Quand il a gravé son nom (2/3)
Le Maître avait réussit à me convaincre. Il avait affirmé qu'il ne lui restait qu'à régler quelques simples formalités pour me garder, à condition que je ne lui jette plus d'objet dessus — aussi mous qu'ils puissent être — et que je respecte ses ordres.
Au loin, les immeubles de l'élevage commençaient à apparaître. Ils étaient faciles à distinguer des autres par leurs fenêtres à l'éclairage rose foncé. Plus nous nous en approchions, moins je me sentais en sécurité. Je me souvenais de toutes ces fois où mes anciens propriétaires m'y avaient abandonnée. Parfois pour une bêtise. Parfois pour une question de goût. Ces séparations me rendaient malade. J'avais peur d'être seule ; de ne retrouver personne ; de finir aux vaches. Tandis qu'on m'enfermait en cellule à nouveau, eux repartaient avec un nouveau chien.
Je m'agitais à ces pensées noires. Percevant mon malaise, le Maître resserra ses doigts autour de ma nuque.
Nous étions arrivés devant l'entrée où clignotait le logo en forme de cercle. Ce même symbole était gravé sur mon collier.
Le Maître me lança soudainement un regard sévère. Je réprimai un sursaut quand ses yeux croisèrent les miens.
— Je ne tolérerai aucun écart ici. Est-ce bien clair ?
Intimidée, je hochai la tête.
— Oui, Maître, murmurai-je docilement, malgré toutes les craintes que m'inspiraient cet endroit.
Avec ses tapisseries rouges aux motifs dorés, le hall d'entrée de l'élevage laissait presque oublier qu'il s'agissait d'une immense prison.
— Salutations. Puis-je vous aider ? lança une voix féminine dans la grande salle.
La créature à la silhouette élancée se déplaçait d'une table à une autre, ajustant avec minutie la position de divers objets métalliques, tels que des chaînes et des colliers. De part ses mouvements rapides et sa grande taille, je compris qu'il s'agissait bien d'une Éternelle.
— En effet, répondit Meiré en me montrant du regard, j'ai acheté celle-ci il y a quelques jours dans votre élevage.
— Oh, je vois, fit-elle en s'approchant de lui. Vous la testez ?
— C'est exact.
— Comment s'est-elle comportée ?
— Fidèle à la description qu'on m'en a faite, lança-t-il avec un sourire aux coin des lèvres.
La femme croisa les bras, perplexe.
— Que voulez-vous dire ?
— Oh, elle est un peu...
Il s'interrompit, le temps de me dévisager de haut en bas.
— Bizarre... reprit-il en reposant son regard sur son interlocutrice. Mais à ce prix là, je ne vais pas refuser.
La femme fronça les sourcils. Les remarques du Maître semblaient l'avoir contrariée. Elle alla chercher un petit écran sur l'une des tables puis se déplaça derrière moi.
— Permettez que je vérifie son dossier... annonça-t-elle en soulevant mes cheveux pour voir mon collier. Elle murmura ensuite une série de chiffres jusqu'à ce que sa tablette émette un petit son aigu. Quelques secondes plus tard, elle s'exclama :
— Oh, c'est ce chien-là ! Son prix est très bas. C'est compréhensible, vu ses antécédents...
Elle resta silencieuse le temps de parcourir des informations sur son appareil.
— Je ne peux malheureusement rien vous proposer d'équivalent, reprit-elle. Plus les années passent et moins ce genre de cas existent. De nos jours, nous élevons les chiens depuis leur naissance et nous les vendons bien plus chers.
Lâchant un soupir, elle ajouta :
— Mais si elle ne vous convient pas, je peux la reprendre.
Je me figeai sur place. Le Maître m'avait-il menti ? N'avait-il aucune empathie pour ma personne ?
— Ce n'est pas nécessaire, répondit Meiré à mon grand soulagement. Elle fera l'affaire. Envoyez-moi les documents dont j'ai besoin et passons à la suite.
La femme acquiesça du regard.
— Bien, je vais vous envoyer tout ça. Pourriez-vous choisir un collier en attendant ? Nous allons remplacer celui de son ancienne Maîtresse.
Elle désigna un présentoir où étaient entreposés plusieurs colliers métalliques aux formes et couleurs variées.
— Nous avons plusieurs modèles, par exemple...
Elle désigna une rangée de collier particulièrement larges.
— Ceux-là contiennent de l'électronique. Ils peuvent, entre autres, diffuser en tout temps la position de votre chien.
Elle posa ensuite son doigt sur un cercle décoré d'un trait jaune en son centre.
