Quand je me suis réveillée à l'hôpital (2/2)

Je posai mes pieds nus sur le sol carrelé de la chambre de soins, laissant retomber la fine robe blanche le long de mes mollets. Le Maître passa une main derrière mon dos pour me soulever. Il quitta la pièce en me tenant dans ses bras avec une facilité déconcertante, qui n'était pas sans me rappeler à quel point nos forces étaient inégales.

Après avoir vérifié que j'étais bien installée, il avança à grands pas dans le couloir sombre de l'hôpital. J'observais d'un œil étonné les silhouettes qui croisaient notre chemin, allant et venant depuis les chambres ; elles avaient toutes ce même regard préoccupé de quelqu'un qui s'inquiète pour un proche.

Meiré me déposa devant une grande porte de bois cirée où figurait, gravé sur une plaque dorée à la manière humaine, le nom complet de la Doctoresse Catherine Harvey. Il posa sa main sur la poignée de métal pour l'incliner, déclenchant l'ouverture de la porte démodée.

Nous surprîmes Catherine, scrutant le ciel depuis la large fenêtre de son bureau, l'esprit perdu au milieu des étoiles, crachant des ronds de vapeur synthétique, un cigare électrique au coin de la bouche.

— Ah, te voilà enfin, lança-t-elle, avant de détacher son regard de l'horizon, emportant avec elle sa longue chevelure dorée pour s'installer à son bureau.

Équipé de meubles en bois, le cabinet de Catherine ressemblait en tous points à celui d'un humain. Accrochés au mur, plusieurs diplômes universitaires au cadre vieilli félicitaient une certaine Sandra Harvey d'avoir réussi ses longues études en médecine. Les années affichées sur les papiers précédaient de peu l'an deux-mille, laissant supposer que Sandra Harvey avait vécu ici avant la guerre.

— Installe-toi donc, il faut que nous parlions, dit Catherine sans relever la tête, désignant du doigt les deux fauteuils devant elle.

Meiré prit place dans le siège de gauche. Je le suivis lentement, lorgnant le siège de droite qui me semblait destiné, sans pour autant oser m'y asseoir.

La doctoresse fouilla dans différents tiroirs, cherchant quelque chose qui devait avoir une grande importance, puisqu'elle passa plusieurs secondes à ignorer le Maître ; lui-même attendant patiemment, sans ne montrer aucun signe d'exaspération. Finalement, elle déposa sur son bureau des seringues et deux poches en plastiques contenant un liquide rouge.

Elle salua enfin le Maître d'un sourire ; Meiré lui répondit en inclinant la tête respectueusement. Elle me fixa ensuite de ses deux yeux vifs, dont la forme en amande m'intimidait autant que ceux d'une lionne. Elle m'analysa de haut en bas, avant de s'écrier :

— Mais que fais-tu encore debout ? Assied-toi donc !

Sans me faire prier, je m'assis sur le fauteuil, cherchant une position qui ne m'était pas désagréable. Le Maître, pensif, surveillait chacun de mes mouvements du coin de l'œil.

— ça devrait aller, dit Catherine au Maitre, avant d'expulser deux cascades de fumée de son nez pointu. L'opération a été longue, j'ai du aller chercher des morceaux de verre perdus au milieu de ses intestins...

Elle illustrait ses propos méticuleusement en tenant son cigare comme un scalpel, sans se soucier du malaise de ses interlocuteurs.

— En revanche...

Elle marqua un silence, posant ses fines lèvres sur son jouet, cherchant ses mots pour annoncer une désagréable nouvelle ;

— Des rumeurs courent... Elles disent que ton chien a frappé un éternel. Elles disent que ton chien est dangereux.

À l'entente de la nouvelle, le Maître se laissa tomber contre le fauteuil, l'air grave.

— Qui est au courant ?

— Les quatre qui étaient avec moi ce soir là, répondit-elle avant de se pencher pour lui souffler : et Charles, bien entendu.

La poigne puissante du Maître fit couiner les accoudoirs. Il semblait sur le point d'exploser de colère.

— Cinq témoins, c'est énorme ! s'exclama-t-il. Cette histoire finira forcément par remonter jusqu'à la milice !

— Calme-toi, Meiré, coupa-t-elle. Les quatre autres sont sous mes ordres. Je me suis personnellement assurée qu'ils ne diront rien qui pourrait te nuire.

Elle inspira longuement à travers son dispositif, puis ajouta dans un nuage blanc :

— Charles est le seul dont tu devrais te soucier. Laisse moi te suggérer de le contacter au plus vite...

