chapitre 19


Interlude 4

Le problème, quand on rentre dans le jeu d'un abruti dégénéré et têtu, c'est qu'on ne sait pas comment on va bien pouvoir en sortir.

Après le succès de l'affaire Amazonienne, Wade et Peter s'étaient accordés deux semaines de repos bien méritées. Rodriguez leur devait un joli paquet de pognon, et en attendant qu'il parvienne à réunir le cash, les deux hommes s'offraient un peu de calme. Ils avaient tous les deux biens dégustés, et même si Wade se remettait bien physiquement, ralentir le rythme une fois de temps en temps ne faisait pas de mal.

Enfin, « ralentir le rythme. »

La troisième nuit blanche de suite, et plus d'alcool ingurgité en deux nuits que la totalité des réserves d'hydromel d'Asgard.

- Mec… Tu crois que t'arrêteras un jour ?

Peter ne l'écoutait pas, occupé à faire une ligne parfaite. Les petits grains blancs s'entêtaient à sortir du droit chemin, et il les remettait à leur place à l'aide d'une carte de crédit.

- J'sais pas. J'ai pas envie. Lâche moi la grappe, ça fait douze jours.

- La prochaine fois, c'est dans vingt-quatre.

Wade l'observa, alors que l'araignée constituait une seconde ligne, parfaitement parallèle à la première.

La table basse du salon avait été témoin d'actes très illégaux. Les jours défilaient, les semaines les mois, et Wade demeurait frustré.

Ils combattaient ensemble, ils élaboraient plans et stratégies, ils sortaient, ils faisaient des choses aussi simples que la vaisselle, les courses, des joggings à Central Park… La seule personne avec qui Wade avait un jour atteint ce stade d'intimité, c'était Al. Et il savait tout d'elle. Et elle savait tout de lui.

Mais Peter… Ne s'ouvrait pas. Il ne parlait jamais de son passé, jamais de lui, de ses émotions, de ses ressentis. Toujours un cynisme froid, un humour noir, drôle mais parfaitement détaché.

Et Wade ignorait toujours comment il était devenu… ça. Ce jeune homme rebelle, hors normes, hors la loi, en dehors de la société, bien loin de l'image de Spider-man.

Un marginal sociopathe,

Un lui.

Ce mec est tellement loin de ce qu'était Spider-Man…

Pas tant que ça. Spider-Man était drôle. Ce type est drôle. Spider-Man était puissant. Ce type est encore plus puissant, car il n'a plus de limites. C'est la seule chose qui a réellement changé chez lui… Plus de limites.

Mec. T'es tellement profond que je te vois plus. Remonte tu vas te noyer.

Ouais, pardon. C'est l'alcool qui parle.

- Au lieu de me faire la leçon, poursuivit Peter, un sourire malicieux sur les lèvres, prends en une avec moi. Aujourd'hui on est mardi, et mardi, j'ai le droit, c'est tout.

Wade soupesa la question.

- Ça ne me fera pas grand-chose. En tous cas, pas longtemps.

Un haussement d'épaules lui répondit.

- T'arrive à être bourré avec l'alcool Asgardien…

- Pas faux, constata platement le mercenaire, qui appréciait d'ailleurs Thor pour en avoir ramené sur Terre lors de ses précédents voyages.

Il fallait croire que les composés aliens parvenaient à défier, au moins pour quelques temps, les capacités de son foie à se régénérer.

- Et bien ça – Peter indiqua les quatre lignes parfaitement droites sur la table - c'est coupé, tu vois.

Un regard vaguement intéressé lui répondit.

- C'est coupé avec un truc qui vient d'Asgard…

Le sous-entendu plana un instant.

- C'est moi qui suis censé te sortir de cette merde, pas toi qui es censé m'y plonger.

- Ma puce, ne fais pas genre. T'es pas un Saint et tout le monde ici le sait.

Le ton provocateur fonctionna parfaitement.

Wade releva le bas de son masque.

- Putain de merde, je vais faire une crise d'épilepsie !

A jeun, la route arc en ciel de Mario kart est déjà une épreuve. Couleurs flashs, fluorescentes, changeantes. Précipices omniprésents, concentration nécessaire et musique psychédélique.

Mais sous l'emprise de substances, l'expérience n'a plus rien à voir.