— Celui-ci est un excellent modèle pour les chiens désobéissants. Vous pouvez l'activer à tout moment pour qu'il envoie une décharge électrique. Croyez-moi, tous les chiens rebelles finissent par céder quand ils portent ce collier.
La créature garda longtemps son attention sur l'instrument de torture, comme si elle voulait convaincre le Maître de l'acheter.
— C'est un curieux objet, s'amusa Meiré. Mais ne risquerait-il pas de s'activer quand je bois à sa gorge ?
La créature parût surprise.
— Oh... À sa gorge... ? Vous ne pourriez pas l'utiliser à ce moment là...
Désintéressé, le Maître posa ses yeux sur un autre collier plus fin en bout de table.
— Et celui-là, que fait-il ? s'enquit-t-il en ramassant le cercle argenté entre son pouce et son index.
— Oh, celui-ci... C'est un modèle très discret. Mais il est très solide, comme tous les autres. Il possède aussi une part d'électronique : un senseur qui calcule en direct le pouls et la température de votre chien.
— Intéressant, lança-t-il en scrutant l'objet sous tous ses angles. Et cette alarme qui s'est activée à mon dernier repas, l'a-t-il aussi ?
— Vous voulez parler de l'alarme qui se déclenche quand la situation devient critique ?
— C'est bien ça, répondit-il avec une pointe d'irritation dans la voix. Je n'en veux pas. Je suis tout à fait capable de juger par moi-même de l'état de mon chien.
— Oh, fit-elle, légèrement déstabilisée par ce changement de ton. Son ancienne Maîtresse avait dû garder cette option, mais il n'y a pas de problème, vous pourrez facilement l'enlever depuis votre tablette. C'est activé par défaut sur tous nos colliers pour des questions de sécurité.
— J'y compte bien, termina-t-il avant de poser une main sur mes cheveux.
— Et toi, que penses-tu de ce nouveau collier ?
Il me fallut quelque secondes pour réaliser que le Maître me parlait.
Quoi ?
Me demandait-il vraiment si le collier me convenait ? Se moquait-il de moi ? Cette discussion humiliante avec la vendeuse ne lui suffisait-elle pas ? Si seulement j'avais le choix, je n'en porterais aucun !
En guise de réponse, je lui retournai un regard haineux, puis, me souvenant de sa mise en garde, je baissai immédiatement la tête pour fixer le sol.
Déconcerté par mon attitude, le Maître soupira, sans comprendre où était le problème. Témoin de la scène, la femme en face de lui reprit parole :
— Peut-être auriez-vous besoins de sédatifs ? Vu ce que j'ai lu sur elle, ça pourrait vous aider. Nous avons différents types...
— Il me faut des interférons, coupa Meiré.
— Nous en avons aussi. Quelle version ?
— La nouvelle. La plus légère.
— Eh bien ! dit-elle, vous n'avez pas peur.
— Peur de quoi ?
— De devoir gérer un chien difficile...
Meiré leva les yeux au ciel.
— Ce n'est qu'une humaine, grogna-t-il, vous me prenez pour qui ?
— Vous savez, des interférons plus puissants pourraient lui faire passer des envies de rébellion, ou même suicidaires, proposa-t-elle avec le plus grand sérieux.
Entendant ses mots, je secouai vivement la tête. Non, pas les drogues ! J'en avais déjà fais les frais. Ces produits déformaient les sens et m'empêchaient de réfléchir. Je voulais rester moi-même. Peu importe ce qui m'arriverait. Je continuerais à supporter cette vie, aussi dure qu'elle soit !
Le Maître semblait hésiter. J'ouvris la bouche pour lui parler, mais aucun mot n'en sortit. C'était bien trop risqué de m'exprimer ici. Par chance, mon agitation attira son attention. Il croisa mon regard, puis déclara :
— La version simple suffira, mais... je prendrai tout de même une chaîne avec ça.
La femme acquiesça.
— Si vous avez tout ce qu'il vous faut, alors je vais aller chercher la machine.
*
Une grosse pince de métal s'était refermée sur ma gorge en bloquant mon collier. La femme avait retenu mes cheveux au dessus de l'engin pour qu'ils ne brûlent pas. Le tas de ferraille avait chauffé, vibré, puis un bruit strident avait précédé la chute en deux morceaux du large collier de mon ancienne Maîtresse. La femme avait répété l'opération avec la nouvelle pièce bien plus fine. Pas de bruit de découpe cette fois, mais un crissement qui avait duré plusieurs minutes, le temps que le nom complet de mon nouveau propriétaire soit entièrement gravé.
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