Chapitre 12 - Savoir et Bibliothèque
Dans le chapitre précédent :
Après mon bain, je sortis de la cuve et me séchai avec des draps propres tandis que mon mari continuait sa toilette. J'enroulai ensuite le tissu autour de mes cheveux et me couchai sur le lit. Je me réfugiai sous la couverture de fourrure pour cacher ma nudité. D'habitude, je n'étais pas pudique, mais cet homme faisait battre mon cœur rien qu'à l'idée de le savoir dans la même pièce que moi.
Être embarrassée. C'était un nouvel état que je n'avais pas à éprouver durant tout ce temps avec Alexandre et ses hommes. Au contraire, je ne voulais plus porter ces longues robes traînantes et lourdes. Je devrais être satisfaite de me vêtir simplement, mais avec cet homme colossal, c'était difficile de me sentir à l'aise.
Doucement, mes paupières se refermèrent sans mon autorisation. Elles étaient fatiguées tout comme mon corps en entier. Je sentis une légère pression sur mon front avant qu'elle ne se retire.
De nouveau, je fus aspirée dans un tourbillon blanc m'emportant dans un monde inconnu et vide. Les Moires, j'étais sûre que c'était une de leurs manigances. J'espérai bien leur parler cette fois-ci et obtenir des explications.
***
« Les Moires ? Vous m'entendez ? Je ne ferai absolument rien tant que vous ne m'aurez pas expliqué ce qu'il se passe ici ! » criai-je à qui voulait bien m'entendre.
Mais aucune parole, même chuchotée, ne me parvenait. Je comptabilisai déjà plusieurs heures dans mon horloge interne. Des heures, seules, dans ce lieu blanc avec une plume comme distraction. Celle-ci se tenait en l'air, juste en face de mon nez. Elle restait là quoique je fasse. Même si je la jetais au loin, elle trouvait le moyen de revenir sur ses pas. Je la fixai les bras croisés, attendant encore une quelconque manifestation des vieilles femmes... Mais toujours rien.
Je commençai à m'impatienter en tapant du pied sur le sol blanc. Après quelques minutes, je soupirai en m'avouant vaincue. Pour cette nuit. Je comptai bien faire ce même manège la nuit prochaine. Pour le moment, ma main droite s'empara de la plume, puis je me dirigeai vers la table avec les cartes de Tarot alignées horizontalement, comme la première fois. Le « Joker » était toujours inscrit sous la carte du Fou. Je fixai une par une les cartes en espérant qu'elles me disent quoi faire, mais elles ne bougeaient pas. Implacables comme les Moires. Après réflexion, j'inscrivis le nom de « Léandre » sous la carte du Bateleur. À la fin de l'écriture, la plume disparut et tout devint noir.
Mais un sentiment de panique m'envahit. J'avais l'impression qu'une personne compressait ma poitrine. Je me tins le cou, n'arrivant plus à respirer correctement.
J'ouvris enfin les yeux et aspirai l'air manquant comme si je m'étais noyée. Des bras m'enveloppèrent, et je me blottis contre le torse d'un homme. Je cherchai à respirer posément. De longues goulées d'air pour calmer ma peur et mon coeur battant trop fort.
« Ambre ? »
Je relevai le visage vers la source de la voix et poussai un cri de surprise.
« Bon sang ! Tu ne pourrais pas enlever ton masque ! Tu m'as fichu la trouille, réprimandai-je Adonis en levant la main vers lui, mais il la prit avant que je ne touche son masque.
– Tu as une différente façon de parler..., stipula-t-il.
– Oh vraiment ? dis-je avec innocence, en m'écartant de son corps sur lequel je m'étais allongée.
– Oui. »
Je me levai du lit. Mais j'étais nue et lui aussi. Je rougissais sachant que ses yeux me détaillaient de haut en bas.
« Arrête de me regarder, » soufflai-je, timide.
Il sourit avec malice, ce qui me mettait en rogne. Je le regardai se lever aussi et enfiler des vêtements avant d'ouvrir la porte. Il me prévint qu'Adélaïde viendrait me couler un bain et me donner des habits. J'hochai la tête pour toute réponse.
