1 - Renaissance du chaos
Note de l'auteur : Âmes sensibles, je ne vous dirais pas de vous abstenir, mais je vous préviens qu'il faudra peut être accrocher votre petit cœur, pour ce premier chapitre.
Bien à vous.
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An 2700, sur la planète Ortilâ.
— Pitié ! Pitié ! implorait le vieil homme, ayez pitié mon seigneur !
Pour toute réponse, les chaînes qui le retenaient prisonnier se tendirent d'un coup sec en envoyant l'homme à terre. Il fut traîné un moment derrière l'être encapuchonné, un Tèrck. L'être anthropomorphe, semblable à un humain dissimulé sous un large chaperon noir attacha de sa main gantée de métal, les chaînes au pommeau de sa selle. Ainsi juché sur une monture semblable à un cheval de fumée, un Spathre, il était la représentation parfaite de la mort.
Autrefois humains, les Tèrcks avaient gardé ce physique et seul leur visage était dissimulé dans l'ombre de leur capuche. Personne ne pouvait dire si un gouffre avait remplacé leur tête ou s'ils étaient devenus difformes à la suite de leur transformation.
Toujours les mains jointes, le captif réussit à se relever avec peine et tenta de tenir le rythme de ses jambes meurtries. Il avait le visage creusé par la vieillesse et la souffrance, un corps maigre sillonné de contusions et une tunique maculée de sang lui faisait office de vêtement.
Ses cheveux grisonnants étaient parsemés de plâtre, celui de sa maison en ruine dont il avait été extirpé de force par son geôlier.
— Non ! Je vous en supplie, pas ça ! s'époumona-t-il. Arrêtez !
L'homme se débattait comme un forcené, mais ses supplications ne pouvaient empêcher la Terre du Regard de se rapprocher inexorablement. Bientôt, elle l'engloutirait et il ne resterait rien de son passage sur Ortilâ.
Il avait lutté si violemment, que les chaînes enroulées autour de ses poignets les avaient rongés jusqu'au sang.
À quelques mètres seulement se tenait, droit et sombre, le manoir plus haut que large. Dressant ses deux tours aussi impressionnantes que deux bras de colosse portant le ciel.
Une unique et gigantesque porte d'acier ne rendait l'accès possible que par un système d'engrenages complexe.
Tout autour du manoir, le lac du Regard léchait les parois de ses eaux sombres, guettant la prochaine victime qui souhaiterait contempler son reflet, afin de la happer dans ses eaux épaisses et visqueuses.
Le vieillard trébucha, les chaînes se tendirent et ses genoux vinrent s'érafler contre le sol rocheux. Étouffant une plainte sourde, il reprit sa course en tentant de reprendre son souffle parmi le nuage de poussière. Le Tèrck poussa un grognement, sans daigner s'arrêter. Ces humains... Tous des faibles. Un corps faible, un esprit faible et une intelligence faible.
— Non... Non, toussa le vieux, impuissant.
Un pont de pierre grisâtre surplombait le lac huileux, un tintement de chaînes régulier et des claquements épars résonnèrent jusqu'à lui.
Des prisonniers, que tout différenciait, sauf la terreur et l'impuissance peintes sur leur visage. Le vieil homme regarda avec effroi les détenus, la tête basse, les pieds et les mains enchaînés, surveillés par une rangée de Tèrcks postés le long de l'étroit passage.
Une vieille femme tomba à terre parmi le rang, une ombre se mut, et un Tèrck plongea sa main dans son long manteau ébène.
Il en sortit une petite fiole transparente et la tendit vers la vieille étendue à terre. Une fumée translucide et nacrée quitta son corps avant de finir sa course dans la main du Tèrck, renfermant la fiole.
Deux créatures bossues, trop loin pour que le vieux les distingue nettement, vinrent dégager la dépouille sans vie du pont de pierre et disparurent dans les entrailles du manoir.
