chapitre 25
Cercle 6.1 : hérésie
- Waaaaaade, tu fais quoiiii…
La voix nonchalante de Peter lui parvint depuis l'autre bout du salon.
Wade, assis en tailleur en face de la table basse, lui offrit un regard interrogateur. Il faut dire que l'autre s'intéressait rarement à ses activités, surtout si elles étaient bruyantes et provoquaient un grand bazar dans l'appartement. Comme c'était le cas présentement.
- Je m'ennuie, soupira le jeune homme, traînant des pieds, les mains plongées au fond des poches de son jean troué. Puis ça sent le cramé, alors je m'inquiète un peu. J'aime bien cet appartement, le brûle pas s'il te plaît.
Wade ôta le masque de soudeur qu'il portait au-dessus de son masque habituel. Précaution non nécessaire du fait de ses talents de régénération, mais il trouvait l'objet particulièrement classe.
Pas classe. Stylé.
Stylé, donc. Il avait transformé le salon en atelier. Il trônait au milieu d'une mer de composants électroniques, d'outils, de morceaux de plastique, d'un poste de soudage portatif et autres joyeusetés. Des barres d'aciers, de la visserie, une ponceuse et son nécessaire à ongles hello kitty. Il y en avait dans tout le séjour.
- Tu veux qu'on baise ? Proposa Wade, avec sa bienveillance habituelle.
Les coins de la bouche de Peter se relevèrent en une grimace d'où suintait l'absence de motivation.
C'était une journée maussade. Une pluie fine et continue arrosait Manhattan, saupoudrant les toits, les jardins, les passants, et altérant l'humeur générale. Obligés de faire montre d'un peu de discrétion suite à leur dernier exploit concernant Rodriguez, les deux amis avaient pris le parti d'attendre quelques jours chez eux, tranquillement. Sans se faire remarquer. Et Peter semblait plutôt mal vivre cette inactivité forcée. Les récents évènements avaient quelque peu altéré son caractère. L'immobilisme lui pesait.
- Bof. J'ai pas le moral.
- Ben justement, ça te le remontera.
- Puis j'ai encore des courbatures d'hier.
Peter chassa le sujet d'un geste de la main. Si leurs relations charnelles étaient de plus en plus fréquentes, il n'était toujours pas à l'aise à l'idée d'évoquer ce sujet de manière orale et décomplexée.
- Alors, tu fais quoi ? reprit l'ancien héros, venant s'accroupir à côté de l'autre pour contempler son œuvre.
- Je reconstruis un téléporteur, indiqua Wade.
Sa main pointa en direction d'un montage complexe, au centre de la table de basse. Des fils de laiton, une batterie, quelques capteurs, une ébauche d'interface…
- Et ca marche ?
- Bof. J'ai du mal à stabiliser les coordonnées spatio-temporelles. Quand je pense que ce connard de Nick Fury doit bien s'en servir, de ma ceinture de téléportation, pour aller batifoler allégrement aux quatre coins du monde… Enfoiré de bureaucrate.
Peter attrapa un petit boîtier noir, le faisant tourner entre ses mains. Il eut juste le temps de voir le visage de Wade se décomposer, et les mains du mercenaire se précipiter vers lui :
- NE TOUCHE PAS LE…
La salle à manger, l'appartement, Manhattan, Wade…
Tout s'évanouit.
Peter ouvrit les yeux avec difficulté, le cerveau à l'envers et l'estomac au bord des lèvres. Désorienté, il lui fallut quelques secondes pour apprécier l'environnement. Il était allongé dans une pièce sombre, vaguement éclairée par un soleil en fin de course via une fenêtre de toit. Alors que ses paupières s'habituaient à la pénombre, il se redressa péniblement, encore sous le choc.
- Putain de…
Il n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait. Il ne tenait plus en main le boitier noir qu'il suspectait fortement de l'avoir envoyé ici. Celui-ci avait dû rester tranquillement au chaud, sur la table basse.
- Connard de Wade et ses expériences à la con…
Il fit quelques pas dans la pièce, jurant de plus belle, son esprit s'agitant à la recherche d'une idée lumineuse. Il se trouvait dans une chambre. Un grand lit aux draps noirs occupait le pan Nord Est. Les draps étaient propres, parfaitement tendus, l'oreiller gonflé, et une peluche représentant une chauve-souris dormait sagement au sommet. Personne n'avait dû y dormir depuis un moment, ou alors cette personne s'était donné un mal fou pour le remettre dans un état aussi irréprochable.
