Chapitre 5 - Mystère et alliance
Dans le chapitre précédent :
Alexandre soupira avant d'hocher la tête.
« Laissez-les entrer, » déclara-t-il à des gardes d'une voix lasse.
Il avait l'air d'avoir perdu toute sa force en l'espace de quelques secondes. Je me sentais coupable, mais c'était nécessaire. Après un temps, on entendit des pas claquer sur les dalles. Alexandre replaça son masque de seigneur de château et s'assit sur son trône. Je le suivis, et m'installai sur le siège royal près du sien. En voyant le sourire du messager, je compris qu'il voulait que je fasse cela. Ou peut-être me narguait-il ? Je ne le savais pas.
Plusieurs chevaliers étaient postés en garde à vous tout le long de la salle. Bientôt des tintements d'armures se firent entendre de plus en plus clairement. Je vis la tension du seigneur qui palpitait jusque dans mon cœur. Alexandre regardait droit devant lui, droit devant la porte qui s'ouvrait.
Je ratai un battement quand mon regard croisa les yeux de ce Roi barbare et puissant.
« Oh non, » soufflai-je, abasourdie.
Ses yeux noirs et ce masque qui cachait la moitié de son visage. Mon homme mystérieux du bal, mon amant dans ce monde était le Roi barbare qui avait tué sans compter.
***
Le Roi avançait d'un pas majestueux et silencieux comparé à nos chevaliers qui pouvaient éveiller un troupeau d'éléphants. C'était presque dérangeant, car il était plus grand et imposant que dans mes souvenirs. Cependant, il avait gardé ce masque sur le visage, pas le même qu'au bal, mais la forme de papillon cachait tout son visage sauf ses yeux envoûtants aussi noirs qu'avant et ses lèvres qui me tentaient plus que tout.
J'abaissai mon visage non par pudeur, mais pour faire tourner les roues embrumées de mon cerveau. Ce barbare avait tué les parents d'Alexandre et d'Ambre. Il tuait sans se préoccuper du sang versé. Je n'osais plus le regarder pour éviter d'être de nouveau emporter dans des souvenirs inopportuns.
« Que voulez-vous ? demanda mon frère avec une force qui dissimulait sa peur ou sa rage.
– Mon Roi souhaiterait qu'il n'y ait pas de guerre. Comme nous vous l'avions proposé, nous souhaitons une alliance. »
Le messager parla, exposa, expliqua, justifia tous les échanges possibles qui pouvaient s'opérer, tout ce que nous y avions à gagner, tous les enjeux avantageux à défendre. Alexandre le laissa parler, et semblait même très intéressé par ces propos. Après un discours long de plusieurs minutes, le messager redevint marbre tandis que mon frère assimilait toutes les informations.
Sa soif de vengeance s'était dissipée rapidement. Ou peut-être envisageait-il une alliance pour ensuite tuer ce Roi ? Ce ne serait pas une mauvaise idée, mais c'était tout de même risqué.
« J'ai besoin de parler à mes conseillers de tout cela, déclara le seigneur.
– Faites, » dit le messager avec une révérence et un sourire caché.
Alexandre se leva et j'allais faire de même, mais il m'intima de rester sur mon siège. Il voulait discuter seul à seul avec ses commères de conseiller. Sur les trois, seul l'un d'eux pouvait prétendre être réellement utile au seigneur. Les deux autres n'étaient présents que pour tenir les chandelles et crier au scandale à qui voulait bien les entendre, c'est-à-dire presque toutes les oreilles du château.
Le seigneur envoya des ordres aux chevaliers pour me protéger et être attentif à toute attaque de la part de l'ennemi, puis se retira de la salle. Je regardai sa couronne dorée scintillante de mille reflets dorés tandis que les pans de sa cape rouge traînait au sol, nettoyant les dalles sur son passage.
Un silence pesant envahit la salle. Je ne savais pas quoi faire. Pas de murmures ne troublaient ce paysage digne d'un songe. Je commençai à me tortiller sur mon siège inconfortable tout en évitant de regarder droit devant moi, endroit où se trouvait mon amant aux yeux couleur des ténèbres.
« Vous semblez mal à l'aise ma Dame, » affirma le messager en penchant la tête sur le côté.
