Quand j'ai perdu confiance (2/3)

 Le Maître se tut, jugeant cette révélation suffisante. Il n'ajouta pas la moindre explication, ni la moindre justification à son propos, rien qui ne me donne la chance de le comprendre. Son regard avait dévié dans le vide, tandis que ses ongles pointus tapotaient lentement le matelas.

— Co... Comment ça ? dis-je, le souffle coupé.

— Comment ça, quoi ? rétorqua-t-il avec froideur, comme si son aveux précédent n'avait rien de questionable.

La gorge nouée, je répétai le plus calmement possible :

— Comment ça, de manière pas très élégante ?

Il leva les yeux au ciel.

— Que veux-tu que je te dise de plus ? C'était la guerre !

Je me sentis stupide.

— Mais Charles a dit...

— Charles raconte bien ce qui l'arrange ! Il ne faut pas croire tout ce qu'il dit !

Meiré rendait la conversation difficile. Son attitude défensive et sa manière d'éluder mes questions me faisait perdre le fil de mes pensées. Le stress me gagnait à nouveau.

— Mais... dis-je tout de même, avez-vous égorgé des gens comme il l'a dit ?

Un court silence suivit ma question. Il quitta le mur pour se pencher vers moi, l'œil sombre.

— Il fallait bien tuer d'une façon ou d'une autre, grogna-t-il en serrant les dents. C'était la guerre, je te le répète !

Je reculai de terreur. Ce n'était pas ce que je voulais entendre !

— La guerre n'excuse pas tout ! criai-je. Pourquoi fallait-il que vous soyez aussi cruel ? Ce n'était pas nécessaire !

Les pupilles de Meiré se dilatèrent de colère.

— Tu n'étais pas là, Camille ! Tu n'en sais rien ! hurla-t-il aussitôt en plantant ses ongles dans la couverture au niveau de mes épaules.

Il me tira d'un coup sec vers lui et plongea ses yeux déments dans les miens.

— Arrête de me poser des questions ! Rien de tout cela ne te regarde ! Je n'ai pas à me justifier auprès d'un chien !

Effrayée, je m'enfonçai dans la couverture pour fuir son regard. Il y a peu, j'aurais pris sa colère pour un simple avertissement, mais depuis le rêve, elle me faisait véritablement peur.

Meiré lâcha un râle d'exaspération. Il regarda en direction du couloir et s'apprêtait à quitter le lit.

— Je vous ai vu faire ! criai-je en dernier recours, dans l'espoir de faire perdurer la discussion.

Par chance, mes mots captèrent son attention.

— Tu m'as vu faire quoi ?

— Cette nuit, je vous ai vu tuer un enfant, dis-je en essayant de contenir les tremblements de ma voix. Fred et Charles essayaient de vous retenir. Ils disaient que vous dépassiez les quotas !

Meiré me fixait d'un air troublé, tandis que je terminais mon récit dans l'émotion :

— Vous lui aviez même arraché la tête !

Il semblait que mes craintes avait maintenant gagné le vampire en face de moi. Les traits de son visage s'étaient raidis et il me dévisageait dans un silence pesant.

— Où est-ce que tu as vu ça ?

— Cette nuit, dans mon rêve. C'était beaucoup trop réel !

Meiré resta interdit quelque instants, comme si mon histoire l'avait interpellé. Finalement, il se radossa au mur.

— Ce n'était qu'un rêve, Camille.

Il inspira longuement.

— Néanmoins, il est vrai que j'ai dépassé les quotas pendant la guerre.

Les traits de son front se crispèrent comme s'il tentait de chasser une pensée désagréable.

— Il y avait une raison à cela, ajouta-t-il de sa propre initiative.

Il capta mon attention à son tour. De quelle raison parlait-il ? Je brûlais tant d'impatience d'en apprendre plus sur ses motivations que je finis par me rapprocher de lui pour mieux l'entendre.

— Avant la guerre, on m'a jeté en prison... continua-t-il un instant, avant de se perdre à nouveau dans un silence interminable.

Choquée, je le fixais sans dire un mot. Il avait baissé la tête, l'air tiraillé, comme si ses derniers mots l'avaient transporté dans un passé désagréable.

Mes pensées s'agitaient dans tous les sens. Le Maître, en prison ? Pourquoi ? Pour quel crime ? Je me rappelais ses excès de colère et la façon dont il avait traité mon ancienne Maîtresse. Il n'avait pas hésité à l'attaquer sauvagement. Avait-il tué un vampire dans le passé ? Avait-il enfreint les règles de son gouvernement ? Était-ce la raison pour laquelle il craignait la milice à ce point ?

