« Depuis avril, quatre cadavres de femmes entièrement mutilés ont été retrouvés. Deux dans l'Est, une dans l'Ouest et la dernière en date près de la bordure Est-Ouest où se trouvent la plupart des usines ouvrières. Personnellement, je ne connaissais aucune des femmes, mais Lauren... »

Les yeux bleus d'Agathe se déposèrent tristement sur la jeune femme qui fixait le tapis au sol. Lauren déglutit sans pour autant parler.

« Amy est la première victime, continua Agathe. Elle n'avait que vingt-deux ans.

– Ce n'est pas sûr, interrompit Lauren. Elle a été agressée à l'Est par une bande de criminelles...

– C'est effectivement ce qu'elle a dit à la gardienne de son immeuble et ce que le rapport d'hôpital conclut. Mais je pense qu'elle a été la première victime de toute cette folie meurtrière.

– Excusez-moi. »

Lauren se leva avec les yeux brillants pour se diriger vers la cuisine. De toute évidence, Amy et elle devaient être proches. Je pinçai mes lèvres en restant assise. Elle était partie pleurer, mais je devais écouter les détails de cette histoire, aussi sordide fût-elle. Cependant Agathe se leva et alla la rejoindre. Je soupirai un instant en espérant qu'elle revienne vite. Peut-être était-ce une mauvaise idée d'avoir emmené Lauren ici...

Agathe revint avec un air désolé puis continua son récit.

« Marie avait trente-deux ans. Elle a été retrouvée à l'Est pendant la nuit ; son corps a reçu plusieurs coups de couteau au niveau du ventre. Anastasia, la troisième victime, avait vingt-sept ans ; elle était à l'Ouest près d'une écurie. Elle a eu la gorge tranchée et l'abdomen déchiqueté par des coups de couteau aussi. La dernière femme trouvée hier par un ouvrier s'appelle Anna. C'est la plus âgée pour l'instant. Son cou a été tranché et son abdomen ouvert.

– Elles ont toutes été tuées la nuit et ont reçu des coups de couteau. C'est la même arme à chaque fois ?

– Non, elles sont différentes, mais ce sont toutes des armes blanches.

– Vous avez interrogé les témoins, je suppose ? questionnai-je.

– Un des témoins avait vu Anna parlant avec un homme grand qui portait un pardessus foncé quelques heures avant son meurtre. Mais personne n'a retrouvé cet homme.

– Très bien, donc vous n'avez aucun suspect, affirmai-je.

– Sans vouloir vous offenser, cela ne concerne guère une jeune femme de votre rang, » dit une voix masculine alors qu'Agathe allait me répondre.

Je me retournai vers la personne avec un air étonné. Peter était apparemment rentré pour le déjeûner. Sa femme se leva pour lui prendre son pardessus et son chapeau. Je me levai aussi du canapé, mais restai plantée à ma place. Les deux jeunes gens se sourirent furtivement avant que Peter ne me toise du regard. Il n'était pas malveillant, mais se méfiait de moi. Je forçai un sourire.

« C'est vrai, ces meurtres ne me concernent en rien. Cependant, je suis diplômée en sciences. Je pourrais vous aider concernant ces énigmes, expliquai-je poliment.

– Nous n'avons pas besoin d'aide, ma dame.

– Vous n'avez aucun suspect, aucun témoin valable, rien, dis-je en croisant les bras.

– Ce n'est pas totalement vrai. Nous avons des suspects. Et même étant diplômée en sciences, vous ne serez d'aucune utilité dans ces affaires sordides. Je vous conseille de rester chez Lauren sans y sortir. »

Celle-ci revint avec les yeux bouffis et resta aux côtés d'Agathe qui lui sourit tendrement. Je la regardai avec tristesse. J'aurais dû venir ici seule en me présentant à Agathe. Elle m'aurait accueilli aussi amicalement. Peter fixa sa sœur avec inquiétude. Il fronça les sourcils avant de reporter son regard sur moi. Qu'il se fasse du souci pour sa soeur justifiait sa colère, mais l'incident ne m'aidait pas.

« Je veux vous aider. Je sais que je peux faire quelque chose dans cette affaire. »

Je leur tendis ensuite une enveloppe cachetée que j'avais pris soin de prendre avec moi.

« Voici une lettre du commissaire de la ville où je résidais. J'ai les recommandations nécessaires pour vous aider dans cette enquête pour meurtres qui semblent être perpétrés par un tueur en série bien coriace. »

Confus, Peter prit le courrier et l'ouvrit pour lire les mots inscrits sur le papier jauni. Avant de partir de Camberley, j'étais allée voir le commissaire pour lui demander de me l'écrire. L'ayant aidé un bon nombre de fois lui et ses hommes, il s'était empressé de donner son accord pour écrire cette lettre de recommandation.

C'était un homme foncièrement bon, mais assez niais pour ne pas dire stupide. On ne pouvait pas le détester, mais il n'était pas fait pour être un chef. Je supposais que personne d'autre ne voulait faire son travail, d'où ses nombreuses années d'activités en tant que commissaire.

Peter prit plusieurs minutes à lire et relire la missive. Agathe regardait aussi par-dessus son épaule. J'attendis patiemment que leurs surprises soient passées. Lauren vint près de moi avec un regard accusateur. Néanmoins, elle devait bien être contente que j'aie demandé cette recommandation. Cela donnait de la légitimité à mon titre et renforçait le fait que je pouvais m'inclure dans cette chasse au grand méchant loup.

Peter serra les dents avant de soupirer.

« Je ne suis que le commissaire adjoint, je dois montrer cette lettre à mon supérieur. Ensuite, nous pourrons parler plus librement de ces... meurtres sanglants, concéda-t-il.

– Très bien, dis-je avec un sourire. Ce serait bien si je voyais le vrai Jack, même si ce n'est probablement pas le vrai.

– Le vrai Jack ? demanda Peter, confus.

– Oh ce n'est rien, je parle à moi-même.

– Jack... souffla Agathe en me regardant d'un air curieux. Le Jack de Whitechapel ? »

Je manquai de flancher sous les paroles de la jeune femme. Les yeux ronds, je la fixai avec incertitude. Ma bouche s'ouvrit puis se referma. Je tentai de garder mon sérieux. Avec difficulté.

« Il se pourrait bien. J'ai appris que vous étiez amnésique, dis-je en m'avançant vers elle.

– Exact. Suite à un accident il y a six ans..., souffla-t-elle en faisant quelques pas vers moi.

– Moi ça fait quatre ans. »

Nous nous sourîmes comme si nous avions gagné à la loterie. Enfin, j'avais trouvé une autre changeuse de destin. Enfin, je n'étais plus seule.