Je ne fis que lui lancer un regard tranchant argumentant mon humeur de sorcière. Cet homme faisait exprès de me sortir de mes gonds. Ces hommes mijotaient quelque chose, je le savais bien, et cela me mettait en rogne de ne pas comprendre tous les enjeux de cette alliance. Je suis supposée avoir toutes les pièces en main pour mieux agir. Pour aider tout le monde sans distinction. Mais avec leurs regards discrets que je n'arrivais pas à interpréter, je me cassais bien la tête à les observer.
« Pourquoi êtes-vous réellement là ? » demandai-je d'une voix qui portait. Je voulais savoir et je devais savoir. Peut-être que j'avais plus de chances maintenant qu'Alexandre était absent.
Le messager allait répondre, mais le Roi l'en empêcha de sa main. Je tournai la tête pour le regarder. Vraiment le fixer. Il fit de même avec des yeux froids.
« Je veux former une alliance avec vous comme je l'ai déjà dit. »
Sa voix grave me fit frissonnée de plaisir comme au bal. Une voix distinguée, mais qui semblait distante. Moins amicale que dans mes souvenirs. Je repris sur moi et ne me laissai plus aller. Il était mon amant, mais il était dangereux. S'il pouvait tuer comme il respirait, je ne prendrais pas la peine de le connaître mieux. J'espérai secrètement qu'il avait de bonnes raisons d'assiéger des villages et royaumes. Un espoir fin, mais je m'y raccrochais. Les vieilles femmes devaient sûrement prévoir quelque chose... ou rire à mes dépens.
« Pourquoi avec nous et pourquoi maintenant ? La situation n'a pas changé ici, cela fait des années que vous auriez pu demander cette alliance, envoyai-je.
– C'est vrai... Mais j'ai trouvé une chose intéressante sur vos terres.
– Quelle est cette chose ? demandai-je intéressée par sa révélation.
– Une personne en vérité. Une personne que je cherchais depuis longtemps, » annonça-t-il en me regardant droit dans les yeux.
Je déglutis avec difficulté en espérant raviver ma gorge asséchée en quelques secondes. Soudain, des cris et pleurs se mêlaient derrière la porte fermée de la salle du trône. Je regardais sourcils froncés les lourdes et grandes portes en bois parsemés d'ornements taillés dans la matière.
Après un énième cri de détresse, je me levai et dévalai les quelques marches puis m'arrêtai en bas de celles-ci. J'hésitai à traverser la grande pièce en passant à côté de ce Roi et de ces hommes. J'aurais bien aimé longer les vitres imposantes qui nous emmuraient, mais cela aurait paru excessif.
Je me contentai de longer les colonnes de marbre blanc qui soutenaient la salle et qui étaient plus proche de moi que les fenêtres. Je marchai rapidement en évitant le regard de monsieur Adonis. Je pouvais sentir ses yeux suivre ma démarche sans un mot.
Je demandai à ce qu'on ouvre la porte massive, puis vis des chevaliers parler à une petite femme. Ses yeux laissaient les larmes s'exprimer de manière violente.
« Ma Dame, cria-t-elle en me voyant. La matrone m'envoie vous quémander. Claire, e-elle est tombée d'un seul coup p-pendant qu'elle mangeait.
– Bon sang ! Pourquoi vous ne m'avez pas appelé plus tôt ! hurlai-je presque sur la pauvre Elena alors que je courus vers la salle à manger réservée aux servantes du château.
– On nous a spécifié de ne pas vous déranger... »
Je me ruai l'intérieur et fus surprise par le nombre de femmes en pleurs dans la pièce. Je me frayai un chemin dans cette foule de robes et vit la pauvre fille de mon âge allongée à terre. Sa mère prenait sa tête dans ses bras en caressant ses courts cheveux blonds.
« Que s'est-il passé exactement ? questionnai-je la matrone qui regardait la scène impuissante.
– Elle est tombée d'un seul coup. J'ai cru qu'elle s'était évanouie, mais son coeur ne bat plus, » déclara-t-elle les larmes aux yeux.
J'ouvris la bouche de la jeune femme pour vérifier qu'elle ne s'était pas étouffée avec sa langue, puis commençai un massage cardiaque. Je comptai à voix haute pour recommencer autant de fois qu'il le fallait. Je soufflai dans sa bouche en espérant qu'elle ressente mon désespoir ardent. Je recommençai tandis que le temps s'allongeait et que les larmes de rage me griffaient la cornée.
Soudain, la poitrine se leva tandis que l'inconsciente aspirait une belle goulée d'air. Après un silence, je soupirai en écoutant ses battements de coeur. Claire reprenait des couleurs, mais son corps était encore froid.
