chapitre 26


Cercle 6.2

Peter titubait, la main pressée contre la blessure sur son ventre. La lame avait fort heureusement ripé, et plutôt que de lui taillader les intestins, elle s'était contentée d'ouvrir sa peau sur dix bon centimètres. Une entaille nette mais peu profonde, qui saignait tout de même abondement. Le sang traversait son tee-shirt et s'écoulait entre ses doigts crispés.

Il serra les dents, accélérant le rythme. Il n'était pas passé loin, cette fois-ci, et maintenant que le plus difficile était derrière lui et qu'il se savait plus ou moins hors de danger pour l'instant, un profond désespoir l'envahit. Il ne sortirait jamais de cette galère. Coincé dans ce monde, seul, avec une bande de tarés aux trousses.

Tournant à l'angle d'une rue, il vérifia que ses poursuivants avaient bien cessé leur traque. Rassuré, il gagna en claudiquant le squat où il avait rassemblé quelques menus objets. Deux fusils récupérés sur les corps inconscients de ceux qui le poursuivaient, un peu de monnaie et du doliprane.

Il se glissa dans l'immeuble désaffecté, ignorant l'odeur rance d'urine et d'eau de javel, caractéristique du crack, ce dérivé de cocaïne qu'il avait bien connu fut un temps. Les graffitis sur les murs gris composaient une tapisserie floue et multicolore. Il grimaça en grimpant les escaliers, la douleur irradiant de son bas ventre. Enfin parvenu à la petite chambre où dormaient trois autres réfugiés, il se laissa glisser contre un mur, attrapa son sac et en sortit une bouteille d'eau. Il but de longues gorgées, sa main gauche toujours appuyée contre l'estafilade.

Il lui fallut plusieurs minutes pour calmer sa respiration et accepter l'idée d'ôter les doigts pour contempler l'ampleur du désastre.

- Merde merde merde…

Mauvaise idée. Il perdait beaucoup de sang, et son mode de vie des dix derniers jours l'avait affaibli. Peu dormir, peu manger, courir pour fuir ses poursuivants, se battre parfois… Il frissonna longuement et pria pour ne pas avoir de la fièvre.

La fatigue s'abattit sur lui. Il fallait qu'il trouve de quoi panser sa blessure, il fallait qu'il mange, il fallait qu'il quitte cet endroit… Mais la force l'avait abandonné. Une douce torpeur le berçait, l'appelant de sa voix mélodieuse vers un sommeil qui risquait de lui être fatal.

Il commençait à lâcher prise lorsqu'une ombre se dessina dans le couloir face à lui, le poussant à attraper l'arme la plus proche, le réveillant subitement.

Lorsque Wade entra dans la pièce comme une furie, Peter resta immobile, ahuri, les mains toujours serrées autour de l'arme. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser. Déjà, Wade s'accroupissait à côté de lui, détaillant la blessure à son côté.

- Wade ? bredouilla Peter, qui n'en revenait pas. C'est bien toi ?

- Non connard, en fait je suis un artichaut géant déguisé en mercenaire.

- Un artichaut ? Pourquoi un artichaut?

- Attend, on va t'arranger ça.

Joignant le geste à la parole, et oubliant cette histoire d'artichaut, Wade ouvrit une petite mallette qu'il tenait d'une main.

Peter crut halluciner en découvrant un nécessaire de premier secours. Alors que Wade découpait le tee-shirt tout autour de sa blessure, il se pinça discrètement pour vérifier qu'il ne rêvait pas. Le mercenaire désinfecta le tout avec de l'alcool, provoquant chez son patient une grimace de douleur.

- Je te demanderais bien si t'as peur des aiguilles, mais vu ton passif, ce serait cynique…

- Je ne comprends rien, bredouilla Peter, les yeux papillonnant. Qu'est-ce que tu fous là ?

- Je suis venu te chercher pardi !

- T'en a mis du temps !

- J'ai appuyé une minute après toi ! Sauf que les coordonnées spatio-temporelles étaient mauvaises. Bref. Ne bouge pas ou je vais faire un jeu de massacre.