Meiré fronça les sourcils tandis que mon esprit inventait tout un tas de nouvelles hypothèses.

— Camille, lâcha-t-il dans un soupir vanné, tu penses beaucoup trop. Arrête.

L'adrénaline grimpa dans ma poitrine.

— Hein ? Vous... écoutiez mes pensées ? bégéyai-je avec honte.

Maintenant qu'il l'avait dit, je remarquai que ses yeux brillaient toujours d'une légère lueur rouge.

— Arrêtez, s'il vous plaît ! l'implorai-je en secouant la tête.

— Je ne peux pas quand je suis énervé, broncha-t-il en serrant les dents. Arrête d'imaginer n'importe quoi. Je vais t'expliquer !

Terriblement embarrassée à l'idée que toutes mes réflexions lui parviennent, j'essayais en vain de penser à autre chose. Mais à quoi ? À qui ? Il n'y avait que lui pour occuper mon esprit ! Déjà, le train de pensées reprenait. Et si le Maître était bien plus rebelle qu'il n'y paraissait ? Peut-être avait-il une dent contre le système ! Combien de temps était-il resté en prison ?

Agacé, Meiré tourna la tête pour regarder par la fenêtre de ma chambre. Malheureusement, son regard se heurta aux volets scellés. Il grimaça en redécouvrant le grillage que lui-même avait installé.

— Allons au salon, maugréa-t-il en se levant du lit.

Il disparu en l'espace d'un instant.

Pressée de le rejoindre, j'enfilai la première robe qui me tombait sous la main. Arrivée au salon, je constatai que lui aussi avait changé ses vêtements. Il s'était habillé humblement comme aux jours de repos et attendait dans son fauteuil, les deux bras reposant le long des accoudoirs. À coté de lui, la fenêtre était grande ouverte. Apaisé par les bruits de la nuit et le vent froid qui s'engouffrait dans la pièce, il avait retrouvé son calme, ses pupilles s'étaient finalement éteintes.

D'un geste du doigt, il me fit signe d'approcher. Je pris place sans attendre sur le tapis de fourrure devant lui.

— Avant tout, il y a quelque chose que tu dois comprendre, Camille.

Mon cœur s'accéléra. Il expira longuement, avant d'ajouter à voix basse:

— Aucun éternel n'a échappé à la Guerre. Nous avions pour ordre de traquer les humains et de les... tuer, précisa-t-il après une courte hésitation. Mais pas tous, nous avions pour ordre d'épargner les grands...

Il leva son index pour me désigner de son ongle pointu :

— Et les jeunes comme toi.

Un frisson me descendit dans le dos.

— Cependant, continua-t-il, avant la Guerre, on m'a jeté en prison.

Ses mains se refermèrent sur les accoudoirs du fauteuil, faisant crisser le cuir. Il ajouta avec rancoeur :

— Je n'avais commis aucun crime. J'ai été piégé !

Il se forçait à rester calme, mais son regard dépité me laissait comprendre que cette histoire l'avait blessé.

— Je n'avais pas le droit à la moindre goutte de sang ! Mon corps se desséchait chaque jour un peu plus ! Ma peau se fissurait de toutes parts !

Il scruta ses bras avec effroi, comme s'il y revoyait les marques de ce châtiment cruel.

— Quand par miracle Charles a pu me faire libérer, à la veille de la Guerre, j'étais devenu complètement fou. La soif me brûlait de l'intérieur. Peux-tu seulement l'imaginer ?

Non, bien sûr que non. Je secouai la tête avec effarement.

— Penses-tu alors que j'avais la tête à me soucier des quotas ? Des éventuelles règles ?

Je baissais la tête avec dépit. Je comprenais maintenant où il voulait en venir.

— Une seule chose comptait : il fallait que je me soigne.

Il prit une inspiration, avant de terminer :

— Et tu sais très bien comment les Éternels se soignent.

Je hochais silencieusement la tête en fixant le sol. Ses révélations me rendaient triste, mais au moins, j'avais obtenu les justifications tant espérées.

Fatigué par toute cette discussion, Meiré s'était affalé dans son fauteuil, retenant sa tête d'une main. Il avait même fermé les yeux.

Je réalisais à quel point je le connaissais si peu malgré tout ce temps passé à ses cotés. Qu'avait-il fait pour mériter un tel châtiment ? Pourquoi Charles l'avait-il aidé à sortir de prison ? Qui l'avait piégé ?

Je lâchai un soupir ; voilà encore des questions pour lesquelles je n'aurais probablement jamais de réponse.

Mon regard s'aventura le long de ses cheveux décoiffés et s'arrêta sur ses mains. Comment accepter que ces mains qui ne m'avaient jamais blessée, avaient pourtant froidement abattu mes semblables ? Peut-être avaient-elles même tué des gens que je connaissais ? Ma gorge se noua à cette idée.