La colère de Meiré retomba d'un coup. Il enveloppa son front dans ses mains, avant de lâcher un long soupir exaspéré sur le rideau de cheveux qui recouvrait son visage.

— Tu as raison, grommela-t-il, le problème, c'est Charles. En ce moment même, il doit se réjouir de cette situation, lui qui cherche toujours à me provoquer...

Catherine leva les yeux au ciel comme si l'éternelle rivalité qui liait les deux vampires n'avait pour elle aucun mystère.

— Il t'envie tout simplement, Meiré, dit-t-elle avec sagesse. Tu le sais, depuis le temps.

Le Maître resta silencieux quelques instants, avant de finalement se redresser sur sa chaise, retrouvant une posture plus digne de lui-même.

— Si seulement tu avais pu te tenir tranquille, Camille, siffla-t-il en se tournant vers moi.

Il approcha sa main droite de mon visage pour caresser ma joue de son ongle froid. Je fermai les yeux, craignant une punition.

— Sais-tu ce qui se passera, si la milice débarque chez moi ?

Je secouai la tête en silence, ne me risquant pas à répondre. Il empoigna mon menton.

— Elle me demandera de te tuer, avoua-t-il d'une voix cruelle. Et pour bien s'en assurer, ces maudits gardiens me surveilleront jusqu'à ce que tu lâches ton dernier souffle.

Ses traits ne laissaient aucun doute : il ne plaisantait pas. Il soutenait mon regard en silence, semblant y chercher la peur sans pour autant l'y trouver, car l'idée de mourir des mains de mon Maître n'était pas ce qui m'effrayait le plus. Devenir une vache, ça, c'était effrayant.

Troublé par ses propres mots, il lâcha mon visage pour se retourner vers Catherine qui avait observé la scène d'un œil intrigué.

— Je vais m'arranger avec Charles, annonça-t-il. Il emportera avec lui le secret que Camille l'a frappé. Je ne veux pas avoir à me justifier auprès de la milice...

Il marqua un silence, avant de murmurer avec une aversion perceptible au fond de la voix : une fois encore.

Catherine hocha la tête. Il n'y avait rien de plus à dire. Elle commença à rassembler les différents objets qui traînaient sur son bureau.

— Si tu la reprends ce matin avec toi, tu auras besoin de ça, dit-elle en lançant au Maître une poche rouge qu'il attrapa au vol. Camille ne pourra pas te servir de repas pendant qu'elle guérit.

Découvrant un emballage aux décorations ridicules, le visage du Maître parut premièrement étonné, puis écœuré.

— Du sang vanillé ? Tu veux me faire boire ça ? lâcha-t-il avec dégoût.

— Ce n'est pas si mauvais, admit-elle, un sourire au coin des lèvres. Et puis, je n'ai que ça dans mon bureau.

— Comme si tu n'avais pas mieux à me proposer, avec tous tes patients, plaisanta Meiré, sarcastique.

— Justement, ce sont des patients. Je ne vais pas saigner des blessés, rétorqua-t-elle d'un ton sec.

— Et Sandra ? Ne t'appartient-elle pas ?

— Oh, Sandra.

Catherine laissa glisser son regard sur une vieille photo qui décorait son bureau. Une femme d'une quarantaine d'années y était assise, visiblement accompagnée de son mari et de ses deux fils.

— Sandra ne m'autorise pas toujours à boire son sang, répondit-elle avec ironie. Elle dit que ce n'est pas très bon pour sa santé.

Le Maître ricanna nerveusement et ne jugea pas utile de répondre. Il se contenta de secouer la tête avec dans le regard, de l'incompréhension teintée d'admiration.

— Tu auras besoin de ça aussi, ajouta Catherine en présentant au Maître plusieurs seringues déjà préparées. Une par jour, et n'oublie pas les interférons dès que tu seras rentré.

— Merci, Catherine, prononça Meiré avec respect.

Elle lui répondit d'un sourire, avant de libérer vers le plafond une vapeur abondante. Le Maître échangea avec Catherine un regard plein d'estime, puis quitta son siège en me faisant signe de le suivre.

Je m'inclinai pour la saluer, avec la douce satisfaction de l'avoir reconnue. C'était bien cette même personne qui avait bronché quand Charles avait rabaissé les chiens, le jour de l'accident ; c'était bien elle qui m'avait sauvée.

Alors que la porte du bureau se refermait derrière moi dans un claquement familier, mon esprit était encore teinté du charisme inégalable de la doctoresse Catherine Harvey.


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