9. Chars titans

Hector

Les reflets de l'aube couperosée percent telles les baïonnettes des soldats les lambris de ma modeste masure. Le désordre conquiert mon sanctuaire de santé ; gaze, gants, guirlande de glycine et grappes de gentianes se côtoient dans un resplendissant capharnaüm. Et moi, guerrier de la propreté, dispute une lutte séculaire contre l'ultime adversaire : le sable ! Le sable rudoie tant et si bien revêtements de fer, battants nickelés et piliers d'aciers que notre brinquebalante maison rouille et grince en tout recoin.

Ce n'est qu'à travers les meurtrières de plexiglas que percent les cycles du soleil.

J'aime cette heure de la journée. L'étalage des couleurs fascinantes sur les replis des escarpements rocheux, les ombres marquées et fuselées des aspérités de ce décor pittoresque, l'éclat de l'eau de rosée condensée sur les pièges liquéfacteurs, le murmure d'un vent encore clément pour faire onduler les voilures non ferlées, et surtout, le calme.

L'équipage charognard s'éveille à peine. Les sentinelles de nuit échangent leur quart avec celles du matin, et votre humble serviteur, Hector de son patronyme mélange asphodèle et chiendent à l'eau chaude. Nombre de Vautours s'arracheraient les cheveux devant ce sacrilège gaspillage d'une précieuse eau potable. Ceux-là sont les premiers gourdiflots à jouer à « dévale-pente » par vent catabatique. Ils ne connaissent rien des innombrables vertus des herbes sauvages.

Un frisson de bien-être délie mon corps sec et noueux alors que je porte à mes lèvres le breuvage lénifiant. Un autre frémissement dresse mon sourcil droit. Par-dessus le rebord en céramique de ma tasse, la silhouette en convalescence s'éveille.

J'aime cette heure de la journée. Le soleil éclot timidement d'une nouvelle naissance. Il apporte avec l'allégresse de la jeunesse, son lit d'espoirs et de bonnes nouvelles. Quoique je doute que Delvin considère la résurrection de notre jeune ami, encore la veille à l'article de la mort, comme une « bonne nouvelle ».

Tiraillé entre mon serment d'Hippocrate et la nécessaire survie de ma famille d'adoption, je reconnais, pétri de honte, n'avoir accordé que les soins sommaires au malchanceux. La plaie assainie et la perfusion en mol espoir, je n'osais croire aucun miracle.

Allan, aux ordres de Marika, a tenté par deux fois de sonder son esprit. En vain. Sa cible naviguait dans les flots de l'inconscience. Hier soir, je l'ai cru perdu. La fièvre a grimpé en flèche et mes modestes bienfaits n'étaient plus à même d'enrayer la fatalité. Je me serais résolu à l'achever au matin. Si la fièvre n'avait pas rendu les armes.

De mémoire de mire, jamais je n'ai vu homme vaincre les vicissitudes d'une si sévère infection. Preuve en est que le système immunitaire de mes frères affaiblis ne peut se mesurer à celui d'un soldat des Rafales. Même si mon patient semble à des années-lumière de ces brutes.

Mon attention s'égare sur ce garçon aux joues rougies et au front humide sur lequel collent des mèches blanches en bataille. Il a ouvert les yeux. Et quels yeux ! Je pourrais en écrire un poème si la matrone me laissait du temps pour l'art des vers plutôt que mon devoir calvaire.

Un fin rets de veines étend sa toile
Sous un voile au chatoiement sépulcral
Si en ces abysses gît le reflet de l'âme
Alors mes prières nous gardent de l'infâme
Car je n'y décèle rien, rien qu'un vide
Pourtant la fougue d'une vie réside

Les remparts de paupières lourdes et épuisées s'évertuent à celer ce spectacle. Après deux jours sans ingérer le moindre nutriment, son organisme subit les affres d'une fourbe asthénie.

D'un soupir, je me résigne à remplir une nouvelle tasse de tisane chaude, puis l'amène à ses lèvres. Rafale ou non, ma conscience professionnelle ne peut supporter de laisser un patient en souffrance. Il se laisse redresser comme une poupée de chiffon. Est-il encore si assommé qu'il ne ressent pas la douleur ?

