. Tu ne sais pas encore te défendre seule et demain une longue journée t'attend.

Elle croisa ses bras sur sa poitrine, boudeuse.

Dans le fond, elle aurait aimé passer cette soirée qui succédait à une journée riche en émotions, en compagnie du garçon, car il avait l'air d'être le seul à la considérer comme une humaine et non comme un mulet, qu'on devait traîner derrière soi. Lahynn ne comprenait pas encore bien quel était son rôle où était sa place. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait plus que besoin que son bouclier reste près d'elle.

Tory soupira.

— Bon, on peut aller dans la cour du château, ça te va ?

Elle leva les bras, en prenant un air de triomphe.

Le jeune homme eut un sourire attendri. Il ne pouvait pas résister bien longtemps.

Assis sur le coffre d'entrainement, qui renfermait les protections et les armes, les deux amis contemplèrent la toile du ciel, profitant de la présence de l'autre. L'un représentait la protection, l'autre la renaissance.

Lahynn se rappelait enfin que ce petit garçon ne faisait pas uniquement partie de son imagination, mais avait bien existé avant qu'elle entre en dormance. Etrangement, elle n'avait aucun souvenir de ses parents, ni de la femme au parfum.

Tory sentit que ce n'était pas le moment de faire le premier pas et attendit que la jeune femme lui pose ses questions. Elle tourna vers lui ses mirettes claires en inspirant, l'index pointant vers le haut. Puis, elle les désigna elle et lui et abaissa une main à l'horizontal vers le sol.

— Si tu me demandes si on s'est connus, oui. On était même amis ! On a vécu des aventures d'enfants avant que le renégat ne balaye tout d'un revers de main.

Il fit une pause face à ce sombre souvenir. L'ombre de la tristesse de peignit sur son visage et éteignit ses prunelles.

— Tu as été emmenée, je crois. Mes souvenirs sont flous, je me suis réveillé sous une souche. Quand je suis revenu, le village dans lequel on s'était rencontré était en cendre.

Lahynn semblait boire ses paroles, dans un mélange de pitié et d'horreur.

— Il y avait une femme avec toi. Ta mère, je crois.... Je suis désolée, mes souvenirs ne sont pas fiables.

Il se gratta la nuque de gêne. Il aurait aimé être d'une plus grande aide pour son amie qui vivait emmurée de silence.

— Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il a été convenu que tu rev... Que tu te réveilles à ta majorité ortilienne. A seize ans.

Seize ans. C'était ridicule, mais la jeune femme se raccrocha à cette information qu'elle avait oubliée.

Ou peut-être pas. Elle le savait sans en avoir conscience.

Maudite amnésie !

Elle se mit alors à tapoter frénétiquement Tory pour lui poser une question. A grand jeux de mimes, elle se leva et fit partir sa main du haut de son crâne jusque sous sa poitrine.

— Des cheveux longs ?

Elle lui fit signe d'attendre et continua en jouant une démarche exagérée de sensualité.

— Une femme aux cheveux long ?

Elle acquiesça frénétiquement, tout en raccourcissant avec ses doigts.

Tory était perdu.

— Une petite femme ?

Elle secoua la tête et se remit à faire sa démarche absurde.

— Ah ! une femme.

Elle fit un pouce en l'air. Réfléchit, et cette fois-ci, fit des mouvements de vagues en partant de sa gorge.

— Une femme qui chante !

Elle fronça les sourcils, joignit les mains pour demander au garçon de se concentrer. Elle refit son geste et se mit à sentir en l'air, comme un animal.

— Ah j'ai compris : une femme avec du parfum !

D'extase, elle tapa dans ses mains comme une enfant. Elle avait réussi à se faire comprendre.

— Eh bien quoi ? Tu veux du parfum ?

La mine de Lahynn se décomposa, mais elle n'en avait pas fini avec son inspiration. Elle se désigna du doigt, l'abaissa comme la fois précédente et mima de nouveau la femme au parfum et à la démarche grotesque, montrant ainsi qu'elle était plus grande qu'elle.

Le puzzle se mit doucement en place dans la tête de Tory qui tenta une nouvelle question :

— Tu te demandes si ta mère portait un parfum ?

Elle se saisit des mains du jeune homme, à la fois enthousiaste et avide de réponses.

Le garçon réfléchit un instant. De cette époque, les seules odeurs qui pouvaient lui rester était celle de l'auberge : alcool, rôtissoire, feu de bois, transpiration. Des effluves d'agriculteurs et d'ouvriers réunis pour débattre et manger. Puis après le massacre : c'était celles du brûlé, du sang et de l'urine. Le parfum était un liquide trop cher pour la population de cette bourgade. Seules les plus riches se parfumaient, signe qu'il n'avait pas besoin de chasser pour se nourrir et qu'il était même important de se faire remarquer par ce signe olfactif.

Non, impossible que quelqu'un porte quelconque effluve.

— Pour le coup, je suis presque certains que la femme qui était avec toi, n'en portait pas. C'est un signe de grande richesse, et j'aurais remarqué un animal comme celui-là.

Elle s'affala sur le coffre, les lèvres pincées. Sa quête ne faisait que commencer.

Du coin de l'œil, il observa celle qui avait été son amie d'enfance. Elle était devenue encore plus belle que dans son imagination, la peau diaphane et douce en apparence. Des cheveux plus foncés et plus longs que dans son souvenir, mais toujours gonflés par le vent et l'humidité. Elle avait un visage en pointe et toujours les mêmes yeux clairs et rieurs. Des perles qui se plissaient de malice à tout moment.

Le jeune qui se tenait en face de Lahynn était la copie du petit garçon de son rêve, sans les rondeurs de l'enfance. Sa mâchoire avait pris une forme anguleuse, où une jeune barbe essayait de grignoter de plus en plus de surface. Ses cheveux étaient restés châtains et raides, avec deux mèches rebelles qui lui tombaient dans les yeux, qu'il avait aussi vert que deux malachites.

Les deux jeunes laissèrent le calme et la joie secrète des retrouvailles, les envelopper. C'était un sentiment intime, qu'aucun des deux ne voulait partager.

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