chapitre 23
Cercle 4.3
Les poumons de Peter furent violement écrasés, vidés de tout l'oxygène qu'ils contenaient en une seconde. Une substance froide et liquide les emplit et il se sentit paniquer. L'eau lui brûla les yeux, il fut happé par le fond, attiré inexorablement vers le bas, vers l'abime, drainé par le poids de ses vêtements.
Une main l'attrapa rudement par l'épaule, le hissant vers le haut.
Il creva la surface de la rivière au bord de l'asphyxie, inspirant une grande goulée d'air frais qui lui incendia la trachée. Il battit frénétiquement des bras pour se maintenir à hauteur, reconnaissant vaguement le costume rouge de Wade à côté de lui, et ils se traînèrent tout deux tant bien que mal vers la berge.
Ils s'écrasèrent sur le sol humide en toussant, crachant de l'eau à n'en plus finir, la gorge irritée et les yeux emplis de larmes.
Epuisés, ils se laissèrent tomber à plat dos, la respiration saccadée, les muscles douloureux.
Terriblement douloureux.
Il fallut une minute à Peter pour réaliser qu'il était vivant et en parfaite santé. Qu'il avait tous les doigts à toutes ses mains.
La main de Wade s'écrasa sur son torse, le forçant à s'asseoir, le secouant comme un prunier.
- On est vivants ! On est vivants, mec !
Peter, éberlué, ne put qu'hocher la tête.
- La vache j'en reviens pas… On est vivants. T'es venu me harceler jusque chez les morts, abruti.
Ils éclatèrent de rire, trop tôt, encore frêles, et les rires se mêlèrent de toux, ils durent se redresser, prêts à s'étouffer. Bientôt, le calme revint, alors qu'ils prenaient pleinement conscience du déroulement des vingt-quatre dernières heures.
Les hommes de mains de Francis avaient voulu se débarrasser de leurs corps dans un cours d'eau sale, probablement la bronx river. Wade ôta son masque pour l'essorer, notant que Francis avait eu la décence de balancer son corps avec son masque.
Mais sans ses katanas.
Faisant écho à ses pensées, Peter reprit son sérieux.
- Faut qu'on y retourne.
- T'es sérieux ?
- Ouais. Il a mon costume.
- T'en refera un…
- Et il a mon Desert Eagle. Hors de question que je lui laisse.
Wade soupira en avisant les sourcils froncés de son complice. Quand il prenait cet air résolu, impossible de négocier.
-Tu devrais être flatté que je tienne à récupérer un de tes cadeaux.
- Je le suis. Mais bon, je ne me fais pas d'illusion. J'ai cru cet enfoiré mort des années durant, et je me suis trompé. Il sait rester invisible : à mon avis, à l'heure qu'il est, il a déjà disparu.
Peter se mit debout, frotta ses genoux et s'étira, heureux que la douleur ait enfin quitté son corps.
Il avait des comptes à rendre.
- On va très vite en avoir le cœur net.
Cette fois-ci, ils la jouèrent discrets. Après un petit tour à l'appartement pour se rafraichir, nourrir Métastase, récupérer armes et munitions et boire une bière, ils repartirent en direction du quartier général de Rodriguez.
Ils s'infiltrèrent par le toit, silencieux comme des ombres, Wade muet plus de dix minutes d'affilée. C'était une première.
Le mercenaire avait néanmoins raison. Lorsqu'ils arrivèrent à l'étage où Ajax avait œuvée, plus une trace de sa présence ou de celle de ses acolytes. Plus de table de torture, plus de micros, même plus de vitres sans tain. Rien qu'une enfilade de salles désertes et poussiéreuses.
Peter frappa du poing contre un mur, les dents serrées.
Francis avait disparu.
L'homme qui l'avait torturé à mort pour le plaisir, volatilisé.
Avec l'arme que lui avait offert Wade.
Un sentiment d'une violence froide et calculatrice s'empara de Peter, comme jamais auparavant. Il le sentit monter en lui, irrépressible.
Cercle 5.1 Colère.
Ce n'était pas une colère irréfléchie et dévastatrice. Plutôt une émotion distante, omniprésente, comme un mal de crâne sourd et lancinant qui dure des jours.
Peter analysa la situation sous tous les angles.
Ajax s'était envolé, mais il restait à disposition l'homme qui les avait vendus. L'avare. Judas, mauvais payeur, le traître, trafiquant d'enfant.
Dans ce bâtiment.
La colère de l'araignée se dirigea toute entière vers cette nouvelle cible. Il lui fallait un exutoire, de toute urgence, sous peine de perdre la raison.
- On se fait Rodriguez, énonça platement l'ancien héros.