Les premières gouttes lui coulent sur le menton alors qu'il peine à déglutir. Puis il finit par retrouver ses réflexes. Je lui laisse même prendre la tasse pour boire à son rythme dès lors que je constate sa motricité opérationnelle.

Aurais-je voulu lui poser des questions ? À minima son nom ? Je n'en ai pas le loisir. Les silhouettes crottées de Marika, Allan et Rana, une autre des matrones, déboulent sans considération pour les exigences hygiéniques de mon local. La nouvelle de son rétablissement a filé plus vite qu'une alizée.

— Il est réveillé.

— Qui es-tu ?

— Fais-tu partie des Rafales ?

— Pourquoi t'être enfui ?

En réponse aux questions en cascade, le jeune homme se contente de cligner des yeux, comme un lièvre prisonnier du feu de nos phares.

— Scanne-le, Allan, ordonne la voix sans douceur de Marika.

Le psychique ne semble pas avoir attendu la permission de Marika pour user de ses talents de fouine. À peine les mots de la capitaine s'évanouissent-ils dans les airs, qu'Allan se crispe, pupilles rétractées et muscles contractés. Sa figure résume à merveille le sens du mot « souffrance ». Du sang coule de ses narines tandis qu'il porte ses mains à son nez pour endiguer le flux.

Rana réagit au quart de tour. Elle saisit l'étrange poupée de chiffon par le col.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ?

Ses invectives arrachent à ses lèvres quelques postillons qui ne semblent pas déranger le visage cible. Sans doute pressent-il le sort qui l'attend s'il ne livre pas une explication satisfaisante au monument de muscles qui l'empoigne. La molestation sonne l'alerte et le garçon répond d'une voix rouillée, mais étrangement sereine.

— Je regrette. Je ne l'ai pas fait exprès. Son intrusion m'a surpris et mon esprit s'est défendu inconsciemment.

Marika est la première à comprendre.

— Tu es un mateur, toi aussi ?

Le garçon cligne des yeux avant de répondre. Une pincée de temps pour lire, dans l'esprit de la matrone, la signification de « mateur ». Une manière très impolie de désigner les êtres doués de facultés télépathiques. Marika ne les a jamais portés dans son cœur, ou devrais-je dire, dans sa tête.

— Oui.

Son faciès évidé d'expression diffuse une onde de malaise au sein du trio perturbateur. Quant à moi, je retourne me servir ce qu'il reste de tisane dans ma tasse échouée sur les draps après l'intervention de Rana.

— Tu as fui les Rafales ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Ils ont essayé de me tuer.

— Je vois bien, mais pourquoi ?

Je perçois une pointe d'agacement dans l'intonation de notre cheffe qui abhorre, par-dessus tout, les réponses laconiques.

— Bon sang, Allan, tu veux bien essayer de le scanner à nouveau ? s'exclame Rana excédée. Il est trop bizarre. Je n'ai pas confiance.

Près de la porte, Allan s'est laissé choir sur un tabouret. Le flot nasal s'est tari, non sans avoir imbibé un carré de tissu. Son regard furibond pour Rana laisse entendre qu'il ne retentera pas l'expérience de sitôt.

— Ça va pas ? Ce connard a failli me tuer ! C'est un danger public !

Les yeux spectraux se détournent et semblent fixer un interstice vide entre deux calques de dimensions. Il se défend de l'accusation d'Allan d'une énigmatique déclaration.

— Vous n'auriez pas réellement pu mourir.

L'infirmerie se drape d'un silence inquisiteur. Il n'en dira pas plus et Marika souhaite revenir à ses moutons.

— Pourquoi les Rafales voulaient-ils ta peau ? Je veux bien croire que ces pillards croulent sous l'or, mais pas au point de se passer d'une rareté comme un mateur.

Je me retiens de lui faire remarquer que les statistiques d'occurrence d'un « mateur » viennent d'augmenter furieusement dans ce local.

— Une histoire de leadership. Un mutin voulait renverser le chef et s'est imaginé que j'étais un obstacle sur la voie.

L'explication évasive ne semble pas convaincre outre mesure les deux matrones. Néanmoins, le visage sec de Rana s'orne d'un sourire – qui revêt l'apparence d'une grimace pour un observateur extérieur, mais un membre de la famille sait différencier les sourires des traits patibulaires de la matrone.