Peter détourna les yeux alors que Wade rapprochait les lèvres de sa blessure à l'aide d'une aiguille. Il fit seize points, puis appliqua une compresse sur le tout.

- Tu m'expliques ? demanda Peter, touchant avec précaution le pansement.

Wade lui tapa sur les mains pour l'empêcher d'abimer son travail.

- Toi tu m'expliques ! Rétorqua l'autre. Pourquoi quand j'arrive ici, j'apprends en moins d'une heure que la moitié de la pègre locale te cours après ?! Ça a été tellement facile de te trouver mon pote, j'ai mis que quatre jours alors que la ville est immense. Heureusement que je connais ton goût en matière de squats. Alors, qui-est ce que t'as fâché ?

Peter remis les éléments récents en ordre dans sa mémoire.

- C'est une longue histoire…

- Résume, on n'a pas le temps. Faut se casser d'ici.

- On peut se téléporter à l'abri ?

- Nope. Figure toi que j'ai pas eu le temps de finir mon bricolage, j'étais trop occupé à te retrouver pour te sauver les miches. ENCORE.

Wade passa un bras derrière les épaules de Peter et l'aida à se relever. Les jambes faibles, le jeune homme tenait difficilement debout. Cependant, sentant l'urgence de la situation, il prit sur lui. Claudiquant tous deux, ils quittèrent ce lieu de déchéance.

- Je te raconte en chemin, alors.

- Pour faire court, j'ai atterri dans la piaule d'un type louche. J'ai fouillé un peu, il est revenu, j'ai flippé, je me suis planqué sous son lit. Il est reparti, moi aussi, sauf que j'ai embarqué un truc à lui au passage. J'étais à peine sorti depuis une heure dans ce monde de fou que sept abrutis me tombaient sur le dos, j'ai couru comme un malade pour les semer. Et depuis, ça n'en finit plus. J'ai plein de groupes qui me courent après. Des voyous, leur chef c'est un genre de clown schizophrène. Mais pas que. Aussi un genre de transformiste local, un type taré habillé tout en noir avec un masque, une super bagnole, et qui se bat trop bien. Je crois que c'est à cause du truc que j'ai volé sans faire exprès.

Wade leva les yeux au ciel.

- Comment on peut voler un truc sans faire exprès ?

- Tu m'as demandé la version courte !

- Bref. C'est quoi ce que tu lui as choppé ? Tu ne veux pas lui rendre ?

- Ben si je veux ! Sauf que là excuse-moi, les gars m'attendaient avec un lance grenade. Un lance grenade bordel, ils n'avaient pas l'air prêts à négocier ! Faudrait que je retrouve son adresse, je lui enverrai par la poste avec un mot d'excuse…

- Et c'est quoi alors ? Piaffa Wade, que le suspens tuait sur place.

La nuit était tombée sur Gotham. Le quartier, peu reluisant, s'animait. Des dames de petites vertus et leurs clients, des pourvoyeurs de substances illicites, des parieurs attablés aux tables de cabarets douteux… Tout un petit monde noir, et sale, et corrompu. Peter farfouilla dans sa poche pour en extraire le collier. La lumière pâle d'un lampadaire rutila sur les perles, et Wade s'arrêta brusquement.

- Un collier ? Un collier de perles ? Un c… Attend, tu saurais me décrire le type a qui tu l'as volé ?

- Je t'ai dit, un genre de clown dégueulasse ! En violet et vert, qui se maquille la tronche ! Et il a de sacrées cicatrices. C'est tout ce que je peux dire.

Wade portait son masque, mais en dessous, il blanchit et menaça de s'étrangler.

- Nan… Tu te fous de ma gueule…

- Mais non trop pas ! Tu sais qui c'est ? Et le gars avec la voix super grave qui se prend pour une chauve-souris ?

Wade secoua Peter par l'épaule, transcendé.

- Meeeeeeec ! Me dit pas que tu t'es mis à dos le putain de Joker, ET le putain de batman ! Les deux en même temps ? Oh mon dieu on va crever…

Il accéléra le rythme. Peter claudiqua à ses côtés, n'en menant pas large.