Des exclamations de stupeur partageaient l'assemblée. Les larmes de tristesse s'étaient transformées en joie immense. La matrone se précipita pour entourer la jeune femme de draps. Je la laissai à ses soins. La mère n'arrêtait pas de me remercier avec un sourire étincelant sur le visage.
Je souris de même, mais l'état de Claire m'inquiétait. Elle semblait avoir un coeur fragile. Une crise cardiaque à un si jeune âge... Je devais faire en sorte qu'elle surveille son alimentation pour éviter que cette scène se répète.
Je quittai les cuisines en ayant pris dix années au moins. Je me sentais tellement lasse et mes bras étaient toujours endoloris par les nombreuses poussées que j'avais dû faire.
Je repartis vers la salle du trône tel un escargot parcourant les trottoirs sous un jour de pluie tout en remettant un semblant d'ordre dans ma robe beige froissée.
Une fois les portes traversées, j'aperçus mon frère qui était de retour et qui affichait un air grave. Je lui lançai un sourire à son regard inquiet vers moi. Je me dépêchai de m'installer à mon siège. Les regards des autres hommes me suivaient avec insistance. Je supposai qu'ils voulaient aussi connaître ce qu'il s'était passé.
« Claire a eu quelques problèmes, mais ça va mieux, » informai-je mon frère par des murmures. Il hocha la tête puis rendossait son rôle de seigneur.
« Nous sommes d'accord pour signer cet alliance, » déclara-t-il.
Je restai abasourdie face à la nouvelle. Lui qui était si enclin à ne rien avoir avec ce meurtrier, acceptait avec nonchalance. Je refermai ma bouche et attendis en gardant ma colère dans mon esprit.
« Très bien, mais nous avons une condition encore. Pour que cette alliance ait lieu, mon Roi voudrait prendre pour épouse votre sœur. Cette union faciliterait nos échanges et permettrait à nos deux peuples de s'allier convenablement. Le mariage aura lieu demain à la première heure dans votre église. Nous rentrerons de suite dans nos terres, exposa le messager comme si c'était déjà convenu.
– Non ! criai-je outrée. Je ne partirais pas d'ici. Alexandre, il est hors de question que je parte.
– Très bien. Le mariage scellera notre alliance demain, » confirma Alexandre sans tenir compte de mes plaintes.
Je voyais le sourire du messager s'agrandir alors qu'il tentait de le cacher en abaissant son visage. Son comportement m'étonna un instant avant de me rappeler de ces paroles quelques heures plus tôt.
« Mon Roi viendra de lui-même jusqu'ici, mais ce ne sera pas la guerre victorieuse qui sera fêtée. »
« Le salaud, » laissai-je échapper dans un murmure colérique.
Je levai le visage et lançai un regard noir vers le messager qui me regardait avec surprise. Il fronça des sourcils puis regarda son Roi avec gravité. Pourquoi agissait-il ainsi ? Tout dans leurs regards lancés me laisser perplexe. Mes nerfs se frisaient de plus en plus.
M'avait-il entendu ? C'était impossible. Mon frère qui était à un mètre de moi n'avait pas tourné la tête vers mon insulte chuchotée, alors ces hommes à plusieurs mètres ne pouvaient avoir eu vent de cette injure à leur encontre. À part si le vent avait réussi à porter ma voix jusqu'à leurs oreilles, ce qui serait possible dans un monde magique... Je me faisais vraiment des idées et mon esprit s'éloignait de la situation.
Depuis le début, ils avaient prévu ce mariage. Depuis le début, ils m'avaient repéré. Mais comment avait-il pu savoir que j'étais son âme-sœur ? Ça ne tenait pas debout. Et le fait qu'Alexandre accepte me dépassait aussi.
Le Roi fit un bref hochement de tête puis s'en fut avec ces hommes. Je restai figée dans le mutisme jusqu'à ce que la porte se referme. Je me tournai vers mon frère, la rage aux poings. J'étais prête à le frapper pour extérioriser cette colère néfaste.
« Je sais que tu es très en colère, mais cette alliance doit avoir lieu. Je voulais tout d'abord envoyer un espion dans leur camp à travers les différents marchandages qu'on aurait fait, mais ce mariage est une occasion que je ne pouvais laisser passer.
– Qu'est-ce que tu racontes ? Tu voudrais que je fasse quoi ? L'espionner ? criai-je presque en agitant les bras.
– Non, tu dois le tuer.