— Un renversement ? Cela veut dire que les Rafales sont en position de faiblesse en ce moment ?

— Je l'ignore. Je ne sais pas ce qui s'est produit après mon départ.

De toute façon, Marika douche les espoirs de sa subalterne.

— Laisse tomber Rana. Même en proie à des guerres intestinales, ces maudits pillards restent mieux armés et meilleurs combattants que nous.

— Pas nécessairement. Si vous les attaquiez par surprise et sur un terrain favorable, vous seriez à forces égales. Vous êtes plus nombreux et vous avez moins à perdre qu'eux. De plus, vous êtes une majorité de femmes. Les Rafales ne savent pas réagir contre les femmes qui savent se battre.

La réponse de mon patient, cette fois détaillée, détone de l'avarice dont il a fait preuve jusqu'alors. Pour autant, elle ne saurait freiner une Marika bornée.

— C'est bien gentil, mais il ne suffit pas que nos forces soient égales. Nous devons les surpasser pour gagner.

Marika laisse échapper un soupir. Seul Allan saisit réellement l'implication de ces informations. Il se relève d'un bond et fait tomber mon innocent tabouret à la renverse.

— Une minute ! D'où tu sors ça ? Est-ce que tu viens de scanner mentalement l'ensemble de notre colonie ?

— Oui.

Une lividité cadavérique imprègne le teint déjà crayeux de notre psychique. La mâchoire serrée, le larynx contracté, la girouette sent le vent tourner. Allan est loin du parangon héro vénéré. Entre sa paresse, son égoïsme et son arrogance, il n'aurait jamais gagné son piédestal sans son don exceptionnel. Confronter à un talent qui surpasse le sien, la chute est rude.

Marika lève une main impérieuse et ramène la discussion vers des terrains moins pentus.

— Quel est ton nom, jeune homme ?

— Je ne sais pas.

— Ne te moque pas de moi. Les pillards devaient bien t'appeler, d'une manière ou d'une autre.

À l'image de la barque de Charon qui traverse les flots d'un monde à l'autre, ses yeux voyagent avant de revenir se poser sur Marika.

— Os. Ils m'appelaient Os.

— Alors aide-moi, Os. Comment pourrais-tu te rendre utile parmi nous ?

o

Os

Le sable s'engouffre entre les brèches de nos tuniques, le terrain escarpé abîme nos pieds et le soleil brûle nos carcasses. Je ne ressens rien de tout cela. Selmek, si. Mais Selmek est endurci·e à l'art de la chasse. Selmek a appris à ignorer les désagréments physiques, distractions qui peuvent faire échouer une traque. Alors, moi aussi, je les ignore. Mon esprit est tout entier focalisé sur un troupeau de boucs qui remonte le chenal rocheux. Une rivière coulait, autrefois, dans ce ruban de terre craquelée et néritique. Des nutriments ont dû s'accumuler dans ce serpentin et les animaux, capables de flairer ces choses-là, recherchent leur nourriture dans les touffes de lierres sauvages et pissenlits qui y poussent.

Que pouvais-je répondre lorsque Marika m'a demandé de quelle utilité je pourrais leur être ? Je n'en avais pas la moindre idée. Je me suis contenté de naviguer dans ses pensées à la recherche de leurs besoins et y ai vu ce chasseur blessé ; décédé. Bien. Je serai chasseur. Ai-je des compétences dans ce domaine ? Aucune. Mais je doute de posséder la moindre autre compétence.

Sceptique, mais joueuse, Marika me confia à Selmek et j'appris de Selmek tout ce qu'il fallait savoir de la chasse : reconnaître les proies selon leur âge et leur sexe, repérer leur trace, quelle partie viser pour ne pas abîmer la viande... Selmek est un homme ou une femme extraordinaire. Je n'ai pas réussi à déterminer de quelle façon genrer Selmek puisqu'iel se fiche de cette question comme d'un levraut trop jeune pour finir en civet. La première moitié des Vautours considérant Selmek comme une femme et la seconde moitié, comme un homme, j'estime qu'il n'est pas de mon ressort de statuer. Selmek restera Selmek. Son allure ? Une brique de nœuds et de muscles bandés, des traits métis et une peau sombre, tannée, mais surtout un visage finement dessiné, tout en angles.