La course allait commencer. Un panorama des lieux donnait aux joueurs un avant-goût du supplice. Wade secoua la tête pour remettre ses idées en place. Décidément, la came Asgardienne envoyait du lourd.

Il tenta un regard vers Peter. Le gamin amorphe, les mains moites, les yeux rougis, paraissait hors du monde.

Pas totalement mort, Wade eut un éclat de génie.

« Cet homme est défoncé. Pour la première fois depuis longtemps sur Mario kart, j'ai l'occasion de gagner… ça se tente ! »

- Celui qui perd fait une pipe à l'autre, lança-t-il, fanfaron, les mains bien agrippées à sa manette.

- Ok.

La réponse, flegmatique et sérieuse, scotcha Wade sur place.

- Ok ?

- Ok. Concentre-toi, ça commence.

Les feux passèrent au vert et les joueurs s'élancèrent sur la piste périlleuse.

Peter jubilait. La tête de Wade valait tout l'or du monde. Décidément, entrer dans son jeu était le meilleur moyen de le faire taire. Peter s'appliqua à conserver un visage de marbre et laissa son instinct d'araignée prendre le contrôle des boutons. Ses réflexes, bien qu'atténués, demeuraient présents.

Au premier tour, il avait dix secondes d'avance sur Wade, qui le collait dangereusement. Au second tour, il reçut une carapace bleue qui l'envoya valser au tréfonds des abimes. Wade prit la tête de la course. Une tension palpable et étrange s'installa au cours du troisième tour. Peter rattrapa son retard, grappillant seconde après seconde.

Un champignon lui procura l'accélération nécessaire pour devancer Wade deux mètres avant la ligne d'arrivée. Un silence pesant accueillit l'écran de remise des prix. Silence que Wade finit par rompre, d'une voix trop posée pour être naturelle.

- Bon, ben je te dois une pipe.

Peter posa soigneusement la manette sur l'accoudoir, et se tourna à moitié, pour faire face à son adversaire vaincu. Il attrapa son regard, s'y accrocha, résolu.

- Ouais.

C'était un jeu, après tout. C'était juste entrer dans son jeu. Le canapé tanguait sous lui, il n'en montra rien, ferme. Décidé. Convaincu que Wade ploierait le premier.

Le masque rouge se fendit d'un sourire presqu'animal.

Wade s'approcha, s'appuyant sur sa main droite pour combler la distance qui les séparait. Main droite qui hésita avant d'atterrir sur un coussin. Qui décida de ne pas atterrir sur le coussin. Qui atterrit sur la cuisse de Peter. L'araignée se figea, tendue. Dans l'expectative. Curieuse de voir jusqu'où Wade était capable d'aller, pour le jeu.

Le masque rouge s'approcha de lui, le corps suivit, bientôt à quelques centimètres à peine du sien. Instinctivement, Peter recula légèrement, s'enfonçant dans le recoin du canapé. Wade avança davantage, sa main gauche vint se poser sur le torse de l'araignée. Visages à portée de souffle. Peter reprit l'avantage :

- Enlève ton masque.

C'était un ordre. L'adolescent sentit la main sur sa cuisse se contracter, légèrement. Surprise ? Peur ? Autre chose ?

Le mercenaire obéit. Le lycra révéla la peau marbrée, les yeux d'un bleu glacé inquiétant. L'instant s'étira, suspendu entre deux souffles. Entre deux possibilités qui craquerait le premier ? Peter ne bougea pas d'un millimètre. Et Wade en profita pour redevenir lui-même : caustique, déplacé, provocateur.

- Mec, ça fait tellement longtemps que j'ai pas fait de choses sexuelles sans payer…

Et sans laisser le temps à Peter de relever cette phrase, de répondre ou de réfléchir davantage, sa main quitta la cuisse pour venir se poser, ferme, sur le membre tendu qui dessinait une forme droite et rigide à travers le jean du plus jeune.

Peter n'eut pas réellement le temps d'analyser la réaction inattendue de son organisme. Il n'eut peut-être pas l'envie, d'ailleurs.

Déjà, la main se refermait sur lui, le massant à travers le tissu, assurée. L'autre main le repoussa jusqu'à ce qu'il se retrouve finalement allongé, la tête sur l'accoudoir.

