Quand il a fallu s'excuser (3/3)
Déconcertée, je m'abaissai aux pieds de Charles, retenant mon front à quelques centimètres du sol, pour m'excuser à nouveau.
— Maître Charles... murmurai-je avec honte, je vous prie de me pardonner pour mes actes... Je me suis mal comportée, je...
— Tu récites une leçon ? coupa-t-il, trouvant le moyen de m'humilier d'avantage.
Il empoigna mes cheveux pour me hisser au niveau de son visage.
— Tu crois que je veux des excuses ? Je ne suis pas Meiré ! Rappelle toi de ce que tu es, et à quoi tu sers, sale chienne !
Mes yeux humides croisèrent les siens. Je gardai le silence, ne sachant que dire, démunie face au mépris qui habillait son regard. Charles m'observa quelques instants, avant de froncer le nez comme si une pensée dérangeante l'avait heurté. Il me relâcha aussitôt contre le bord du fauteuil.
— Implore-moi de boire ton sang ! Exigea-t-il soudain.
Mon front se crispa de dégoût. Pourquoi me demander une chose aussi dégradante ? Pourquoi ne se servait-il pas de lui-même, comme le font les autres Maîtres ? Je voulais refuser, mais la peur de recevoir un autre coup m'en dissuadait. Que faire ?
Ma mâchoire se crispa. Mes lèvres frémirent.
— S'il vous pl... commençai-je à dire, avant de m'interrompre subitement, assaillie par les hurlements de mon cœur exprimant son désaccord.
Je ne supporterai plus de vivre après une telle humiliation ! Réalisai-je soudain, dans un éclat de lucidité. Si j'avais plié face à Charles, c'était pour protéger cette vie à laquelle Meiré m'avait redonné goût. Quelle saveur avait-elle, maintenant qu'il m'avait abandonnée à ce monstre ? Aucune !
— Non, refusai-je sèchement.
— Quoi ? s'écria Charles, scandalisé que je me permette encore de lui résister.
— Jamais, dis-je tristement. Je préfère mourir !
Le regard de Charles se ternit.
— Vraiment ? Je n'hésiterai pas, menaça-t-il en refermant ses doigts glacés sur mon cou.
En guise de démonstration, le vampire me souleva cruellement au dessus de lui. Étouffant sous sa poigne, je m'accrochai désespérément à la manche de son peignoir pour soutenir mon corps. De sa main libre, il déchira le haut de ma robe, dénudant mes épaules et ma gorge, découvrant avec fascination les multiples cicatrices qui traversaient ma peau.
— Toutes ces marques ! Toutes ces cicatrices sur ton cou ! À croire que tu aimes ça !
Je secouai la tête avec indignation. Comment pouvait-il me dire ça, alors que j'avais subi, dans l'horreur et le silence, chacune des morsures barbares de mon Maître à cet endroit ?
Les yeux teintés d'une admiration malsaine, il rapprocha ses canines de mon cou, rasant mes joues de ses cheveux noirs, assiégeant mes narines de son parfum sale. Je me préparai à l'inévitable, enfonçant mes ongles dans son bras, verrouillant mes paupières.
Sans attendre, le vampire planta ses dents pointues dans ma gorge. Avant même que je n'aie le temps de hurler, il se retira abruptement, affichant ses deux crocs ensanglantés.
— Tu t'imagines que je vais faire pareil que ton Maître ? cracha-t-il sur mes lèvres tremblantes.
Inclinant sa main qui m'étranglait, il bascula mes épaules en arrière. Le sang qui s'écoulait à flots changea de trajectoire : glissant sur mon dos, colorant au passage la robe déchirée, il atterrissait maintenant à grosses gouttes sur le parquet.
— Personne ne va boire ce sang ? Quel gâchis !
À l'instant où Charles prononça ces deux mots, le fauteuil où se trouvait Meiré émit un craquement. Quel gâchis ! Les deux mots résonnèrent en boucle dans ma tête, ravivant les souvenirs de mon échange avec Meiré à l'hôpital. Quel gâchis ! le Maître avait dit avec regret en voyant ma cicatrice, avant se se calmer, soulagé que je sois en vie.
Un minuscule espoir s'extirpa alors des ténèbres de mon esprit. Peut-être que le Maître ne m'avait pas abandonnée ; peut-être qu'il ne faisait que le nécessaire pour éviter la milice ; peut-être que lui aussi n'avait pas le choix !