— Avez-vous tué mes parents ? lui demandai-je aussitôt.

Meiré rouvrit les yeux avec incompréhension, pris de court par cette question inattendue.

— Qu'est ce que tu racontes ?

— Vous auriez pu les avoir pris pour cible !

Il secoua la tête, l'air abasourdi.

— Mais comment veux-tu que je le sache ?

— Je ne sais pas ! m'écriai-je avec inquiétude. Peut-être au goût du sang ? Vous avez bien dit que mon sang avait un goût spécial !

— Comment veux-tu que je me souvienne du goût de tous ceux que j'ai t...

En voyant mes yeux se remplir de larmes, il omit volontairement la fin de sa phrase. Il se contenta de lever les yeux au ciel, puis récupéra dans une main son petit écran qui reposait sur l'accoudoir. Il le parcouru de ses ongles avant de le tourner dans ma direction.

— Tu vois quelque chose?

Je plissai des yeux pour déchiffrer le tas de pixels qui flottait au dessus de l'écran, sans y parvenir.

Le Maître soupira et reporta son attention sur l'appareil. Après avoir appuyé sur un bouton, il me présenta l'écran à nouveau. Cette fois-ci, les pixels étaient correctement organisés derrière la vitre. Malgré le scintillement vert bien trop agressif pour mes yeux, je reconnus une carte du monde.

— Montre moi où vivaient tes parents, ordonna-t-il.

J'avalai ma salive en fixant la tablette, espérant ne pas désigner une zone fatale. Je répondis d'un faible "ici" en montrant un point à quelques kilomètres de la mer.

Meiré arrêta son regard sur le lieu et sembla réfléchir. Il affirma ensuite :

— Je n'ai pas combattu dans cette zone.

Mes épaules en tombèrent de soulagement. Il n'y avait donc aucune chance que mes proches l'aient rencontré. Je me sentais déjà mieux.

Meiré s'allongea plus confortablement dans son fauteuil. Quelques secondes s'écoulèrent dans un silence apaisé, jusqu'à ce que ne vienne une nouvelle inquiétude.

— Si... vous étiez enragé, c'est uniquement parce que vous avez été privé de nourriture, et ça ne peut plus arriver aujourd'hui, n'est-ce pas ?

Le Maître haussa un sourcil, stupéfait.

— Camille, pourquoi toutes ces questions ?

— Je veux être sure que ça ne puisse plus se reproduire !

— Qu'est-ce que ça changerait ?

La réplique de Meiré me parvint droit au cœur. Effectivement, qu'est-ce que ça me changerait de savoir s'il pouvait ou non se monter sanguinaire aujourd'hui ? De toutes façons, je n'avais nulle part ailleurs où aller, j'étais vouée à être enfermée ici jusqu'à la fin de mes jours. À quoi bon m'inquiéter de son tempérament, si je n'avais plus d'amis, plus de parents, plus de proche à qui tenir ? Pourquoi me posais-je toutes ces questions ? Qu'essayais-je de sauver ?

Des larmes de honte coulèrent sur mes joues.

Qu'adviendrait-il de ma dignité, si j'appréciais un être ignoble ? L'attachement que je lui portais, voilà ce que je souhaitais sauver. Cet attachement était la seule chose qui m'apportait un minimum de réconfort dans cette vie misérable. C'était tout ce qu'il me restait. Sans lui, je n'étais plus rien...

— ...je n'ai plus que lui, dis-je tout haut, la voix pleine de détresse.

Durant mon intense réflexion, je n'avais pas remarqué que les yeux de Meiré s'étaient remis à briller.



(Bonjour à toutes et à tous !

Merci vraiment pour votre patience ! SwissWolfqueen et moi prenons du temps pour écrire les 3 derniers chapitres de l'arc 1 ! Nous ne voulons surtout pas rater la fin !

J'espère que la lecture vous a plu ! La dernière phrase vous donne l'eau à la bouche ? Avez-vous d'autres questions que celles de Camille? N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire ! 

Avec ce chapitre je vous ai concocté deux petits dessins (L'un avec Meiré vieux, et l'autre avec Meiré jeune) dans le même style que les illustrations des chapitres. C'est sur la page facebook du livre, il y a un lien ici leschiensdesvampires.com ! N'hésitez pas dire lequel vous préférez ! 

A tout bientôt, et merci encore pour toute votre gentillesse !

La citation du jour:

« Meiré : Putain mais qu'est-ce que tu me brises les couilles avec tes histoires de mortelle de merde. — @SwissWolfQueen @2017  »)


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