Wade, surpris par cette déclaration, ne put qu'approuver. Voir son complice en proie à une fureur de vengeance destructrice lui plaisait énormément et promettait un bon moment à venir. Ils vissèrent tout deux les silencieux sur leurs armes de poing et descendirent les étages par l'escalier en colimaçon, prudents, se couvrant mutuellement.
On se croirait dans overwatch.
Sans les meufs aux gros seins. Et là, l'équipe ennemie ne sait pas qu'on est en train de faire une partie.
Wade fit un pentakill de toute beauté, en silence et discrètement, avant d'arriver face au bureau de Rodriguez.
I won't do it with you, I'll do it to you
I hope this hook gets caught in your mouth
I won't do it with you, I'll do it to you
Don't say no, just say now
[…]
I'd like to love you but my heart is a sore
I am, I am, I am so yours
[…]
Marylin Manson – Ka Boom
Peter sentit la colère franchir un nouveau stade lorsqu'il avisa son desert eagle, le cadeau de Wade, posé comme un trophée sur le bureau du proxénète.
Cadeau d'adieu d'Ajax, probablement.
Il l'attrapa, se débarrassant de son arme d'emprunt, et fit sauter la sécurité de l'arme, menaçant. Il prit son temps pour fixer le silencieux sur son nouveau calibre, assuré d'être couvert par Wade. Rodriguez fit un mouvement pour attraper l'arme de poing qui pendait à sa ceinture.
Peter tira, une première fois. Le silencieux étouffa un peu la détonation, Rodriguez suspendit son geste, suant la peur par tous les pores de sa peau, la lèvre tremblante, des suppliques plein la bouche.
Wade, simple spectateur, n'entendait pas les mots prononcés par leur proie. Il ne voyait que Peter.
Peter qui avançait, le pas de félin, les doigts fixés sur le métal noir et luisant de son Desert Eagle, celui-là même qu'il lui avait offert. Peter, qui inclinait légèrement la tête, prenait le temps de viser, inflexible. Peter qui n'était plus qu'à deux mètres de Rodriguez.
Peter qui appuyait une seconde fois sur la détente, la balle qui transperçait l'épaule gauche de l'homme, Peter qui détournait le visage pour éviter les projections carmin qui éclaboussèrent le mur. Les taches rouges qui échouèrent sur le côté de son visage, sur ses cheveux, sur sa nuque.
Peter, qui lâchait l'arme de poing, et le son du métal tombant sur le sol bourdonna à ses oreilles, Peter qui dépliait son corps en un bond formidable, pour venir percuter le proxénète, pour l'envoyer s'éclater au sol à l'autre bout de la pièce.
Il l'immobilisa, assis sur son ventre, ses cuisses resserrées autour du torse imposant. Ses mains se refermèrent lentement autour de la gorge moite, comprimant la peau glissante. Transcendé, le visage déformé par un rictus euphorique, Peter resserra sa prise, sa poigne invincible privant l'homme d'oxygène.
Rodriguez se débattit, ses mains griffèrent le dos de l'araignée, qui, implacable, pesait sur lui de tout son poids.
Wade, immobile sur le côté, observait fasciné l'ouverture de la chrysalide.
Un cocon qu'il avait entretenu, bercé, nourri, en sachant que la chenille qui y était entrée se transformait lentement en papillon. Avec un peu d'imagination, il pouvait presque voir les ailes sombres se déplier au fur et à mesure que la vie quittait le proxénète, sous la poigne immuable de l'ancien héros.
La gorge de Wade se resserra, une douce chaleur irradiait de son bas-ventre, sourde, diffuse.
Les traits transfigurés de Peter, ses muscles saillant sous l'effort, le visage rouge et empourpré de Rodriguez, ses mains qui griffaient sa gorge pour se libérer, ses soubresauts de plus en plus espacés… Jusqu'enfin… Le silence.
Peter haletait, ses mains toujours autour de la nuque inerte, ses yeux fixés sur les pupilles immobiles de sa victime.
- Magnifique…
Wade avait murmuré, troublé. A ses yeux, rien ne valait ce spectacle. Un héros décadent, embrasant tout à fait sa nouvelle et véritable nature, ses instincts sauvages et cruels.
La déchéance.
Peter ne parvenait pas à admettre la réalité que lui renvoyaient ses yeux.
Rodriguez, devant lui, mort de ses mains. L'homme qui les avait trahi, vendu, qui avait causé sa mort.
Qui avait causé toutes ses souffrances.
Il ne pouvait détacher son regard, ni même penser, construire une réflexion cohérente. Son esprit bouillonnait, volcan grondant au point culminant de l'éruption. Une main gantée de rouge apparut dans son champ de vision.
Il leva les yeux vers Wade, qui le dominait de toute sa hauteur. D'un calme fracassant, rocher solide au milieu de la tempête qui agitait l'esprit de son complice.