Arrivés à une confluence, nous trouvons le troupeau de quatre adultes et deux jeunes boucs occupés à brouter entre les cailloux calcaires. Je transmets à Selmek l'état d'alerte du groupe et leur champ de vision. Iel en déduit un rapprochement adapté en tenant compte de la topographie et du vent, puis le spot le plus avisé pour se positionner. Iel prend son temps pour viser. La chasse est une affaire de patience. Sa première leçon.

De mon côté, je m'emploie au même exercice sur un autre chemin. S'approcher sans se faire remarquer n'est pas la partie la plus ardue. Le tir, en revanche... Les premières fois ont été un fiasco absolu. Le recul m'a pris de court. Il m'a fallu une poignée d'entrainements avant de m'y faire. Apprendre à compenser. À prendre conscience de ma constitution. Sans la patience de Selmek, les matrones auraient tôt fait de me reléguer à la cueillette.

Je cale le canon contre le rocher qui me sert de couvert. Une vingtaine de mètres me sépare des cibles. Je vise et attends le signal de Selmek. Maintenant !

La balle de Selmek perce le poitrail et se niche dans les poumons. La bête mourra en quelques secondes. La mienne, en revanche, atteint le jarret. À peine blessé, le bouc détale avec le reste du troupeau. Il n'est pas sûr qu'on puisse le rattraper.

Selmek lâche pourtant une exclamation triomphante et s'avance pour clamer son trophée.

— Bien joué, part'naire !

Ses félicitations ne sont même pas ironiques. Iel fait allusion à mon assistance pour le pistage et notre synchronisation, plutôt qu'à l'échec de mon tir. Ainsi va notre collaboration. Si Selmek m'a secrètement maudit en découvrant mon inexpérience au tir, iel avait changé son fusil d'épaule devant la palette de possibilités qu'offraient mes talents particuliers. Je l'aide à repérer les proies, les tracer et les approcher ; Selmek les achève.

— Désolé, je l'ai encore raté.

Mon ton est neutre. Plat. Avec Selmek, je n'ai pas besoin d'imiter une émotion proche du regret ou de l'excuse ; je ne sais pas faire, de toute façon. Iel a vite compris mon fonctionnement. De même que j'ai compris le sien. Son esprit ne s'embarrasse pas de complexité. Iel fonce droit à l'essentiel, carbure et pense sans détour. Ces longues journées passées à ses côtés m'offrent un repos inattendu. Selmek ne laisse pas dégouliner ses pensées dans toutes les directions et n'entame pas quarante-sept sujets de réflexions parallèles, contrairement à un Hector, en constante ébullition.

La collaboration est aisée, apaisante ; j'apprends à développer mes propres réflexions sans être parasité par celles des autres, et me découvre des capacités que je n'avais jamais conscientisées.

Ça m'effraie – même s'il s'agit surtout de la peur des autres à mon égard – j'ai parfois l'impression qu'il ne me faudrait qu'un brin de volonté pour m'emparer de ces esprits livrés à ma merci. Selmek me fait confiance. Sans doute ne serait-ce plus le cas si iel savait comme la frontière pour prendre le contrôle de son être est mince.

Mais je ne ferai jamais ça. Je ressens un profond respect pour son âme pure et altruiste ; la première émotion dont je suis certain d'être l'architecte.

— Te bile pas, Tête d'Ampoule. Les boucs, c'est pas les bestioles les plus solidaires que je connaisse. L'estropié finira bien par crever avec sa patte fofolle. On va le rattraper et le zigouiller pour de bon.

Selmek a toujours ce parler cru. Iel mâchonne les mots, au contraire d'un Hector qui les articule dans un phrasé calculé. Je m'amuse du spectacle de ces extrêmes lorsqu'ils se côtoient, tel un anthropologue tâchant d'étudier les us et coutumes d'une tribu inconnue : ma propre espèce. Je ne sais pas quel modèle choisir. Alors j'accouche d'un mélange des deux parlers qui amuse beaucoup le médecin-poète.

Parfois, je pense à d'autres mots que ceux d'Hector ou Selmek. Des mots plus crus, des mots plus durs, des mots qui roulent sur mon échine et la traversent de frissons. Ceux de Zilla. Alors je secoue la tête pour renvoyer très loin ces souvenirs.