- Mais quoi ?! Je ne comprends rien ! On est ou d'abord, c'est quoi ce délire, pourquoi tout le monde veut me tuer ?

- J'en reviens pas, poursuivit Wade, qui parlait plus tout seul qu'à quelqu'un. Cet abruti a volé le collier de Martha au Joker, qui avait lui-même dû le voler à Batman. Et maintenant les deux nous courent au cul. Tu ne pouvais pas au moins en avoir un des deux de ton côté, hein, t'aimes la difficulté, espèce d'enfoiré !

- Wade ! s'écria Peter, lassé d'être dépassé par les évènements. Je touche ton putain de boitier et je me retrouve ici sans rien capter, tu m'expliques ?

- Ok, mais je fais la version courte moi aussi soupira l'homme en rouge et noir.

Wade s'engouffrait dans un bar miteux à la devanture peu engageante. Ils s'installèrent dans un fauteuil en cuir défoncé au fond du bâtiment, et le patron leur ramena bientôt deux bières au goût acre et un plateau de fromage et de charcuterie grasse. Peter mangea comme un affamé.

- C'est un genre d'univers parallèle, ok ? Ce n'est pas chez nous, y'a aucun de nos potes ici. C'est la Terre, mais pas celle qu'on connaît. Et ici aussi il y a des supers héros, et des supers vilains. Le type en chauvesouris c'est un héros. Enfin c'est un beau connard des fois aussi, mais il chasse les méchants. Et l'autre c'est son pire ennemi. Un clown sado-maso qui contrôle une grande partie de la pègre. Et t'as fâché les deux. Autrement dit on va mourir.

- Je vais mourir souligna Peter. Toi tu ne peux pas.

Wade s'enfonça dans le fauteuil. Une musique country débuta dans l'établissement, occupant le silence. Peter méditait l'ensemble de ces nouvelles informations. Cette histoire d'univers parallèle le laissait dubitatif, mais ça expliquait pourquoi il était dans une ville dont il n'avait jamais entendu parler, et pourquoi les maniaques qui lui courraient après lui étaient complètement inconnus.

- Du coup on fait quoi ? Finit-il par demander d'une petite voix.

Wade réfléchit un instant, enfournant un demi-saucisson dans son gosier.

- Il me faut au moins trois jours tranquille et un peu de matos pour bricoler la ceinture.

Il pointa du doigt son torse, et la ceinture à laquelle pendait le boîtier responsable de leurs malheurs.

- C'est mort, soupira Peter. Le maximum que j'ai eu de tranquillité c'est douze heures. Ils sont du genre hargneux, autant l'un que l'autre.

- Faut qu'on fasse amende honorable, au moins auprès de l'un des deux, suggéra Wade. De toute façon, si on se met l'un dans la poche, l'autre devient notre ennemi. C'est obligatoire. Faut rendre le collier, mais à qui… Le propriétaire ou le voleur ?

- Honnêtement, le voleur a l'air taré commenta Peter. Si on est contre lui, il est capable de nous découper en rondelles.

- C'est clair, approuva Wade. Par contre Batman, normalement, il ne tue pas ses ennemis. C'est moins dangereux dans ce sens-là.

Peter soupira, repu. Il se lécha les doigts et but une longue gorgée de bière.

- Ok. Donc on trouve le joker, on lui rend son collier et on le supplie de nous laisser en vie ?

- Ouais. Et s'il ne veut pas on lui casse la gueule.

Pour la première fois depuis longtemps, Peter sourit. Il avait un mal de chien au côté droit et il risquait à tout instant de se prendre une volée de balles en pleine tête.

Mais Wade était là, et l'adrénaline aussi.

Le jeu recommençait.

La première grenade souffla l'ensemble des baies vitrées sales du bar. La seconde fit exploser le miroir et les bouteilles derrière le comptoir, mais le bruit était couvert par les hurlements des clients et des promeneurs. Tous se ruaient dehors, tentaient de fuir l'endroit de l'attaque, mais le déluge de balles qui s'abattait sur eux les força, pour la plupart, à se jeter au sol en priant.