Les doigts agiles tentaient de s'insinuer sous ses vêtements. Un éclat de lucidité traversa le cerveau de l'araignée.

Il ouvrit la bouche comme pour prononcer un mot. Wade suspendit son geste, aux aguets. Peter allait craquer. Il allait craquer le premier, faire une blague, dire « LOL, je t'ai bien eu ». Et ils referaient une partie, en mode normal, rien d'étrange ne vient de se produire sur ce canapé. N'est-ce pas, que Peter allait le faire ?

L'adolescent sentait les yeux bleus fouiller son visage, à la recherche du moindre indice, de la moindre faiblesse.

Était-ce toujours une question d'entrer dans le jeu ? Il était confus. Les substances dans son organisme démultipliaient ses sensations, sa conscience du corps pressé contre le sien, la qualité des sons, des images. Mais elle perturbait son jugement. Ou alors non ? Oui. Bien sûr, qu'il n'était que question d'entrer dans le jeu. Ce n'était qu'un jeu de plus. Et il ne perdait jamais, aux jeux. Surtout face à Wade. Il avait trop perdu, avant. Il ne perdrait plus jamais.

Il ne dit rien.

Les doigts de Wade traversèrent la barrière de coton, venant au contact de la chair brûlante.

Le cœur de Peter manqua un battement. L'empressement de Wade se devina dans ses gestes agités, dans sa virulence à retirer les vêtements de l'autre, à jeter nerveusement les coussins pour faire de la place.

Wade s'approcha de la peau rouge et brûlante, chercha les yeux de Peter.

Il ne trouva qu'un visage tourné sur le côté, à moitié masqué par un bras. Peut-être était-ce mieux ainsi. Peut-être que s'il avait croisé son regard, à cet instant, il aurait renoncé.

Il ne fallait pas attendre davantage. Attendre, c'était prends un risque.

Peter était incapable de regarder, incapable de réfléchir à pourquoi il était incapable de regarder, de dire non, d'arrêter. De perdre. Il sentit la chaleur humide tout autour de lui, le plaisir qui enflammait ses reins, lui léchait la colonne vertébrale, explosait dans son cerveau.

Plus rien d'autre n'existait que ce canapé, ces mains, cette bouche, cette langue. Consciencieuse. Avide. Folle.

L'appartement fut bientôt baigné dans le silence, percé de gémissements contenus, de souffles courts que l'on peinait à reprendre.

Peter était tiraillé, entre l'envie de voir, et celle de ne pas voir. Mais son imagination constituait les images qu'il s'interdisait d'observer, et elles le hantaient.

Le bras qui n'était pas occupé à lui masquer la vue s'engouffra le long du canapé, jusqu'à ce que sa main rencontre le torse du mercenaire, remonte le long de ses épaules, jusqu'à venir s'accrocher à sa nuque, solidement.

Encouragé par cette marque d'intérêt, Wade poursuivit son œuvre, lui-même dans un autre monde. Sous lui, le corps se tendait, se démenait, luttait de toutes ses forces, pour ou contre ? Dur à dire.

Le temps s'échappait. Wade s'appliquait, une main parcourant le torse encore dissimulé sous un tee-shirt noir, l'autre accompagnant le mouvement de sa bouche.

La main dans sa nuque se crispa davantage.

- Wade, je vais…

L'intéressé prit la remarque comme une incitation à poursuivre ses caresses, avec plus d'ardeur encore. Il sentit la main dans sa nuque se détacher, pour venir presser contre son torse.

Le repousser. Doucement, mais indiscutablement. Le mercenaire hésita une fraction de seconde.

Insister. Ou arrêter.

Déjà, Peter avait pris la décision pour lui, le repoussant plus fermement, se redressant sur le canapé, remettant ses vêtements à leur place à l'aide de gestes nerveux.

Et toujours le regard fuyant. Le silence les accueillit, les surprenant dans cette situation de malaise général. Incapables de se regarder, ou même de parler. Wade chercha la bonne chose à dire. La vanne qui détendrait l'atmosphère, qui enlèverait de ses oreilles ce seul mutisme, percé de leurs souffles encore rapides.

La sonnette de l'appartement résonna, déchirant le silence.

Wade se redressa d'un bond, alors que Peter se détournait, sous prétexte de remettre les coussins sur le canapé.

- Ça doit être la pizza que j'ai commandé tout à l'heure.