Si la terreur pouvait s'intensifier, elle ne pouvait se décrire. Seules les âmes de ces pauvres hères étaient utiles.
Leurs cadavres seraient ensuite jetés en pâture sans cérémonie mortuaire.
Le cœur du vieil homme cognait derrière ses côtes, et pas seulement à cause de sa course effrénée. Son cerveau, quant à lui, était enraillé, tétanisé par la peur. Mues par une morbide résolution, ses jambes meurtries continuèrent malgré tout d'avancer.
La créature chaperonnée arrêta sa monture. Une odeur pestilentielle piqua les narines du détenu avant l'apparition de la créature. Bossu et humanoïde, le Górte porta sa face ahurie et stupide sur le vieil homme en nage. Debout sur deux jambes et le buste plié vers l'avant, la crasse lui collait à la peau à cause du sang et de la sueur. D'énormes bosses saillaient à travers sa chair, déchirant sa peau par endroits sous forme de pierres calcifiées rugueuses, au contour purulent.
Le Górte était fourbu en avant à cause de sa difformité et avait une démarche pataude et lourde. Ses mains étaient larges comme des battoirs, l'une tenait fermement une énorme massue qui avait déjà servi.
Sans mot dire, il prit les chaînes que lui tendait le Tèrck. Il avait les yeux jaunes et une bouche dont la mâchoire semblait fracassée, tant elle déviait sur le côté, accentuant son air abruti.
À présent à l'allure du pas derrière le Górte, aucune émotion n'émanait du vieil homme, son visage était fermé et plus rien ne pouvait l'atteindre.
Il ne pensait plus.
Il ne souffrait plus.
Il n'avait plus peur de ce qui l'attendait et se laissa guider parmi le rang, à moitié mort.
Levant le regard de ses pieds nus, il observa les captifs enchaînés séparément les uns derrière les autres.
Dans la rangée, un jeune homme basané et aveugle trébucha et tomba à genoux sur la pierre dure, face à un Tèrck surplombant la file uniforme de prisonniers. C'était celui qui avait retiré la vie à la pauvre femme, l'instant précédent.
L'homme leva la tête vers la créature dont le visage invisible derrière son capuchon rabattu parut se figer.
— De l'eau... implorait-il à la sombre créature.
Le chef des Tèrck vint à la rencontre de son subordonné, il était plus grand et sa posture fière et haute fit reculer d'un pas son sous-fifre. Sa main gantée de griffes de fer agrippa avec force et détermination l'épaule de l'homme prostré. Ce dernier s'accrocha désespérément au pan de la tunique du Tèrck qui avait tenté de le repousser.
Il fut balancé face à la file de détenus qui continuaient leur chemin, lui jetant quelques regards fuyants.
Son regard affolé aux yeux sans vue, se leva vers ce visage dissimulé. Il ne vit pas le chef des Tèrcks attraper dans son manteau un objet pire que la fiole qui avait enlevé une âme peu avant.
Sombre et lové dans sa main comme un serpent, le chef des Tèrcks leva haut son fouet qui s'embrasa aussitôt de flammes violettes avant de l'abattre sur le captif.
Le cuir enflammé mordit instantanément sa chair, lui infligeant une entaille brûlante le long du dos. Il étouffa un cri en agrippant une dalle humide et froide.
Le coup se répéta sans que le prisonnier ne veuille montrer de signes de douleur quant à son supplice. Une autre balafre, il serra la mâchoire et un mugissement mourut dans sa gorge.
Deux autres coups, plus rapprochés, transformèrent son dos en brasier. Toujours agrippé à la dalle, il se concentra sur cette sensation douce et glacée. C'en était presque réconfortant. Un gémissement glissa de ses lèvres, et du sang bouillonnant goutta sur les pavés mouillés.
Il attendit la fin de sa flagellation en priant pour ne pas en succomber. Tout son corps tremblait, des sueurs glacées poissaient sa peau sans pour autant refroidir son dos meurtri.
