Chapitre 14 - Messages et Réunion
Dans le chapitre précédent :
Adonis se leva pour partager quelques mots à ses sujets. Il parlait dans une langue étrangère que Joker avait omis de me signaler. C'était aussi de ma faute, j'aurais dû l'interrompre et lui avouer que je n'arrivais pas à lire cette langue. Après les paroles d'Adonis jetés à la foule, il se rassit, ce qui donna le signal commençant le festin du midi.
En soupirant, je commençai mon repas. Pressée d'en finir avec tous ces regards indiscrets me mettant mal à l'aise. Peut-être que je pourrais faire un tour dans la forêt et voir la meilleure amie de Zircon. J'étais aussi curieuse de savoir pourquoi elle vivait dehors.
Soudain, je pus voir l'ex-maîtresse d'Adonis. Emeline, avec sa beauté perceptible à toute personne, dansait entre les tables pour s'assoir à l'une d'entre elles. En bas. Avec les autres hommes et femmes. Par les quelques regards étonnés, je compris qu'elle ne prenait d'habitude pas son repas en bas des escaliers, mais sûrement à la table d'Adonis.
Je regardai le profil d'Adonis en quête d'une réponse, mais celui-ci était couvert du masque que je détestais de plus en plus. Je soupirai et continuai mon repas, en espérant que l'heure passerait rapidement.
***
Le festin battait son plein entre rires et chansons contés à la volée. Je fixai Emeline avec une certaine curiosité, mais je ne voulais pas demander à Adonis si d'habitude, elle s'installa à ses côtés. Cela aurait peut-être envenimé la situation.
« Adonis, où est Léandre ? demandai-je en ne le voyant nulle part.
– Avec d'autres femmes du château.
– Et Amédé ?
– Avec sa promise.
– Claire ne va pas accepter de se marier avec lui.
– C'est un homme respectable. Un de mes meilleurs hommes, dit-il avec force.
– Je n'en crois pas moins. Je voulais juste dire que tout cela est un peu précipité. Tu ne crois pas ?
– Non. »
La conversation finit sur son ton bourru et décisif. Je soupirai avant de finir mon assiette. J'avais réussi à manger la plupart des aliments qu'Adonis me plantait dans mon plat. Le ventre rempli, le Roi se leva, m'indiquant que je devais le suivre. Je lançai une dernière œillade vers Emeline qui s'apprêtait à sortir de la pièce aussi.
En silence, nous marchâmes côte à côte vers une direction inconnue. Le château immense était encore un mystère pour moi. Je n'arrivais pas à me repérer tellement il n'y avait aucun moyen pour identifier les portes des autres ou les murs de pierre des autres. J'étais condamnée à errer derrière quelqu'un pour me conduire d'une pièce à une autre.
« Où va-t-on ? me forçai-je à demander.
– Nous allons voir la Grande Prêtresse.
– Pourquoi ?
– Pour voir ton destin. »
D'un coup, je m'arrêtai de marcher. Impossible. Je croyais qu'elle pouvait simplement avoir des visions de l'avenir, pas qu'elle voyait le destin d'une personne sur simple demande. Les pas d'Adonis se figèrent, ne me voyant pas le suivre. Soudain, il se précipita vers moi et me prit dans ses bras. Je le laissai faire, sachant qu'une chose arrivait à toute vitesse par la fenêtre grande ouverte à ma gauche.
Je restai prostrée sous la chaleur de mon amant, avant qu'il ne décide enfin de relâcher son emprise sur mon corps. Quand je le regardais, son visage était tourné vers la fenêtre. Son masque était juste devant moi. Je souris intérieurement pour ce moment idéal où son attention n'était pas ici. Je levai ma main et touchai son masque pour l'enlever, mais Adonis intercepta mon poignet avant que je puisse bouger l'objet.
Ses yeux gris n'étaient pas amicaux, au contraire, c'était un regard menaçant. Je me forçai à sourire pour alléger son mécontentement puis tournai la tête pour apercevoir la flèche qu'il avait dans la main.
« Quelqu'un a voulu me tuer ? demandai-je, étonnée.