Wade s'essuya la bouche avant d'ouvrir au livreur, hésita à remettre son masque en place, s'abstint. Il lui fila un billet de cent dollars, arracha la pizza et lui claqua la porte au nez avant de retourner dans le salon, duquel Peter était en train de s'enfuir, battant en retraite dans sa chambre.

- Mec !

La voix l'interpela depuis le couloir, l'obligeant à s'arrêter.

- Viens bouffer, la pizza c'est meilleur chaud, poursuivit Wade.

- … Pas faim, lui répondit une voix encore rauque.

Wade soupira, posa le carton sur le comptoir et entreprit de courir après le jeune homme. Il l'attrapa par le poignet, l'obligeant à lui faire face.

- Ne fais pas le débile.

Pour la première fois depuis plusieurs minutes, Peter consentit à croiser son regard.

Brrr. Gelé.

- Soit pas un gamin.

Il se heurta à un mur de mutisme.

- Sérieux, Peter. On est deux adultes. Consentants. Cool. Pour une fois, on a fait de mal à personne. Assume.

La remarque prit Peter de court.

- Je… C'est…

- Ouais ouais, je sais, rétorqua Wade, désinvolte. C'est bon, je t'ai sucé la queue, je t'ai pas demandé en mariage, hein. Ça ne change rien. Rien du tout. T'as prix dix minutes de plaisir, mais ça change rien. Soit adulte, un peu.. C'est juste une pipe, pas de quoi en faire un drame.

L'araignée en était tout simplement scotchée. La cocaïne semblait avoir déserté ses veines, et le flou disparaissait de sa vision, jetant un éclairage nouveau sur ce qui venait d'arriver.

- Ca change rien, répéta-t-il, suspicieux.

- Que dalle. Ca change que dalle à ce qu'on essaye de faire ici, dit l'homme en rouge en pointant le parquet du doigt. A savoir, faire un max de blé. Tu me l'as dit toi-même quand on a emménagé. Je suis pas ton psy, je suis pas ton pote. Je suis rien. Rien d'autre que ton partenaire. Alors on continue, et franchement, murit un peu. Y'a pas mort d'hommes. Arrête de faire ta prude et vient bouffer ta pizza, on passe à autre chose.

Pour la première fois depuis leur rencontre, Wade lui apparut comme un adulte rationnel. C'était terrifiant. Les arguments étaient logiques, terre à terre. Raisonnables. Le pli vaguement méprisant qui barrait le front du mercenaire témoignait même de l'ennui que représentait pour lui le fait de devoir expliquer ça à un gamin. Lui, un gamin prêt à en faire des tonnes, sans raison.

Wade fit demi-tour vers le bar, le laissant en plan.

Peter lui emboîta le pas, à quelques secondes d'intervalle, le cerveau en ébullition.

Alors c'était tout ? Aussi simple que ça ? Il lui taillait une pipe, et dix secondes après, tout redevenait comme avant ?

« Après tout pourquoi pas ? »

C'était peut-être la manière la plus simple d'agir, en effet. Désamorcer. Nier même l'importance de l'acte. Pour Wade, visiblement, c'était une action comme une autre. Comme faire la vaisselle.

Il n'était pas important, de toute façon, cet acte. Comme Wade le disait, ça ne changeait rien. Et pour prouver ses propos, le schizophrène raisonnable lui lança une bière, coupant la pizza en deux, commençant à déblatérer une blague cochonne.

Peter cligna plusieurs fois des yeux, décapsula la bière.

Non. Ça ne changeait rien.

Ses épaules se détendirent imperceptiblement.

Voilà pour cet interlude mes cobayes.

C'est la première fois DE MA VIE que j'écris une scène aussi explicite. (Ou en tous cas que j'ose la publier !). Je suis pas du genre prude et j'ai aucun problème à parler de cul, mais je trouve toujours que mes tentatives de lemons sont nulles, mal écrites, ça fait plus description anatomique qu'autre chose et que ca sert à rien, BREF j'aime pas ça xD Un petit mot de votre part pour me dire ce que vous en avez pensé m'aiderait à progresser !

Je vous fait des bisous, on se retrouve très vite pour le début du prochain cercle… Avec une relation qui commence à prendre un tournant étrange…

Je vous embrasse,

Laukaz

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