Je lâchai la manche de Charles pour m'accrocher à cette idée, plaquant ma main contre la plaie ouverte. Je ne voulais plus mourir. Pas maintenant. Pas ainsi !
— Pitié, soufflai-je à Charles, le regard implorant. Buvez mon sang, buvez-le !
À l'entente de ma supplication, Charles écarquilla les yeux. Il fronça le nez, furieux, avant de s'exclamer :
— Tu me répugnes ! Je ne veux pas de ton sang ! Va donc nourrir ton Maître !
D'un geste violent, il me propulsa contre Meiré. Le Maître me réceptionna avant que je ne me cogne, amortissant ma chute entre ses mains tremblantes. Son odeur cendrée m'enveloppa en même temps que ses bras raidis ; ses doigts nerveux agrippèrent le haut de ma robe déchirée et la remontèrent sur mes épaules. Délivrée de Charles, je me calmai enfin, me laissant faire sans opposer de résistance.
Se rasseyant sur le canapé, le Maître me serra contre lui. Ses cheveux gris glissèrent le long de ma joue alors qu'il rapprochait sa mâchoire crispée de ma gorge. Épuisée, je me laissai choir contre son ventre, fermant les yeux, préférant oublier qu'il allait me mordre à son tour.
— Alice ! hurla Charles, nous faisant sursauter tous les deux. Dépêche-toi de venir ici !
Une jeune fille aux long cheveux noirs entra précipitamment dans la pièce. Elle courut jusqu'au canapé de Charles et s'arrêta devant lui. Elle jeta un regard nerveux autour d'elle et tressaillis en m'apercevant. Je reconnus la sauvageonne qui avait crié quand j'avais essayé de la rassurer, il y a longtemps, ici même.
Quand Charles attrapa son poignet, elle bougea les lèvres, chuchotant quelque chose d'inaudible. Comprenant qu'il allait boire son sang, elle s'assit devant lui, se montrant bien plus docile qu'à l'époque, malgré la crainte lisible sur son visage.
Meiré embrassa ma gorge de sa langue glacée, pour lécher la coulée de sang qui s'en échappait. À défaut de planter ses crocs dans la blessure, il se contenta d'y poser ses lèvres, à mon grand soulagement.
Charles nous lança un regard inquisiteur alors qu'il s'apprêtait à mordre le poignet de son chien. Captivé par la vision de Meiré buvant à mon cou, il eut un instant d'hésitation ; soudain, il tira Alice par le bras pour la faire grimper sur ses genoux. La jeune fille prit place sur ses cuisses en tremblant, fixant son Maître avec incompréhension. Charles attrapa son collier, et, sans prendre la peine de la rassurer ni même de la prévenir ; il enfonça sauvagement ses incisives dans sa gorge.
Alice se courba sous la douleur et tenta de repousser Charles avec ses petites mains, en vain ; l'assaillant renforça son emprise, pénétrant plus profondément dans sa chair. Elle se débattit, ouvrit la bouche pour hurler ; mais son souffle tumultueux n'était accompagné d'aucun son ni d'aucune tonalité ; et il y avait là quelque chose de bizarre en comparaison avec ses cris hystériques d'autrefois.
Alerté par l'agitation silencieuse d'Alice, le regard rougeoyant de Meiré changea de route. Il observa curieusement la fille durant plusieurs secondes ; soudain, il fronça les sourcils, puis éloigna sa bouche de ma peau, intrigué, oubliant jusqu'au sang qui coulait sur ma gorge.
— Elle est muette ? demanda-t-il tout en se penchant en avant pour mieux scruter la gorge d'Alice.
Désignant le cou de la fille du doigt, Meiré s'inquiéta :
— Cette longue marque, qu'est ce que c'est ?
Charles retira un instant ses canines de la gorge d'Alice pour lui répondre.
— Elle ne pouvait pas s'empêcher de crier, alors j'ai réglé le problème, précisa-t-il fièrement, la bouche sanguinolente.
Les traits de Meiré se teintèrent d'aversion.
— Tu lui as fait retirer...
Il s'interrompit à mi-chemin, assommé par les mots de Charles. Il se laissa lourdement retomber contre le dossier du canapé, choqué. Je regardai Alice à mon tour, sans rien y voir à cause du manque de lumière ; toutefois, les paroles et la réaction du Maître me suggéraient qu'il y avait sur son cou la trace d'un acte effroyable.