– Non, dit-il en me relâchant. C'est un message. »
Adonis prit la feuille accrochée à la flèche et la déplia. Il resta un moment à froncer des sourcils en fixant le bout de papier.
« Qu'est-ce qu'il y a d'écrit ? »
Étant donné qu'il ne me répondit pas, je penchai le papier vers moi.
De l'espagnol ! Ne va pas voir la Grande M de Zizi. M était sûrement Médée. Ce qui voulait dire que je ne devais en aucun cas rencontrer la Grande Prêtresse. Après tout, mon destin était changeant en fonction des vieilles femmes. C'était elle qui décidait de mon sort. Mais je pouvais changer le destin des autres. C'était ce pour quoi nous étions envoyés dans ces mondes. Pour changer les destinées des personnes que nous côtoyons. C'était notre pouvoir. Aller à l'encontre des Moires.
« Tu arrives à déchiffrer ? demanda Adonis, me sortant de mes pensées.
– Non, c'est une langue inconnue. Tout le monde sait lire ici ?
– Oui, nous apprenons dès petit à lire et écrire. Mais ce n'est que parce que je l'ai ordonné. Dans d'autres peuples comme le nôtre, seules certaines personnes peuvent lire.
– Je vois... »
Je voulus m'approcher de la fenêtre pour voir d'où pouvait provenir la flèche, mais Adonis m'en empêcha. C'était trop dangereux d'après lui. Et je pouvais le comprendre. Nous marchâmes de nouveau dans le couloir éclairé par la lumière du jour. Le stress montant à chaque pas posé plus loin. Je ne devais pas rencontrer la Prêtresse. Un évanouissement pourrait être une bonne idée.
« Adonis ! » cria une voix au bout du couloir derrière nous.
Soudain, Amédé marcha vers nous avec un visage fermé et une feuille enroulée dans sa main droite. Une mauvaise nouvelle ? Une fois devant nous, il tendit le message à Adonis qui le déplia pour lire son contenu. Cette fois-ci, c'était moi qui ne comprenais pas les termes inscrits.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je quand Adonis prit une mine plus sombre qu'à son habitude.
– Une missive. Rien d'important, dit Amédé.
– Rien d'important ? Vous faîtes peur à voir et ce n'est pas important ? »
Ils se regardèrent dans le blanc de l'oeil sans ouvrir la bouche. Sous la frustration, je roulai des yeux en croisant les bras sur ma poitrine. Adonis hocha la tête. Un signal qui donna l'ordre à Amédé de s'en aller. Celui-ci baissa la tête en signe de respect puis repartit d'où il était venu.
« Adonis, j'ai le droit de savoir, stipulai-je aussi calmement que je le pus.
– Un Roi d'une autre contrée voudrait parlementer... cracha-t-il comme de la flamme.
– Et où est le problème ?
– C'est un ennemi. Des années de guerre nous séparent, dit-il en me fixant dans les yeux. Et aujourd'hui, il demande à parler ? C'est un piège grotesque.
– Ou peut-être qu'il veut vraiment discuter, Adonis. »
Son regard me foudroyant en disait long sur sa haine envers ce Roi. Je n'osais plus le regarder dans ses yeux terrifiants. Dans ma vision périphérique, je vis ma main venir doucement près de mon visage, comme si elle avait peur de me toucher. Ses doigts caressèrent ma joue avec tendresse, elles me prirent ensuite le menton pour soulever ma tête. Mes yeux se trouvèrent de nouveau subjuguer par un regard tempétueux.
« Je suis un monstre. Et ce Roi aussi. Nous ne discutons pas. Nous nous battons contre l'ennemi. Nous ne sommes pas comme vous autres seigneurs à parler pendant des heures pour ne trouver aucune solution. Nous agissons. Nous faisons certes des erreurs, mais nous apprenons à ne pas les refaire. »
À la fin de son discours, qui devait être la plus longue réplique qu'il m'ait dit personnellement, il relâcha mon menton et me contourna. Quand je pus enfin cligner des yeux, je l'interpelai pour demander où nous allions maintenant. Il ne dit rien. Il semblerait qu'il ait déjà trop parlé en ma présence. Je soupirai avant de courir le rejoindre. Je ne souhaitai pas me perdre dans ce château aux allures inquiétantes.