Une douzaine de voyous masqués par des cagoules arrosaient le bar à l'aide de fusils d'assaut. Peter et Wade s'étaient réfugiés derrière leurs fauteuils.

Soudain, le silence se fit. Une voix gutturale et teintée d'ironie s'éleva à travers les débris de l'établissement :

- Je cherche un voleur… Où es-tu petit ? Ne m'oblige pas à raser complètement cette ville pour te retrouver…

Peter et Wade échangèrent un regard entendu. Ce fut Wade qui agit.

Il leva les mains au-dessus du siège en criant :

- Stop ! Ok, on se rend ! Je vais sortir de là, mais ne me tirez pas dessus, ok ? On veut discuter !

- Bien sûr, rétorqua l'autre d'une voix traînante.

Peter farfouilla dans sa poche et tendit le collier de perles à son ami. Wade inspira profondément avant de se redresser. Il capta les regards alentours, tous surpris, terrifiés.

Il fit à peine quelques pas à découvert que le clown, juché à l'intérieur d'un 4*4 sur le trottoir, donnait l'ordre à travers la fenêtre ouverte :

- Tuez-le.

Une nouvelle rafale cingla les lieux, et Wade protégea juste sa tête derrière ses mains.

- Bordel à queue ! cria-t-il. Allez-y, faites-vous plaisir, vous gâchez juste des munitions !

L'assistance toute entière, les truands encagoulés, le Joker, le tenancier et les clients, personne n'en revint.

Wade leva une main dans l'air, bien visible. Le trou laissé par une balle se rebouchait tranquillement. A l'identique des huit autres blessures laissées par les balles de leurs agresseurs. Le mercenaire jurait et grimaçait de douleur. Sans pour autant paraître le moins du monde diminué.

- Visez la tête ! Ordonna le Joker, vaguement ennuyé par ce retournement de situation.

Deadpool soupira, résigné.

- Vous abusez, ça fait super mal… Et ça fait peur aux voix dans mon cerveau…

Et déjà, plusieurs projectiles défonçaient les os de son crâne, le propulsant en arrière.

- Gnnn… Gnn…

Le Joker en personne n'y croyait pas. Il ouvrit la portière, quitta son véhicule.

Il parada gaiment dans le lieu dévasté, frappant du bout du pied dans les verres qui avaient roulé çà et là, une langue râpeuse pourléchant les contours de sa bouche monstrueuse.

- Incroyable, murmura-t-il en s'accroupissant à côté de Wade.

Ce dernier secouait la tête, se redressait déjà, sonné.

- Je suis sûr que ça me grille des neurones à chaque fois, chevrota-t-il.

Le chef de leurs adversaires l'étudia une longue minute, avant de lui tendre la main pour l'aider à se redresser. Une lueur nouvelle animait ses yeux déments.

- A qui ai-je l'honneur ?

- Pool. Dead pool.

- Monsieur Pool. Appelez-moi J. Vous vouliez discuter ?

- Ouais, exact, J. Vous avez une drôle de manière de discuter d'ailleurs.

D'un geste de la main, le super-vilain ordonna la dispersion de ses hommes qui s'engouffrèrent dans plusieurs véhicules.

- J'ai mon complice là-bas. Faut pas me le tuer, gronda Wade. En plus il a des genre de talents spéciaux, comme moi.

- Promis, sourit le joker. Je crois qu'on va pouvoir s'entendre, vous et moi.

Peter sortit de sa planque, le visage livide. La blessure à son flanc s'était rouverte.

- Il a une sale tête, votre ami, commenta le Joker alors que Peter s'approchait d'eux. On pourra le rafistoler, si nous parvenons à un accord…

- Un accord ? qui a parlé d'accord ?

Un immense rire lui répondit.

- J'ai une proposition qui va vous plaire, monsieur Pool…

Il fit une petite révérence, s'inclinant outrageusement et indiqua la portière de sa voiture. Bientôt, ils s'asseyaient tout trois dans le 4*4, Wade soutenant Peter qui dodelinait de la tête.

Alors, ça va toujours ? =)

Des bisous !

Laukaz

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top