Dès que la porte se referma, je soupirai de soulagement. J'essayai de retirer les nœuds qui emmêlaient mes cheveux avec mes mains. Mais une évidence me frappa tout d'un coup. Je n'avais plus de bleus sur mes bras et jambes. Ils avaient disparu pendant la nuit, ce qui était étrange. D'habitude, mon corps mettait quelques jours avant de les soigner. Les douleurs étaient aussi parties. Envolées en une simple nuit de sommeil. Était-ce l'œuvre des vieilles femmes ? Non, elles n'intervenaient pas de manière aussi visibles dans un monde.
Adélaïde arriva quelques minutes plus tard avec des seaux d'eau, me tirant de mes réflexions. Elle remplit le bain, puis j'y plongeai avec délice.
« Tu vas bien ? » demandai-je alors qu'elle ne parlait pas, ce qui m'inquiétait.
Ses cheveux toujours en queue de cheval lui donnaient un air intimidant. Elle portait toujours un haut en débardeur ainsi que ce pantalon ample de couleur foncé.
« Je vais bien... Et vous aussi. Vous avez réussi à me battre...
– Je l'ai déjà dit hier, je connais bien le corps humain. Je sais où se trouvent ses points forts et ses points faibles. Tu étais vraiment impressionnante. Tu aurais pu me tuer en quelques mouvements, mais tu ne l'as pas fait. Est-ce qu'Adonis t'a réellement dit de ne pas me faire de mal ? demandai-je avec une voix douce tandis qu'elle me lavait les cheveux.
– Est-ce que vous pouvez... commença-t-elle, mais elle se pinça les lèvres pour éviter d'en dire plus. C'est la Grande Prêtresse qui m'a ordonné de ne pas vous attaquer.
– Est-ce que je peux quoi Adélaïde ?
– M'apprendre les points faibles du corps ? risqua-t-elle d'un air embarrassé.
– Bien sûr, dis-je en lui souriant. Donc c'est la Grande Prêtresse qui vous donne des ordres. Elle est une personne très importante.
– Oui, elle nous guide dans notre chemin de vie. Notre Déesse Néphélé lui envoie des visions ou lui murmure des paroles.
– Je vois, » soufflai-je, pensive.
Je sortis de mon bain d'une humeur plus joyeuse. Voir Adélaïde me parler plus librement était plus satisfaisant que son état de haine à notre rencontre. Ce combat avait été bénéfique pour notre relation.
Je souris discrètement tout en enfilant une robe blanche qui m'arrivait aux genoux. Je soupirai tout en plaidant à la combattante si je pouvais avoir des pantalons semblables aux siens. Elle refusa. Je ne devais porter que les vêtements que le Roi avait choisis. J'allais devoir parler plus sérieusement à Adonis sur ce que je pouvais mettre ou pas. J'étais une femme indépendante, pas une vulgaire poupée. Je croyais qu'il l'avait compris, mais il semblait obstiné à me donner des ordres.
Peut-être que je devais paraître ainsi, soumise, à cause de mon acceptation de cette situation dans laquelle je m'étais retrouvée. Mais je ne faisais que me taire pour éviter un scandale ou pire, qu'on me tue parce qu'on ne m'aimait pas. Si je mourais, je ne pourrais pas aider autant de personnes que je le souhaiterais. Heureusement, dans ce monde, le Joker, dont je ne savais toujours pas le vrai nom, était présent. Cela me permettrait de ne pas avoir peur de la mort. Mon seul regret si je devais partir d'ici, serait de causer de la peine aux êtres que je connaissais... Et surtout à mon vrai frère... Il me manquait. Je voulais tellement le voir de nouveau.
« Yinéka ? »
Je relevai la tête vers Adélaïde qui me fixait de ses yeux gris avec inquiétude. Je lui souris doucement la rassurant. J'avais dû être dans les étoiles pendant de bonnes minutes.
« Tout va bien. Je pensais à autre chose... Que puis-je faire aujourd'hui ?
– Le Roi a simplement dit que vous ne deviez pas quitter les remparts du château... Je suis désolée.
– Oh, ce n'est pas très grave. Je trouverai bien une occupation.