Je suivais mon amant docilement tout en admirant nos ombres jouant sur les murs à la lumière des torches enflammées. Nous arrivâmes devant une porte cernée par deux hommes montant la garde. Adonis poussa pour nous faire entrer dans une pièce encore plus sombre que dans les couloirs.
Je restai dans les pas d'Adonis tandis que plusieurs hommes s'étaient levés en le voyant. Ils se rassirent autour de la table lorsque nous les dépassâmes. Mon mari s'installa dans la plus grande chaise se trouvant au bout de la table en bois marbré et je m'installai sur une chaise près du sien. J'avais l'impression de n'être pas à ma place dans ce repère uniquement composé d'hommes où les heures d'entraînements intensifs pouvaient se voir sur chaque muscle de leur corps.
Adonis parla. Il exposa la découverte de la missive du Roi ennemi, mais ne fit pas mention de l'autre message que seule moi pouvais déchiffrer. Et même si Adonis l'envoyait à une personne connaissant les langues, elle ne saurait pas qui est Zizi. Ce type et son sens de l'humour...
Les hommes grognèrent de colère. Leurs mâchoires serrées montraient leur simple haine envers ce Roi. Je les fixai un à un. Amédé et deux hommes inconnus. Je ne me souvins pas les avoir croisés dans l'enceinte de la demeure.
« C'est un piège, gronda doucement l'homme à la barbe noire grandissante.
– Oui, ils nous tueront dès qu'on franchira leur territoire, acquiesça un autre homme à la chevelure blonde arrivant aux épaules qui croisait les bras d'un air réfléchi.
– C'est étrange qu'il fasse une demande pareille. Pendant les siècles passés, il n'y a jamais eu de missive. S'ils voulaient attaquer, ils attaquaient, réfléchit Amédé.
– Ils veulent nous rencontrer sur un terrain neutre entre nos deux terres. Sans gardes, seulement avec les plus hauts placés.
– Seulement avec nous trois ? Régis, Nomos et Amédé ? Pourquoi cela ?
– Et votre Yinéka aussi, stipula Adonis avec une pointe de froideur.
– Moi ? demandai-je en me pointant du doigt, les yeux tirés par la surprise.
– Tu fais maintenant partie de ce Royaume, du Royaume d'Hélia.
– C'est vrai, mais je ne pense pas que ce soit avisé de l'emmener avec nous, rencontrer des ennemis qui plus est, dit Régis avec une pointe de dédain que je réussis à percevoir.
– Je suis de son avis, dis-je en le pointant du doigt. Je ne vois pas l'intérêt d'y aller. Je ne vous servirais à rien.
– Tu seras à mes côtés quoiqu'il advienne, » déclara Adonis en me fixant de toute son autorité.
Je me mordis la joue intérieure pour éviter de lui répliquer comme j'en avais envie.
« Et s'ils voulaient que tous les hauts placés soient à cette réunion pour parlementer et qu'ensuite, leurs gardes attaquaient le château. »
Ils réfléchirent à cette possibilité. Ainsi, ils mirent au point un plan permettant de renforcer les abords du château pendant notre absence.
Après cela, Amédé voulut intervenir sur une cause personnelle. Apparemment, cela ne dérangeait personne qu'il expose même ses plaintes d'ordre individuelles dans l'enceinte de cette salle. C'était donc une réunion aussi bien pour le bien du peuple que pour les personnes présentes là.
« Je voudrais épouser Claire.
– Non ! » dis-je un peu trop fort.
Je vis la peine passée furtivement dans les yeux d'Amédé, mais il se reprit. Il était déterminé à se marier, alors que j'étais toujours abasourdie.
« Que dit Claire à ce propos ? demanda Adonis avec calme.
– Elle est d'accord pour m'épouser, avoua Amédé.
– Quoi ? Mais c'est impossible. Vous vous connaissez à peine !
– Nous nous aimons. Cela suffit, appuya-t-il.
– Je veux parler à Claire, dis-je en croisant les bras.
