Chapitre 1.2 - Est et Ouest
(Image prise sur Wikipédia Omnibus)
Ses cheveux bruns dépassaient de son képi tandis qu'il arborait un regard étonné à mon égard. Je restais moi-même surprise de le trouver ici. Son haut avec des boutons centrales en argent s'accordait bien avec la couleur dominante de son uniforme.
J'avais appris que le commissaire portait un uniforme noir qui faisait encore mieux ressortir ces boutons. C'était la seule différence, sinon ils portaient tous un pantalon droit et des chaussures de ville bien cirées. Le jeune homme m'appela de nouveau pour me sortir de ma rêverie.
« Je suis Ambre Wells. Il semblerait que je me sois perdue dans la ville, mentis-je avec un sourire.
– Il semblerait oui... dit-il, hésitant. Je me nomme Peter Sharp, commissaire adjoint. Pardonnez mon inconvenance ma Dame, mais ne devriez-vous pas être autre part ?
– Exact. Je viens d'emménager en ville, expliquai-je tandis qu'il descendait de son cheval. J'ai souhaité faire un tour, mais il semblerait que je sois arrivée dans un quartier particulier.
– En effet, vous ne devriez pas être ici. Laissez-moi vous raccompagner jusqu'à votre domicile. Les rues ici ne sont pas sûres.
– Merci. »
Nous marchâmes vers la sortie du quartier Est sans qu'un de nous deux ne prenne la parole. Lui à gauche de ma personne et son cheval à ses côtés. Les passants restaient à l'écart, occupés à leurs affaires. Au moins, je ne sentais plus leurs regards méprisants.
L'homme à mes côtés marchait de manière droite sans paraître gêné par l'odeur ou l'état de cette partie de la ville. Faisant un peu près ma taille, il fixait devant lui alors que je tentais quelques coups d'oeil discrets. Il restait muet une bonne partie du chemin, ce qui me mit mal à l'aise. Je voulais parler. De quoi ? Quelque chose, du moment que je pouvais faire taire ce silence pesant.
« Nous arrivons bientôt à l'orée du quartier, ma dame. Vous avez dit que vous venez d'emménager ?
– Oui. Il y a quelques jours. Je vis chez une amie, Lauren Richard.
– Ma sœur ? Vous êtes donc son amie amnésique ? »
Soudain, ses yeux agrandirent de surprise puis il s'excusa à répétition. Je souris en lui affirmant qu'aucun mal n'avait été fait.
« Je ne savais pas qu'elle avait un frère. Vous n'avez pas le même nom de famille... remarquai-je en marchant de nouveau.
– Ma sœur s'est mariée, justifia-t-il.
– Oh..., murmurai-je, étonnée avant de continuer. J'ai eu un terrible accident qui m'a rendu amnésique. J'ai dû tout réapprendre. Vivre en société tout comme reprendre mes études pour obtenir mon diplôme.
– Je suis navré... Ma femme est aussi amnésique et malheureusement sa mémoire de nos temps passés ne lui revienne pas, souffla-t-il avec tristesse.
– Je suis désolée.
– Ce n'est rien. Je suis heureux qu'elle m'aime encore après cet incident. Nous sommes bientôt arrivés. Pourrez-vous retrouver votre chemin sans vous perdre ? demanda-t-il inquiet.
– Je pense oui. Merci d'avoir pris soin de moi. Je ferai plus attention la prochaine fois. »
Le paysage était en effet différent. Nous avions traversé une sorte de tunnel nous conduisant à l'autre partie de la ville, l'Ouest bourgeois clinquant de couleur vive.
Peter remonta sur son cheval en voyant arriver un autre policier dans sa direction. Il était mal vu qu'un homme et une femme n'étant pas mariée soient aperçus plus de quelques minutes ensemble. Je commençai donc à marcher à travers le chemin principal.
Comme dans l'Est, les pierres pavaient la rue, mais elles étaient bien alignées. Les boutiques de vêtements côtoyaient les commerces de charcuteries. Le bruit ambiant ne se traduisait pas par des hurlements, mais par des gentlemen qui discutaient tranquillement et des femmes qui riaient avec plaisir. Le luxe se reflétait dans chaque parcelle de l'Ouest.
Épuisée, je me dépêchai d'aller vers la maison de Lauren. Ma promenade dans l'Est n'avait pas été fructueuse, au contraire, j'avais l'impression d'avoir emporté avec moi la mauvaise odeur ainsi qu'un autre malheur que je ne pouvais définir.
Je longeai les grandes baies vitrées des boutiques tandis que les omnibus, l'ancêtre de notre bus actuel, roulaient sur la place. Ils étaient tirés par des chevaux et l'arrière ressemblait à une diligence pouvant abriter une dizaine de personnes. Tout comme les bus du vingt-et-unième siècle, ils avaient des horaires et un trajet fixes, mais ne circulaient que dans la partie Ouest de la ville. Comme si l'autre partie représentait la peste.