L'endroit était parfaitement étrange, très hétéroclite.
Peter tâtonna un mur à la recherche d'un interrupteur, et quand il l'eut trouvé, la pièce se teinta d'une lueur faible, dans les tons verts, qui acheva le lui laisser une impression de malaise. Outre le lit, le mobilier se composait d'un magnifique secrétaire en ébène, de larges bibliothèques noires qui couvraient une grande partie des murs disponibles, et d'un miroir en pied. Sur une chaise de style Louis-Quelque-chose, rembourrée de velours, reposaient tranquillement quelques vêtements. Une veste verte, un foulard violet, et toute une collection de tissus noirs.
Un homme vivait ici.
La décoration était surchargée, inattendue, presque dérangeante. De grands tableaux étaient accrochés çà et là, à côté de tentures et de masques africains grimaçants. Arpentant les divers recoins de la pièce, Peter découvrit d'autres curiosités. Un Astrolab en acajou, une réplique miniature d'un biplan de guerre, une collection de cannes épées, de poings américains et de colts, des chaussures de clown, un nombre de jeux de dés et de cartes incalculables.
Ce qui ressortait de l'ensemble, flou et surchargé, c'était une impression de trouble. Peter en frissonna, persuadé que l'esprit qui avait décoré cet endroit ne pouvait être que malsain. L'unique porte de la pièce, en bois massif et décorée de chaînes d'or et d'argent clinquantes, l'appelait de plus belle. Alors qu'il s'y dirigeait d'un bon pas, ses pieds trébuchèrent sur le parquet. Il faillit tomber, se redressa au dernier moment, mais avisa un léger renflement sur le sol. Une latte était chancelante. Piqué de curiosité, il s'accroupit et révéla la petite cache creusée à même le sol.
Il y avait plusieurs objets dissimulés là. Encore des jeux de cartes, certains tachés de sang. Deux étranges armes de jets, qui ressemblaient à des boomerangs pourvus d'angles aigus. Un nécessaire à maquillage. Un morceau de tissu fluide, jaune d'un côté, noir de l'autre. Peter l'étira un peu, pour comprendre qu'il s'agissait d'une cape. Une paire de gants violets et une bombe de peinture verte complétaient l'ensemble. Ce qui attira l'attention de Peter, plus que le reste, fut un écrin de velours noir. Poussé par l'instinct et la curiosité, il s'en saisit. Il l'ouvrit avec précaution, révélant un collier de perles blanches. Les perles, nacrées, devaient être anciennes. Légèrement patinées par le temps, leur pureté accrochait irrémédiablement l'œil. Peter étudia le bijou une longue minute, appréciant la texture veloutée entre ses doigts. Il s'apprêtait à tout remettre à sa place lorsque des pas, au dehors, le firent sursauter.
Peu désireux de se faire prendre en plein délit de… - de quoi d'ailleurs, de visite inopinée ? – par l'être possiblement dangereux qui régnait sur cet antre, il sonda la pièce à la recherche d'un endroit où se cacher. Dans la précipitation, il fourra le collier de perles dans sa poche et repositionna sommairement la latte. Faute de plus original, il se rua vers le lit, rampant sur le parquet pour s'y faufiler, invisible, le cœur battant. Une clé tourna dans la porte une seconde après qu'il ait atteint son objectif. Une voix aux accents entêtants chantonnait un air qui lui était inconnu. Peter, immobile sous le lit, se figea et retint sa respiration. La tête posée à plat par terre, il vit une paire de chaussures noires traverser la pièce. Le grincement d'une porte lui apprit qu'on ouvrait un placard et qu'on farfouillait allégrement dedans.
- Parfait, commenta le visiteur. Avec-ca, on devrait s'en sortir.
Peter reconnut sans aucun doute possible le bruit d'une arme à feu que l'on charge. Il se glaça, tendu comme la corde d'un arc, une perle de sueur glacée roulant le long de sa tempe.