Son bourreau leva pour la sixième fois son fouet, mû par l'euphorie du moment. Il n'atteignit pas sa victime, une main lui entravait le bras.
— Ça suffit, Deikarr !
Le Tèrck resté en retrait se tenait devant le chef, le maintenant d'une main ferme.
— Tu contestes mon autorité, Qaxa ? rétorqua le chef avec dédain en dégageant son bras.
Le dénommé Qaxa se contenta de relever l'homme à genoux en le prenant sous l'aisselle, pour le repousser vers la file de détenus. L'homme, fourbu mais vivant, avança comme un pantin, le dos zébré de rouge, les jambes flageolantes et ruisselantes du sang qui coulait en pluie de ses hanches.
Les deux Tèrcks parlaient dans une langue inintelligible, un mélange de râles, de grondements et de sifflements.
— Tu contestes ses ordres ! Il a ordonné cinq coups ! rétorqua Qaxa avec aplomb.
— Cet animal n'a pas crié ! s'irrita Deikarr en haussant le ton, frustré. Son fouet avait repris un aspect ordinaire, et toutes traces de sang avaient été absorbées.
— Garde tes paroles ! Elles pourraient bien te valoir la tienne ! aboya Deikarr.
Qaxa se contenta de feuler en signe d'indifférence. À l'évidence, perdre son âme lui importait peu.
— Hors de ma vue, Charogne ! hurla Deikarr, tu me répugnes... Va t'occuper de l'Exportation !
Qaxa se dirigea vers le manoir en grognant.
Le vieil homme avait observé cette scène ubuesque, tout en marchant lourdement derrière le Górte. Tout était gris, sans échappatoire possible et sans l'ombre d'un espoir.
Une idée fusa dans son esprit, comme la lumière éclate à travers un gouffre sans fin.
La mort, il devait l'appeler tant qu'il était encore temps. Simulant un accès de folie, il se remit à se débattre avec la vigueur d'un condamné, tirant de plus belle sur sa chaîne.
— Lâchez-moi ! Pourquoi vous faites ça ? Bande de bêtes difformes et repoussantes ! cracha-t-il.
Le Górte grogna, tournant vers lui des yeux jaunâtres et las des injonctions de l'homme.
Ce dernier redoubla d'audace, les menottes lui rongeaient les poignets et sa gorge était en feu.
— Répugnantes créatures ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Vous n'avez p...
Sa voix se brisa et une seconde après son corps heurta le sol, telle une poupée de son.
Il n'avait pas eu le temps de sentir ni la douleur, ni ce liquide chaud couler sur sa gorge après que la massue se soit abattue sur sa nuque.
Une fumée nacrée s'échappa de son enveloppe serpentant vers le ciel.
Le Tèrck sur sa monture s'empressa de prendre la fiole dans son long manteau et la dirigea vivement vers la dépouille sans vie.
— Bande d'incapables ! persiffla l'encapuchonnée tout en récupérant les restes de l'âme, faites attention ! Pas étonnant que les fioles cristallines soient aussi précieuses avec des ignares comme vous !
Le Górte coupable de l'homicide involontaire, toucha du pied le corps étendu à terre, l'ai ahuri, espérant un soubresaut de vie. Son compagnon protesta contre le Tèrck de sa voix rocailleuse, semblable à deux calcaires frottés l'un contre l'autre.
— Toi le « sans-âme », tu accuses nous les « âmes de pierres ». Mais ça, il désigna le cadavre étendu sur le sol, toi l'avoir déjà beaucoup abîmé, toi devoir subir même chose par Krêkr.
Il se frappa le torse du poing avant d'éclater dans un rire tonitruant, rejoint par son coéquipier, dans un vacarme assourdissant.
— Débarrassez-vous de cette chose, s'agaça le Tèrck en talonnant sa monture en direction de la forêt.
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