- Il ne faut pas rester là, énonça-t-il simplement.
S'accrochant à cette réalité, à cette ancre qu'il savait pourtant instable et propre à le tirer vers le fond, Peter accepta la main qui l'aidait à se redresser et l'emmenait déjà hors de la pièce, hors des lieux du crime.
Ce mot résonnait sans fin à ses oreilles, alors qu'il suivait Wade dans les couloirs, placidement, en apparence tout du moins. Le sang battait à ses tempes. L'euphorie refusait de se dissiper, bien au contraire. Il évoluait en plein rêve.
En plein cauchemar.
Les évènements s'enchainèrent. Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir derrière eux, Wade ouvrit une porte à la va-vite, se propulsa dans une pièce sombre et exiguë, l'attirant à sa suite.
La porte se referma sur un espace confiné, le corps de Wade se pressa contre le sien, l'écrasant contre le mur, sa respiration rapide perçant à travers son masque. La main qui le tenait par le poignet le lâcha, pour venir plus pressement lui saisir l'épaule, lui intimer l'ordre d'immobilité.
Dans l'obscurité la plus complète, Peter devina plus qu'il ne vit un doigt venir se poser sur les lèvres du mercenaire, pour quémander le silence. Ses sens décuplés, aux aguets, entendirent les pas s'éloigner, les bruits d'une discussion mourir. Le mur inégal dans son dos meurtrissait sa peau.
A côté de lui, le mercenaire tâtonna sur le mur à la recherche d'un interrupteur, allumant une ampoule nue à la luminosité faible au-dessus d'eux. La lueur crue révéla un placard d'à peine deux mètre carrés, remplis de cartons d'archivage.
L'adrénaline pulsait à un rythme endiablé dans ses veines, et, Peter le savait, le sentait, dans celles de son partenaire.
- Comment tu te sens ? s'enquit ce dernier.
- Bien. C'est peut-être ça le problème, lui répondit la voix rauque de Peter.
Wade laissa un instant de silence s'étirer. Il redécouvrait Peter sous un jour nouveau. Sa voix lui paraissait plus grave, sa stature moins fuyante, plus affirmée. Ses cheveux ébouriffés étaient poissés de sueur, d'un sang qui n'était pas le sien.
Comme si, ce soir, il était devenu un homme.
Peter prit le silence de son compagnon comme une invitation à poursuivre. Il détourna légèrement les yeux sous le regard scrutateur du mercenaire, étrangement calme et silencieux.
- Vivant. Je me suis senti vivant.
- Vivant comme jamais.
Une compréhension mutuelle filtra, presque palpable entre eux. Les évènements s'étaient bousculés, imprévisibles, ces vingt-quatre dernières heures.
Capturés, torturés, morts et ensevelis, revenus à la vie, anges vengeurs venus punir ceux que leur sens de la justice jugea coupables, pour délivrer la sentence ultime…
[…] a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli,
est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts,
est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant,
d'où il viendra juger les vivants et les morts […]
- Puissant, aussi, et Peter avait soufflé ces mots.
Wade, toujours diablement proche, le perturbait. Il n'avait pas lâché son épaule, au contraire, son emprise se raffermit, appuyée. Il s'approcha davantage. Peter pouvait sentir les notes épicées de son after shave.
- T'as envie de vivre, hein… T'as jamais eu autant envie de vivre que maintenant.
Peter n'arrivait pas à reprendre son souffle, ni à ralentir son rythme cardiaque. Son corps refusait de redescendre, de quitter cet état de transe qui l'avait envahi lorsque le dernier souffle de vie avait quitté les poumons de Rodriguez. Non, c'était plus tôt.
Quand il avait senti la mort l'embrasser, allongé sur la table où Francis l'avait détruit. Quand il avait vu le visage de Wade sortir des ombres, sa main traverser les dimensions, venir l'agripper jusque dans le monde des Morts. Un trip bien plus puissant que ce que toutes les substances chimiques de cette planète avaient su lui procurer jusqu'à présent.
- C'est jouissif, de faire du mal à de mauvaises personnes ? Poursuivit Deadpool.
Lentement, son bassin vint se caler contre celui de l'araignée, provoquant, avant qu'il ne continue :
- C'est une forme d'excitation intéressante…
Quelque part au fond de lui, Wade savait que c'était mal.
C'était mal, de profiter de cet instant de faiblesse. Peter était à l'heure actuelle complètement paumé, grisé par une nouvelle sensation, par l'euphorie d'être en vie malgré tout, partagé entre la jubilation et le dégoût de lui-même, tailladé par l'adrénaline, l'absence de remords, et les remords liés à cette absence.
C'était comme abuser d'une fille bourrée à une soirée.