Les lieux, le type, sa voix, sa passion pour les objets étranges ou dangereux : l'aura dégagée par l'ensemble était pétrifiante. Les pas s'éloignèrent quelque peu. Peter entendit le son régulier d'une bouteille d'eau qu'on vide, puis un petit rire s'échappa des lèvres de son visiteur, un rire inquiétant.
Alors, l'homme reprit la direction de la porte, sortit, ferma à clé derrière lui. Pendant plusieurs minutes, Peter refusa l'idée de sortir de son abri.
Lorsqu'il s'y résolut, il abandonna l'idée de la porte, fermée à clé de l'extérieur. Il se dirigea plutôt vers l'unique fenêtre creusée dans la mansarde. Il se hissa souplement sur le toit, ravi de retrouver l'air frais qui lui fouettait le visage. Les lumières de la ville prenaient le relais du soleil, mince ligne rougeoyante derrière l'horizon formé par une série de buildings. Peter se trouvait au dernier étage d'un immeuble mal entretenu, de cinq ou six étages maximum. Il désescalada l'ensemble, avec l'agilité de la créature qui l'avait mordu bien des années plus tôt.
C'est avec bonheur qu'il gagna le sol et inspira profondément l'air frais et pollué. Seulement, alors, il prit conscience de la situation. La ligne de gratte-ciel au loin de lui disait fichtrement rien.
Il fit quelques pas au hasard, déboussolé, rejoignant rapidement une artère principale. Il ne reconnaissait rien. Ni les grandes sculptures plantées sur les trottoirs, ni les boutiques qui fermaient tranquillement leurs stores, ni les noms de rue. Désabusé, il attrapa son Starkphone d'une main, composant le numéro de l'appartement. Aucune tonalité ne résonna dans l'appareil. Rien. Peter tenta d'autres numéros, même celui des urgences. Rien.
Une légère angoisse s'installa au creux de son ventre. Il attrapa la première personne qu'il croisa dans la rue, une étudiante avec un casque sur les oreilles. Dérangée, elle le foudroya du regard.
- On est ou, ici ? lui demanda Peter, d'une voix pressée et inquiète qui n'avait rien de rassurant.
La jeune femme lui offrit un regard méprisant.
- On est dans la vieille ville. C'est quoi le…
- La vieille ville de quelle ville, insista Peter, la retenant par le poignet pour l'empêcher de partir.
Elle se dégagea d'un geste brusque, énervée.
- De Gotham, ducon. T'es taré toi, tu t'es échappé d'Arkham ?
C'est en fouillant sa mémoire pour se rendre compte que ces noms ne lui disaient absolument rien que Peter comprit que Wade avait merdé. Avait vraiment merdé.
Wade resta un instant immobile, stupéfié.
Peter venait de se volatiliser. Purement et simplement. En temps normal, cela ne l'aurait pas inquiété outre mesure. Mais nous n'étions pas « en temps normal ». Car en « temps normal », le stabilisateur de coordonnées spatio-temporelles fonctionnait. Et là, il était loin de fonctionner. Autrement dit, Peter pouvait avoir atterri n'importe où, n'importe quand. A 70 %, dans un océan ou une mer.
Wade avait très bien saisi l'ampleur du désastre. D'autant que Peter avait lâché le boitier au moment du décollage. Il n'avait donc aucun moyen de retour. Wade savait le risque encouru, mais il savait aussi qu'il n'avait pas le choix. Il devait ramener le gamin. Et pour ça, il n'y avait pas trois-cent solutions… Wade attrapa à pleines mains le boîtier, frôla le bouton, et disparut à son tour.
En priant de ne pas se retrouver au beau milieu de l'Atlantique.
Ce que Wade ignorait, en revanche, c'était la différence d'écoulement du temps entre l'endroit d'où il était parti – Manhattan, et l'endroit où il allait arriver. Deux univers semblables mais différents, situés dans des courants temporels radicalement éloignés. Autrement dit, même si Wade appuya sur le bouton une minute à peine après son binôme, il n'avait aucun moyen de savoir que pour celui-ci, une semaine déjà s'était écoulée. Et il s'en passe, des choses, en une semaine à Gotham…
Voilà pour cette petite introduction… Alors, soyez honnêtes. A partir de quelle phrase vous l'avez vu venir gros comme une maison ? Quel a été votre premier indice ? Et surtout… Qu'est-ce que vous en pensez ! Des bisous !
Laukaz
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