– Elle ne changera pas d'avis.
– Je ne veux pas lui faire changer d'avis. C'est sa vie, ses décisions. Mais je veux savoir si elle y est contrainte ou pas.
– Vous pensez que je pourrais la menacer pour m'épouser ? demanda Amédé, outré.
– Je ne sais pas. Écoutez, Claire est si jeune. Elle a toujours connu la protection de notre château. Elle n'a jamais voyagé à part pour venir ici. Elle découvre et est facilement influençable. En vous la remettant, j'ai pris sur moi en évitant de la couver. Vous semblez quelqu'un de bien, mais un mariage ? Maintenant ? essayai-je d'expliquer.
– Vous êtes jeune aussi, Ambre, annonça l'homme aux cheveux blonds.
– Je le suis, mais j'ai déjà voyagé. Je suis allée dans d'autres contrées, voisines certes, mais je sais que même l'homme qui vous sourit avec gentillesse a des arrières pensés qui peuvent être malsains. Claire le suivrait en pensant qu'il est bon et simple comme elle. Et j'ai été mariée une fois. Je n'ai pas de crainte ni de questions...
– Mes intentions ne sont pas mauvaises et elle sera bien traitée, affirma-t-il.
– J'en suis convaincue, Amédé, soupirai-je. Je... C'est juste... Un mariage, ce n'est pas rien !
– Vous vous êtes aussi mariés à notre Roi après seulement quelques heures, répliqua Régis en levant un sourcil broussailleux.
– J'étais obligée ! Sinon vous alliez tous nous tuer !
– Nous ne l'aurions pas fait... souffla Amédé.
– Quoi ? demandai-je, abasourdie.
– Nous ne vous aurions jamais attaqués. C'était pour vous forcer à... »
Adonis grogna pour l'intimer d'arrêter. Je le regardai avec de grands yeux, choquée par la nouvelle. Tout le monde avait baissé la tête.
Adonis voulait que je vienne ici. Que je le rejoigne ici. Je ne pouvais pas le blâmer. C'était le destin. Les Moires n'avaient pas arrêté notre mariage après tout. Ce qui était fait est passé, je n'avais pas à m'énerver sur les choix pris précédemment.
« Faites comme bon vous semble. »
Mais il était clair que je n'étais toujours pas d'accord avec la décision d'Amédé.
La réunion s'acheva sur cette mésentente. Nous sortîmes de la pièce. Régis était parti en premier suivi de Nomos. Je poussai un peu plus la porte qui n'était pas grande ouverte. Adonis vint rapidement devant moi. Amédé nous suivit alors que les autres hommes se dispersèrent. Il affichait une mine sérieuse, mais pas dangereuse.
« Pourquoi ne voulez-vous pas qu'elle se marie ?
– Je n'ai aucun reproche à ce qu'elle se marie.
– Alors c'est moi le problème ? » demanda-t-il un brin furieux.
Je sentis Adonis, furieux lui aussi, mais pas à cause de moi. Le comportement de son ami devait le prendre par surprise, à moins qu'ils n'aient déjà eu des disputes entre eux.
La question d'Amédé resta sans réponse. Je le toisai simplement du regard.
« Je prends soin d'elle, je... tenta-t-il de se justifier.
– Vous n'êtes pas humains. »
Un silence. Une minute puis deux où ils se fixèrent sans un mot.
« Vous communiquez par la pensée. »
Je réfléchis à vive allure. Pouvaient-ils être des loups-garous ? Ou des dragons ? En tous cas, un peuple qui vivait en meute et reclus. Leurs grognements faisaient penser à des animaux... Peut-être des ours ? Ou était-ce comme dans la Belle et la Bête où une malédiction les avait condamnés à être des objets, ici ils seraient condamnés à être des humains alors qu'ils ne l'étaient pas ?
« Comment as-tu deviné ? demanda Adonis.
– Je peux sentir la magie, révélai-je avec hésitation. Et ce château en est rempli. J'ai su que vous étiez différent.
– Et que sommes-nous ?
– Je ne sais pas. Qu'êtes-vous ? »
Alors, que pensez-vous qu'ils soient ? ^^
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