– Non, je ne tuerais personne, Alexandre.
– Il y a un an, tu as déjà tué pour Claire. Tu as battu cet homme à mort pour avoir osé la prendre. »
C'était vrai. Je détestais quand les personnes se battaient, mais dès qu'il s'agissait d'une injustice, je pouvais aller jusqu'à tuer. Avec regret.
« Il était en train de la violer, je n'allais pas le laisser faire. Et la colère a dicté ma conduite, je n'aurais jamais dû le tuer ! expliquai-je désespérément.
– Ce barbare a tué nos parents alors tu pourrais le tuer aisément pendant qu'il dort...
– Je te répète que je ne tuerais personne ! »
La lueur démente dans ses yeux se dissipa peu à peu. Une profonde tristesse vint remplacer ces sentiments.
« Tu n'es pas ma sœur. Je l'ai su dès que tu es revenue à nous par la bonté de Dieu. Tu n'es pas la même fille que dans mes souvenirs. Cette mémoire qui t'a été volée a tué ma petite sœur il y a deux ans. Mon Ambre était timide, douce, et ne contesterait pas mes ordres. Elle aurait au moins essayé de le tuer sans m'opposer. Tu n'es pas cette Ambre. Je m'étais dit que ce n'était pas grave. Que tu retrouverais la mémoire au fil du temps, mais mes prières n'ont pas été exaucées... Je suis désolé Ambre de te dire tout cela, mais comprends-moi. »
Après son discours qui m'avait laissée abasourdie, il s'installa sur le trône la tête dans les mains. Il était réellement désolé. Jamais je n'aurais cru qu'il aurait ressenti aussi violemment le changement. Tout dans ses paroles était vrai. Je n'étais pas sa sœur, juste une personne qui s'appropriait son corps, ses paroles, ses gestes. Je n'étais qu'un imposteur.
Effondrée, je me laissai ravager par la tristesse. Si je partais, je devais quitter le héros de cette histoire. Mais je ne le pouvais pas. Je préférai rester avec lui plutôt que mon amant. Un choix m'était imposé. Le héros qui pouvait sauver des millions de personnes était plus important qu'un amour égoïste. Mais si je tuais Adonis, alors je pourrais revenir aux côtés d'Alexandre. Tuer l'un pour être avec l'autre. C'était stupide...
« Je vais partir, mais je ne te promets pas de le tuer. C'est un acte barbare, Alexandre, dis-je défaitiste.
– Merci... Nous vivons dans ce genre de monde Ambre, dit-il en tapotant mon épaule. Va te reposer, demain est un autre jour. »
Je partis de cette salle et m'engouffrai dans ma chambre pour plonger dans mon lit. Demain serait un nouveau jour et une nouvelle vie pour moi.
Le tuer ? Jamais je ne le pourrais, mais je pouvais gagner une chose avec cette alliance. Sa protection. J'espérai bien que si je partais avec Adonis, je pourrais négocier une meilleure protection pour mon frère. Ainsi la seigneurie serait prospère au moins pour quelque temps. Peut-être que je pourrais même revenir de temps en temps ici.
Tant de spéculations m'avaient épuisée. Je m'endormis sans le savoir sur mon lit dont j'étais habituée après deux ans. Les vieilles femmes semblaient s'amuser à me tourmenter. Espérons que j'eus pris la bonne décision.
Chapitre bien long ! J'avoue que j'ai adoré l'écrire :3
Est-ce c'est vraiment "j'eusse pris" ?
J'ai l'impression que Alexandre avec son discours bizarre devient un poil manipulateur :/
brunehilde39 J'ai essayé de décrire la salle du trône ici, c'est mieux ou plus de détails ?
Petite pause pub
Si vous voulez lire une superbe histoire fantastique lisez celle de brunehilde39
https://www.wattpad.com/story/46330329-le-tr%C3%B4ne-d'eradel
Je n'en suis qu'au prologue et ça en jette déjà ^^
Vous avez peut-être (ou pas) remarqué le texte justifié, rien que pour cette fonctionnalité géniale et que Wattpad aurait dû proposer il y a bien longtemps (mais ce n'est qu'un détail -_-), je vous invite à lire :
https://www.wattpad.com/192928023-var-wattpad-null-avant-propos de cestdoncvrai
Et lisez leurs autres histoires aussi ! Elles valent le détour ;) Fantastique à souhait <3
Voili voilou ! Merci pour tous vos votes et commentaires <3
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