Les fiacres aussi empruntaient ces rues. Plus petits que les omnibus, ils étaient cependant aussi tirés par des chevaux. Il n'y avait que quatre places au maximum à l'intérieur et servait beaucoup aux femmes et hommes de très hautes familles bourgeoises. C'était par cet ancêtre du taxi que j'étais arrivée jusqu'à la bordure de l'Ouest pour m'aventurer à l'Est. Mais je n'avais plus d'argent pour ce moyen de transport, aussi pris-je un omnibus qui je savais me mènerait près de la maison de Lauren. La jeune femme devait sûrement m'attendre pour déjeûner justement.
Je restai assise, silencieuse. Les personnes me regardaient et murmuraient des paroles que je n'entendais pas. Ma robe était salie en bas et l'odeur de la mort devait être accrochée à moi. Enfin arrivée, je sortis avec soulagement et montai les quelques marches menant à la porte d'entrée.
À peine je dépassai le seuil qu'une femme sauta sur moi.
« Tu es vivante ! »
Son cri me perça les tympans tandis que ses bras me serrèrent à m'en couper le souffle.
« Je vais bien ! criai-je en riant. Mais je dois absolument retirer mes chaussures et cette robe qui est en train de me tuer.
– Ne dis pas cela ! Elle est magnifique cette robe, bien qu'un peu palote. Je ne vois pas pourquoi tu te plains autant, » souffla-t-elle en secouant la tête.
Quelques mèches brunes s'échappèrent de son chignon pourtant impeccable. Je souris à cette femme plus petite que moi et encore plus mince. À cause des corsages serrés, les femmes menues étaient légion à cette époque. Son visage aux angles prononcés me faisait penser à son frère Peter tout comme ses yeux bruns légèrement tombants.
« J'ai rencontré ton Peter pendant qu'il faisait une tournée dans l'Est.
– Vraiment ? » dit-elle avec un sourire que je voyais à travers le miroir.
Nous étions dans ma chambre où elle commença à détacher les lacets de mon corset. Dès qu'elle finit, je respirai un grand coup tout en balançant ce bout de vêtement sur mon lit près de la robe aux couleurs pastels et surtout volumineuse. Vêtue d'un sous-vêtement blanc qui ressemblait plus à une chemise et un short bouffants, je portai la main à mes cheveux pour retirer les pinces qui retenaient mon chignon. Si je le pouvais, je serais sortie comme on pourrait le faire au 21ème siècle, mais j'étais dans une autre époque. Une autre société. D'autres mœurs.
« Mon frère travaille souvent dans ces quartiers malfamés. Je lui ai demandé de surveiller d'autres endroits de la ville, mais il continue ses patrouilles dans l'Est, avoua-t-elle, inquiète tout en s'installant sur la chaise ornée de décorations dignes de la Renaissance. Il est l'aîné de notre famille. Il m'a presque élevée, notre père étant souvent absent à cause de son travail et ma mère étant décédée...
– Je comprends, dis-je en brossant mes cheveux blonds. Ton père est banquier, c'est ça ?
– Oui, soupira-t-elle. Et pas présent pour notre éducation. Il avait payé des domestiques pour cela comme tu le sais déjà.
– Et tu ne m'avais pas dit que tu avais un mari ? »
Ma question la surprit. Elle se figea avant de regarder le sol habillé de tapis coûteux.
« Je suis veuve Ambre. »
La tristesse dans la voix, elle se leva et sortit de ma chambre en me laissant seule avec mes pensées. Je soupirai face à ma gaffe. Je ne pris pas la peine de m'habiller plus chaudement pour aller dans le salon. Je savais qu'il n'y avait que Lauren dans la maison et qu'on n'avait pas de visites attendues. Les sonneries de portes étant rares, voire inexistantes.
Je m'excusai tandis qu'elle s'affairait dans la cuisine. La domestique étant malade, c'était elle qui devait faire ces corvées. Pour une femme qui avait été éduquée dans une bourgeoisie commune, Lauren avait passé du temps avec sa gouvernante de l'époque. En plus de l'éducation stricte que les enseignants lui prodiguaient, ses loisirs englobaient ce que la vieille gouvernante voulait bien lui apprendre, c'est-à-dire la préparation de plats.
« Lauren, pourquoi m'as-tu demandé de venir dans cette ville exactement ? »
La question resta en suspens à travers la cuisine. La jeune aristocrate arrêta ce qu'elle mijotait avant de se tourner vers moi avec un air grave.
« De terribles meurtres se passent dans la ville comme je te l'ai annoncé dans ma lettre. Au début, seulement dans la partie Est, puis maintenant dans la partie Ouest aussi. Tu... Tu avais dit que tu souhaitais connaître les événements inhabituels... dit-elle hésitante. J'ai longtemps regardé mes mots écrits avant de te l'envoyer. Je ne sais pas pourquoi tu veux t'exposer au danger, mais je t'avais promis de te faire parvenir de mes nouvelles. Cette ville n'est pas saine ; ses entrailles sont aussi sombres que le charbon. Je ne me sens pas en sécurité. »
Je la pris dans mes bras pour la rassurer tout en pensant que j'avais bien des mystères à élucider à Grimvice.
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