– Non, je voulais dire que j'étais désolée pour mon accueil. Je vous croyais une femme faible... Adonis ne mérite pas une femme qui ne sait pas se battre. Mais vous avez été... étonnante hier. »
Sa révélation me fit agrandir les yeux. Dans les siens, je voyais la curiosité mêlée à de l'admiration. On aurait dit une nouvelle Adélaïde devant moi. Mais je comprends mieux ses agissements à notre première rencontre. Cette bataille m'avait vraiment permis d'avancer.
« Merci, » soufflai-je, surprise par ce retournement de situation.
Je m'étais visiblement fait une nouvelle amie en ce château rempli de magie. Je pourrais lui poser plus de questions à l'avenir.
« Est-ce qu'il y a une bibliothèque ? demandai-je, enthousiaste.
– Oui, vous souhaitez vous y rendre ?
– Je voudrais bien. »
Elle m'accompagna donc vers la salle contenant des livres anciens comme nouveaux. Étant donné que je n'avais rien à faire, je voulais vérifier ce que les cartes de Tarot signifiaient exactement. Peut-être que je trouverais une aide dans ces ouvrages.
En marchant à travers les grands couloirs aux pierres froides, j'entendis des bruits de sabots. Étonnée, je me demandai si mes oreilles étaient encore endormies. Je n'avais jamais songé que des chevaux se promèneraient dans les dédales d'un château. Les bruits s'amenuisèrent tandis que l'on marchait.
Nous marchâmes au moins cinq longues minutes avant d'arriver devant deux grandes portes. Elles étaient similaires en taille à celles de la salle d'entraînement, mais elles avaient des ornements en reliefs avec des spirales et courbes.
Adélaïde poussa les portes avec une aisance hors du commun. Très vite, je fus impressionnée par la pièce chaleureuse qui allumait mon regard. Un sourire naquit sur mon visage tandis que j'avançais vers le centre de la pièce. Il y avait des livres partout. Du sol au plafond, posés sur des étagères. Arrivé au centre se trouvait une table en pierre blanche. Elle ressemblait à s'y méprendre à celle de mes rêves. Mais elle possédait un livre dessus et non des cartes. Enfin, je tenais quelque chose. Cette bibliothèque était un point de départ.
« Que voilà ! Ma petite Adélaïde, pourrais-tu m'apporter ces livres à ta droite ? » cria la voix d'un homme dont je ne parvenais pas à saisir sa provenance.
La jeune femme soupira avant d'exécuter les dires du vieil homme en prenant une pile de cinq livres posés sur un banc et les emmena en direction de la voix. Je la suivis, curieuse de voir le bibliothécaire.
Nous montâmes une dizaine de marches, et je pus enfin voir un homme de petite taille avec une barbe blanche. Il était penché sur la couverture d'un livre. Adélaïde déposa les ouvrages à ses pieds avec une rigidité peu commode. La jeune femme semblait agacée, mais c'était difficile à dire étant donné qu'elle avait enfilé ce visage de pierre, sans émotions. Cela devait faire plusieurs fois qu'il lui demandait de faire cette besogne ennuyante.
L'homme était tellement concentré qu'il ne m'avait pas fait un signe. Il ne m'avait sûrement pas vu, mais alors comment avait-il su qu'Adélaïde était présente dans la pièce ? Brusquement, l'homme poussa un cri semblable à un « Eurêka » avant de courir vers une autre étagère plus loin. Surprise, je le regardai partir à vive allure.
« Polibé protège notre savoir, m'informa la jeune femme.
– Je dois donc m'adresser à lui si je cherche un livre spécifique ? demandai-je en fouillant du regard les reliures posées à ma hauteur.
– Oui, il connaît cette pièce comme s'il l'avait construite de ses mains. Chaque emplacement est un secret dont il garde aussi précieusement que son savoir.
– Oh, il ne partage donc pas ses connaissances ?
– Non, il préfère qu'on apprenne de nous-mêmes... »
Sur ces paroles, je me dirigeai de nouveau vers la table en pierre blanche qui trônait au milieu de la pièce. Un livre ouvert reposait dessus. Depuis que j'étais entrée, la curiosité me chatouillait les sens. Je me mis devant les pages et observai les textes jouant avec des dessins. Le récit, écrit à la plume fine, retranscrivait une histoire qui m'était inconnue. Je ne pouvais pas déchiffrer les lettres. C'était un langage différent du nôtre, mais qui utilisait tout de même notre alphabet.