C'était mal. Mais en même temps, Wade s'était fait une raison depuis longtemps. Il n'était pas un héros. Il n'était pas un type bien. Sa place au paradis avait été vendue à d'autres depuis longtemps. C'était mal, mais c'était l'occasion rêvée. Il fit glisser sa main de l'épaule du jeune homme à son torse, caressant la ligne entre ses pectoraux, descendant jusqu'à son entrejambe, qu'il attrapa fermement.
Merveille de ne pas être repoussé sur le champ. Il massa la zone avec application, et, devant un Peter plus réceptif que jamais, une bouffée de désir l'envahit. Les mains de Peter l'agrippèrent soudain par le devant de sa combinaison, le prenant par surprise.
- Tu…
- Ta gueule, Wade.
Dépassé par les réflexes surhumains de l'araignée, Wade se retrouva plaqué contre la porte, une main immobilisée au creux des reins, Peter collé contre son dos.
- Qu'est-ce que…
- C'est comme ça ou rien.
Appuyant son propos de gestes, Peter laissa ses doigts courir sur le lycra qui protégeait le mercenaire, l'attrapant fermement par la hanche, collé contre lui.
Wade réfléchit à toute allure. Il n'avait pas réellement envisagé la situation sous cet angle. Pas du tout, même. Mais entre ca et rien, et entre ça et prendre le risque de perdre cet instant, cette possibilité, cette faiblesse de Peter… Le choix était vite fait.
Il grogna alors que Peter faisait coulisser les fermetures éclair qui le gardaient prisonnier. Bientôt, ils haletaient tous deux, Peter gémissant à son oreille, de cette voix rauque extrêmement désirable qu'il ne lui connaissait que depuis peu. Fermement maintenu contre le mur, il ne pouvait pas voir, frustré, et ne pouvait qu'imaginer la scène. Les doigts de Peter s'enfonçaient dans la peau de ses hanches, s'y cramponnant.
Peter fut peu attentif à la possibilité de lui faire mal. Wade grogna. Peter ne le ménagea pas davantage, venant murmurer à son oreille :
- Fais pas genre, Wade. Je te connais. Je suis sûr que t'es du genre à aimer quand ça fait mal…
L'intéressé sourit, et tenta de formuler une vanne. Peter choisit cet instant pour commencer de se mouvoir, lui arrachant un nouveau grognement. Le gamin n'avait pas tort. Avoir passé des mois entre les mains d'Ajax et de ses multiples instruments de torture lui avait bousillé le cerveau, mais lui avait néanmoins appris une chose.
Si dans la vie, tu es destiné à morfler, t'as intérêt à apprendre à transformer la douleur en plaisir.
L'acte, violent, dénué d'affection ou d'une quelconque volonté des deux partenaires de procurer du bien être à l'autre, les occupa une dizaine de minutes. Peter prit peu de plaisir, et un plaisir égoïste et sans âme, simple soulagement physique et mal dirigé d'une émotion trop forte, d'une situation intenable. Wade, conscient que l'autre ne ferait rien pour soulager son propre élan de désir, se servit de sa main droite avec habileté. Il trouva une nouvelle – et inattendue- source d'excitation à être ainsi dominé par un homme, lui qui jusqu'à présent n'avais jamais expérimenté ce côté-ci de la relation homosexuelle.
Le rythme accéléra progressivement et Wade effleura le point de non-retour lorsque les mains de Peter, avides et fermes, l'attrapèrent par l'épaule et la gorge. Sans douceur, témoins fébriles d'un instant de ferveur bestiale, déferlement à peine maitrisé d'une envie de violence. Il jouit en grognant, presque surpris de voir son corps réagir aussi vivement.
Ils se sentaient vivants, et c'était là tout l'important.
Peter s'interrompit après de longues minutes acharnées, dépensées vainement à essayer d'atteindre l'orgasme. Il libéra Wade de son emprise, remontant immédiatement le pantalon resté sur ses chevilles, détournant les yeux alors que Wade faisait de même.
Le mercenaire se délecta du trouble brumeux dans les yeux de Peter, de son attitude soudain gauche. Peter jeta à peine un coup d'œil en sa direction, son attention s'attarda sur sa nuque. Wade porta la main à son cou douloureux, devinant les traces rouges et marquées laissées par les doigts de son amant. Il avait serré si fort que ses ongles avaient ouverts de micro-plaies sur sa peau scarifiée, déjà refermées.
- On devrait se casser, grogna l'adolescent, une main sur la poignée de la porte, prêt à partir.
Wade voulut faire une blague.
« Pas le moment » clignota en rouge et gras et surligné au fond de son crâne.
- Ouais. Cassons-nous.
Voilà… Un petit commentaire pour moi ? =D
Laukaz
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top