— Depuis l'opération, ma chienne est bien plus calme, reprit Charles. Tu devrais y songer pour la tienne.
Je me glaçai sur place, tandis qu'un spasme nerveux parcourait le corps de Meiré. À l'idée abominable que Charles eût mutilé sa chienne pour qu'elle ne puisse s'exprimer, mes forces resurgirent soudain et je m'écriai avec indignation :
— C'est monstrueux ! Vous êtes un monstre ! Vous êtes ignoble !
Atterré tout autant que moi, Meiré resta silencieux, me laissant vociférer à ma guise des insultes à l'égard de Charles. Alice, tétanisée, ne savait plus où se mettre et se bouchait les oreilles.
Charles me gratifia d'un regard dédaigneux.
— Moi, un monstre ? s'offusqua-t-il. Tu n'as pas vu ton Maître pendant la guerre !
Sa réponse inattendue me laissa sans voix. Pourquoi évoquait-il la guerre ? Le Maître y avait-il participé ? Je ne m'étais jamais posé la question. Je jetai un coup d'œil inquiet à Meiré, espérant qu'il m'envoie un signe rassurant ; mais il n'en fit rien. Son visage s'était assombri, alors qu'il redoutait cette attention soudaine qui se tournait vers lui.
— Tu ne vas pas revenir sur le sujet, gronda Meiré.
Charles imprima un sourire odieux quand il comprit qu'il avait touché la corde sensible.
— Elle croit que tu est bon ! cracha-t-il. Elle croit que tu n'a pas tué des siens pendant la guerre !
Je secouai la tête vivement, craignant qu'il ne salisse l'image que j'avais du Maître. Retournant la situation à son avantage, Charles enchaîna les révélations cruelles :
— Combien de gorges a-t-il a tranchées pour que le sang s'écoule plus vite dans la sienne ? Combien de têtes a-t-il froidement arrachées, effrayant jusqu'à ses frères ? J'étais là, je l'ai vu faire !
Se tournant vers le Maître, il s'exclama :
— Oserais-tu prétendre le contraire, Meiré ?
Le Maître resta interdit, décontenancé par la tournure que prenait la soirée. Son silence, évocateur de sa culpabilité, me remplissait d'effroi ; Charles disait-il la vérité ?
Continuant sa tirade, l'hôte accabla mon esprit d'images épouvantables.
— Tu serais morte si tu avais habité les zones où nous combattions ! Ton Maître n'épargnait personne ! Ni le gosse qui aurait pu faire un bon chien, ni le grand gaillard aux traits d'Éternel ! Les quotas à respecter ? Il s'en moquait ! Seul sa soif comptait. Un vrai carnage !
Chacune de ses révélations assénait un coup douloureux à mon cœur qui commençait à s'effriter. Les larmes affluèrent sur mes joues tandis que j'appuyais sur mes oreilles à la manière d'Alice ; Je ne voulais plus rien entendre, pas un mot de plus ! Après que toutes mes espérances envers Gaen se soient envolées, je ne voulais surtout pas qu'il se passe la même chose avec mes sentiments envers Meiré !
— Ton Maître n'est pas meilleur que moi, termina Charles avec dédain.
C'en était trop. La fatigue et l'effroi eurent raison de mon équilibre. La tête tournoyante, l'estomac pris de nausées, je m'affalai sur le bord du canapé.
Meiré détacha son dos du divan, avant de me soulever dans ses bras tendus.
— Tu as eu ce que tu voulais ? lâcha-t-il à Charles avec colère.
Charles ne lui répondit pas ; il s'était remis à boire sur la gorge d'Alice et souriait en silence, appréciant sa victoire.
Furieux, Meiré tourna les talons, empoignant mon manteau et le sien.
— Merde ! Vociféra-t-il en quittant la pièce.
(Helloo tout le monde,
J'espère que vous avez aimé ce chapitre !! Que pensez-vous de Meiré et de Charles, se ressemblent-ils ? Que feriez-vous à la place de Camille avec ces deux là ? N'hésitez pas à poster un petit commentaire, ça me fait toujours hyper plaisir, j'adore avoir vos avis ! A tout bientôt <3)
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