Celui qui foulait quelques semaines auparavant cette terre en fantôme n'était pas Os. Os est né dans le désert ; dans le sable et le sang.

— D'accord, il...

Alors que je me concentrais pour retrouver la trace du bouc blessé, un signal différent, mais intense me pique le crâne. Quelque chose de plus fin, énergique et nettement plus intelligent. Il s'est tapi dans l'ombre, a muré son aura mentale pour mieux la dissimuler ; il ne la déploie que lorsqu'il se jette à l'assaut d'un groupe de lièvres apeurés. Je suis intrigué ; attiré.

Mes jambes s'élancent d'elles-mêmes, quittent le lit de la rivière sèche, escaladent un amas rocheux, puis redescendent en contrebas, droit vers l'objet de ma fascination.

Selmek peste dans un tintamarre fleuri et m'assiège d'amères piques cérébrales : « il n'a pas filé par-là, imbécile ! ». Je l'ignore superbement.

Alors, je le vois. Un chien. Un mètre au garrot, poils ras, oreilles tombantes, queue courte, pattes élancées, robe blanche tachetée de gris. Seul un masque noir orne sa tête féroce et son museau imposant sur sa carcasse rachitique. Son corps entier se dresse, alerte, et grogne de menaces contre moi. Il n'hésitera pas à m'attaquer pour défendre le lièvre qu'il vient d'attraper dans sa mâchoire puissante.

Un cliquetis. Ce son caractéristique me détourne de ma contemplation béate.

Derrière moi, Selmek, le souffle court de cette course poursuite improvisée, braque le canidé. Nos points de vues divergent. Là où je considère un être noble, doué d'intelligence, Selmek se figure un repas. Réflexe irréfléchi : je m'interpose entre l'arme et l'animal.

— À quoi tu joues, Tête d'Ampoule ? Ça va pas de déguerpir sans prévenir ? Laisse-moi buter cette viande à pattes avant qu'elle ne file !

— Non Selmek, s'il te plaît, épargne-le. Il peut nous aider.

Iel éclate de rire, baissant à peine son fusil.

— De l'aide ? Ce corniaud ? T'as cru que t'allais l'apprivoiser comment ? En lui faisant don de tes bras d'allumette ?

Puisqu'iel me met au défi, je me retourne vers l'animal. Il ne bouge plus. Il n'a pas perdu une miette de l'échange. La proie toujours dans sa gueule, il me scrute. Il a compris que je n'étais pas un ennemi. Mieux : que je pouvais devenir un allié.

Il lâche le gibier et part se positionner à mon opposé. Son regard affûté cible le terrier où se sont enfuis les rescapés. Reçu. Je ramasse une pierre et la lance de toutes mes forces sur leur cachette. Trois lièvres s'en extirpent et le chien n'a plus qu'à les intercepter. Il brise le cou de l'un, écrase un autre sous sa patte et Selmek abat le troisième avec son arme. Un joli strike.

Notre allié improvisé et affamé n'attend pas pour emmener à l'ombre l'une des proies et la dévorer.

Selmek gît bras ballants, démuni·e devant l'incongruité de cette situation. Nous finissons tout de même par ramasser les gibiers et les lier à une corde que je hisse sur mon épaule. Selmek devra déjà ramener le bouc, bien plus lourd. Le chien ne s'offusque pas de se voir délesté de ses proies. Une seule l'a rassasié et il sait que la viande se gâte vite.

J'approche ma main. Il a besoin de sentir mon odeur. La mémoriser. Une fois identifiée, la bête se lève et me suit naturellement.

— J'hallucine ! Laisser ce truc en vie, c'est déjà une aberration, mais alors tu vas quand même pas le ramener au camp ! s'indigne Selmek.

— Il ne souhaite pas rester seul.

Mon allié·e lâche un soupir sonore, qui m'aurait mis sur la voie si je n'avais pas été capable de lire mentalement l'étendue de son exaspération. Mais Selmek capitule malgré tout. Iel préfère user de son énergie à attacher et tracter le bouc, plutôt qu'à me détourner d'un lien obscur avec un représentant d'une autre espèce.

De mon point de vue, la connexion avec le canidé m'apparaît pourtant limpide, évidente. Nous nous découvrons instantanément amis.

Les humains ont toujours besoin de nommer les choses. Comment vais-je t'appeler ?

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