J'informai Adélaïde sur mon ignorance qui poserait problème. Celle-ci soupira, sûrement épuisée de me couver. Elle aurait préféré se battre plutôt que de me faire la lecture, ce qui était compréhensible.
« Ce livre raconte notre Histoire. Celle de Hélia, » me dit-elle.
J'avais devant moi toute l'Histoire de ce monde ou tout du moins de ce peuple écrit dans ce gros livre. Je voulus tourner les pages, mais avant qu'elle n'effleure les feuilles, un cri outré sortit de la bouche du vieil homme. Il était déjà devant nous avec des yeux remplis de rage. Je suspendis ma main trop étonnée par son cri.
« Ne touchez pas de vos pattes ce livre ! Seuls les héliastes ont ce droit !
– Elle est aussi une héliaste, Polibé, dit Adélaïde pour ma défense.
– Tu es encore vivante, cela prouve qu'elle n'a pas réussi à te tuer !
– La Grande Prêtresse m'a ordonné de ne pas l'attaquer, mais si tu avais eu vent du combat au lieu de rester dans cette bibliothèque poussiéreuse, tu aurais su qu'elle m'a mise à terre. Elle a gagné. »
Le vieux barbu me regarda avec de grands yeux abasourdis. L'incrédulité se lisait sur son visage rond. Il reprit son sérieux en fronçant des sourcils tout en marmonnant tout bas des mots que je ne saisissais pas. Étant donné que je ne pouvais pas lire l'Histoire de ce monde, je tentai ma chance pour trouver un autre livre.
« Est-ce que vous auriez des livres sur les cartes de Tarot s'il-vous-plaît ? demandai-je doucement le tirant de sa rêverie.
– Vous êtes la seconde personne à faire cette requête... déclara-t-il en me fixant de ses yeux bruns.
– Qui était la première ?
– Joker... Quand il est venu ici, il y a des années de cela, il m'avait quémandé les mêmes ouvrages. Je lui ai autorisé la lecture de ces livres. Mais ensuite, il les voulait pour lui. Je lui avais informé que la connaissance était pour tous, mais cet enfant m'avait répliqué que personne ne s'intéresserait à ces livres spécifiques. Il m'a aussi fait savoir que si une personne voulait ses ouvrages en particulier, elle devrait aller se présenter à lui. »
C'était malin ! Cela m'obligeait à lui rendre une petite visite. L'ombre d'un sourire passa sur mes lèvres avant que je me retourne vers Adélaïde. Celle-ci resta de marbre, mais elle avait deviné que je souhaitais voir Joker à présent. Et cette fois-ci, j'espérai qu'elle ne serait pas dans les parages pendant notre discussion. Joker parlait en citation dès qu'on était en présence d'une personne de ce monde. Il me suffirait d'envoyer Adélaïde quelque part pour lui parler sereinement.
Avant de sortir de l'immense bibliothèque, je me retournai pour signifier mon départ au bibliothécaire, mais il était déjà hors de vue. Ma jeune accompagnatrice m'informa qu'il ne servait à rien de lui parler, il était trop occupé à lire ou ranger ces livres pour prendre conscience des autres.
Nous partîmes donc en direction de la chambre de Joker, en espérant qu'il soit encore dans son antre à cette heure matinale.
Alors nous avons eu la Adélaïde colérique envers Ambre, maintenant c'est la douce Adélaïde, et il y aura encore une autre facette d'Adélaïde que vous apprendrez ;) Tout ça pour vous dire que les gens changent assez rapidement en montrant une des facettes de leur personnalité qu'on n'aurait jamais cru après un simple événement.
J'ai été confronté récemment à cela avec une amie, que je pensais être une véritable amie, mais elle s'éloigne... Sincèrement j'ai envie de courir après elle pour qu'elle me parle de nouveau comme avant, mais peut-être que ça ne vaut pas le coup. Je me suis juste plantée sur toute la ligne la concernant... Bref, racontage de vie, désolée, mais ça m'a mis un coup de barre toute cette histoire.
N'empêche c'est fou ce que notre vie de tous les jours influence nos écrits...
Merci pour tous vos votes et commentaires qui sont très enthousiastes, et qui me donnent la pêche pour écrire ^^
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